Le Quotidien du 27 janvier 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] Trente ans après, la justice clôt le dossier Karachi et relaxe l’ancien directeur de campagne d’Edouard Balladur

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par La Rédaction

Le 24 Janvier 2025

D’un tribunal à l’autre, la justice parisienne était très concentrée sur les dossiers politico-financiers, cette semaine. Mais, mardi 21 janvier, il n’y avait pas d’audience au procès portant sur les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 au tribunal judiciaire de Paris. Les protagonistes de cette affaire avaient donc, toute latitude, pour attendre la décision de la cour d’appel rendue dans un autre dossier, tout aussi important pour eux : celui de l’affaire Karachi.

Dans l’analyse de plusieurs experts, il y a une sorte de « continuum » dans le financement des campagnes présidentielles de la droite entre les années 1990 et 2010. Cela a été démontré par la justice pour la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 avec l’affaire Bygmalion (des pourvois en cassation doivent encore être examinés). Cela est en cours d’examen pour la campagne de 2007 avec le retentissant procès en cours devant le tribunal judiciaire de Paris. Mais avant tout ça, il y a toujours l’affaire Karachi qui attendait son dénouement.

Plus de trente ans après les faits et après une procédure longue et chaotique, la cour d’appel a donc rendu sa décision mardi 21 janvier avec un sérieux revirement. Elle a en effet relaxé Nicolas Bazire, l’ancien directeur de campagne d’Édouard Balladur, en 1995. Contrairement au jugement rendu en première instance, la cour d’appel a estimé qu’il n’y avait pas de « lien clair » entre des commissions occultes perçues sur des contrats d’armement avant l’année 1995 et la campagne perdue par l’ancien Premier ministre à l’époque.

La décision de la cour d’appel dans la continuité de celle de la Cour de justice de la République

Pour bien comprendre, il faut remonter le temps jusqu’à la période des guerres intestines de la droite française. En 1994, la France conclut des contrats pour la vente de frégates et de sous-marins avec l’Arabie saoudite (contrat Sawari II) et le Pakistan (contrat Agosta). En marge des contrats, de colossales commissions sont alors versées à des intermédiaires. À l’époque tout ça est légal.

Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que ces commissions reviennent, au final, dans la poche d’hommes politiques français. En première instance, le tribunal judiciaire de Paris avait estimé qu’une partie de ces fameux pots-de-vin étaient revenus en France, sous la forme de rétrocommissions pour alimenter la campagne présidentielle d’Edouard Balladur. Il en voulait alors pour preuve un dépôt suspect de 10,25 millions de francs en liquide le 26 avril 1995 sur le compte du candidat.

Mais dans son arrêt rendu mardi, la cour d’appel abandonne finalement cette hypothèse. Ou plutôt, elle indique qu’il ne peut « être établi que ces espèces ont été celles qui ont alimenté le compte ». En conséquence, et comme le parquet général l’avait requis à l’audience, elle a choisi de relaxer Nicolas Bazire. « L’autorité judiciaire a compris qu’il n’avait strictement aucun rôle de nature à voir sa responsabilité engagée, a réagi Frédéric Landon, son avocat. Ça fait 14 ans que tout cela dure. C’est un grand soulagement. »

En réalité, pas trop de surprise là-dedans. La décision de la cour d’appel vient parachever celle rendue, en 2021, par la Cour de justice de la République (CJR) qui à l’époque avait jugé Édouard Balladur (relaxé) et son ancien ministre de la Défense, François Léotard (condamné, lui, à deux ans de prison avec sursis).

En fuite, Ziad Takieddine voit sa peine confirmée

Mais l’affaire ne se limite pas au seul cercle politique évidemment. Et à l’encontre des autres intermédiaires, la cour d’appel a été plus sévère. Considérant qu’il y avait bien eu un réseau d’intermédiaires « inutiles » surnommé le « réseau K » dans la conclusion de ces contrats, elle a prononcé des condamnations à l’encontre de cinq hommes qui se sont enrichis au passage et ont donc été reconnus coupables d’abus de biens sociaux, de complicité ou de recel au préjudice de deux entités détenues alors par l’État. Celles qui avaient versé les commissions

Parmi les hommes condamnés, on retrouve évidemment certains noms bien connus de la droite française. À commencer par Thierry Gaubert qui écope d’une peine d’un an de prison ferme aménagé et 60 000 euros d’amende et surtout de Ziad Takieddine. En fuite au Liban depuis la condamnation prononcée en première instance, il a vu sa peine de cinq ans de prison confirmée mardi dernier. Deux hommes qui sont justement prévenus dans le procès portant sur les soupçons de financement libyen de la campagne de 2007. Où l’on risque encore de reparler de « continuum » dans le financement politique de ces dernières décennies, d’ici au 10 avril donc.

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Contrats et obligations

[Chronique] Droit des contrats

Lecture: 51 min

N1480B39

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par Elena Genin - Lucas Richier et Audrey Balfin-Saunier

Le 24 Janvier 2025

Par Elena Genin, Doctorante en droit privé, Équipe de recherche Louis Josserand, Centre patrimoine, contrats et procédure civile, Faculté de Droit - Université Jean Moulin Lyon 3 ; Lucas Richier, Doctorant en droit privé, Équipe de recherche Louis Josserand – Centre Patrimoine, Contrats et Procédures civiles (CPC²), Université Jean Moulin Lyon III et Audrey Balfin-Saunier, doctorante, Centre de droit des affaires, Université Toulouse 1 Capitole


 

Sommaire :

Prescription de l'action du salarié fondée sur une discrimination : que faut-il entendre par « révélation » ?

  • CA Lyon, ch. sociale A, 19 juin 2024, n° 21/01840

La vigilance du professionnel au cœur de la garantie des vices cachés

  • CA Lyon, 1re civ. B, 3 septembre 2024, RG n° 22/05993

À qui incombe la charge de la résolution du contrat dans le cas d’un cumul d’inexécutions contractuelles ?

  • CA Lyon, 3e ch. A, 12 septembre 2024, RG n° 21/00152

Reconnaissance de dette et départ du délai de prescription : la nécessaire prise en compte de la volonté des parties

  • CA Lyon, 6e ch., 26 septembre 2024, RG n° 23/04988

Une clause de garantie de jouissance n’est pas une condition suspensive

  • CA Lyon, 1re ch. civ., sect. B, 1er octobre 2024, n° 22/02898

Vente d’animaux domestiques : entre garanties légales et preuve des obligations contractuelles

♦ CA Lyon, ch. A, 19 juin 2024, n° 21/01840 N° Lexbase : A66715KB

Mots-clés : prescription • droit du travail • discrimination • point de départ • article L. 1134-5 du Code du travail • article 2224 du Code civil

Solution : La cour d’appel de Lyon retient qu’il convient de prendre en compte la date à laquelle la salariée a connaissance des agissements constitutifs d’une discrimination pour faire courir la prescription quinquennale de l’article L. 1134-5, alinéa 1er du Code du travail N° Lexbase : L5913LBM. Elle estime, à raison de la précision de l’accord salarial prévoyant de nouvelles modalités d'attribution de la gratification liée à l'obtention de la médaille du travail et des documents l’accompagnant, que la salariée aurait dû connaître les faits permettant d'exercer son action au jour de son entrée en vigueur. À cette date, la salariée ne pouvait ignorer qu’elle n’était pas éligible au dispositif.

Portée : La cour d’appel de Lyon détermine le point de départ de la prescription quinquennale de l’article L. 1134-5, alinéa 1er du Code du travail selon la méthode de droit commun. Elle s’écarte ainsi de l’approche autonome, plus favorable au salarié, qui prévaut en principe en la matière.


En droit du travail, les règles de prescription font l'objet d’un régime dérogatoire édicté à l’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ. Au sein même de ce droit spécial de la prescription, les actions en réparation fondées sur une discrimination font figure d’exception [1]. Celles-ci sont soumises à l’article L. 1134-5 du même code N° Lexbase : L5913LBM, lequel dispose en son premier alinéa que « l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ». Mais alors, « (q)ue faut-il entendre par “révélation de la discrimination” [...] ? » [2]. Cette notion imprécise est pourtant déterminante. Dans les débats sur la recevabilité de l’action, elle donne lieu à des interprétations divergentes selon les intérêts en jeu. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon en date du 19 juin 2024 [LXB= A66715KB] en est une illustration. Les enjeux pratiques et théoriques de cette question, trouvant d’ailleurs un écho dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation, méritent que l’on s’y attarde un instant.

En l’espèce, une salariée, engagée en 1973 par une banque, a obtenu la médaille d'honneur du travail « échelon or » le 31 décembre 2008, puis « échelon grand or » le 31 décembre 2013. Le 24 janvier 2011, un accord collectif a été signé entre la société et les organisations syndicales. Ce dernier organisait de nouvelles conditions pour le versement des gratifications liées à l'obtention des médailles de travail. L’accord prévoyait des dispositions transitoires, afin d’éviter des carences dans la gestion de la situation de certains salariés en poste au jour du changement de critère. N’étant éligible ni aux dispositions transitoires ni au régime nouveau, la salariée n’avait pas pu obtenir de gratification pour l’obtention de sa première médaille d'honneur. Soutenant avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur son âge, la salariée assigna la société devant le conseil de prud'hommes de Lyon, le 9 mai 2019. Celle-ci demandait le versement de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ainsi que d'une somme correspondant à la gratification dont elle affirmait avoir été privée. Par un jugement en date du 18 février 2021, le conseil de prud'hommes déclara ses demandes irrecevables, car prescrites. La salariée interjeta appel de ce jugement. Elle soutenait que la prescription quinquennale de l'article L. 1134-5 du Code du travail n'avait pu courir avant l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 1er février 2017, lequel avait « révélé » la discrimination dont elle disait avoir été victime. Dans cet arrêt mettant spécifiquement en cause ladite société [3], la chambre sociale avait admis que le critère de l’ancienneté, bien que n’étant pas en soi un critère discriminatoire, puisse conduire à une discrimination indirecte liée à l’âge [4]. Elle avait ainsi estimé que le fait de priver d'une gratification un salarié ayant acquis une certaine ancienneté pouvait constituer une forme de discrimination indirecte fondée sur l'âge, en ce que cette limitation embrasse des salariés d'une classe d'âge identique. Si tel est le cas, il appartient alors aux juges du fond de rechercher si cette distinction pouvait être justifiée par des raisons objectives, appropriées et nécessaires à la réalisation de l'objectif poursuivi. 

À l’inverse, la société soutenait que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au jour de l’entrée en vigueur du nouvel accord. C’est à cette date que la salariée avait eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son action, d'autant que plusieurs organisations syndicales avaient largement dénoncé son caractère discriminatoire.

L'argumentaire de la société a été approuvé par les conseillers lyonnais. Considérant que « la salariée aurait dû connaître les faits permettant d'exercer son action, à l'entrée en vigueur, le 1er mai 2011, de l'accord salarial », ils déclarèrent sa demande prescrite.

Cette décision illustre combien « la détermination du point de départ de la prescription est essentielle » [5].  Interrogé à propos du nouvel article L. 1134-5 du Code du travail introduit par la loi du 17 juin 2008 [6], Pierre Sargos avait défini la notion de « révélation » comme le « moment où le salarié a connaissance des faits de discrimination commis par son employeur et est en mesure d’estimer qu’il subit un préjudice » [7]. Le critère ne semble pas si éloigné de celui que l’on connaît en droit commun de la prescription. Aux termes de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC, la prescription court à compter du jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». La prescription de l’article L. 1134-5 du Code du travail, comme la prescription quinquennale de droit commun, est soumise à la logique du point de départ subjectif [8]. L’analogie est reprise par les conseillers lyonnais. Il ressort de la décision commentée que ces derniers assimilent le critère de la « révélation » au critère de l'article 2224 du Code civil et adoptent la démarche de droit commun de détermination du point de départ de la prescription. Ils se sont ainsi appliqués à rechercher la date à laquelle la salariée a connu ou aurait dû connaître les faits de discrimination allégués pour déterminer le moment à partir duquel la prescription avait commencé à courir [9]. Selon eux, cette date correspondait à l'entrée en vigueur du nouvel accord salarial. À l'appui de leur décision, ils avancent le caractère particulièrement explicite de l'accord comme de ses annexes, et soulignent la présence d'une note détaillée qui l'avait accompagné. Pour les conseillers, à la lecture de l'ensemble de ces documents, la salariée « ne pouvait ignorer qu'elle n'était pas éligible au versement de la gratification ». Par conséquent, son action, intentée plus de huit ans après, était prescrite.

En calquant l'interprétation de la notion de « révélation » sur la directive de l'article 2224 du Code civil, la cour d'appel s’éloigne de l'approche autonome de la notion qui prévaut pourtant en la matière [10]. Le terme de « révélation » n’a pas été arrêté au hasard par le législateur de 2008. Fruit d’un amendement, il se distingue à dessein du point de départ glissant de droit commun [11]. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a entendu consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation qui adoptait une analyse plus extensive du point de départ de la prescription en matière de discrimination [12]. Selon cette jurisprudence, la prescription ne pouvait courir que du jour où le salarié avait réuni tous les éléments de comparaison nécessaires à établir qu'il a été victime d'une discrimination. Le critère de la « révélation » a alors été arrêté au motif que la règle fixant le point de départ au jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître » les faits lui permettant d’agir risquait d’être interprétée dans un sens moins favorable pour le salarié [13]. Aujourd’hui, cette directive spéciale s'accompagne d'une interprétation encore plus large de la chambre sociale pour qui l'appréciation « exacte » [14] de la discrimination ne suffit pas à faire courir la prescription, encore faut-il que celle-ci ait cessé de produire ses effets [15]. La précision est particulièrement protectrice en cas de discrimination continue. 

Sur ce dernier point, la cour d'appel de Lyon est fidèle à l'interprétation de la chambre sociale. Elle prend le soin de rappeler que « la non éligibilité aux dispositions transitoires permettant le versement d'une gratification, en application de l'accord salarial du 24 janvier 2011, est un fait ponctuel qui a épuisé ses effets au 1er mai 2011, date d'entrée en vigueur de l'accord ». La discrimination avait donc bien cessé. La prescription pouvait donc courir. La cour lyonnaise s'en dissocie toutefois en considérant que la connaissance supposée de la discrimination peut faire courir la prescription. L’interprétation autonome de la notion de « révélation », comme la connaissance non seulement effective, mais également entière de l’ensemble des éléments permettant au salarié d’agir, aurait pu justifier que soit retenue par les conseillers lyonnais la date de l’arrêt de la chambre sociale de 2017 pour faire courir la prescription. Si l’affaire remonte devant la Cour de cassation, il n’est pas certain que cette « importation des principes à l'œuvre en droit commun » [16] ne plaise à la chambre sociale…

Par Elena Genin

 

[1] Sur ce point v. J. Klein, Le point de départ de la prescription dans les relations de travail, SSL, 2023, n°2052, pp. 5-9, spéc., pp. 8-9.

[2] La question avait été posée en 2008 suite à la réforme de la prescription à Pierre Sargos, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation lors d’un entretien publié dans la revue Semaine sociale Lamy (P. Sargos, La détermination du point de départ de la prescription est essentielle, SSL, 2008, n° 1362, pp. 2-4). V. également spécifiquement sur cette question : J. Klein, Le point de départ de la prescription, Economica, 2013, pp. 71-73, n° 84-87.

[3] Cass. soc., 1er février 2017, n° 15-13.761, F-D, N° Lexbase : A4113TBX.

[4] JCl. Travail Traité, fasc. 17-11, n° 42.

[5] P. Sargos, La détermination du point de départ de la prescription est essentielle, SSL, 2008, n° 1362, pp. 2-4.

[6] Loi n° 2008-561, du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I.

[7] P. Sargos, précité, p. 4.

[8] J. Icard, Le régime sibyllin de la prescription applicable à la discrimination continue, SSL, 2021, n° 1958, pp. 7-12, spéc. p. 8.

[9] « Il convient de prendre en compte (...) la date à laquelle la salariée a connaissance des agissements constitutifs selon elle de discrimination ».

[10] J. Klein, Le point de départ de la prescription dans les relations de travail, précité, p. 9.

[11] Rapport d’Émile Blessig, rapp. AN n° 847, 30 avril 2008, pp. 19-20.

[12] Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-45.163, F-D, I N° Lexbase : A7483DUP. La solution avait été rendue en application de la prescription trentenaire de droit commun de l’ancien article 2262 du Code civil.

[13]JO Sénat, séance du 9 avril 2008, p. 1610 ; Rapport d’Émile Blessig, rapp. AN n° 847, précité, p. 19 ; pour une analyse détaillée de ce point v. J. Klein, Le point de départ de la prescription, précité, n° 84, pp. 71-72.

[14] J. Klein, Le point de départ de la prescription, précité, n° 84, p. 71.

[15] Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-22.557, F-P N° Lexbase : A47804ND ; Cass. soc., 20 mars 2024, n° 23-11.837, F-D, I N° Lexbase : A53362WK ; Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-19.345, F-D, I N° Lexbase : A51367QB ; Cass. soc., 23 juin 2021, n° 20-10.020, F-D, I N° Lexbase : A40744X8 ; Cass. soc., 18 mai 2022, n° 21-11.870, F-D, I N° Lexbase : A96077X4 ; Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-21.309, F-D, I N° Lexbase : A52388Q3. V. également Cass. soc., 7 juin 2023, n° 22-22.920, FS-B N° Lexbase : A69039YC. Sur le caractère autonome de la démarche de la chambre sociale, v. J. Klein, Le point de départ de la prescription dans les relations de travail, précité.

[16] J. Klein, Le point de départ de la prescription dans les relations de travail, précité, p. 9.


La vigilance du professionnel au cœur de la garantie des vices cachés

♦ CA Lyon, 1re civ. B, 3 septembre 2024, RG n° 22/05993 N° Lexbase : A16065Y7

Mots-clefs : cheval • contrat de vente • garantie des vices cachés • erreur substantielle • résolution du contrat • acheteur professionnel.

Solution : Dès lors que, en sa qualité de professionnel, l’acheteur peut avoir connaissance d’un vice à propos de l’achat d’un cheval destiné à une certaine utilisation, la garantie des vices cachés n’est pas applicable.

Portée : L’acquéreur professionnel ne peut ni se prévaloir de la garantie des vices cachés ouverte par le Code civil, ni invoquer une erreur substantielle sur la chose, lorsqu’il peut savoir que le bien acquis ne pourra remplir la destination pour laquelle il est acheté.


Bien que sensible [1], l’animal reste avant tout un bien et peut faire l’objet de contrats. Comme dans tout contrat, un vice caché peut exister. À l’origine de l’affaire se trouve l’acquisition le 15 mars 2020 d’un cheval dénommé Valentino par Mme W et la société Horse jumping pour la somme de 45 000 euros auprès de M. X. Préalablement à cet achat, une visite vétérinaire du 12 mars 2020 a eu lieu et a conclu à l’existence d’anomalies sur le cheval de nature à avertir les acquéreuses d’un « risque modéré » sur l’achat de Valentino pour son utilisation dans des courses de saut d’obstacles. Ce qui devait arriver arriva : le cheval trébuche et chute le 19 juin 2020. Deux expertises vétérinaires du 24 juin et du 20 juillet 2020 concluent désormais à une contre-indication totale dans son utilisation pour une éventuelle compétition. Le cheval ne leur étant plus utile, Mme W et la société Horse jumping assignent M. X pour obtenir la résolution de la vente devant le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône. Le 21 juillet 2022, les premiers juges déboutent les requérantes de leur demande. Ils interjettent alors appel. En matière de vente d’animaux domestiques, plusieurs problématiques sont à dénouer, et particulièrement lorsqu’un tel problème survient à propos d’un cheval.

D’abord, s’agissant d’un contrat de vente, le vendeur a l’obligation d’assurer deux garanties, dont celle portant sur les vices cachés. Pour la vente d’animaux domestiques, l’obligation est la même, mais se dédouble : une garantie est proposée par le Code rural et de la pêche maritime [2], une autre l’est par l’intermédiaire du Code civil [3]. Laquelle doit donc jouer ici ? Le premier régime « se présente comme adapté aux ventes d’animaux car il a été conçu pour prendre en compte la fragilité propre aux êtres vivants » [4]. En l’occurrence, après l’achat du cheval Valentino et consécutivement à sa chute, la société Horse jumping se retrouve dans l’impossibilité de l’utiliser conformément à la destination prévue initialement. En effet, à la suite de la chute du cheval et en raison d’un défaut qui avait déjà été caractérisé par un vétérinaire avant la vente, il ne pourra plus effectuer de courses de saut d’obstacles. De fait, le vice affectant le cheval est rédhibitoire en ce qu’il « rend la chose vendue impropre à l’usage auquel on la destine » [5]. Ce critère est par ailleurs celui réclamé par le Code rural [6] pour permettre une action en garantie. Toutefois, deux éléments vont s’opposer à ce que la garantie spéciale offerte par le Code rural prime sur celle, générale, ouverte par le Code civil. En premier lieu, en ce qui concerne les équidés, l’article R. 213-1 du Code rural N° Lexbase : L4719LGU fixe limitativement les vices rédhibitoires, et celui frappant Valentino n’y figure pas. En second lieu, et c’est le point le plus important, la Cour de cassation a, de très longue date, décidé que la « convention écartant les dispositions du Code rural et de la pêche maritime régissant la garantie des vices rédhibitoires dans les ventes d’animaux domestiques peut être implicite et résulter de la destination des animaux vendus et du but que les parties se sont proposé et qui constitue la condition essentielle du contrat », solution fréquemment rappelée [7]. Dans le cas présent, la cour d’appel s’approprie totalement cette solution dans son raisonnement. Tant la destination de l’achat de Valentino, connue des deux parties, que le prix, qualifié de « bien supérieur à celui d’un cheval de loisir ou de monte », ne pouvaient que conduire les conseillers à caractériser effectivement une telle convention implicite entre les parties. De fait, la garantie potentiellement applicable sera celle du Code civil. A priori, tout n’est pourtant pas perdu pour les acquéreuses.

Ensuite, si la garantie des vices cachés retenue est celle proposée par le Code civil, peut-elle véritablement s’appliquer dans le cas présent ? Trois critères sont nécessaires pour que la garantie puisse s’appliquer [8]. Le vice doit être grave, car il doit rendre la chose impropre à l’usage pour lequel elle a été initialement destinée ou alors diminuer tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise. Le vice doit également être caché en ce que l’acheteur ne peut le déceler lors de la réception de la chose. Le vice doit, de surcroît, être antérieur à la vente. À cet égard, le raisonnement de la cour est exemplaire dans la mesure où elle fait preuve d’une grande pédagogie. Premièrement, elle admet que le cheval présente bien un vice, mais il faut examiner les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déclaré et comment l’acheteur a réagi par la suite. En l’occurrence, le vice ne peut être considéré comme caché, étant donné qu’une visite vétérinaire a eu lieu quelques jours avant la vente qui a attesté de l’existence d’une anomalie. Certes, elle était déjà existante au moment de l’achat. Néanmoins, les acheteuses auraient dû être plus vigilantes quant à la présence de cette particularité. Le vétérinaire précise bien par ailleurs que « l’aptitude du cheval à l’utilisation future déclarée » ne pouvait être garantie. Surtout, les acheteuses ont outrepassé cette mise en garde alors même que ce sont des professionnelles dans le domaine des équidés, ce que la cour déduit au regard des éléments internes à la société (mentions dans le K-bis et les statuts). En leur qualité de professionnelles, elles auraient dû relever le vice, qui n’était donc pas indécelable, d’autant plus face à un vendeur profane. Deuxièmement, et par voie de conséquence, les acquéreuses ne peuvent faire état d’un vice rendant la chose impropre à l’usage destiné, puisque celui-ci était compromis dès l’achat. D’une part, bien qu’un vétérinaire les ait prévenues sur ce point, elles n’ont pas souhaité effectuer d’autres investigations pour confirmer les premières. D’autre part, les acquéreuses avaient pu, avant l’achat, visionner une vidéo où l’on voit déjà Valentino trébucher, ce qui a conduit, la seconde fois, à l’exclure définitivement des courses de saut d’obstacles. De fait, selon la cour d’appel, non seulement les acquéreuses étaient au courant du vice sur le cheval, mais elles « ont accepté le risque qu’il ne puisse pas être utilisé pour l’usage auquel il était destiné ». La garantie des vices cachés ne peut donc s’appliquer tout comme les effets qui y sont attachés : l’action rédhibitoire ne joue pas et le contrat ne sera pas rétroactivement anéanti[9]. Mais les acquéreuses ont une dernière carte à jouer.

Enfin, les acheteuses peuvent-elles se prévaloir d’une erreur sur les qualités substantielles ? En effet, invoquer l’erreur revient plus largement à mettre en avant un vice du consentement sanctionné par la nullité du contrat conclu [10]. Pour cela, « il faut que le demandeur démontre, tout à la fois, et qu’il a cru faussement que la chose présentait telle qualité, et que là a été la raison déterminante de son engagement » [11]. Bien que compliqué à avancer dans le contexte de l’argumentation de la cour, qui a déjà reconnu que les acquéreuses sont des professionnelles, la question a néanmoins été débattue. À ce titre, compte tenu du prix payé pour Valentino, elles espéraient pouvoir l’utiliser conformément aux qualités pour lesquelles le contrat a été passé, alors que, dorénavant, le cheval ne répond plus à ces mêmes qualités. Pour autant, lors de l’achat, certaines réserves avaient été émises et, ignorées, elles ont conduit à ce que l’animal ne puisse plus concourir à des sauts d’obstacles. Suivant l’argumentation du vendeur, la cour considère que l’erreur ne peut être caractérisée dans la mesure où les acquéreuses, en leur qualité de professionnelles, ont accepté l’ensemble des conditions et réserves présentes au moment de l’achat et étaient donc informées d’un « risque modéré » que le cheval ne puisse convenir à la destination souhaitée.

En se pliant à la matérialité des faits, la cour est en accord avec la jurisprudence constante à ce sujet. Au regard de l’ensemble de ces éléments et au terme d’une argumentation particulièrement riche, mettant en valeur le contradictoire, la cour déboute les acquéreuses de toutes leurs demandes. Bien que le cheval soit un « animal économique » [12], il est possible qu’il ne puisse pas remplir tous les objectifs qui lui sont assignés. C’est pourquoi il convient de se rappeler que, avant d’être juridiquement un bien, il s’agit réellement d’un être sensible.

Par Lucas Richier

 

[1] C. civ., art. 515-14 N° Lexbase : L9450I77.

[2] C. rur., art. L. 213-1 et s. N° Lexbase : L2214L8I.

[3] C. civ., art. 1641 et s. N° Lexbase : L1743AB8.

[4] C. Hugon, La garantie dans les ventes d’équidés, AJ Contrat, juillet 2017, n° 7, p. 318.

[5] G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Rédhibitoire, PUF, coll. Quadrige, 11e éd., 2016, p. 870.

[6] C. rur., art. L. 213-2 N° Lexbase : L3471AEB.

[7] Not. Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 13-25.489, F-P+B N° Lexbase : A5400NMX. Cet arrêt concernait un cas similaire et portait sur un cheval vendu aux enchères, à un prix très supérieur à un cheval de loisir, et pour une destination sportive.

[8] B. Bourdelais, Droit des contrats spéciaux, Dalloz, coll. Mémentos, 5e éd., 2021, p. 38.

[9] C. civ., art. 1644 N° Lexbase : L9498I7W.

[10] C. civ., art. 1132 N° Lexbase : L0831KZS.

[11] J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, Dalloz, coll. Sirey Université, 18e éd., 2024, p. 483, § 361.

[12] T. Pesquier, Le cheval et le droit, AJ Contrat, juillet 2017, n° 7, p. 307.


À qui incombe la charge de la résolution du contrat dans le cas d’un cumul d’inexécutions contractuelles ?

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 12 septembre 2024, RG n° 21/00152 N° Lexbase : A63195Z3

Mots-clefs : contrat de prestation de services • inexécution contractuelle • exception d’inexécution • résolution du contrat • préjudice

Solution : La résolution du contrat de prestation de services peut être prononcée en cas d’inexécution contractuelle, même si le cocontractant a cessé de régler lesdites prestations.

Portée : Lorsqu’un contrat fait l’objet d’inexécutions contractuelles en provenance des deux contractants, il convient de savoir laquelle est la plus grave, afin de déterminer quelle partie doit supporter la résolution du contrat.


Lors de l’inexécution d’un contrat, plusieurs options s’offrent à celui qui souhaite s’en prévaloir. Encore faut-il pouvoir caractériser une éventuelle inexécution et déterminer de qui elle provient. À l’origine de l’affaire portée devant les conseillers d’appel, M. U, entrepreneur individuel et créateur de la société Japanzon, est en relation d’affaires avec la société Kelsociété, qui exerce dans le domaine du référencement et de la visibilité internet. Cette dernière devait effectuer certaines prestations pour M. U dans le cadre d’un contrat conclu en janvier 2017 avec un paiement par échéances successives. Au bout de plusieurs mois, M. U arrête de payer, celui-ci estimant que les prestations dues ne sont plus assurées. Voyant que la situation n’évolue pas, M. U décide de procéder par la voie judiciaire et assigne la société Kelsociété devant le tribunal de commerce de Lyon. Par un jugement du 5 janvier 2021, il déclare M. U irrecevable en ses demandes, puisqu’il n’aurait ni la qualité, ni l’intérêt à agir. M. U et la société Japanzon font alors appel de cette décision. Ils font valoir que la société Kelsociété n’a pas effectué les prestations convenues dans le contrat et qu’elle s’est donc rendue coupable d’une grave inexécution. De son côté, la société Kelsociété invoque le fait que l’appelant n’a pas réalisé les paiements visés par le contrat. Dès lors, on peut se demander ce qui est le plus dommageable dans l’inexécution du contrat : le non-paiement des prestations convenues ou le fait que les prestations elles-mêmes ne soient pas effectuées ?

De manière liminaire se pose la question de la recevabilité de l’action de M. U et de la société Japanzon. En effet, la seconde a été créée postérieurement au contrat passé et à la naissance du litige. Logiquement, au regard de ces circonstances temporelles, « elle ne dispose d’aucun intérêt à agir pour ce qui est antérieur » [1]. En revanche, M. U est entrepreneur en son nom propre. C’est donc lui qui a passé le contrat en acceptant le devis proposé et qui a constaté l’inexécution à son égard. Dès lors, son action est bel et bien recevable dès lors qu’il est vérifié qu’il a un intérêt légitime au succès de sa prétention [2], ouvrant la voie à l’examen de sa demande au fond.

Ces considérations procédurales évacuées, le contrat passé en l’espèce n’a pas été honoré par les deux parties, aboutissant à deux inexécutions contractuelles, alors même que cet acte de confiance tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait [3]. En l’espèce, la confiance n’a pas duré longtemps. Le contrat a été passé en janvier 2017, mais il est avéré que les prestations ne sont plus effectuées à partir du mois de novembre de la même année. M. U continue pourtant de respecter son engagement en payant les prestations qui ne sont pas réalisées par son cocontractant. Après avoir versé 70 % des sommes prévues en échange des prestations, alors qu’il est établi que 80 % d’entre elles n’ont pas été accomplies, M. U (qui n’a pas obtenu de réponse de la société Kelsociété) décide finalement d’arrêter de payer son cocontractant. La société devait, par exemple, créer une chaîne YouTube ainsi que des contenus, ou encore mettre en œuvre une certaine stratégie éditoriale pour le compte de M. U. De toute évidence, le déséquilibre est disproportionné et flagrant. Si des deux côtés une inexécution a eu lieu, l’une d’entre elles est bien plus importante que l’autre. C’est dans cette optique que M. U invoque une exception d’inexécution à l’égard de sa propre obligation. Efficace, il s’agit d’un « moyen de défense par lequel l’une des parties refuse d’exécuter sa prestation tant que l’autre partie n’a pas exécuté la sienne » [4]. Autrement dit, M. U se prévaut de l’inexécution de la société Kelsociété pour justifier la sienne. Pour se prévaloir de l’inexécution de l’autre partie, qui empêcherait d’effectuer sa propre contrepartie, il est nécessaire que cette première inexécution soit « suffisamment grave » [5]. Dès lors que cette condition est remplie, une résolution du contrat peut intervenir [6]. Or, les nombreuses prestations non réalisées, qui étaient le cœur et l’esprit mêmes du contrat, permettent de caractériser une faute grave, emportant la résolution du contrat à ses torts exclusifs. De plus, étant donné que M. U a effectué des versements en l’absence des prestations, il sera remboursé du montant déjà réglé.

L’inexécution du contrat emporte comme conséquence sa résolution, mais est-elle la seule sanction ? Autrement dit, un préjudice pourrait-il être caractérisé envers l’une ou l’autre des parties ? En effet, chacune va solliciter la réparation de son préjudice. D’un côté, M. U a l’avantage de pouvoir mobiliser l’article 1231-1 du Code civil N° Lexbase : L0613KZQ, qui énonce que le débiteur est condamné à régler des dommages et intérêts en raison de l’inexécution de son obligation. Pour autant, le préjudice lié à l’inexécution, soit le versement des sommes prévues sans contrepartie, a déjà été réparé par leur remboursement. Il aurait donc fallu démontrer qu’un autre préjudice distinct est né de cette inexécution. D’un autre côté, la société Kelsociété estime subir un préjudice constitué par le fait que M. U, voyant que les prestations n’étaient pas effectuées, aurait manifesté sa déloyauté et sa mauvaise foi à son égard en publiant des menaces et des commentaires diffamatoires, mais aussi en ne respectant pas sa propre part du contrat. Elle utilise alors l’article 1217 du Code civil N° Lexbase : L1986LKR, au motif que M. U n’a exécuté qu’imparfaitement son engagement. De ce fait, elle serait fondée à « demander réparation des conséquences de l’inexécution ». Sur ces points, la cour renvoie dos à dos les requérants, puisqu’elle refuse également de reconnaître le préjudice réclamé par Kelsociété. Elle rappelle que la résolution du contrat a été prononcée aux torts de cette dernière et que, par conséquent, son défaut d’inexécution prime sur celui de M. U.

Finalement, les conseillers d’appel, après avoir lucidement autorisé M. U à agir, ont mis en balance deux inexécutions. Temporellement, la première est celle de la société Kelsociété. Cette inexécution était non seulement suffisamment grave, mais également plus grave que la seconde, celle de M. U. Dès lors, « l’exigence d’une inexécution suffisamment grave peut se comprendre comme suffisamment grave, non en soi, abstraitement, mais assez pour justifier en l’espèce la suspension, ce qui n’est pas loin de la proportionnalité » [7], qu’a parfaitement mis en application la cour d’appel.

Par Lucas Richier

 

[1] V. CPC, art. 31 N° Lexbase : L1169H43.

[3] C. civ., art. 1103 N° Lexbase : L0822KZH.

[4] Y. Buffelan-Lanore, V. Larribau-Terneyre, Droit civil. Les obligations, Dalloz, coll. Sirey Université, 19e éd., 2024, p. 608, § 1843.

[5] C. civ., art. 1219 N° Lexbase : L0944KZY.

[6] C. civ., art. 1224 N° Lexbase : L0939KZS.

[7] J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, Dalloz, coll. Sirey Université, 18e éd., 2024, p. 1098, § 859.


Reconnaissance de dette et départ du délai de prescription : la nécessaire prise en compte de la volonté des parties

♦ CA Lyon, 6e ch., 26 septembre 2024, RG n° 23/04988 N° Lexbase : A4700579

Mots-clefs : reconnaissance de dette • prescription quinquennale • exigibilité • interruption • terme • recevabilité de l’action

Solution : Dans une action en remboursement d’une dette, le point de départ du délai de prescription quinquennale est fixé, soit à la date du terme de l’engagement, soit à la date de son exigibilité.

Portée : Dès lors qu’aucun terme n’est fixé dans une reconnaissance de dette, son exigibilité est à apprécier au regard de la commune intention des parties et des circonstances de l’engagement.


Prêter de l’argent ne peut rester sans conséquence, même quand cet acte est effectué envers un membre de sa propre famille. Dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Lyon, a été établie en 2001 une reconnaissance de dette par M. R. E. à l’égard de sa sœur, Mme G. E., d’un montant s’élevant à l’époque de 258 000 francs, soit actuellement 39 331,85 euros. Le temps passant, il décède en 2021 en laissant pour successeurs son fils, M. B. E., et sa compagne, Mme T. Z, sans que M. R. E. n’ait remboursé sa dette. C’est alors que Mme G. E. assigne les héritiers devant le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône en 2022, afin d’être enfin remboursée de sa créance. Devant le juge de la mise en état, Mme T. Z. et M. B. E. soulèvent l’irrecevabilité de la demande de Mme G. E. au motif que la dette serait prescrite [1]. Le juge admet toutefois la recevabilité de l’action engagée par Mme G. E. en considérant qu’elle n’est pas prescrite. Face à cette décision, Mme T. Z. et M. B. E. interjettent appel de l’ordonnance [2] en formant la même demande, afin de prouver l’extinction de la dette par l’intermédiaire de deux arguments entremêlés sur la manière dont la prescription s’applique.

En premier lieu, à quel moment le délai de prescription doit-il débuter ? Dans le cas présent, la reconnaissance de dette a été établie en 2001, soit avant la loi du 17 juin 2008 [3] opérant notamment une réforme du délai de prescription. En effet, en ce qui concerne les actions personnelles, la loi ramène le délai de trente ans à cinq ans, la prescription trentenaire n’étant plus de droit commun. De fait, dans l’affaire en cause, Mme T. Z. et M. B. E. font valoir que l’action est prescrite depuis bien longtemps puisque le point de départ du délai est fixé en 2001. Cependant, la prescription de l’action ne peut être prononcée aussi simplement. En effet, lorsque M. R. E. a effectué la reconnaissance de dette, aucun terme pour le remboursement n’a été établi. Dès lors, à partir de quelle date fixer le point de départ de la prescription ? En l’absence de terme, une jurisprudence constante et abondante, provenant à la fois des juridictions du fond et de la Cour de cassation [4], veut qu’il soit fixé à la date de l’exigibilité de l’obligation, celle-ci devant être recherchée en suivant la commune intention des parties et les circonstances de l’engagement, solution que la cour d’appel fait sienne. En l’espèce, M. R. E. a souscrit cette reconnaissance de dette avec sa sœur qui, d’un commun accord, serait remboursée « en temps voulu ». Il s’était donc bien engagé à rembourser cette somme, sans pouvoir véritablement préciser le moment effectif de cette restitution. De surcroît, à plusieurs reprises – en 2009, 2018 puis 2020 –, des proches de M. R. E. attestent par divers moyens que son objectif était toujours d’assurer le remboursement de cette somme d’argent, notamment en vendant une maison familiale dont il avait la nue-propriété et qu’il rénovait afin de lui faire prendre de la valeur, signe de sa bonne foi. Mme G. E. a elle-même indiqué en 2012 que le remboursement interviendrait lorsqu’il aurait la capacité de le faire, lui donnant ainsi un champ libre. Néanmoins, M. R. E. décède en 2021 et ne peut donc plus assumer un quelconque remboursement. Les conseillers d’appel décident de fixer l’exigibilité de la dette au jour de son décès, puisqu’elle incombe désormais à ses héritiers : M. B. E. et Mme T. Z. Ainsi, pour les seconds juges, la dette n’est pas prescrite, le point de départ du délai de prescription ayant simplement été différé. Dans cet esprit, « il faut éviter que le droit ne soit prescrit avant [que] son titulaire n’ait pu l’exercer » [5] : Mme G. E. ne pouvant effectivement mettre en œuvre l’action à l’égard de son débiteur, elle ne pouvait récupérer immédiatement la somme d’argent prêtée. Pour autant, les requérants vont opposer un deuxième argument, qui soulève la question de l’interruption de la prescription.

En second lieu, s’il est acquis que la prescription peut démarrer à la date d’exigibilité de la dette, le fait de la reconnaître peut aussi être le point de départ du délai de prescription en matière spécifique de reconnaissance de dette [6]. Dans le cas présent, les deux régimes vont s’articuler. Les doutes ont été précédemment levés sur la durée de la prescription, qui est bel et bien fixée à cinq ans [7]. À l’inverse, cette prescription pourra être interrompue dès lors que le débiteur reconnaît le droit de celui contre lequel il prescrivait [8]. Dans ce cas de figure rentre typiquement la reconnaissance de dette par le débiteur lui-même. Dès lors que ce dernier admettra qu’il a une dette à l’égard d’un créancier, la prescription sera interrompue, et commencera à courir à nouveau à partir de ce moment [9]. C’est d’ailleurs l’argument dont Mme T. Z. et M. B. E. vont se servir implicitement, puisqu’ils invoquent le fait que, à partir du moment où M. R. E. a reconnu avoir une dette envers sa sœur en 2001, la prescription a commencé à courir. De plus, ils soulignent que M. R. E. n'a pas reconnu cette dette, ni n’a fait part de sa volonté de la régler, dans ses « directives de fin de vie ». De manière accessoire, ils évoquent le fait que, de son vivant, en 2009, M. R. E. a fait part de son souhait de rembourser Mme G. E. dès qu’il aurait obtenu la maison issue d’une donation-partage, puis qu’il l’aurait vendue. L’ayant effectivement obtenu en 2012, le point de départ du délai de prescription pourrait être fixé à cette date. L’action serait donc, dans tous les cas, prescrite depuis 2017 au moins. Pourtant, ce n’est pas le raisonnement suivi par la cour d’appel. En effet, pour fixer l’exigibilité de la dette au moment du décès de M. R. E., les juges vont non seulement prendre en compte sa volonté, mais aussi la volonté propre de ses héritiers, à qui échoient désormais la dette. D’une part, M. R. E. n’a jamais fait mystère de l’existence de cette reconnaissance de dette, dont les modalités de remboursement avaient été convenues avec sa sœur dès son retour à meilleure fortune. D’autre part, Mme T. Z. et M. B. E ont toujours admis son existence. Dans le cadre de la succession de M. R. E., Mme T. Z. a expressément indiqué dans un SMS l’existence, et donc sa connaissance, de la reconnaissance de dette. Ainsi, les conseillers indiquent que « l’obligation n’était pas exigible antérieurement au décès », mais au moment du décès lui-même. La Cour de cassation a pu juger à ce propos que « l’acte interruptif résultant d’une reconnaissance par le débiteur du droit du créancier fait courir, à compter de la date, un nouveau délai de prescription et n’a pas pour effet de frapper le débiteur d’une déchéance du droit d’invoquer la nouvelle prescription » [10]. Dès lors, « ni la nature, ni la durée de la prescription ne sont changées : c’est la même prescription qui reprend, avec un nouveau point de départ » [11] et, de fait, avec le même délai [12].

Par conséquent, la cour d’appel ne fait que rappeler ici que, dès lors qu’aucun terme n’est fixé au préalable, la dette est exigible lorsqu’elle est prête à être réglée au créancier. À cet égard, la manière dont la reconnaissance de dette est exigible dépend particulièrement des circonstances de fait et de l’attitude du débiteur, quel qu’il soit. En l’espèce, l’action qui n’était pas encore née ne pouvait se prescrire. Cette affaire permet donc de rappeler que la « prescription extinctive sanctionnant une inertie ou une négligence, il est logique que son point de départ soit différé aussi longtemps que l’action n’est pas ouverte, sinon on s’exposerait à ce que son droit fût éteint avant d’avoir pu être exercé » [13].

Par Lucas Richier

 

[1] CPC, art. 122 N° Lexbase : L1414H47 : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel […] la prescription […] ».

[3] Loi n° 2008-561, du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I.

[4] Not. : Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 16-25.826, F-D N° Lexbase : A4489WW8 ; Cass. civ. 1, 26 février 2020, n° 18-24.693, F-D N° Lexbase : A79073GX.

[5] J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, V. Forti, L. Andreu, Droit civil. Les obligations. Le rapport d’obligation, Dalloz, coll. Sirey Université, 11e éd., 2024, p. 350, § 320.

[6] R. Frering, La reconnaissance de dette, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 233, 2024, p. 356, § 356.

[7] C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC.

[8] C. civ., art. 2240 N° Lexbase : L7225IAT.

[9] R. Frering, La reconnaissance de dette, précité, p. 166, § 172 : « Or, la reconnaissance de dette, en matérialisant l’existence de cette dette, ne fait rien d’autre qu’octroyer une preuve de ce fait et, ainsi, lever tous les doutes à ce sujet. En rappelant l’existence de la dette, les personnes concernées savent précisément que son exécution est toujours escomptée et peuvent en rapporter la preuve. C’est donc bien parce qu’elle met fin à une situation de divorce entre le fait et le droit que la reconnaissance de dette interrompt la prescription. »

[10] Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 96-11.138 N° Lexbase : A2182ACS.

[11] J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, V. Forti, L. Andreu, Droit civil. Les obligations. Le rapport d’obligation, précité, p. 358, § 326.

[12] C. civ., art. 2231 N° Lexbase : L7216IAI.

[13] H. Roland, Lexique juridique des expressions latines, LexisNexis, 8e éd., 2021, p. 9.


Une clause de garantie de jouissance n’est pas une condition suspensive

 

♦ CA Lyon, 1re ch. civ., sect. B, 1er octobre 2024, n° 22/02898 N° Lexbase : A727558X

Mots-clefs : promesse synallagmatique de vente • condition suspensive • clause de garantie de jouissance • clause pénale • résolution

Solution : La garantie de jouissance se distingue de la condition suspensive et le manquement à cette obligation ne saurait justifier l’application de la clause pénale prévue dans la promesse synallagmatique de vente.

Portée : Le manquement à l’obligation de garantie de jouissance engage la responsabilité contractuelle de la venderesse, sans toutefois constituer un obstacle à la réitération de la vente, celle-ci demeurant subordonnée à la réalisation des conditions suspensives mentionnées dans la promesse synallagmatique de vente.


Avant-contrat au sein duquel les parties s’engagent mutuellement à acquérir et vendre un bien [1], la promesse synallagmatique est source d’un abondant contentieux notamment en matière de réitération de l’acte. C’est dans la perspective de clarifier le régime de droit commun applicable aux promesses synallagmatiques que l’avant-projet de réforme du droit des contrats [2] prévoit de le codifier, ce dernier étant actuellement limité à l’énoncé succinct de l’alinéa premier de l’article 1589 du Code civil N° Lexbase : L1675ABN. Aussi, bien que cet article précise que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. », la promesse synallagmatique a pour but de différer la conclusion du contrat définitif. Ce dernier demeure, en effet, subordonné à la réalisation de conditions suspensives parmi lesquelles figure, de manière prépondérante, l’obtention d’un prêt. Toutefois, comme dans tout contrat, d’autres clauses contractuelles peuvent être l’objet de différends entre les parties.

En l’espèce, un litige relatif à l’exécution des obligations contractuelles est survenu entre les parties à une promesse synallagmatique de vente. En particulier, se posait la question relative à la distinction entre une condition suspensive et une garantie de jouissance. En effet, la venderesse s’était engagée à vendre un bien libre de toute occupation aux termes d’une clause qualifiée de « garantie de jouissance ». Cependant, en raison du non-respect par la venderesse du délai de préavis nécessaire pour donner congé au locataire, ce dernier avait finalement, après l’avoir initialement accepté, contesté le congé délivré. Dès lors, les acquéreurs soutenaient avoir été contraints de renoncer à l’acquisition du bien en raison du manquement de la venderesse à la clause de garantie de jouissance, et sollicitaient ainsi le versement de l’indemnité prévue au contrat par la clause pénale.

En première instance, le tribunal judiciaire de Lyon a débouté les acquéreurs de leur demande en paiement de la clause pénale et ordonné la restitution sans délai de la somme consignée entre les mains du notaire, laquelle avait été versée à titre de dépôt de garantie et d’acompte sur les frais. Les acquéreurs ont alors interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Lyon, rendu le 2 mars 2022. Par son arrêt du 1er octobre 2024, la cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement rendu en première instance.

S’agissant de la demande de résolution de la promesse unilatérale de vente, la Cour, ayant relevé que la renonciation des acquéreurs était intervenue postérieurement à la date fixée pour la réitération de la promesse synallagmatique, a constaté que l’acte était devenu caduc. Toutefois, en principe, le dépassement du terme fixé pour réitérer la vente n’est pas sanctionné par la caducité [3], sauf si les parties ont expressément prévu d’en faire une condition de formation du contrat [4], ce qui semble être le cas. C’est donc à bon droit que la cour d’appel est venue ajouter que « le principe de la caducité du compromis est établi et acquis par l’ensemble des parties », par suite d’un échange de correspondances dans lesquels la venderesse actait « la renonciation » des acquéreurs. Par conséquent, en application des dispositions de l’article 1186 du Code civil N° Lexbase : L0892KZ3, la disparition du consentement des parties à leur engagement réciproque d’acheter et vendre un bien, élément essentiel à la validité de la promesse synallagmatique, entraîne nécessairement la caducité du contrat.

S’agissant de la clause pénale de la promesse de vente, les conseillers observent qu’elle [5] prévoit qu’en cas de réunion des conditions relatives à l’exécution de celle-ci, si l’une des parties manque à son obligation de régulariser l’acte authentique, celle-ci serait alors tenue de verser à l’autre partie une somme équivalente à 10 % du prix de vente à titre de dommages-intérêts en application des dispositions de l’article 1231-5 du Code civil N° Lexbase : L0617KZU. À cet égard, la cour d’appel souligne que la promesse litigieuse ne comporte qu’une seule et unique condition suspensive, laquelle est relative à l’obtention d’un prêt par les acquéreurs. Si l’acte comporte également une clause liée à l’occupation du bien, cette dernière est qualifiée de « garantie de jouissance » et n’est pas érigée en condition suspensive. Dès lors, elle ne peut donc différer les effets du contrat, ni justifier l’application de la clause pénale. 

En outre, l’analyse des termes de la clause pénale révèle un risque juridique pour les acquéreurs qui auraient pu être soumis à son application et se voir contraints de verser l’indemnité de 10 % prévue. En effet, ceux-ci, par l’exercice de leur renonciation, n’ont pas procédé à la régularisation de l’acte authentique, et n’ont pas non plus démontré avoir satisfait à leur obligation découlant de la condition suspensive d’obtention d’un prêt bancaire. Cependant, si la venderesse a invoqué ce manquement, elle n’a effectué aucune mise en demeure, et ne peut donc s’en prévaloir.

En somme, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon est conforme à la jurisprudence constante en la matière, en rappelant que la caducité de la promesse synallagmatique de vente peut résulter du dépassement du terme convenu pour réitérer l’acte sous condition. Il souligne également l’importance de définir précisément les obligations respectives de chacune des parties.

Par Audrey Balfin-Saunier

 

[1] Cass. com., 25 avril 1989, n° 87-17.281 N° Lexbase : A3046AHB.

[2] Ministère de la Justice, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, 11 avril 2023, art. 1587, 1587-1, et 1587-2 [en ligne].

[3] Cass. civ. 3, 18 février 2009, n° 08-10.677, FS-P+B N° Lexbase : A2692ED3.

[4] Cass. civ. 3 25 mai 2022, n° 21-13.017, F-D N° Lexbase : A56417YL.

[5] « Au cas où, toutes les conditions relatives à l'exécution des présentes étant remplies, l'une des parties ne régulariserait pas l'acte authentique et ne satisferait pas ainsi aux obligations alors exigibles, elle devra verser à l'autre partie la somme de neuf mille trois cents euros (9 300 euros) à titre de dommages-intérêts conformément aux dispositions de l'article 1231-5 du code civil ».


Vente d’animaux domestiques : entre garanties légales et preuve des obligations contractuelles

 

♦ CA Lyon, 6e ch. civ., 17 octobre 2024, n° 22/08471 N° Lexbase : A58246BC

Mots-clefs : obligation légale de conformité – garantie des vices cachés – obligation générale d’information précontractuelle – résolution

Solution : L’absence de preuve écrite en ce qui concerne le paiement de la vente d’un animal, ainsi que l’absence de preuve de l’antériorité de l’état de santé d’un animal, excluent toute action de l’acquéreur en garantie contre l’éleveur.

Portée : Les garanties des vices rédhibitoires, prévues aux articles L.213-1 à L.213-9 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L2214L8I, ainsi que celles des vices cachés, régies par les articles 1641 à 1649 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8, sont conditionnées au respect de règles strictes. Ces exigences peuvent, dans certains cas, limiter les recours de l'acquéreur contre le vendeur, en particulier depuis que la garantie légale de conformité ne s'applique plus aux ventes d'animaux domestiques.


S’ils sont considérés comme des « êtres vivants doués de sensibilité » [1], les animaux restent néanmoins soumis au régime juridique des biens, faute de dispositions spécifiques. Dès lors, ces derniers ne disposent pas de la personnalité juridique et leurs droits sont exercés par leurs propriétaires. Toutefois, ces dernières années, le cadre juridique applicable aux animaux s’est durci afin d’assurer l’effectivité de leur protection. Ainsi, bien qu’en matière de vente, les animaux sont encore soumis au régime des meubles, la garantie légale de conformité prévue par le Code de la consommation applicable entre professionnels et non professionnels, ne leur est plus applicable depuis le 1er janvier 2022 [2]. C’est dans ce contexte juridique en mutation qu’un litige est né entre M. H, un éleveur canin et Mme W.U, l’acquéreuse de deux chiennes de race American Bully. 

En l’espèce, M.H a assigné Mme W.U pour défaut de paiement du prix de l’une des deux chiennes. Les deux animaux étant décédés prématurément, l’acquéreuse conteste l’exécution des obligations contractuelles imposées au vendeur dans le cadre de cette vente d’animaux domestiques. Elle soulève notamment des questions relatives à l’obligation d’information précontractuelle, à la garantie des vices cachés et à l’obligation légale de conformité. En effet, en août 2021, l’acquéreuse procède à l’achat des deux chiennes auprès de l’éleveur, mais si l’une d’elles a été constatée par un contrat écrit, l’autre n’a fait l’objet que d’un contrat oral. Un mois après la vente, la chienne vendue à la suite du contrat écrit, décède. Quant à la seconde, elle meurt un an plus tard.

Par un jugement du 6 décembre 2022, le tribunal de proximité de Nantua prononce la résolution du contrat de vente de la chienne dont le prix n’a pas été payé, condamne l’acquéreuse à payer cette somme et rejette l’ensemble des demandes formées par cette dernière, laquelle interjette appel. La cour d’appel se livre alors à un examen méthodique de chacune des demandes des parties.

Sur le décès du premier animal, la cour d’appel observe que le contrat de vente ne concerne pas l’acquéreuse partie au litige, mais sa mère, laquelle est effectivement désignée comme acquéreuse. Dès lors, les demandes relatives à cet animal sont irrecevables pour défaut de qualité à agir, le contrat ayant été conclu avec un tiers. La cour d’appel confirme ainsi le premier jugement.

Sur le décès du second animal, l’absence de contrat écrit conduit la cour d’appel à retenir la date de livraison de l’animal, soit le 6 août 2021 comme date de conclusion du contrat. En conséquence, ce sont donc les dispositions en vigueur à cette date qui seront applicables.

Si les parties s’accordent sur un prix de 3000 euros pour l’acquisition de l’animal, le vendeur sollicite toutefois le paiement de cette somme, qu’il affirme ne pas avoir reçue.  L’analyse des échanges SMS entre les parties, bien que complexe, ne permet pas de dégager un commencement de preuve par écrit [3], c’est donc en parfaite logique que la cour d’appel confirme le jugement du tribunal de proximité de Nantua.

S’agissant des obligations incombant au vendeur, notamment l’obligation d’information précontractuelle et la garantie de conformité, laquelle était alors applicable en 2021, les conseillers relèvent que si l’animal a rapidement présenté des quintes de toux, peu après la vente, rien ne permet d’établir que ses symptômes existaient avant la livraison de l’animal. Le certificat médical du 23 septembre 2021 confirme ses troubles après la vente, mais n’établit pas, lui non plus, qu’ils étaient présents antérieurement à la livraison. En conséquence, l’acquéreuse ne démontre pas l’existence d’un défaut de conformité et le vendeur ne peut donc être tenu pour responsable d’un quelconque défaut d’information précontractuelle quant à l’état de santé de l’animal.

Toutefois, l’acquéreuse invoque également la dysplasie coxo-fémorale de l’animal, laquelle est attestée par un certificat médical daté du 19 septembre 2022. Cependant la cour d’appel considère qu’il n’est pas prouvé que cette maladie existait antérieurement à la vente, malgré son caractère héréditaire. En effet, une maladie héréditaire n’est pas nécessairement une maladie congénitale. Cette position, largement adoptée par les différentes juridictions d’appel a récemment été remise en question par la Cour de cassation. Celle-ci, suivant la cour d’appel de Grenoble [4], a jugé que les « causes premières [de cette affection étaient] nécessairement antérieures à la vente » [5], puisqu’il s’agit d’une « maladie héréditaire qui ne peut se développer qu'en présence de gènes spécifiques ». Il existe ici une divergence de jurisprudence entre la solution adoptée par la cour d’appel de Lyon en octobre 2024 et celle de la Cour de cassation datant du 20 décembre 2023, laissant envisager qu’en cas de pourvoi l’acquéreuse pourrait potentiellement avoir gain de cause. Aussi, il conviendra de suivre attentivement les décisions à venir sur ce point.

Malgré cette analyse défavorable à l’acquéreuse sur le fondement de la garantie légale de conformité, la cour d’appel note qu’elle aurait pu obtenir satisfaction sur le fondement de la garantie des vices rédhibitoires, la dysplasie coxo-fémorale étant une maladie expressément listée. Cependant, le non-respect des délais imposés pour agir et l’absence d’expertise, telle que prévue par l’article L. 213-4 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L5284HCP, avant l’incinération de l’animal, rendent cette voie de recours irrecevable, tout comme celle des vices cachés.

La cour d’appel écarte ainsi toute garantie due par le vendeur et, suivant son raisonnement, confirme la résolution de la vente en raison du défaut de paiement du prix par l’acquéreur. Étant donné l’impossibilité de remettre les parties dans leur état initial, l’animal étant décédé, l’acquéreuse est alors tenue de procéder à la restitution de la somme de 3000 euros, laquelle correspond à la valeur de l’animal qui aurait dû être restituée au vendeur.

En somme, cet arrêt met en lumière les difficultés pour les acquéreurs de faire valoir leurs droits dans le cadre de la mise en œuvre des garanties légales des vendeurs d’animaux, lesquelles sont restreintes depuis l’exclusion de la garantie de conformité, et souligne les conséquences de l’absence de formalisation écrite dans les contrats de vente impliquant des animaux domestiques.

Par Audrey Balfin-Saunier

 

[1] Article 515-14 du Code civil N° Lexbase : L9450I77 tel qu’issu de la loi n° 2015-177, du 16 février 2015 N° Lexbase : L9386I7R.

[2] Ordonnance n° 2021-1247, du 29 septembre 2021 N° Lexbase : Z27739TL.

[3] Conformément aux dispositions de l’article 1353 du Code civil N° Lexbase : L1013KZK, « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

[4] CA Grenoble, 12 avril 2022, n° 20/00795 N° Lexbase : A36617TR.

[5] Cass. civ. 1, 20 décembre 2023, n° 22-17.838, F-D N° Lexbase : A57372AQ : B. Bouloc, Ventes, transports et autres contrats commerciaux, RTD com., 2024, n° 1, p. 152.

newsid:491480

Environnement

[Textes] La criminalité environnementale : l’adoption d’une nouvelle Directive européenne ambitieuse renforçant le droit pénal de l’environnement

Réf. : Directive (UE) n° 2024/1203 du Parlement européen et du conseil du 11 avril 2024, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et remplaçant les Directives 2008/98/CE et 2009/123/CE N° Lexbase : L2700MMX

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par Lamia El Bouchtioui, docteure en droit, CRDEI Bordeaux

Le 23 Janvier 2025

Mots clés :  criminalité environnementale • infractions environnementales • droit pénal de l'environnement • pollution • substances chimiques


 

Le 11 avril 2024, le Parlement européen a adopté la Directive (UE) n° 2024/1203 [1] relative à la protection de l'environnement par le droit pénal, visant à renforcer l'efficacité de la lutte contre la criminalité environnementale. Cette Directive remplace les précédentes Directives de 2008 [2] et de 2009 [3] concernant la pollution causée par les navires, et impose aux États membres d'intégrer vingt nouvelles infractions environnementales dans leur législation nationale, contre neuf sous les textes antérieurs. Toutefois, le crime d'écocide, bien qu'évoqué, n'est toujours pas inscrit parmi ces infractions. La Directive doit être transposée dans les législations nationales des États membres d'ici le 21 mai 2026.

  • Contexte et objectifs de la Directive

L'adoption de l'Acte unique européen en 1986 a marqué un tournant en matière de protection de l'environnement au sein de l'Union européenne [4]. Depuis, la protection de l'environnement est devenue une priorité du droit communautaire [5], avec l'introduction d'un arsenal pénal spécifique. Cependant, la Directive de 2008, première initiative en la matière, visant à établir des règles minimales concernant les infractions et sanctions en matière environnementale, a révélé de nombreuses lacunes. Un faible nombre de condamnations, des sanctions insuffisamment dissuasives et des disparités dans son application par les États membres ont limité son efficacité.

Par ailleurs, un rapport d'Eurojust a mis en lumière l’ampleur de la criminalité environnementale, qui constitue la quatrième activité criminelle la plus répandue au monde, représentant une source majeure de financement pour la criminalité organisée, avec un profit total estimé à 260 milliards de dollars par an [6]. Face à ces constats, le Parlement européen a adopté une nouvelle Directive établissant des règles minimales pour définir les infractions et sanctions pénales visant à protéger l’environnement, tout en renforçant l’efficacité du droit européen [7].

  • La création de nouvelles infractions environnementales

L'un des axes majeurs de la Directive (UE) n° 2024/1203 réside dans l'élargissement des infractions environnementales. L'article 3 de la Directive institue vingt nouvelles infractions que les États membres sont tenus de transposer dans leur législation. Ce socle minimal peut être complété par des infractions supplémentaires décidées au niveau national [8]. Ces comportements sont qualifiés comme une infraction pénale dès lors qu’ils sont illicites et commis intentionnellement ou par négligence.

Parmi les nouvelles infractions figurent :

  • la fabrication, le stockage et l'exploitation illégale du mercure ;
  • le recyclage illégal de composants polluants des navires ;
  • le rejet illégal de substances polluantes par les navires ;
  • l'exploitation illégale des ressources en eau susceptibles de nuire à l'état écologique des masses d'eau ;
  • l'introduction ou la propagation d'espèces exotiques envahissantes ;
  • la production, l'exploitation ou le rejet de gaz à effet de serre fluorés.

Certaines infractions, comme l'introduction d'espèces exotiques envahissantes, peuvent être commises par négligence, et non seulement de manière intentionnelle [9]. Par ailleurs, la Directive prévoit des critères d’évaluation des dommages causés, notamment la réversibilité des dommages et le respect des obligations légales liées à l'activité incriminée. Elle impose également de prévoir la répression des tentatives d'infractions et définit des circonstances aggravantes, telles que la commission de l'infraction par un agent public ou la recherche de bénéfices financiers.

Ces mesures renforcent substantiellement la protection de l’environnement en harmonisant les standards et en instaurant des sanctions plus sévères.

  • Le durcissement des sanctions

Pour combler, les insuffisances de la Directive (CE) 2008/99, la Directive (UE) n° 2024/1203 introduit des sanctions plus strictes, spécifiques et détaillées, visant à garantir une réponse pénale efficace et dissuasive. En effet, l’ancienne Directive se contentait de préciser que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les infractions visées aux articles 3 et 4 soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives » [10].

En plus de fixer des peines minimales pour certaines infractions, la nouvelle Directive prévoit des peines pouvant atteindre 10 ans d’emprisonnement (pour certaines infractions causant la mort d’une personne). Elle instaure plusieurs sanctions principales et complémentaires.

À titre d’exemple, la fabrication, l'utilisation, le stockage ou l'importation illégale de mercure, si cela entraîne la mort d'une personne, est passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins dix ans. La captation illégale de ressources en eau, causant des dommages substantiels irréversibles à la qualité du sol ou de l'eau, peut quant à elle entraîner une peine d'emprisonnement maximale de huit ans.

La Directive ajoute également des amendes pour les personnes morales, calculées en fonction de la gravité du comportement et de la situation financière de l'entité concernée. En outre, plusieurs peines complémentaires sont prévues pour les personnes physiques, comme l'exclusion d'accès à des financements publics, la suspension d'autorisations d'exploiter ou l'interdiction temporaire d'exercer des fonctions publiques. Pour les personnes morales, des sanctions telles que l'exclusion d'aides publiques, l'interdiction d'exercer certaines activités ou la fermeture de l'établissement responsable de l'infraction peuvent être appliquées.

Enfin, la Directive encourage la réparation des dommages environnementaux. Les auteurs d’infractions sont incités à restaurer l'environnement dans son état antérieur à l'infraction ou, à défaut, à verser une indemnisation. Ces mesures visent à encourager la prise de responsabilité des entreprises et des individus impliqués dans des infractions environnementales.

  • Mesures de prévention et de mise en œuvre

Outre les sanctions, la Directive introduit plusieurs mesures complémentaires visant à prévenir les infractions et à améliorer l'application des normes environnementales. Les États membres devront notamment :

  • définir des délais de prescription minimum [11] ;
  • mettre en place des outils d'enquête efficaces et proportionnés [12] ;
  • protéger les lanceurs d'alerte signalant des infractions environnementales [13] ;
  • adopter des mesures de prévention pour réduire le risque de criminalité environnementale [14];
  • organiser une formation spécialisée pour les acteurs impliqués dans les enquêtes pénales environnementales [15] ;

En ce sens, les articles 17 à 18 de la nouvelle Directive précisent que la formation régulière et spécialisée des magistrats et des enquêteurs est essentielle pour garantir l’efficacité de la lutte contre ces infractions.

  • Absence de la création d'un crime d'écocide

Bien que le crime d'écocide ait été largement discuté au niveau international et dans certains États membres, il n’est pas explicitement inscrit dans la Directive. Toutefois, l'article 3 de la Directive (UE) n° 2024/1203 évoque des « infractions qualifiées » qui couvrent certains comportements assimilables à un écocide. Il s'agit de comportements entraînant la destruction d'écosystèmes de grande envergure ou des dommages irréversibles et substantiels à la qualité de l'air, du sol ou de l'eau. Le considérant 21 de la Directive (UE) n° 2024/1203 mentionne également que ces infractions peuvent englober des actes similaires à un écocide, déjà reconnu dans certaines législations nationales et en cours de discussion dans les forums internationaux.

En conclusion, la Directive (UE) n° 2024/1203 constitue une avancée significative dans la lutte contre la criminalité environnementale, avec l'introduction de nouvelles infractions, un durcissement des sanctions et des mesures de prévention. Toutefois, l’absence de reconnaissance explicite du crime d’écocide témoigne d’un compromis, laissant la porte ouverte à des discussions futures au niveau international. Les États membres devront mettre en œuvre ces nouvelles dispositions dans une stratégie cohérente et ambitieuse, pour garantir la protection de l’environnement.

 

[1] Directive (UE) n° 2024/1203 du Parlement européen et du conseil du 11 avril 2024, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et remplaçant les Directives 2008/98/CE et 2009/123/CE, JO, L 2024/1203, 30 avril 2024.

[2] Directive (CE) n° 2008/99 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal N° Lexbase : L1148ICI, JO, L 328 du 6 décembre 2008.

[3] Directive (CE) 2009/123 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, modifiant la Directive 2005/35/CE relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions N° Lexbase : L8799IEM, JO, L 280 du 27 octobre 2009.

[4] Acte unique européen, 28 février 1986.

[5] Article 3 du TUE N° Lexbase : L2130IPL ; Article 21 du TFUE N° Lexbase : L2518IPX ; Article 37 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

[6] Report on Eurojust’s Casework on environmental Crime, Criminal justice across borders, January 2021.

[7] Article 1 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[8] Article 3, paragraphe 5 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[9] Article 3 paragraphe 4 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[10] Article 5 de la Directive (CE) n° 2008/99.

[11] Article 11 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[12] Article 13 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[13] Article 14 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[14] Article 16 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

[15] Article 18 de la Directive (UE) n° 2024/1203.

newsid:491543

Fonction publique

[Dépêches] Mobilité entre secteurs public et privé d'un agent public contractuel : un parcours encadré de manière trop sévère

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1120 QPC du 24 janvier 2025 N° Lexbase : A42206RQ

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N1564B3C

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par Yann Le Foll

Le 27 Janvier 2025

L’interdiction de recrutement par l’administration d’un agent contractuel au cours des trois années suivant la date de notification de l’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est contraire à la Constitution.

Chaque année, des agents publics rejoignent le secteur privé, ce qu’on appelle le « pantouflage » et peut poser des problèmes de conflits d’intérêts. La HATVP veille alors à ce que ces conflits ne soient pas réalisés (lire La reconversion des membres du Gouvernement au risque du « pantouflage » - Questions à Jean-François Kerléo, Professeur de droit public, Université Aix-Marseille N° Lexbase : N6390BZP).

Elle intervient aussi pour encadrer le recrutement d’agents contractuels par l’administration. En cas de non-respect d’un avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité, l’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé pour une durée de trois années (CGFP, art. L. 124-20 N° Lexbase : L6233MBH).

Or, cette interdiction, qui s’applique à compter de la date de notification de l’avis en cas de non-respect de celui-ci ou à compter du début de l’activité en cause en cas d’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique, constitue une sanction ayant le caractère d’une punition.

Cette sanction s’applique automatiquement, sans que l’administration ne la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

Elle méconnaît le principe d’individualisation des peines, ce qui la rend contraire à la Constitution.

newsid:491564

Marchés publics

[Jurisprudence] Exclusions de la commande publique : acheteurs, attention à ne pas viser trop large

Réf. : TA Marseille, 2 décembre 2024, n° 2411745 N° Lexbase : A08136LP

Lecture: 9 min

N1562B3A

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par Johan Sanguinette, Avocat à la Cour

Le 24 Janvier 2025

Mots clés : commande publique • exclusion • sanction • résiliation • manquements

Une ordonnance de référé précontractuel rendue le 2 décembre 2024 par le tribunal administratif de Marseille précise les frontières du champ d’application du motif d’exclusion facultatif prévu par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.


 

En l’espèce, un candidat avait été évincé d’une procédure de passation d’un marché public de transport et de traitement de déchets au motif qu’il se trouvait dans le cas d’exclusion prévu par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4441LRW, lequel dispose, pour rappel, que : « L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de la commande publique antérieur » [1].

L’opérateur a alors saisi le juge du référé précontractuel afin de faire annuler la décision l’excluant.

À la lecture de l’ordonnance, on comprend que la commune a tenté de justifier cette décision en invoquant plusieurs éléments factuels différents, qu’il s’agisse de manquements contractuels passés révélés dans le cadre d’un reportage de télévision, de sanctions appliquées par le préfet au titre de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ou encore de l’ouverture d’une instruction pénale au titre d’agissements commis dans le cadre de l’exécution d’un précédent marché.

Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille annule toutefois la décision d’exclusion du requérant, ainsi que la procédure de mise en concurrence au stade de l’analyse des candidatures, après avoir écarté successivement tous les justifications apportées par la commune, au motif qu’aucune d’entre elles ne relève du périmètre de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.

Cette décision met en lumière les enjeux qui s’attachent au champ d’application matériel (I.) et organique (II.) de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.

I. Le champ d’application matériel de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique

Pour écarter les arguments avancés par la commune, l’ordonnance commentée considère que les faits invoqués ne sont pas de ceux envisagés par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.

  1. Premièrement, le juge des référés considère que la commune ne peut pas tenir compte de prétendus manquements contractuels commis au titre d’un marché public conclu avec un acheteur tiers, évoqués dans le cadre d’un reportage de télévision.
  2.  
  3. Outre que la valeur probante d’une émission de télévision est très discutable, la position du tribunal administratif de Marseille se justifie surtout par le fait que l’article L. 2141-7 du Code de commande publique n’est pas conditionné uniquement à l’existence d’un manquement contractuel, mais encore faut-il que ledit manquement ait été sanctionné par une résiliation, des dommages et intérêts ou toute autre sanction comparable.

Le juge des référés a donc retenu une interprétation stricte de la disposition législative en cause.

A contrario, on rappellera que le juge des référés du tribunal administratif de Nice avait pu retenir, à titre d’exception, une interprétation plus extensive en admettant qu’un acheteur se fonde sur l’existence de manquements contractuels commis au titre d’un marché antérieur mais non sanctionnés, car ils avaient été constatés postérieurement à l’exécution du marché concerné [2].

Le juge des référés niçois avait rattaché sa lecture de l’article L. 2141-7 aux objectifs qui servent de fondement à tous les motifs d’exclusion, c’est-à-dire permettre à l’acheteur de s’assurer de l’intégrité et la fiabilité de chacun des opérateurs économiques qui participent à une procédure de passation d’un marché public.

Dans la décision commentée, le juge des référés n’a pas suivi cette voie et a fait preuve d’une approche plus littérale et objective du texte, en conditionnant l’exclusion à l’existence d’une sanction. 

Deuxièmement, le juge des référés refuse également de prendre en considération le fait qu’une instruction pénale serait en cours à l’encontre de l’entreprise en raison des manquements contractuels évoqués dans l’émission de télévision.

Cette position nous paraît cohérente à double titre.

D’une part, une fois encore, une instruction pénale en cours ne constitue pas une sanction prononcée en raison d’un manquement contractuel grave ou persistant.

Étant précisé que considérer le contraire irait vraisemblablement à l’encontre du principe de présomption d’innocence, inhérent à la procédure pénale.

D’autre part, l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique aurait d’autant moins de raisons d’être appliqué en présence d’une condamnation pénale qu’il existe des motifs d’exclusion spécifiques pour ce motif.

En effet, les articles L. 2141-1 N° Lexbase : L1524MHW et L. 2141-4, 1° N° Lexbase : L1519MHQ du Code de commande publique prévoient des motifs d’exclusion de plein droit lorsqu’une entreprise a fait l’objet d’une condamnation au titre diverses infractions pénales, telles que, par exemple, le délit de favoritisme [3], la prise illégale d’intérêt [4] ou encore la corruption [5].

L’aspect pénal devrait donc être pris en considération dans le cadre des deux dispositions susmentionnées pour justifier une exclusion de la commande publique, de telle sorte que soit l’entreprise est condamnée, et elle est donc exclue de plein droit de la commande publique ; soit l’entreprise est relaxée, et l’existence de poursuites pénales ne peut alors pas justifier une exclusion.

  1. Troisièmement, le juge des référés considère que l’application d’une sanction administrative prononcée par le préfet au titre de la police des ICPE ne relève pas du champ d’application de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.

En effet, une telle sanction est prise en cas de manquement au droit de l’environnement, notamment en cas de méconnaissance des stipulations d’un arrêté d’exploitation.

Il ne s’agit donc pas d’une sanction prise en raison d’un manquement contractuel au sens de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique

  1. Quatrièmement, le juge des référés poursuit son raisonnement en précisant que, « à supposer (…) qu’elle pourrait constituer une sanction » au sens de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique, la sanction administrative de 5 000 euros prononcée par le préfet n’est en tout état de cause pas comparable à une résiliation ou des dommages et intérêts applicables en cas de manquement grave ou persistant à des obligations contractuelles.

Ce dernier point met au jour le caractère éminemment subjectif de la notion de « sanction comparable ».

En effet, si une résiliation ou le versement de dommages et intérêts constituent des éléments factuels objectifs aisément constatables, la notion de « sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant » pose de nombreuses questions :

  • d’abord, quel type de sanction est comparable à une résiliation ou des dommages et intérêts ?

Si une exécution aux frais et risques du marché semble pouvoir raisonnablement constituer une « décision comparable », l’analyse est autrement plus complexe s’agissant de pénalités.

Faudrait-il déterminer un seuil, en valeur absolue ou rapportée au montant du marché, au-delà duquel des pénalités seraient comparables à une résiliation ?

  • ensuite, la notion de « manquement grave » implique nécessairement une part d’appréciation in concreto, de la même façon que lorsqu’il s’agit d’apprécier le bien-fondé d’une décision de résiliation pour faute.
  • enfin, la notion de « manquement (…) persistant » peut donner lieu à de nombreuses interprétations.

S’agit-il d’un manquement qui a perduré pendant un laps de temps donné ? Mais dans ce cas, se pose à nouveau la question d’un seuil au-delà duquel le manquement deviendrait « persistant ».

Ou s’agirait-il d’un manquement qui est toujours caractérisé au moment où l’acheteur prononce l’exclusion sur le fondement de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique ? 


De nombreux éclairages sont donc encore à attendre de la part des juridictions administratives pour l’application des articles L. 2141-7 et L. 3123-7 N° Lexbase : L4365LR4 du Code de la commande publique. 

II. Le champ d’application organique de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique

La décision commentée permet également d'aborder le sujet de l’application organique de l’article L. 2141-7, sans toutefois apporter de réponses certaines.

La sanction administrative de 5 000 euros invoquée par la commune pour justifier sa décision d’exclusion avait été prononcée non pas à l’encontre de la société candidate, mais à l’égard d’une société du même groupe.

La question se posait donc de savoir s’il était possible de tenir compte d’une sanction prononcée à l’encontre d’une entreprise liée au candidat, et non pas directement contre celui-ci.

L’ordonnance commentée contourne le sujet et écarte l’argument en se fondant sur la méconnaissance du champ d’application matériel de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.

Il n’en demeure pas moins que cette question se pose pour l’application de tous les motifs d’exclusion.

D’un côté, le principe de personnalité juridique conduirait à considérer qu’en dépit des liens capitalistiques, chaque société doit être appréhendée comme une entité autonome pour l’application des motifs d’exclusion de la commande publique.

De l’autre, on ne saurait ignorer que certaines filiales ne disposent pas d’une autonomie de gestion, de sorte qu’elles pourraient se confondre avec leur société-mère, ce que le Conseil d’État a déjà pu juger en matière de commande publique [6].

Des précisions mériteront donc d’être apportées par les juridictions administratives également sur ce point.  

 

[1] L’article L. 3123-7 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4365LR4 contient une disposition équivalente pour les contrats de concession.

[2] TA Nice, 20 septembre 2024, n° 2404905 N° Lexbase : A407359Q.

[3] C. pénal, art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP.

[4] C. pénal, art. 432-12 N° Lexbase : L1290MAZ.

[5] C. pénal, art. 432-11 N° Lexbase : L5519LZG.

[6] CE, 8 décembre 2020, n° 436532 N° Lexbase : A225439D.

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