Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 11.26.876, F-P+B+I (N° Lexbase : A5204KCQ)
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Le 03 Mai 2013
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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
Le 01 Mai 2013
Ces dernières années, la jurisprudence en droit des assurances s'avère souvent répétitive. L'essor des assurances de personnes n'est plus à démontrer et la croissance des assurances de groupe se révèle exponentielle, au point que les assurances de dommages pourraient apparaître sans véritable intérêt juridique renouvelé. Tous les aspects auraient été analysés, débattus et tranchés. Pourtant, il est un domaine peu exploré, sans doute parce qu'il ne donne pas lieu à de réelles difficultés pratiques : la résiliation du contrat d'assurance par l'assuré. C'est que, le plus souvent, le sujet concerne plutôt l'assureur. Et lorsqu'un assuré songe à changer d'assureur, le plus souvent il attend que la date d'échéance de son contrat soit imminente.
Pour ces raisons, le contentieux sur cette question s'est fait rare. Sans que l'on puisse croire réellement assister à un renversement prochain de tendance, la mise en concurrence plus fréquente des assureurs par les assurés pourrait toutefois augmenter les hypothèses à l'origine d'une réflexion sur la résiliation des contrats d'assurance et leurs modalités, à l'image de cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, un homme avait souhaité souscrire un nouveau contrat d'assurance auprès d'un autre assureur, pour le même risque que celui pour lequel il était garanti. Au jour de la souscription, pour ne pas avoir à se préoccuper de formalités toujours chronophages à accomplir, il avait donné mandat au nouvel assureur d'agir en son nom et pour son compte et de résilier le contrat d'assurance l'unissant encore à un précédent assureur.
Ce type de sollicitation est désormais fréquent si l'on songe, par exemple, aux résiliations de contrat de téléphonie mobile. Qu'elle pénètre aussi le secteur des contrats d'assurance ne doit pas surprendre : les arcanes juridiques plongent volontiers nos concitoyens dans un abîme de perplexité et de lassitude les incitant à accepter avec empressement toute offre de service destiné à les alléger de cette contrainte. C'est dans ce contexte qu'est venu se nicher la présente difficulté juridique : si la résiliation effectuée avait bien pris la forme d'une lettre recommandée avec avis de réception, des mois avant l'échéance, elle avait eu lieu sans que la qualité de mandataire du nouvel assureur ait été démontrée auprès de l'ancien. Ce dernier contestait donc la validité de la résiliation.
La cour d'appel d'Angers n'avait pas été sensible à l'argumentaire développé. La Cour de cassation ne l'a pas été davantage. Selon elle : "Ni l'article L. 113-14 du Code des assurances (N° Lexbase : L0071AAU) prévoyant les modalités de résiliation de la police par l'assuré, ni aucun autre texte légal, n'exige de l'assuré qu'il rapporte la preuve de l'existence d'un mandat donné à un tiers, dans le délai imparti pour résilier le contrat d'assurance qui le liait". Au-delà de la décision elle-même qui mérite d'être approuvée, le soin pris par nos Hauts magistrats dans la justification de leur décision appelle qu'une attention particulière lui soit accordée. Le droit des assurances n'est pas seul concerné en l'espèce, même si la Cour de cassation prend le soin d'indiquer que la présente résiliation répondait aux exigences de forme et de délai de l'article L. 113-14 du Code des assurances. Cette dernière fait également une allusion non voilée à d'autres sources juridiques possibles, et l'on songe, bien entendu, au droit des obligations, deux matières à partir desquelles doit se développer la réflexion.
Le principe du droit à résiliation figure à l'article L. 113-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0070AAT) relatif à la durée du contrat d'assurance et donc à son corollaire. Les modalités entourant cette résiliation constituent le coeur de l'article L. 113-14 du Code des assurances, lequel se caractérise par ses lacunes ou par l'extrême liberté laissée aux parties cocontractantes de déterminer les circonstances de mise en oeuvre de cette résiliation par l'assuré. C'est que les rédacteurs de la loi sur le contrat d'assurance considéraient déjà que, le plus souvent, les résiliations seraient le fait de l'assureur plutôt que de l'assuré. Et l'examen attentif de toutes les dispositions de la loi du 13 juillet 1930 atteste de la multiplicité des hypothèses de résiliation envisagée du côté de l'assureur, que ce soit pour les autoriser ou les interdire ; en revanche, la résiliation par l'assuré n'a pas suscité autant d'intérêt.
Le présent arrêt s'explique donc. Les dispositions du Code des assurances sont notamment laconiques sur la qualité de la personne pouvant procéder à la résiliation du contrat d'assurance : s'agit-il de l'assuré lui-même, du souscripteur lorsque ce n'est pas la même personne, ou bien encore d'un tiers total à la relation contractuelle initiale ? A ces questions, aucune réponse n'est fournie. Par conséquent, lorsque le droit spécial ne fournit pas de solution à une difficulté, le juriste ne peut que se tourner vers le droit général, en l'espèce le droit du mandat. Là encore, toutefois, le Code civil n'est pas si prolixe, sans doute par souci de souplesse. Pour autant, à l'évidence, un tiers à une relation contractuelle quelconque peut recevoir mandat d'y mettre fin. Plus encore, dans le cas présent, l'interrogation portait sur la preuve de l'existence d'un mandat donné par l'assuré à un tiers pour mettre fin à sa relation contractuelle avec son précédent assureur.
Or, l'article 1985 du Code civil (N° Lexbase : L2208ABE), que la Cour de cassation ne cite pas dans cet arrêt en date du 28 mars 2013, prévoit les différentes formes de mandat. Et parmi celles-ci, figure le mandat verbal. En conséquence, l'assureur ne pouvait prétendre qu'il n'avait pas été en possession d'un écrit, démontrant la réalité de ce mandat, ainsi qu'il semblait le déplorer, tout au moins de manière implicite. Quoi que l'on pense du fond de la décision, notamment en ce qui concerne l'opportunité des mandats verbaux et de la difficulté de la vérification de leur existence, il convient de ne pas commettre de confusions d'analyse. Il est, certes, permis de déplorer cette souplesse en droit civil en général ; il demeure que le droit spécial avait toute latitude pour en décider autrement, ce que le législateur n'a pas cru bon de réaliser. Il convient donc de respecter sa volonté.
Par ailleurs, sur le fond, cette simplicité ressort de l'examen de l'ensemble des règles applicables à la mise en oeuvre et au fonctionnement des contrats d'assurance. Ainsi, elle se rencontre à divers niveaux : on songe notamment à la conclusion même du contrat d'assurance, laquelle peut s'effectuer par un souscripteur qui n'est pas l'assuré, ou bien encore à la déclaration d'un sinistre, laquelle peut ici aussi être réalisée par n'importe quelle personne. Que la même solution l'ait emporté au stade de la résiliation du contrat n'apparaît donc pas curieux et infondé. Et le risque que la personne ayant procédé à tel ou tel acte sans mandat effectif et réel de la part de l'assureur concerne alors les seules relations entre ces deux protagonistes, non l'assureur auquel justement l'assuré ne saurait être reproché de ne pas avoir pris le soin de vérifier en détail que le mandataire disposait bien de cette qualité. C'est une sécurité pour lui qui, dans le cas contraire, perdrait un temps non négligeable à procéder à de tels contrôles.
La rapidité des affaires milite en ce sens. Notre vie quotidienne étouffe de ces lourdeurs dites, à tort, administratives, lesquelles découragent les initiatives dont le produit intérieur brut aurait pourtant bien besoin.
Véronique Nicolas, Doyen de la faculté de droit de Nantes, Professeur agrégé, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP
Par cet arrêt du 28 mars 2013, la Cour de cassation conforte la solution établie selon laquelle :
"l'action en garantie et en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par l'assureur dans l'exécution du contrat d'assurance dérive de ce contrat et se trouve soumise au délai de prescription biennale dont le point de départ se situe à la date où l'assuré a eu connaissance des manquements de l'assureur à ses obligations et du préjudice en résultant pour lui".
C'est rappeler que si l'assuré veut mettre en oeuvre la responsabilité contractuelle de l'assureur pour inexécution ou mauvaise exécution de son obligation de couverture, il doit le faire dans le respect du délai biennal de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1213ABK).
La solution est logique car un manquement par l'assureur au respect de ses obligations ouvre à l'assuré une action qui, non seulement "dérive" du contrat d'assurance comme l'exige l'article L. 114-1 mais, plus fondamentalement encore, procède du contrat même !
La jurisprudence avait déjà énoncé cette solution à propos de divers types d'assurance et pour diverses fautes de l'assureur préjudiciables à l'assuré. Ainsi notamment, dans une assurance responsabilité civile, lorsque l'assureur exécute mal le mandat de direction de procès, l'assuré peut alors mettre en oeuvre sa responsabilité contractuelle (Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, n° 86-12.645 N° Lexbase : A3976CGD, Bull. civ. I, n° 375).
La solution a été confirmée, tant en assurance dommages qu'en assurance-vie (cf. notamment Cass. civ. 1, 6 décembre 1994, n° 91-19.072 N° Lexbase : A6535ABN, Bull. civ. I, n° 358 ; Cass. civ. 2, 11 octobre 2007, n° 06-17.822 N° Lexbase : A7380DYY ; Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 08-12.334, FS-P+B N° Lexbase : A6672E3I).
L'arrêt du 28 mars 2013 concerne l'assurance construction. C'est un domaine dans lequel la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de l'assureur par l'assuré pour mauvaise exécution de sa mission, soit par lui-même soit via l'expert auquel il fait appel, s'est déjà illustrée.
En l'espèce, l'assureur est, en juin 1997, saisi d'une déclaration de sinistre relatif à différentes fissures affectant la maison, consécutives à une sécheresse apparue en 1996 reconnue par un arrêté de catastrophe naturelle. Les assurés, réalisent, fin 2003, une nouvelle déclaration de sinistre auprès de leur assureur pour aggravation des désordres antérieurs constatés. L'assureur leur oppose un refus de garantie, estimant que les désordres n'étaient pas liés à la sécheresse de 1996. Après expertise en référé, établissant la nature d'aggravation des désordres initiaux, les assurés assignent au fond leur assureur en paiement des travaux en résultant et, à titre subsidiaire, en paiement de ces sommes à titre de dommages-intérêts en raison de ses fautes dans l'exécution du contrat d'assurance. L'assureur a opposé la prescription biennale.
Pour contourner l'obstacle, les juges du fond avaient cru devoir faire usage de la prescription décennale de l'ancien article 2270-1 du Code civil (N° Lexbase : L2557ABC) et avaient écarté la prescription biennale considérée "sans objet". Ils sont censurés de ce chef.
Cela ne surprendra pas. L'arrêt examiné nous semble devoir être rapproché d'un précédent signalé dans cette chronique, constitué par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 6 juillet 2011 (Cass. civ. 3, 6 juillet 2011, n° 10-17.965, FS-P+B N° Lexbase : A9567HUU) dans lequel des juges du fond avaient accueilli la réparation de désordres évolutifs sans relever la réunion au cas d'espèce de toutes les conditions traditionnellement exigées -les trois conditions cumulatives étant que les désordres initiaux aient été dénoncés judiciairement (on peut ajouter "ou reconnus par l'assureur") dans le délai décennal ; que les désordres d'origine aient bien eu la gravité de la nature de ceux exigés pour relever de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) ; que les nouveaux désordres apparus postérieurement au délai de dix ans présentent une identité de "siège" avec les désordres initiaux, dont ils constituent une aggravation)-. En commentaire de ce précédent nous soulignions alors :
"les juges du fond [...] avaient acquis la conviction que l'assureur avait trompé l'assuré en 1998, en refusant sa garantie. Mais il leur fallait alors engager la responsabilité de droit commun de l'assureur sur le fondement du dol ou admettre qu'il engage sa responsabilité contractuelle pour avoir communiqué à l'assuré une expertise erronée, qui a induit en erreur les assurés et les a empêchés de dénoncer judiciairement dans le délai décennal un désordre de la nature de ceux de l'article 1792 du Code civil...
Cette responsabilité n'a d'ailleurs rien d'évidente si l'assureur peut justifier s'en être remis à l'expert, de sorte que seule la responsabilité de ce dernier devrait être engagée. On sait toutefois la jurisprudence encline à mettre en place une forme de responsabilité du fait d'autrui en cette matière. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 mai 2006 [Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT), Bull. civ. III, 2006, n° 133, p. 110] avait marqué les esprits en retenant la responsabilité de l'assureur, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), pour 'avoir proposé à l'acceptation de son assuré, non professionnel, un rapport d'expertise défectueux conduisant à un préfinancement imparfait'. Cette ligne jurisprudentielle a été confirmée par un arrêt rendu par la même formation, en date du 11 février 2009 [Cass. civ. 3, 11 février 2009, n° 07-21.761 (N° Lexbase : A1247EDK), Bull. civ. III, 2009, n° 33], qui tient l'assureur responsable pour avoir 'mandaté son expert [...] qui avait rendu un rapport très succinct et dubitatif'.
Cela devrait valoir, a fortiori, pour l'assureur qui oppose à son assuré un refus de garantie sur la foi d'un rapport d'expertise défectueux, qui qualifie de simple désordre esthétique ce qui constituait un désordre affectant la solidité de l'ouvrage".
L'espèce tranchée le 28 mars 2013 se rapproche de ce précédent. Certes dans cette dernière, il n'a pas été discuté du point de savoir si l'aggravation s'est manifestée postérieurement au délai décennal (point qui n'est peut-être pas à exclure, puisque les faits indiquent que le premier sinistre date de 1997 tandis que la constatation de l'aggravation résulte d'une expertise ordonnée en référé fin 2007!). Toutefois, les deux espèces se rejoignent en ce que le fait générateur de la responsabilité de l'assureur repose, dans l'une et l'autre, sur une expertise mal faite, qui minore les conséquences dommageables des désordres, donc les travaux de reprise.
Dans toutes ces hypothèses, la mise en oeuvre de la responsabilité de l'assureur nécessite d'identifier le point de départ de la prescription biennale. L'arrêt commenté rappelle à cet égard qu'il s'agit du moment où l'assuré a eu "connaissance des manquements de l'assureur".
Cette formulation est plus généreuse que celle de l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) qui prévoit un deuxième point de départ : le jour ou le titulaire d'un droit "aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer", ce qui est plus redoutable que celui du jour de sa connaissance effective.
Au cas d'espèce, c'est le rapport d'expertise, mesure d'instruction ordonnée en référé, qui devrait être tenu pour "révélateur" de ce manquement. A notre sens, il conviendrait que la cour de renvoi vérifie si l'assuré a mis en oeuvre une action au fond en responsabilité contractuelle de l'assureur dans les deux ans qui ont suivi la mesure d'instruction en référé.
En toute hypothèse, l'arrêt doit appeler les assurés et leurs conseils, à la vigilance. Pour se prémunir contre toutes déconvenues et éviter à l'assuré de se voir opposer la prescription, il peut être utile de recourir aux services d'un expert d'assuré. Le cas échéant, il lui appartiendrait, en cas de minoration du dommage par l'expert désigné par l'assureur, d'attirer l'attention de son mandant sur ces insuffisances. Le pire serait, bien sûr, que ce dernier n'en fasse rien et que l'assuré doive, in fine, reprocher une faute contractuelle tant à son assureur qu'à son mandataire-expert...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan
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Réf. : Cass. crim., 9 avril 2013, n° 12-83.250, F-P+B (N° Lexbase : A6930KCN)
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Le 16 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 3, 10 avril 2013, n° 12-13.225, FS-P+B (N° Lexbase : A0844KCA)
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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 03 Mai 2013
"lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré :
- au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du Code civil ;
- aux descendants qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès ;
- au partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité ;
- aux ascendants, au concubin notoire ou aux personnes à charge, qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès.
En cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence.
A défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présent article, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire ou par l'abandon du domicile par ce dernier".
Il convient alors de rappeler que, selon l'article 1751, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1873ABY), "en cas de décès d'un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément", sachant que l'article 1751 vise le bail relatif au local servant effectivement à l'habitation de deux époux.
Il apparaît ainsi que coexistent deux régimes distincts octroyant au conjoint survivant un droit sur le bail relatif au logement du défunt ; ces deux régimes ne sont pas concurrents, puisque leur application diffère selon que les époux habitent ensemble (régime de cotitularité du bail de l'article 1751 du Code civil) ou non (régime de transfert du bail de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989), lors du décès de l'époux.
La comparaison des deux régimes laisse apparaître que l'article 1751 du Code civil est plus favorable au conjoint survivant que l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 en ce qu'il lui confère un droit exclusif sur le bail. Il est ainsi titulaire de plein droit de celui-ci et n'entre pas en concurrence avec les autres bénéficiaires d'un droit au transfert du bail, notamment en application de l'article 14 de la loi de 1989.
Par ailleurs, en vertu de l'article 1751, le conjoint survivant dispose d'un droit sur le logement, applicable de plein droit, puisqu'il en dispose "sauf s'il y renonce expressément". Au contraire, dans le cadre de l'article 14 de la loi de 1989, il est prévu que le bail est transféré au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du Code civil, ce "à condition qu'il en fasse la demande" ; cette condition d'une demande expresse du conjoint, autrement dit, l'absence d'automaticité du transfert de bail, constitue l'apport de la décision rendue le 10 avril 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. S'agit-il d'une condition résultant du pouvoir prétorien des juges, ou d'une condition implicite contenue dans la loi et résultant de l'esprit de la loi du 7 juillet 1989 ?
En tout état de cause, la condition est dorénavant posée par la Cour de cassation. Il convient de revenir sur les conditions de l'espèce afin d'apprécier l'opportunité de cette solution.
Rappel des faits. Dans cette affaire, M. F., qui était séparé de son épouse depuis 1974, avait pris à bail, le 26 juin 1995, un logement appartenant à une SCI. Il était décédé le 7 mars 2006. Me L. avait été chargé du règlement de sa succession. Par courrier du 10 juillet 2007, Me L. avait indiqué à la SCI qu'il convenait de résilier le bail et de remettre l'appartement en location. Par acte du 25 mars 2009, la SCI avait fait délivrer à Mme F. un commandement de payer visant la clause résolutoire en sa qualité de conjoint titulaire du bail tendant au paiement des arriérés de loyers depuis avril 2006 s'élevant à 15 223,16 euros. Par courrier du 27 mars 2009, Madame F. avait indiqué à la SCI ne pas avoir l'intention de continuer la location. Par acte du 7 juillet 2009, la SCI avait assigné Mme F. aux fins de voir dire et juger qu'en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 elle avait bénéficié du transfert du bail en cours, et que la clause résolutoire du 25 mars 2009 était acquise avec toutes conséquences de droit. Un premier jugement avait fait droit aux demandes du bailleur et ainsi condamné la veuve à payer à la SCI 15 028,15 euros au titre des loyers impayés du 1er avril 2006 au 25 mai 2009 outre 439,09 euros d'indemnité mensuelle d'occupation à compter du 1er juin 2009 et jusqu'à la libération complète des lieux et 100 euros à titre de clause pénale. Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel de Dijon qui a, au contraire, considéré que la résiliation du bail était établie et qu'il y avait lieu de débouter le bailleur de l'intégralité de ses demandes. La décision des juges d'appel est approuvée par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 avril 2013.
La lettre du texte de l'article 14 de la loi de 1989. A l'appui de son pourvoi, le bailleur faisait valoir les dispositions de l'article 14 de la loi de 1989. Il rappelait, ainsi, à juste titre, que dans le cas où le droit au bail ne sert pas effectivement à l'habitation des deux époux, c'est la règle qu'énonce l'article 14, alinéa 2, 1er tiret, de la loi du 6 juillet 1989, qui s'applique.
Selon le requérant, suivant cette règle, le bail souscrit par l'époux prédécédé est transféré "de plein droit" (il s'agit là d'un ajout par rapport à la lettre du texte) au conjoint survivant qui ne peut pas se prévaloir de l'article 1751 du Code civil ; toujours selon le requérant, "il appartient donc à ce conjoint survivant, s'il ne veut pas continuer le bail souscrit par l'époux prédécédé, de délivrer au bailleur un congé conforme aux dispositions de l'article 15, § I, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989".
Toute la question est de savoir si le transfert a lieu "de plein droit", ou sur la demande du bénéficiaire. Il est évident que l'emploi du présent de l'indicatif ("lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré"), sans autre condition, peut laisser sous-entendre l'automaticité du transfert. Par ailleurs, ainsi que le relèvent certains, la résiliation ayant lieu "de plein droit" (selon les termes de l'article 14, dernier alinéa), à défaut de personnes remplissant les conditions pour bénéficier du transfert, "on aurait pu imaginer, par un raisonnement a contrario, que la même automaticité devait nécessairement prévaloir en cas de bénéficiaire éligible" (3).
Cela étant, dans cette quête d'indices textuels, nous relèverons, en faveur d'une interprétation visant à retenir l'absence d'automaticité du transfert, que l'avant-dernier alinéa dispose qu'"en cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence" (nous soulignons) ; le texte de l'article 14 évoque donc lui-même la présentation d'une "demande" à l'initiative de celui voulant se prévaloir d'un transfert. La pluralité des bénéficiaires potentiels justifie parfaitement cette exigence de présenter une demande ; comment imaginer un transfert automatique du bail, qui conduirait alors à une pluralité de preneurs ?
Finalité de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989. Dans son arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel de Dijon avait énoncé que la finalité de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 "est de protéger les proches qui vivaient avec le locataire au moment de son décès ou de l'abandon de domicile ainsi que le conjoint survivant qui ne vivait pas avec le titulaire du bail mais qui souhaite occuper le logement et non de pénaliser le conjoint survivant n'ayant jamais occupé les lieux loués et ne souhaitant pas les occuper en lui conférant contre sa volonté un droit exclusif au bail". Ainsi donc, les juges d'appel s'en étaient référés à la finalité du texte, et donc à l'esprit de la loi, pour interpréter les dispositions de l'article 14.
Manifestation de la volonté de bénéficier du transfert. Dans son arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel de Dijon s'était, par ailleurs, fondée sur les courriers adressés au notaire ("je viens vous demander de bien vouloir autoriser M. L. [gérant de la SCI] à procéder au déménagement et/ou à la mise au rebut de tout ce que contient encore actuellement cet appartement afin qu'il puisse procéder à sa remise en état"), ainsi qu'à la SCI ("Je vous renouvelle cette autorisation et adresse un courrier de confirmation à Me L., notaire à Vénarey, afin qu'il vous autorise à débarrasser l'appartement de tout ce qu'il contient encore actuellement"), à la suite du décès de son époux pour apprécier la volonté de l'épouse de se voir transférer le bail. Ces courriers démontraient, selon la cour, "la volonté non équivoque" de la veuve de ne pas occuper le logement litigieux.
On relèvera que, dans l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2006, qui avait retenu que "le transfert du bail ne peut s'opérer au profit du concubin notoire survivant qu'à la condition que celui-ci le requierre et entende formellement se prévaloir du droit qui lui est consenti par le Législateur", les juges parisiens avaient relevé, s'agissant de la manifestation de la volonté de bénéficier du transfert, que "le fait que le concubin se maintienne dans le logement après le décès de l'autre concubin n'emporte à soi seul ni revendication du transfert du droit au bail ni souscription d'un bail oral, le concubin étant alors seulement réputé occupant sans droit ni titre" (CA Paris, 6ème ch., sect. B, 14 décembre 2006, n° 05/20529 N° Lexbase : A0103DUD). Au vu de ce dernier arrêt, il semblerait qu'alors même que le bénéficiaire manifesterait sa volonté de bénéficier du transfert du bail, seule une demande expresse lui permettrait de se voir transférer le contrat de location.
Comportement du bailleur. Dans l'arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel s'est également référée au comportement du bailleur pour apprécier, en quelque sorte, sa bonne foi ; les juges ont, en effet, recherché s'il s'était comporté en tant que bailleur vis-à-vis du nouveau locataire, bénéficiaire du transfert. Or, la cour a constaté que le bailleur n'avait jamais remis à Mme F. d'exemplaire du bail et ne lui avait donc pas fait connaître les dispositions contractuelles relatives au logement occupé jusqu'à son décès par M. F.. Il n'était pas non plus contesté qu'il ne lui avait jamais remis les clés.
A noter que, dans un autre arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 14 décembre 2006, les juges ont également pu se fonder sur le comportement du bailleur (encaissement des loyers et délivrance de quittances de loyer) pour retenir que la concubine abandonnée devait se voir reconnaître, ici, la qualité de locataire en application de l'article 14 (première partie, relative à la continuation du bail en cas d'abandon du domicile par le locataire) de la loi du 6 juillet 1989 (CA Paris, 6ème ch., sect. B, 14 décembre 2006, n° 05/20860 N° Lexbase : A0106DUH).
Résiliation du bail. La cour d'appel avait déduit de ces éléments que "la résiliation du bail est établie", sans préciser la date à compter de laquelle cette résiliation était établie ; il fallait comprendre que cette résiliation prenait effet à compter du décès du locataire initial, dès lors que le bailleur est débouté de l'intégralité de ses prétentions, à savoir notamment le paiement des arriérés de loyer depuis le 1er avril 2006 (soit le 1er jour du mois suivant le décès du locataire). C'est d'ailleurs, ce que retient la Cour de cassation en retenant que "la cour d'appel, en a exactement déduit que le bail avait été résilié par le décès de M. F.".
On peut ici se demander sur quel fondement les juges ont retenu la résiliation du bail. En effet, le dernier alinéa de l'article 14 de la loi prévoit qu'"à défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présent article, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire ou par l'abandon du domicile par ce dernier". Or, l'analyse littérale du texte conduirait à considérer que ces dispositions n'étaient pas applicables dans cette affaire, puisqu'il existait bien une personne, Mme F., conjoint survivante, remplissant les conditions pour bénéficier d'un transfert. Sauf à considérer qu'il faille entendre ces dispositions ainsi : "A défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présente article, [et, le cas échéant, ayant demandé le transfert du bail]" (nous ajoutons). Si la Cour de cassation n'est pas allée jusque-là dans les précisions apportées aux dispositions législatives, c'est néanmoins ce qu'il faut comprendre, nous semble-t-il.
Mais l'on peut encore considérer que les juges d'appel se sont fondés sur une résiliation implicite du bail, résultant de la "volonté non équivoque" du conjoint survivant de ne pas occuper le logement, ainsi que sur le manquement du bailleur à ses obligations vis-à-vis du nouveau locataire.
La solution est opportune. A l'évidence, il pouvait difficilement être admis que les dispositions ainsi en cause de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, insérées, rappelons-le, par la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral (N° Lexbase : L0288A33), et donc destinées à la protection du conjoint survivant, puissent se retourner contre ce dernier, au profit d'un bailleur de mauvaise foi.
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Réf. : Cass. civ. 3, 24 avril 2013, n° 12-11.640, FS-P+B (N° Lexbase : A6833KC3)
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Le 04 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 11.26.597, F-P+B+I (N° Lexbase : A5203KCP)
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N6880BTY
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 12-18.180, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5205KCR)
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N6960BTX
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Le 08 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 11-27.082, F-P+B+I (N° Lexbase : A5211KCY)
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Le 11 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 3, 24 avril 2013, n° 12-13.330, FS-P+B (N° Lexbase : A6786KCC)
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Le 07 Mai 2013
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N6893BTH
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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
Le 03 Mai 2013
Le divorce pour faute peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. Nous avons vu, dans une précédente chronique (Chronique de droit du divorce - Mars 2013 - Divorce pour faute : quelques récents exemples originaux N° Lexbase : N6138BTI), que le fait susceptible de constituer une faute, cause de divorce, au sens de l'article 242 du Code civil (N° Lexbase : L2795DZK), n'est pas limité à la violation d'un des devoirs du mariage prévus à l'article 212 du Code civil (N° Lexbase : L1362HIB) : le respect, la fidélité, le secours et l'assistance. La faute peut aussi résulter de la violation d'un devoir ou d'une obligation innomés. Il peut s'agir d'une action, d'une abstention, d'un geste, d'un écrit, d'une parole... selon l'évolution de la société et des moeurs ainsi que du vécu conjugal.
En pratique, les faits le plus souvent invoqués sont l'adultère, les violences physiques et l'abandon du domicile. Cependant, ont également été retenus, par exemple, le fait de confiner sa femme dans un rôle de subalterne et d'en faire la victime d'excès aussi bien physiques que verbaux (1) ou le fait de rendre le domicile conjugal inhabitable par la prolifération d'animaux (2). Ces derniers mois, les juges du fond ont admis qu'un divorce pour faute pouvait être prononcé contre l'époux qui avait contracté des prêts disproportionnés et inutiles, en imitant la signature de son conjoint (3) ; contre l'époux qui avait organisé le partage de ses biens avant de partir avec sa maîtresse (4) ; contre l'époux qui entretenait de mauvaises relations avec ses beaux-parents et dévalorisait son conjoint (5) et même contre l'époux particulièrement désordonné (6). Dans tous les cas, les juges ne peuvent retenir un fait qui n'a pas de lien avec le mariage, telle une faute professionnelle (7), ou antérieur à l'union à moins, dans ce dernier cas, qu'il n'ait été dissimulé (8).
Dans l'affaire jugée le 12 mars 2013, la cour d'appel de Lyon a retenu que le harcèlement téléphonique du mari, subi par son épouse, était constitutif d'une faute cause de divorce.
En l'espèce, un couple s'était marié en 1970, sans contrat de mariage, et avait eu quatre enfants. En février 2012, un JAF avait prononcé le divorce des époux, aux torts exclusifs du mari, et condamné ce dernier à verser à son épouse une prestation compensatoire.
Pour conclure que le divorce devait effectivement être prononcé aux torts exclusifs de l'époux, la cour d'appel a retenu que la femme démontrait, par la communication de plusieurs attestations, émanant tant de ses proches que de son ancien employeur, que son époux la harcelait régulièrement au téléphone, n'hésitant pas pour cela à l'appeler sur le poste de son employeur, et que ce comportement avait des incidences sur son humeur et son état de santé, la rendant triste, abattue, voire désespérée. Le couple avait entrepris une démarche thérapeutique à deux reprises, en 2002 et entre juillet 2004 et juillet 2005. La situation était donc ancienne. Selon l'épouse, elle aurait empiré depuis que son mari avait fait valoir ses droits à la retraite. Les magistrats lyonnais ont ainsi admis que les agissements du conjoint constituaient une violation renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendaient intolérable le maintien de la vie commune.
La solution n'est pas nouvelle. En 2009, une cour d'appel a également retenu que le fait, pour une épouse, d'adresser de nombreux appels téléphoniques, agressifs ou injurieux pour son mari, à des tiers en relation avec lui, constituait une faute, au sens de l'article 242 du Code civil (9).
Et la solution est parfaitement justifiée. D'une part, les caractères de la violation des devoirs et obligations du mariage sont alternatifs : soit la faute est grave mais non renouvelée, soit elle n'est pas grave mais renouvelée, soit elle est grave et renouvelée. Ainsi, l'époux ayant un comportement agressif en paroles et bourru tout au long de la vie conjugale commet une faute, au sens de l'article 242 du Code civil (10). Il en est de même pour l'épouse qui insiste, sur le plan procédurier, devant le juge des tutelles, afin de placer son mari sous un régime de protection (11). En revanche, un fait isolé, comme se promener main dans la main avec un homme (12) ne constitue pas une faute, cause de divorce. Dans l'affaire commentée, les appels téléphoniques, du fait de leur répétition, ont été considérés comme une violation renouvelée des devoirs et obligations du mariage. Cela suffisait pour que l'article 242 du Code civil trouve application. Il n'était pas nécessaire que ces agissements fussent qualifiés de comportement grave.
D'autre part, il ne suffit pas que l'un des conjoints ait commis un fait constitutif d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage pour que le divorce soit prononcé aux torts de celui-ci. Il faut, également, que ce fait rende intolérable le maintien de la vie commune. Lorsque, par exemple, des époux vivent séparément depuis plusieurs années, le mari est malvenu de soutenir que le refus de sa femme de toute vie commune rend intolérable le maintien de la vie commune puisque, justement, il n'y a plus de vie commune depuis longtemps (13). De même, l'adultère d'un des époux, faute grave, peut ne pas rendre intolérable le maintien de la vie commune et entraîner un divorce pour faute (14). Cela relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En l'espèce, l'épouse démontrait que le comportement de son époux avait des incidences sur son humeur et son état de santé, la rendant triste, abattue, voire désespérée. Elle justifiait également avoir fait preuve de bonne volonté en entreprenant, à deux reprises, des démarches thérapeutiques. La situation, ancienne, était donc suffisamment pénible pour rendre intolérable le maintien de la vie commune.
Voilà donc une décision qui s'inscrit parfaitement dans la tendance jurisprudentielle qui conçoit la faute de l'article 242 du Code civil assez souplement et qui a peu de chances d'être cassée, en tous cas sur ce point, si un pourvoi est formé.
En principe, la prestation compensatoire est destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prise en charge par un époux du passif commun a-t-elle une incidence sur l'existence de cette disparité ? Telle fut la question posée à la cour d'appel de Douai, en mars 2013.
En l'espèce, un couple, marié depuis 1985, avait eu quatre enfants, désormais majeurs. En 2011, un JAF avait prononcé le divorce des époux sur le fondement de l'article 233 du code civil. Devant la cour d'appel, l'épouse avait souhaité que le paiement de la prestation compensatoire, d'un montant de 17 500 euros, prenne la forme d'un engagement de l'époux de ne pas lui réclamer sa participation au règlement des dettes communes, évaluées à 35 000 euros, et, par conséquent, d'abandonner définitivement ses droits de ce chef dans la limite de la prestation compensatoire, et ce, par l'effet d'une compensation entre ces sommes. De même, l'époux avait sollicité, notamment, de pouvoir s'acquitter de ladite prestation compensatoire par compensation avec les sommes dont il avait fait lui-même l'avance, au titre du règlement des dettes de communauté.
Dans son arrêt du 14 mars 2013, la cour d'appel de Douai a estimé qu'il allait exister, au détriment de l'épouse, une disparité en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite. Cependant, la prise en charge de l'endettement commun pesait exclusivement sur l'époux qui pouvait, seul, en raison du montant de ses revenus salariaux, faire l'objet d'une saisie des rémunérations. L'épouse ne disposait pas des revenus suffisants pour lui permettre de rembourser à son époux sa participation dans le règlement des dettes communes et celui-ci ne pourrait pas l'y contraindre compte tenu du montant desdits revenus. Ainsi, les magistrats ont constaté que la disparité créée par la rupture du mariage, au détriment de l'épouse, dans les conditions de vie respectives des conjoints, en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite, était compensée par la prise en charge totale, depuis la séparation du couple, par l'époux, seul, du règlement du passif commun, en ce compris la part incombant à son épouse. Ils ont donc conclu que, en contrepartie de l'abandon définitif, par l'époux, de tout recours à l'encontre de l'épouse pour le recouvrement de la part incombant à celle-ci dans le règlement du passif commun, il n'y avait pas lieu à prestation compensatoire en capital au profit de cette dernière.
Chacun sait que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Le juge prend en considération, notamment : la durée du mariage ; l'âge et l'état de santé des époux ; leur qualification et leur situation professionnelles ; les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ; le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ; leurs droits existants et prévisibles ; leur situation respective en matière de pensions de retraite... (C. civ., art. 271 N° Lexbase : L3212INB). Selon l'article 274 du Code civil (N° Lexbase : L2840DZ9), lorsqu'elle est fixée en capital, la prestation compensatoire peut prendre la forme du versement d'une somme d'argent ou de l'attribution de biens en propriété ou d'un droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit.
En l'espèce, les conjoints ne possédaient aucun bien immobilier dépendant de la communauté et l'époux s'acquittait seul du règlement du passif du couple, d'un montant non négligeable de 35 000 euros, sans perspective de recouvrement pour la moitié contre son épouse. Les époux n'avaient pas estimé nécessaire de faire les comptes entre eux. Ils n'avaient pas eu recours à un notaire pour les opérations de liquidation de leurs intérêts patrimoniaux. Le mari ne contestait pas que la séparation allait créer une disparité dans les conditions de vie des conjoints, au détriment de l'épouse, et proposait de s'acquitter de ladite prestation par compensation avec les sommes dont il avait fait lui-même l'avance, au titre du règlement des dettes de communauté. L'épouse était d'accord.
Certes, d'un point de vue pratique, si le mari verse une somme à l'épouse et que celle-ci doit la lui rendre, autant qu'il y ait compensation. Cependant, étant donné la nature de la prestation compensatoire, aucune compensation ne peut avoir lieu avec une quelconque créance de l'époux débiteur contre l'époux créancier. L'abandon de créance d'un des époux, au titre du passif de communauté dont il se serait acquitté, ne figure pas parmi les modalités légales d'exécution d'une prestation compensatoire. Alors, pour éviter une probable cassation en cas de pourvoi devant la Haute juridiction, les magistrats de Douai n'ont pas déclaré qu'il y avait compensation mais que la disparité, incontestable, créée au détriment de l'épouse par la rupture du mariage, dans les conditions de vie respectives des conjoints, en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite, s'estomperait à la condition que la prise en charge par l'époux, seul, de la quote-part incombant à l'époux dans le règlement du passif commun le soit de manière définitive.
Ainsi, l'époux ayant expressément accepté l'abandon, définitif, de tout recours à l'encontre de l'épouse pour le recouvrement de la part incombant à celle-ci dans le règlement du passif commun, il n'y avait pas lieu à prestation compensatoire en capital au profit de cette dernière
Cette décision doit être approuvée, tant d'un point de vue pratique que d'un point de vue juridique. Elle contribue également à faire application, certes indirectement, de l'alinéa 1er de l'article 265-2 du Code civil (N° Lexbase : L2831DZU) selon lequel, "les époux peuvent, pendant l'instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial".
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Réf. : CA Bordeaux, 12 février 2013, n° 12/03383 (N° Lexbase : A8167I7M)
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 3, 24 avril 2013, n° 12-12.677, FS-P+B (N° Lexbase : A6923KCE)
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Le 09 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 3, 24 avril 2013, n° 12-14.579, FS-P+B (N° Lexbase : A6963KCU)
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : CEDH, 25 avril 2013, Req. 40119/09 (N° Lexbase : A5593KC7)
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. QPC, 16 avril 2013, n° 13-90.009, F-P+B (N° Lexbase : A8835KC9)
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Le 15 Mai 2013
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Réf. : Cass. QPC, 16 avril 2013, n° 13-90.006, F-P+B (N° Lexbase : A8834KC8)
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N6962BTZ
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Le 14 Mai 2013
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Réf. : Cass. crim., 10 avril 2013, n° 12-81.868, F-P+B (N° Lexbase : A6974KCB)
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. crim., 23 avril 2013, n° 12-84.673, FS-P+B (N° Lexbase : A6867KCC)
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N6966BT8
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. crim., 23 avril 2013, n° 13-82.431, FS-P+B (N° Lexbase : A6830KCX)
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N6968BTA
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. crim., 24 avril 2013, n° 12-83.602, FS-P+B (N° Lexbase : A6875KCM)
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N6969BTB
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Le 01 Mai 2013
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Réf. : Cass. civ. 2, 28 mars 2013, 2 arrêts, n° 12-17.548, FS-P+B (N° Lexbase : A2808KBM) et n° 12-14.522, F-P+B (N° Lexbase : A2806KBK)
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 01 Mai 2013
Dans la seconde affaire, les filles d'une victime non conductrice d'un accident de la circulation, percutée successivement par deux véhicules terrestres à moteur, avaient demandé réparation de leur préjudice, en qualité de victimes par ricochet, à l'assureur de chacun des conducteurs. Les juges du fond, qui avaient considéré que la victime directe avait commis une faute inexcusable à l'origine exclusive de l'accident, avaient opposé cette faute aux victimes par ricochet, pour finalement les débouter de leurs demandes. En substance, le pourvoi contestait la qualification de faute inexcusable, faisant essentiellement valoir que seule est inexcusable, au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, alors que ne caractériserait pas une faute d'une exceptionnelle gravité le fait de s'allonger, de nuit, en état d'ébriété, au milieu d'une voie de circulation fréquentée et dépourvue d'éclairage public. Et le pourvoi soutenait encore qu'il résulte de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 que les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident, sauf si la victime a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi, et qu'en l'espèce, précisément, rien ne permettait de démontrer que la victime, qui avait été percutée par deux véhicules alors qu'elle était allongée ivre sur la voie publique, avait eu l'intention de se suicider. La Haute juridiction rejette cependant le pourvoi. Elle approuve, en effet, les premiers juges d'avoir considéré "que le fait de s'allonger, de nuit, en état d'ébriété, au milieu d'une voie de circulation fréquentée et dépourvue d'éclairage public, constitue indubitablement une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité ; que la conjugaison de l'obscurité et de la position couchée du piéton rendait sa présence totalement imprévisible et irrésistible ; que les deux conducteurs, dont il n'est pas allégué qu'ils conduisaient à une vitesse excessive, ne pouvaient que très difficilement percevoir Elisa X, allongée sur le sol ; que, par ailleurs, il ne peut être sérieusement reproché aux défendeurs d'avoir eu leur attention détournée par la présence d'un groupe de personnes sur le bord de la route et de ne pas avoir gardé les yeux rivés sur la chaussée, dès lors qu'un conducteur normalement vigilant doit aussi fait attention aux événements et personnes qui, se déroulant ou se trouvant sur le bas côté, sont susceptibles de perturber sa conduite automobile ; que la faute inexcusable de Elisa X est donc la cause exclusive de l'accident dont elle a été victime". Et, donc, d'en déduire "que de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, la cour d'appel, hors de toute dénaturation, et sans se prononcer par des motifs hypothétiques, a pu déduire que la victime, en s'allongeant volontairement sur une voie de circulation fréquentée, en état d'ébriété, de nuit, et en un lieu dépourvu d'éclairage public, avait commis une faute inexcusable, et débouter les consorts X-A de leurs demandes".
S'agissant du premier arrêt, on passera très rapidement sur le fait que, comme le relève justement la Cour, l'intention de déplacer le véhicule n'est pas une condition d'application de la loi. Plus délicate était peut-être la question de savoir si l'adolescent, dont le fait avait été à l'origine de l'accident, devait ou non être considéré comme un conducteur. A examiner la jurisprudence, on sait que n'a pas la qualité de conducteur la personne qui est sortie du véhicule dont elle se trouve à proximité et dont elle assurait la conduite dans un temps voisin de l'accident (1), ou celle qui était en train de changer une roue lors de l'accident (2), ou encore celle qui était descendue de sa voiture pour porter secours à une autre victime (3). Mais l'hypothèse de l'espèce, qui pouvait apparaître à première vue moins évidente, n'en appelait pas moins une réponse certaine, mais cette fois en sens contraire. Selon la Cour de cassation, conserve la qualité de conducteur celui qui est au volant de son véhicule lors de l'accident, quand bien même le véhicule serait en réalité remorqué à l'aide d'une barre de fer courte et rigide (4), et ce au motif qu'il aurait tout de même une certaine maîtrise dans la conduite du véhicule. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 29 mars 2012, que nous avions d'ailleurs évoqué dans le cadre de cette chronique, avait, lui, censuré des juges du fond qui avaient relevé que la victime était certes à l'arrêt et occupée à mettre son casque de sécurité, mais bien sur son engin au moment de l'accident, au motif qu'ils n'avaient pas tiré les conséquences légales de leurs constatations en jugeant, pour condamner l'assureur de l'automobiliste à réparation, qu'il n'avait pas rapporté la preuve de la qualité de conducteur de la victime (5).
Bien que les situations soient certes un peu différentes, l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 28 mars 2013 pourrait être rapprochée d'un arrêt un peu plus ancien, de la même deuxième chambre civile, du 25 octobre 2007, tant d'ailleurs, pour ce qui nous intéresse, en ce qui concerne la notion d'accident de la circulation que celle de conducteur. En l'espèce, le propriétaire d'un véhicule, qui l'avait confié à un garagiste en vue d'effectuer une vidange, avait, alors que le véhicule était installé sur un pont élévateur, mis en marche le moteur du véhicule en tournant la clef de contact, et ce à la demande d'un employé du garage. Projeté vers l'avant, le véhicule avait blessé l'employé qui avait demandé la réparation de son dommage au propriétaire du véhicule et à son assureur. Ce dernier reprochait aux juges du fond d'avoir dit le véhicule impliqué dans un accident de la circulation, faisant valoir que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne bénéficient qu'aux victimes d'un accident de la circulation, et qu'un véhicule qui est installé sur un pont élévateur n'est pas en circulation, si bien qu'en jugeant du contraire, après avoir constaté qu'au moment de l'accident, le véhicule se trouvait toujours sur le pont élévateur, la cour d'appel aurait violé l'article 1er de la loi. La Cour de cassation avait, cependant, rejeté le moyen du pourvoi, décidant "qu'ayant retenu que le véhicule était stationné dans un atelier de réparation automobile, qui n'est pas un lieu impropre au stationnement d'un véhicule, et que, mis en mouvement par le démarrage du moteur alors qu'une vitesse était enclenchée, il avait percuté [l'employé], la cour d'appel a exactement décidé que ce véhicule était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, peu important qu'il se fût trouvé sur un pont élévateur". Et d'ajouter que le propriétaire, qui "avait la qualité de conducteur du véhicule [...] était tenu en cette qualité d'indemniser la victime" (6).
Le second arrêt (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-14.522, F-P+B) définit, très classiquement, la faute inexcusable au sens de l'article 3 de la loi comme la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (7). Sans doute l'appréciation de la faute inexcusable est-elle, en jurisprudence, très restrictive, ce qui d'ailleurs est conforme à l'objectif indemnitaire de la loi qui ne peut être correctement atteint qu'en n'admettant pas trop facilement la faute inexcusable de la victime : décider, en effet, que puissent être constitutifs de fautes inexcusables des comportements, certes graves, mais fréquemment commis par les usagers de la route, ruinerait évidemment la raison d'être de la loi. Comme le relevait encore assez récemment Monsieur le Professeur Jourdain, dans son Rapport introductif au colloque qui s'est tenu à la Cour de cassation, le 30 mars 2012, sous la présidence de Dominique Loriferne, président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation et Gilles Thouvenin, président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, "la faveur faite aux victimes s'est manifestée d'abord à propos de la notion de faute inexcusable. L'efficacité du droit à indemnisation attribué aux victimes dépendait en grande partie de la conception de la faute inexcusable que le défendeur peut opposer aux victimes non conductrices pour s'exonérer de sa dette de réparation. Or, la Cour de cassation a rapidement pris parti en faveur d'une conception ultra-restrictive de cette faute, confinant au stéréotype, afin de ne pas bafouer l'esprit de la loi. Non seulement celle-ci est définie étroitement comme la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience', depuis des arrêts d'Assemblée plénière du 20 juillet 1987, mais encore la Cour de cassation a exercé un contrôle étroit de la notion ne laissant aux juges du fond qu'une très faible marge de manoeuvre, notamment dans son application au piéton. De sorte que pratiquement, ne peut guère être jugé inexcusable, pour le piéton, que le fait de traverser une route à grande circulation réservée aux véhicules (autoroute ou voie rapide) dont l'interdiction d'accès est matérialisée, avec franchissement par la victime d'obstacles (muret, glissières de sécurité, terre-plein...) et en refusant d'emprunter des passages protégés situés à proximité" (8). C'est, en effet, dans ce type d'hypothèses que la relative bienveillance de la jurisprudence à l'égard des victimes a tout de même ses limites, que, précisément, la notion de faute inexcusable cause exclusive de l'accident permet de tracer, à condition d'être, comme en l'espèce, la cause exclusive de l'accident (9). Et en décidant, au cas présent, que, compte tenu des circonstances de fait, la faute de la victime s'analysait bien en une faute inexcusable au sens de l'article 3 de la loi, l'arrêt confirme que la qualification de faute inexcusable est réservée au comportement de ceux que M. Badinter, lors des travaux préparatoires de la loi, avait, de façon pour le moins évocatrice, qualifié d'"asociaux de la route". Au reste, l'arrêt pourrait être rapproché d'un autre arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 29 novembre 1997 qui avait jugé que commet une faute inexcusable le piéton qui, ayant franchi, de nuit, un talus et une glissière de sécurité pour accéder à une route nationale où il s'était couché (10). En tout état de cause, à supposer que des circonstances de fait puisse être induite l'intention suicidaire de la victime, disons la recherche volontaire du dommage, les ayants droit de la victime ne pouvaient certainement pas être indemnisés (11).
Dépassant les seuls arrêts ici évoqués, il est permis, pour terminer, de se demander quel est le devenir de la loi, puisque l'on sait que différents projets de réforme du droit de la responsabilité proposent d'apporter au dispositif légal existant quelques modifications. On passera sur deux des propositions qui sont ainsi faites, qui n'intéressent pas directement les questions sur lesquelles la Cour de cassation avait à se prononcer dans les affaires ayant finalement donné lieu aux arrêts du 28 mars 2013 : celles tenant au point de savoir si, d'une part, il faut continuer d'exclure du champ d'application de la loi les accidents de chemin de fer et de tramway et, d'autre part, maintenir la catégorie particulière des victimes âgées de moins de 16 ans et de plus de 70 ans auxquelles seule peut être opposée la recherche volontaire du dommage. Reste la dernière proposition, sans doute la plus importante, qui consiste à aligner le sort des conducteurs victimes sur celui des non-conducteurs : seule la faute inexcusable cause exclusive de l'accident pourrait ainsi leur être opposée, au moins pour la réparation du dommage corporel (12). Ces victimes, que l'on a parfois qualifiées de "sacrifiées", ne profitent, en effet, pas de la loi puisque le régime qui leur est applicable est, fondamentalement, celui du droit commun, alors pourtant, comme on l'a fait remarquer, qu'elles sont les premières exposées aux risques de la circulation. M. le Professeur Jourdain fait, à cet égard, remarquer qu'on pouvait comprendre qu'en 1985, "on ait hésité à les faire bénéficier des faveurs de la loi parce qu'il était alors difficile de mesurer l'impact financier de la réforme. Mais il semble que l'on dispose aujourd'hui des moyens d'apprécier l'incidence économique d'une suppression de l'opposabilité de la faute simple, notamment à travers le coût représenté par la garantie du conducteur proposée par les assureurs. Aux économistes et assureurs de nous dire ce qu'il en est" (13). A suivre donc...
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Réf. : Cass. crim., 23 avril 2013, n° 12-83.244, FS-P+B (N° Lexbase : A6816KCG)
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Le 16 Mai 2013
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