Le Quotidien du 21 avril 2025

Le Quotidien

Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] L’impact de la révolution digitale sur l’activité professionnelle d’un cabinet d’avocats - Questions à Laurent Szuskin, avocat associé, Baker McKenzie

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Le 18 Avril 2025

Mots clés : digital • cloud • intelligence artificielle • données personnelles • confidentialité

Les dix dernières années sont véritablement celles de la transformation digitale de nos modes de vie, qu’elle concerne nos loisirs (musique et achats en ligne) ou notre activité professionnelle (intelligence artificielle générative). Pour comprendre comment cette révolution influe au quotidien sur l’activité d’un cabinet d’avocats spécialisé dans ce domaine, Lexbase a rencontré Laurent Szuskin, avocat associé, Baker & McKenzie*.


 

Lexbase : De quelle manière ont évolué les activités numériques « grand public » (e-commerce, musique en ligne) ces dix dernières années ?

Laurent Szuskin : Les modifications en matière de consommation de musique ont été très significatives avec l'avènement et le développement de l'offre digitale. Selon une étude de juin 2024, 41 millions de 15-80 ans (81%) en France, écoutent au moins un contenu en audio digital chaque mois.  Des services en ligne comme Spotify, Apple music, Amazon music, YouTube music et Deezer, dominent le marché du streaming musical. Ces plateformes digitales permettent non seulement d'écouter et de découvrir de nouveaux talents, mais aussi de diriger les utilisateurs vers les artistes les plus établis via des playlists et autres recommandations.

Les réseaux sociaux ont également un impact significatif sur la découverte et la consommation de musique, influençant parfois même le style musical, comme avec TikTok et ses « trends ».  Les algorithmes de recommandation sont très puissants, et les influenceurs jouent un rôle majeur dans la promotion des artistes, bien que leur rémunération reste parfois opaque, ce qui soulève des questions sur leur indépendance.

L'impact économique de la musique digitale a été plus favorable pour les artistes reconnus, car l'offre légale gratuite ou à bas prix réduit le piratage qui les affectait. Cependant, pour les artistes en développement, dont les titres apparaissent parmi des milliers d'autres chaque semaine sur les plateformes, la rémunération par stream ne leur permet pas de vivre de leur art. Ils doivent donc chercher des modes alternatifs ou complémentaires de rémunération, tels que les concerts, le live, ou le « djing ».

L'intelligence artificielle dans le monde musical représente à la fois une opportunité et un risque. Elle peut constituer un outil d'aide à la production musicale, améliorer la recommandation de titres et rendre plus efficace la lutte contre le piratage. Cependant, elle peut aussi générer des musiques sans auteur, favoriser la contrefaçon, etc.  

En ce qui concerne le e-commerce, la croissance exponentielle est sans doute amenée à se poursuivre, grâce à la facilité d’achat induite par la technologie, le faible coût relatif des smartphones, tablettes et ordinateurs, et la disponibilité des offres 24/24. Le développement des places de marché comme FNAC et Amazon, qui accueillent des vendeurs tiers, ouvre l'accès à des commerçants auxquels vous n’auriez jamais eu accès auparavant. Même les réseaux sociaux deviennent des places de marché.

Le numérique a également permis l'expansion du commerce C2C, avec la revente de produits d'occasion sur des plateformes dédiées et performantes.

Lexbase : La protection des données personnelles demeure un enjeu majeur. Les outils adoptés jusqu'ici sont-ils suffisants selon vous ?

Laurent Szuskin : En Europe, avec le RGPD (Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données N° Lexbase : L0189K8I) et en France avec la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS, nous avons compris depuis longtemps l’importance de la protection des données à caractère personnel. L'effet extraterritorial de ces textes est indéniable. Cependant, ces protections ne sont pas disponibles partout dans le monde, ni réciproques dans certains cas. Un exemple est la difficulté d'encadrer efficacement le transfert de données à caractère personnel entre l'Europe et les États-Unis, compte tenu des nombreux écueils juridiques et jurisprudentiels rencontrés.

Les principaux outils, pour moi, sont les autorités de gouvernance des données, comme la CNIL ou l'EDPB, qui sont très actives sur le sujet. Elles se saisissent actuellement de l'interaction entre intelligence artificielle et données à caractère personnel, qui est sans doute un enjeu majeur des prochaines années tant sur les plans éthique qu'économique.

Une autre limite à l'efficacité de la protection des données personnelles est sans doute le coût pour une entreprise de la mise en conformité à la réglementation, en particulier pour les PME.

Lexbase : Quel a été l'impact de la loi de 2024 visant à sécuriser l'espace numérique sur votre activité ?

Laurent Szuskin : Le premier grand texte français sur « l'espace numérique » a été la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC. Ce texte suivait la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« Directive sur le commerce électronique ») N° Lexbase : L8018AUI. À leur adoption, nos clients ont mis en place des conditions générales de vente en ligne, des termes et conditions d'usage des sites web, souvent issus d'ailleurs d'exemples américains. Il a aussi fallu aux hébergeurs s'armer juridiquement pour répondre aux notifications dites "art. 6" qui se sont mis à pleuvoir, aux griefs d'être des acteurs actifs de la commission de certains dommages (contrefaçons, diffamation, etc.). Il y a aussi eu les grands contentieux français et européens sur la responsabilité des intermédiaires en ligne. Tout ceci a généré beaucoup de travail pour les juristes et avocats, dont ceux de notre firme.

Puis, plus récemment, le DSA (Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques N° Lexbase : L7614MEQ) a été adopté, suivi en 2024 en France par, effectivement, la loi de transposition dite « SREN ».

Notre firme, qui est mondiale, réalise des études multi-juridictionnelles portant sur des réglementations applicables dans tel ou tel secteur pour le compte de ses clients. Nous pouvons ainsi analyser et conseiller localement au regard de ce qui se passe globalement. Par exemple, nous étudions la réglementation ou la jurisprudence européenne et nous conseillons nos clients sur les conséquences impératives qui en découlent pour eux. Nous les assistons sur la manière de s'y conformer, et sur la modification de leurs pratiques contractuelles ou de leurs politiques de gouvernance, le cas échéant . Nous les avertissons aussi sur les règles locales qui peuvent faire obstacle à une harmonisation internationale (par exemple, en matière de droit de la consommation).

Plus spécifiquement en ce qui concerne la loi  « SREN », nous avons conseillé des plateformes en ligne sur leur mise en conformité aux nouvelles règles de transparence -- et autres -- sur les publicités en ligne. Nous avons également conseillé nos clients sur les nouvelles règles en matière d'informatique en nuage (« cloud »). Nous les avons par exemple conseillé sur la nécessité de revoir ou inclure certaines clauses contractuelles puisque la loi de 2024 oblige à l'interopérabilité, à la transition et à la réversibilité des données de la part des fournisseurs de services « en nuage ».

Nous avons aussi aidé des clients à déterminer quelle autorité est compétente sur quel sujet. Vous retrouverez évidemment la CNIL quand le profilage est fait avec des données personnelles. L’ARCOM est également compétente sur certains sujets tels que les deepfakes. L'ARCEP est susceptible d'intervenir dans le cadre de la transposition du « Data act ». La DGCCRF joue son rôle de « gendarme » en matière de pratiques commerciales, et l'Autorité de la concurrence est compétente pour la mise en application du DMA  (Règlement (UE) n° 2022/1925 du 14 septembre 2022, relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique N° Lexbase : A23835XK).

Lexbase : De manière plus générale, comment l'IA va-t-elle selon vous transformer la profession d'avocat ?

Laurent Szuskin : C'est « le » sujet transformationnel en matière d'organisation du travail, de formation des jeunes – et moins jeunes -- avocats, de productivité, de partenariats avec des techs, de compétitivité, etc. Il soulève également des questions juridiques majeures pour nos clients: respect de la propriété intellectuelle, des données à caractère personnel, parmi d'autres.

Cette technologie est une véritable opportunité, même si elle n'est pas encore totalement fiable (les fameuses hallucinations, ou les biais). J'ose espérer qu'elle ne remplacera pas l'avocat ou le juriste mais plutôt qu'elle sera un formidable outil à son usage et lui permettra d'améliorer et d'optimiser son talent, son instinct, en matière de stratégie, d’analyse et de décision.

La GenIA va certainement transformer l’organisation du travail, en permettant notamment la prise en charge d'un certain nombre de tâches répétitives chronophages et à faible valeur ajoutée. 

En revanche, je ne pense pas qu'elle prédira l'issue des litiges, même si elle nous permettra de mieux anticiper et préparer la stratégie judiciaire, de mieux rédiger ou cibler les écritures.

Dès 2021, nous avons mis en place, au sein de notre Firme, un outil dénommé Baker-ML pour « machine learning », développé par une équipe dédiée d'avocats, de data scientists et d'ingénieurs en données. Celui-ci travaille sur des modèles de langage que nous entraînons sur la base de nos propres données et qui sont fermés sur l'extérieur.

Nous utilisons de nombreuses techniques, y compris l'apprentissage actif continu (CAL), pour revoir un grand nombre de documents et pièces dans le cadre de litiges, d'enquêtes et de due diligence en matière de fusions & acquisitions. Notre Département Employment (droit social) déploie l'IA générative (GenAI) pour répondre aux requêtes dans plus de 20 pays pour l'un de nos plus grands clients. Nous allons répliquer cet outil dans d'autres domaines du droit et pour d'autres clients.

En contrepartie, j'imagine que les clients accepteront de rémunérer à leur juste valeur les expertises d'avocats pour des tâches à plus haute valeur ajoutée.

L'intelligence artificielle générative va donc apporter des gains de productivité, ce qui devrait nous permettre de libérer du temps pour toujours et encore améliorer nos services, faire de la planification stratégique et du business development et, pourquoi pas, augmenter le quality-time et notre bien-être physique et mental.

*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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Environnement

[Questions à...] Quel avenir pour l’autoroute « fantôme » A69 ? Questions à Raphaëlle Jeannel, Avocate à la cour, cabinet Huglo Lepage Avocats

Réf. : TA Toulouse, 21 janvier 2025, n° 2407799 N° Lexbase : A38026RA et n° 2407798 N° Lexbase : A35866RA

Lecture: 7 min

N1872B3Q

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Le 18 Avril 2025

Mots clés : environnement • autoroute • espèces protégées • intérêt général • infrastructures

Saisi notamment par des associations environnementales, le tribunal administratif de Toulouse a annulé le 27 février 2025 les projets d’autoroute A69 et d’élargissement de l’autoroute A680, qui avaient été autorisés par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn en mars 2023. Au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il a estimé qu’il ne peut être dérogé aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase a interrogé Raphaëlle Jeannel, Avocate à la cour, spécialiste en droit de l’environnement, cabinet Huglo Lepage*.


 

Lexbase : Le tribunal a estimé que ce projet ne constituait pas une « raison d'intérêt public majeur ». À raison, selon vous ?

Raphaëlle Jeannel : Savoir si oui ou non un projet est justifié par une raison impérative d’intérêt public majeur ou « RIIPM » relève d’une appréciation au cas par cas. Je pourrais vous donner mon avis personnel sur l’opportunité ou non de mener à bien ce projet, mais l’avis d’une praticienne du droit me paraît plus pertinent.

Avec cette casquette de juriste, il faut souligner que c’est précisément l’opportunité de réaliser l’A69 qu’avait à apprécier le tribunal de Toulouse au regard du contexte bien particulier de l’effondrement de la biodiversité. Il n’y a rien de militant dans cette appréciation, c’est tout simplement le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les projets réalisés dans le milieu naturel.

Les législateurs européens et français ont décidé que la préservation de certaines espèces de faune et de flore, dont la survie est menacée, est indispensable afin d’assurer un développement durable en Europe. Ces espèces sont les espèces dites « protégées ». Compte tenu de la menace d’effondrement de la biodiversité, ils ont décidé d’interdire par principe les atteintes qui pourraient y être portées et de ne les autoriser qu’à titre d’exception. Autrement dit, c’est le porteur de projet qui doit démontrer que ce qu’il veut réaliser est plus important que l’impératif de préservation des espèces protégées. S’agissant d’une exception à un principe d’interdiction, l’opportunité de réaliser le projet est appréciée strictement et doit évidemment être solidement établie.

La question soumise au juge de Toulouse était de savoir si le préfet avait légalement décidé que la création de l’A69 était plus importante que la destruction d’espèces de faune et de flore dont l’effondrement des populations est acté. Il a donc apprécié les justifications retenues par le préfet sur la base des éléments transmis par la société ATOSCA.  Ces justifications étaient d’ordre social, économique, et de sécurité publique. À la lecture du jugement, je constate que le tribunal a considéré que nombre des éléments de preuves et notamment des études produites par le porteur de projet étaient insuffisants, entachés d’erreurs, d’omissions, de contradiction ou encore de biais de confirmation. Le tribunal a donc considéré que ni l’État, ni la société ATOSCA n’avaient apporté la preuve d’un bénéfice suffisamment important sur les plans sociaux, économiques et de sécurité, pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur.

Compte tenu de la motivation largement détaillée du jugement et de la défaillance de l’Etat et de la société ATOSCA dans l’administration de la preuve, j’estime que c’est à raison que le tribunal a annulé l’autorisation environnementale permettant la réalisation de l’A69.

Lexbase : Cette décision est-elle préjudiciable au développement économique local comme le défendent les élus locaux ?

Raphaëlle Jeannel : À la lecture du jugement il apparaît clairement qu’il n’est pas établi que la création de l’A69 soit un facteur suffisant de développement économique et que le coût élevé du péage sera dissuasif pour les acteurs économiques. La participation de l’A69 au développement économique local me paraît donc relever bien plus de la croyance que du constat ou du fait.

Lexbase : Un ancien ministre de l'Environnement a dit qu'il considérait que le juge avait outrepassé ses prérogatives. Qu'en pensez-vous ?

Raphaëlle Jeannel : Qu’un ancien ministre de l’Environnement méconnaisse à ce point le droit de l’environnement et remette en cause la légitimité du juge administratif est très inquiétant. Le juge de Toulouse a appliqué la loi française et a largement motivé sa décision.

Le respect du droit par l’administration est un des piliers de notre démocratie. L’administration n’est pas infaillible, raison pour laquelle le juge administratif a le pouvoir de censurer ses décisions. C’est ce qu’il a fait dans ce dossier.

En l’occurrence, ce sont les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne qui ont outrepassé leurs prérogatives en délivrant un arrêté illégal.

Plus largement, les prises de position comme celle de ce ministre viennent nourrir une remise en cause de l’état de droit qui me préoccupe au plus haut point en ma qualité de citoyenne et d’avocate. À cet égard, je voudrais citer Monsieur Dider-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, qui formule parfaitement le fondement de ma préoccupation : « Quand il n’y a pas d’État de droit, on règle nos différends par la force, et c’est le plus fort ou le plus violent qui l’emporte ».

Lexbase : De manière plus générale, tous les grands projets d'infrastructures à venir peuvent-ils se retrouver fragilisés par cette décision ?

Raphaëlle Jeannel : Ça n’est pas ce jugement du tribunal de Toulouse qui les fragilise. C’est la décision insuffisamment pesée de les mener à bien à tout prix.

Déjà, ça n’est pas le premier jugement à mettre un coup d’arrêt à un projet d’infrastructure pour le même motif d’absence de RIIPM. C’est également le cas du contournement routier de Beynac, par exemple [1]. L’État ou la société ATOSCA ne pouvaient donc pas ne pas connaître le risque de remise en cause de l’A69 au stade de sa réalisation. Ce risque a été pris en engageant les travaux sans attendre que le contentieux soit purgé, il doit être assumé.

Ensuite, ça n’est pas parce qu’un projet revêt un intérêt public qu’il est justifié par une raison impérative qui doit au surplus être constitutive d’un intérêt public majeur. Un projet d’infrastructure dans le milieu naturel, doit représenter bien plus qu’un « simple » intérêt public pour pouvoir être mis en œuvre. C’est cette pondération que les porteurs de projets d’infrastructure doivent intégrer à leur prise de décision pour les sécuriser.

À titre d’exemple, la Commission européenne a précisé ce qui peut constituer une RIIPM dans sa communication du 25 janvier 2019 « Gérer les sites Natura 2000 – les dispositions de l’article 6 de la Directive « Habitats » (92/43/CEE) » (2019/C 33/01).

Elle vise « des situations où les plans ou projets envisagés se révèlent indispensables :

dans le cadre d’initiatives ou de politiques visant à protéger des valeurs fondamentales pour la population (santé, sécurité, environnement);

- dans le cadre de politiques fondamentales pour l’État et pour la société;

- dans le cadre de la réalisation d’activités de nature économique ou sociale visant à l’accomplissement d’obligations spécifiques de service public ».

La seule option possible pour sécuriser les grands projets d’infrastructures est que celui qui le porte réponde objectivement à la question de savoir si oui ou non son projet peut être plus important que la perte de biodiversité menacée qu’il entraîne.

Cette question doit se poser au même titre que celle de son intérêt public. Et il doit évidemment y être répondu avant de lancer les procédures d’obtention des autorisations nécessaires et notamment la demande de dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées.

Ce sont ainsi, à mon sens, en réalité les porteurs de projets qui fragilisent leur projet et prennent le risque d’engager des fonds publics à perte en s’engageant, et parfois s’obstinant à le mener à bien sans avoir répondu à cette question en toute objectivité, dans le contexte de l’effondrement de la biodiversité.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] CE, 6° ch., 28 décembre 2018, n° 419918 N° Lexbase : A8500YRA.

newsid:491872

Propriété intellectuelle

[Questions à...] ChatGPT, version « Ghibli », une menace pour le droit d’auteur ? Questions à Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle

Lecture: 8 min

N2100B38

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Le 18 Avril 2025

Mots clés : ChatGPT • Ghibli •  droit d’auteur • propriété Intellectuelle • intelligence artificielle

Intégrée à la dernière version de ChatGPT, une option permet aux utilisateurs de créer des images qui reprennent le style du studio de dessins animés japonais Ghibli, ce qui a provoqué un raz-de-marée sur les réseaux sociaux. Outre les dommages conséquents à l’environnement causés par des data centers en surchauffe, se pose la question de la violation des droits d’auteurs de cette entreprise, son cofondateur Hayao Miyazaki ayant d’ailleurs vertement critiqué cette avancée technologique. Pour en savoir plus sur cette nouvelle polémique, Lexbase a donc interrogé Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle*.


 

Lexbase : En créant des images inspirées du Studio Ghibli sans accord de licence, ChatGPT a déclenché une fronde parmi les auteurs. Pouvez-vous nous expliquer la polémique ?

Vanessa Bouchara : Le studio Ghibli est un studio d’animation japonais fondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata en 1985 qui produit des longs-métrages et des courts-métrages d’animation, ainsi que des téléfilms, séries et jeux vidéo.

Le Studio Ghibli est notamment connu pour ses longs-métrages dont plusieurs ont remporté des succès auprès de la critique et du public. Par exemple : Mon voisin Totoro (1988), Princesse Mononoké (1997) ou encore plus récemment Le Garçon et le Héron (2023).

Depuis le début de l’année 2025, OpenAI a ouvert au grand public une nouvelle fonctionnalité de génération d’images intégrée à ChatGPT permettant aux utilisateurs de transformer une photographie en image qui reprend les codes visuels et emblématiques du Studio Ghibli, sans autorisation.

Cette nouvelle fonctionnalité a suscité un engouement de la part du public et une fronde parmi les auteurs qui considèrent que cela n’est pas respectueux de la propriété intellectuelle.

Effectivement, si on devait considérer que les œuvres du Studio sont protégeables, les déclinaisons de ces œuvres seraient une atteinte aux œuvres premières. Une œuvre est originale lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, ce qui signifie qu’on reconnaît une patte, un style spécifique.

Dans cet exemple, les images générées par ChatGPT reprennent des éléments stylistiques propres au Studio Ghibli (thèmes, personnages, univers visuel), qui sont reconnaissables, et la question qui se pose est celle de savoir si cela porte effectivement atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Studio, voire si cela ne crée pas des agissements parasitaires déloyaux au préjudice du Studio.

Lexbase : OpenAI a justifié sa position en invoquant le style d'un studio, « plus large » que celui d'un artiste vivant

Vanessa Bouchara : Lorsque OpenAI invoque le style d’un studio « plus large » que celui d’un artiste vivant pour justifier la création des images inspirées du Studio Ghibli, elle semble laisser entendre que le Studio n’aurait pas de droits, et fait référence à sa politique de contenu qui ne lui permet pas de répondre favorablement à une demande visant à copier le style d’un artiste vivant.

En effetChatGPT ne permet pas de réalisation « dans le style de (nom d’un artiste contemporain) ». Par exemple, il ne sera pas possible de reprendre des œuvres de Liu Bolin.

En revanche, si vous demandez à ChatGPT de générer une image « dans le style du studio Ghibli », cela fonctionne.

Cette nuance entre artiste et studio pose question dans la mesure où derrière un style se cache en réalité un ou plusieurs artistes comme c’est le cas pour le Studio Ghibli dont Monsieur Hayao Miyazaki est l’artiste et l’âme du studio. Ce n’est pas parce que c’est le style d’un studio qu’il n’y a pas de droits de propriété intellectuelle.

Cette tentative d’OpenAI de procéder à un fonctionnement différent selon l’auteur est surprenante, et ne s’explique pas de manière très cohérente.

Lexbase : Les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d'auteur. Est-ce un danger selon vous ?

Vanessa Bouchara : Le fait que les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d’auteur constitue un danger pour les titulaires de droits.

La problématique de la violation du droit d’auteur ne se pose que pour l’intelligence artificielle générative, c’est-à-dire l’intelligence artificielle utilisée pour créer un nouveau contenu (texte, image), par opposition à l’intelligence artificielle prédictive qui permet de prévoir des tendances.

La phase d’entraînement de l’intelligence artificielle consiste à absorber des données, contenues dans des œuvres, qui sont copiées temporairement lors du traitement de l’œuvre par l’algorithme.

L’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement d’algorithmes d’intelligence artificielle peut être considérée comme une violation du droit d’auteur si elle est effectuée sans l’autorisation préalable du titulaire de droits.

En effet, l’entraînement des modèles d'intelligence artificielle sur des contenus protégés par les droits d'auteur constitue un danger pour les titulaires de droits qui subissent une atteinte injustifiée de leurs droits.

Par ailleurs et en tout état de cause, la reproduction ou l’imitation d’une œuvre existante sans autorisation constitue une contrefaçon selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3360ADS.

Outre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, ces usages non autorisés par le Studio pourraient injustement restreindre la possibilité pour le Studio Ghibli de développer sa propre intelligence artificielle qui générerait ses propres images, étant précisé que les modèles sur lesquelles cette potentielle IA s’entraineraît disposeraient des autorisations pour le faire.  

Lexbase : Comment protéger efficacement les droits d'auteur des œuvres cinématographiques et musicales de ces nouvelles technologies ?

Vanessa Bouchara : En Europe, l’utilisation d’œuvres protégées pour entraîner des IA est encadrée par la Directive (UE) n° 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE. Son article 4 autorise la fouille de données à des fins d’entraînement, y compris sur des contenus sous droit d’auteur, sauf si les ayants droit exercent leur droit d’opt-out (de s'y opposer).

Cette exception européenne a été transposée en droit français à l’article L. 122-5-3, III du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L5287L9P par l’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 N° Lexbase : L7654MSB :

« I.-On entend par fouille de textes et de données, au sens du 10° de l'article L. 122-5, la mise en œuvre d'une technique d'analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d'en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations.

II.-Des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées sans autorisation des auteurs en vue de fouilles de textes et de données menées à bien aux seules fins de la recherche scientifique par les organismes de recherche, les bibliothèques accessibles au public, les musées, les services d'archives ou les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, audiovisuel ou sonore, ou pour leur compte et à leur demande par d'autres personnes, y compris dans le cadre d'un partenariat sans but lucratif avec des acteurs privés.



Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'une entreprise, actionnaire ou associée de l'organisme ou de l'institution diligentant les fouilles, dispose d'un accès privilégié à leurs résultats.


Les copies et reproductions numériques effectuées lors d'une fouille de textes et de données sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins exclusives de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.

Les titulaires de droits d'auteur peuvent mettre en œuvre des mesures proportionnées et nécessaires afin d'assurer la sécurité et l'intégrité des réseaux et des bases de données dans lesquels les œuvres sont hébergées.


Un accord conclu entre les organisations représentatives des titulaires de droits d'auteur et les organismes et institutions mentionnés au premier alinéa du présent II peut définir les bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre de ses dispositions.


III.-Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l'auteur s'y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.

Les copies et reproductions sont stockées avec un niveau de sécurité approprié puis détruites à l'issue de la fouille de textes et de données ».

En d’autres termes, cet article précise que des copies ou reproductions numériques des œuvres peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille. Il ajoute toutefois que l’auteur peut s’y opposer, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis en ligne à la disposition du public.

Pour OpenAI, cela signifie que l’entraînement de son modèle sur des œuvres de Ghibli pourrait être légal au regard du droit européen, en l’absence d’un opt-out explicite. En revanche, entraînement ne veut pas dire génération…

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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