La lettre juridique n°1007 du 19 décembre 2024

La lettre juridique - Édition n°1007

Droit pénal général

[Focus] Le paiement de la dette pénale d'autrui

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N1055B3H

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par Eddy Accarion, Docteur en droit privé et sciences criminelles

Le 18 Décembre 2024

Mots-clés : peine • dette • obligation • responsabilité pénale • transmission • autrui • assurance • principe de personnalité

Les peines sont des dettes. Mais des dettes d’une nature exceptionnelle, puisqu’elles procèdent d’une déclaration de culpabilité et poursuivent une ambition répressive – limitée, entre autres, par le principe supra-législatif de personnalité. Il s’en suit que leur circulation, et donc leur acquittement par une autre personne que le condamné, devrait être proscrite. À l’analyse, il apparaît pourtant que le paiement de la dette pénale d’autrui est doublement permis. En premier lieu, les tiers peuvent choisir d’acquitter directement ou indirectement ce que doit le condamné, notamment parce qu’en l’état du droit positif, les actes juridiques – et spécialement les contrats d’assurance – poursuivant un tel but ne semblent pas contraires à l’ordre public. En second lieu, la loi elle-même organise avec l’approbation du Conseil constitutionnel et en dépit des principes directeurs du droit pénal, la circulation des peines sous trois formes contraignantes que sont la transmission universelle, la garantie et la solidarité. Pour le moins insatisfaisante, cette situation devrait être corrigée, idéalement par l’intervention du législateur.


 

1.              C’est un fait que le droit pénal est astreint au respect de principes que le droit civil ignore. Ainsi des principes de personnalité de la responsabilité et de personnalité des peines, qui comptent parmi les plus illustres [1] et pourtant, parmi les plus éprouvés. Il n’est pas rare, en effet, que la loi fasse supporter à d’autres que le condamné les peines prononcées à son encontre, tandis que la jurisprudence plébiscite depuis peu les transferts de responsabilité pénale entre personnes morales absorbées et absorbantes [2]. Ce phénomène incongru invite bien sûr à la critique, mais aussi à une remise en perspective du droit pénal, dont l’originalité certaine ne peut être appréciée et défendue qu’en contemplation du genre auquel il appartient.

2.              Une remise en perspective obligationnelle du droit pénal. Le droit pénal, que l’on prétend parfois encore autonome, est au contraire irrigué de notions communes qu’il ne lui revient pas d’altérer – un bien ou une personne, par exemple, ne signifient pas autre chose en droit pénal et partout ailleurs [3]. Plus particulièrement, il apparaît que le droit pénal est tout entier voué à la responsabilité [4] et pour cette raison, substantiellement lié au droit des obligations, dont il constitue une ramification exceptionnelle. L’assertion est convenue, mais ses termes méritent que l’on s’en explique.

3.              La responsabilité pénale désigne l’obligation, pour la personne reconnue coupable d’une infraction, de subir la peine que la loi et le juge y attachent. Elle est une déclinaison de la responsabilité juridique qui, de façon générale, s’entend de l’obligation, pour la personne dite responsable, de supporter les conséquences des faits anormaux – infractionnels ou injustement dommageables – survenus dans sa sphère d’autorité – faits personnels ou faits des personnes ou des choses qui lui sont subordonnées [5]. La responsabilité n’est toutefois qu’une variété d’obligation, c’est-à-dire de lien juridique permettant d’exiger d’une personne, qu’on appelle le débiteur, qu’elle accomplisse au profit d’une autre, qu’on appelle le créancier, la prestation à laquelle elle s’est engagée ou – en l’occurrence – que la loi lui impose. Pour la personne qui en bénéficie, l’obligation est un bien – la créance – tandis qu’elle est une charge – la dette – pour la personne qu’elle contraint. Indissociables, la créance et la dette sont les deux versants d’un même rapport de droit personnel dont l’extinction advient généralement par le paiement de ce qui est dû.

4.              Si les rapports unissant le droit pénal au droit des obligations ne sont, dans la plupart des cas, que ponctuellement soulignés, que ce soit pour déplorer la contractualisation du procès pénal ou étudier la disjonction des fautes civiles et pénales d’imprudence, il apparaît que leur ampleur est bien plus fondamentale. Le droit pénal observe en effet une trame obligationnelle : la responsabilité pénale investit l’État d’une créance contre la personne condamnée, qui, corrélativement, se trouve tenue d’accomplir la prestation correspondant à la peine prononcée [6]. Cette sanction, parce qu’elle est une charge pesant sur le sujet passif d’un rapport d’obligation, peut être qualifiée de dette pénale, par une sorte de renvoi de l’espèce répressive au genre obligationnel [7]. Il en va de même, d’ailleurs, des mesures alternatives aux poursuites et de la redevabilité pécuniaire [8] – que l’on délaissera néanmoins. Cela étant, cette légitime dénomination ne saurait faire oublier les irréductibles spécificités du droit pénal.  

 

5.              L’immobilité des dettes pénales. Les principes de personnalité de la responsabilité et de personnalité des peines assurent – ou du moins, exigent – que les dettes pénales ne circulent pas. Le premier signifie que l’on ne peut être condamné pénalement qu’à raison de faits auxquels on a personnellement participé en qualité d’auteur ou de complice [9], et le second, que l’on ne peut être tenu de subir que la peine à laquelle on a été spécialement condamné, au terme d’un effort de personnalisation [10]. Au contraire, la circulation des dettes civiles est admise sans embarras. Les mécanismes à l’œuvre sont d’ailleurs nombreux. Certains, comme l’action directe, la garantie et le cautionnement, ne font que mettre à la charge d’un tiers le paiement de ce que doit le débiteur ; d’autres, comme la cession de dette, la subrogation et le transfert universel de patrimoine, organisent un authentique transfert de dette ; et d’autres encore, à l’instar de la novation, éteignent la dette pour lui en substituer une nouvelle, éventuellement inscrite au passif d’un débiteur différent. 

6.              La bipartition des dettes pénales et civiles est cependant moins nette qu’on le voudrait. En dépit des principes de personnalité, il arrive en effet que les dettes pénales adoptent un mouvement proche des dettes civiles en permettant ou contraignant leur paiement par un tiers. Si nul n’est jamais appelé à subir de privation de liberté en lieu et place du condamné, il peut en aller différemment en matière d’amende et de confiscation..  

7.              La dissidence des peines d’amende et de confiscation. L’amende est une peine principale dite de référence en ce qu’elle contribue à la distinction tripartite des infractions et à la détermination du seuil d’ouverture d’un certain nombre de procédures. Elle désigne l’obligation de payer à l’État une certaine somme d’argent [11] et représentait en 2022, 35 % des peines prononcées à titre principal et 10,4 % de celles prononcées à titre complémentaire, soit au total, 229 804 occurrences [12]. La confiscation est pour sa part une peine alternative et complémentaire [13], dès lors susceptible d’être prononcée en remplacement [14] ou en supplément [15] des peines principales d’amende et d’emprisonnement. Elle consiste en la privation d’un ou plusieurs biens, par principe dévolus à l’État, dont la valeur cumulée atteignait 175,5 millions d’euros en 2023 [16]

8.              Proches par leur nature et leur régime [17], les amendes et confiscations sont fréquemment qualifiées de peines patrimoniales, pécuniaires ou réelles en vue de souligner l’étroitesse du lien les unissant aux possessions du condamné. Leur univers s’y trouve borné : elles n’ont pas « d’incidences morales fâcheuses » et, pour intimidantes qu’elles soient, ont surtout pour avantage de rapporter à l’État au lieu de lui coûter [18]. Est-ce à dire que la vocation naturelle qu’ont les biens à se transmettre devrait leur être communiquée afin d’en faciliter le recouvrement, sur le modèle de ce qui prévaut déjà pour les dettes civiles ? Assurément pas. Mais cette réponse conforme aux principes apparaît démentie par la pratique et par la loi.

9.              L’exclusion des transferts de responsabilité pénale. Le paiement de la dette pénale d’autrui est une anomalie juridique, dont l’ampleur et les fondements doivent être étudiés, ne serait-ce que pour mesurer – et peut-être, conjurer – la gravité des atteintes en résultant. À cette fin, deux situations peuvent être distinguées selon le caractère effectif ou éventuel de la dette pénale en cause. L’une correspond aux cas où la loi fait supporter à un tiers la peine prononcée contre le condamné, tandis que l’autre renvoie au transfert de la possibilité même de voir sa responsabilité pénale engagée – ce que la jurisprudence admet depuis peu en cas de restructuration sociétaire [19]. Cette seconde hypothèse offre de confirmer la tendance initiée par la première. Pour autant, elle ne relève pas, à proprement parler, du paiement de la dette pénale d’autrui, mais de la responsabilité pénale du fait d’autrui – le solvens n’étant pas tenu d’honorer la condamnation d’un tiers, mais personnellement condamné à raison des faits commis par ce dernier. La présente étude ne retiendra donc pas le traitement jurisprudentiel des fusions-absorptions intervenant avant le prononcé de condamnations définitives.  

10.           Plan. La dette pénale résultant de la condamnation à une peine d’amende ou de confiscation peut être théoriquement supportée par les tiers selon deux modalités : soit de façon volontaire, par un paiement choisi (I.), soit de façon involontaire, par un paiement subi (II.).  

I. Le paiement choisi

11.           Il est toujours bienvenu de payer ce que l’on doit. Peut-être moins de payer ce que l’on ne doit pas. Les raisons, pourtant, peuvent être nombreuses : faire d’un tiers son obligé, se libérer d’une dette à son égard ou encore, lui apporter un soutien gratuit, temporaire ou définitif. Le droit civil comprend à ce titre une grande diversité de moyen permettant de s’acquitter de la dette d’autrui, et éventuellement, de lui en demander compte. Leur réception par le droit pénal est en revanche très incertaine. Afin d’en juger, deux situations doivent être opposées, selon que le paiement envisagé est préalablement adressé par acte juridique à la personne du condamné (A.) ou est, au contraire, directement versé à ses créanciers (B.). 

A. Le paiement indirect

12.           Les appels publics aux dons. L’allocation de fonds destinés au paiement de la dette pénale d’une tierce personne n’est appréhendée que de façon très lacunaire par la loi, qui ne règle précisément le sort que des appels publics aux dons. L’article 40 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse punit en effet de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions – par exemple, sous la forme de quêtes ou de cagnottes – ayant pour objet de contribuer au paiement de dettes pénales [20]. Adoptée dans des circonstances houleuses [21] et contre l’avis caustique du député Georges Clémenceau – « Messieurs, vous êtes moins libéraux que le gouvernement de la Restauration… » [22] – cette disposition n’a toutefois pas pour ambition de tarir les participations indirectes au paiement de la dette pénal d’autrui, mais seulement les atteintes à l’autorité de la justice pouvant résulter de leur publicité [23]. Rien n’est dit, en ce sens, des souscriptions en elles-mêmes et de leur sollicitation dans un cadre privé. Dès lors, celles-ci n’encourent pas la répression. L’applicabilité de l’article 40 de la loi de 1881 suppose en outre la préexistence de la dette dont le paiement est recherché, de sorte que les appels aux dons en anticipant le prononcé ne sont pas davantage punissables, ainsi que l’a notamment relevé le tribunal judiciaire de Paris à l’occasion de la très médiatique affaire de la cagnotte de soutien au « boxeur gilet jaune » [24]. De l’avis des juges, le fait de solliciter des dons en prévision d’une prochaine condamnation caractérise néanmoins une pratique contraire à l’ordre public, car « susceptible de contourner l’interdiction » [25] édictée par l’article 40 de la loi de 1881. À défaut de constituer une infraction, la mise en place de telles collectes de fonds est donc au moins susceptible d’annulation.

13.           Au-delà de l’hypothèse, finalement assez restreinte, des appels publics aux dons, la possibilité de procéder au paiement indirect de la dette pénale d’autrui ne peut être appréciée, faute de loi particulière, qu’au regard des principes directeurs du droit pénal et du droit des obligations. La jurisprudence ne s’est toutefois prononcée clairement qu’à propos des contrats d’assurance, dont l’étude servira ainsi de point de départ à celle de l’ensemble des actes juridiques. 

14.           L’assurance pénale. L’impossibilité de souscrire une assurance destinée à couvrir les dettes pénales prononcées contre le preneur est un principe jurisprudentiel bien établi, dont les fondements peuvent être néanmoins discutés. Sa consécration est le fait de deux arrêts. Le premier, rendu par la chambre des requêtes le 20 février 1882 [26], déclare - sans plus de précision - qu’il existe « un principe essentiel d’ordre public » en vertu duquel « il n’est pas permis à un individu condamné comme l’auteur d’un fait délictueux, crime, délit ou contravention, de s’exonérer, au moyen d’un recours en garantie, des conséquences de l’infraction qu’il a commise » ; le second, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 juin 1960 [27], estime de façon plus laconique encore, que le paiement de tout ce qui a la nature d’une amende ne peut faire l’objet d’un remboursement par l’assureur. Oui, mais pourquoi ? Pour toute réponse, la doctrine reprend à son compte l’argument de la contrariété à l’ordre public [28], parfois étayé d’une référence au principe de personnalité des peines [29], ce qui appelle plusieurs remarques. 

15.           Premièrement, il va sans dire que la mention de l’ordre public renvoie à l’exigence de licéité des stipulations et du but du contrat, inscrite aux articles 1162 N° Lexbase : L0884KZR, 1102 N° Lexbase : L0823KZI et 6 N° Lexbase : L2231ABA du Code civil [30].

16.           Deuxièmement, la contrariété d’un contrat à l’ordre public implique la transgression d’une norme impérative [31]. Or, la teneur de la transgression supposément consommée par le contrat d'assurance pénale n'est généralement pas détaillée. Certes, « il arrive qu'un juge annule pour contrariété à l'ordre public un contrat qui n'est pas prohibé par un texte de loi car l'ordre public n'a pas besoin d'être légiféré»[32]. Mais la pratique est critiquable et suppose que le juge s'en explique, ce qu'il ne fait pas ici – le juge peut découvrir l’existence ou le caractère impératif d’une norme, mais seulement en présence d’un texte : il est interprète, pas législateur ; l’ordre public devrait donc toujours disposer d’un fondement textuel, qu’il soit légal, règlementaire, ou supra-législatif. Face au silence persistant de la jurisprudence et de la doctrine sur ce qui justifie la prohibition de l'assurance pénale, faut-il comprendre que ce principe est simplement fondé sur l'arrêt de 1882 ayant énoncé son existence sans se référer à la moindre source ? Le cas échéant, cela ne serait guère satisfaisant. On peut néanmoins supposer qu’en pareil contexte, la contrariété à l'ordre public est en réalité déduite du caractère infractionnel des faits. La norme impérative transgressée par le contrat d’assurance pénale serait donc l’incrimination même. Mais ce raisonnement est spécieux [33]. Car c’est une chose assurément illicite que d’apporter son concours à la commission d’une infraction, et c’en est une autre que de simplement prendre en charge tout ou partie de ses conséquences pénales – ce qu’aucun texte n’empêche. On objectera sans doute que cette distinction est illusoire, car l’assurance altère la menace dissuasive dont est assortie l’infraction, et reviendrait donc à en encourager la commission  [34]. Ce à quoi on répondra que l’argument est vain, puisqu’il s’oppose au principe même de l’assurance, et que la réalisation du risque n’est jamais souhaitée par l’assureur. En toute hypothèse, on ne peut assimiler le paiement à la participation, sauf à vouloir qualifier l’assureur de commanditaire ou de complice, ce qui n’est pas l’ambition. Du reste, la possibilité de prendre en charge les conséquences civiles de faits pourtant constitutifs d’une infraction n’est pas sérieusement contestée. 

17.           Troisièmement, la référence au principe de personnalité des peines pourrait convaincre, tant il est indéniable que se répartir par contrat la charge des amendes et confiscations altère leur caractère personnel. Néanmoins, ce n’est pas aux cocontractants que s’adressent les principes directeurs du droit pénal, mais à l’État et ses agents législatifs, judiciaires et exécutifs, puisqu’il s’agit de contraintes visant à empêcher le pouvoir répressif de dégénérer en instrument d’oppression – soit autant de manifestations de l’idéal de sûreté [35]. Or, l’on voit mal comment une règle pourrait être transgressée par des personnes qui ne sont pas tenues de l’observer. Le principe de personnalité de peines signifie, on l’a dit [36], que les peines doivent être personnalisées et infligées aux seuls coupables. Sa méconnaissance est donc hors de portée de l’assureur et du preneur : il n’est pas en leur pouvoir de déterminer et de prononcer les peines, et pas non plus de faire en sorte que l’un soit condamné à la place de l’autre ; payer volontairement la dette pénale d’autrui ne fait pas acquérir par subrogation la qualité de coupable ou de condamné. Il semblerait ainsi que l’illicéité de l’assurance pénale ne puisse être rigoureusement fondée sur le principe de personnalité des peines – ou sur celui de personnalité de la responsabilité.

18.           À la vérité, ce que l’assurance pénale contrarie n’est pas tant le principe de personnalité des peines que le succès des ambitions rétributives et préventives qu’il est censé permettre ; sans en empêcher l’application, elle en altère les effets. Partant, si la nullité du contrat d’assurance pénale ne peut être obtenue sur le fondement – avantageux, car systématique – de la contrariété à l’ordre public, il devrait être néanmoins possible de la prononcer pour fraude, laquelle désigne le comportement destiné à éluder l’application normale d’une règle impérative  [37], serait-elle adressée à d’autres que les contrevenants – ce qui, supposément, permet d’inclure l’inhibition des effets de la peine. Cependant, la caractérisation de la fraude requiert une appréciation concrète et subjective, parce qu’elle implique d’établir que l’acte litigieux – le contrat d’assurance – a été accompli dans le seul but de tenir la norme en échec [38]. Or, la chose n’est pas forcément aisée. Une simple loi épargnerait toutefois de telles circonvolutions, en disposant expressément que tout contrat destiné à faire supporter à l’assureur la charge des dettes pénales du preneur est frappé de nullité. Que l’on ne s’y trompe pas : le principe de la prohibition de l’assurance pénale doit être maintenu. À cette fin, mieux vaudrait simplement qu’il soit fondé juridiquement. 

19.           Pour terminer, on rappellera que, dans tous les cas, l’assurance ne peut couvrir les conséquences de « fautes intentionnelles ou dolosives » [39]. Celles-ci jurent en effet avec le caractère aléatoire du contrat [40] – « l’événement cesse alors d’être incertain puisque sa réalisation a été sous l’entière dépendance de l’assuré » [41]. Les dettes pénales – et civiles – issues d’infractions volontaires sont donc tout à fait inassurables. Non en raison des principes du droit pénal ou de la condition de licéité du contrat, mais simplement parce que l’incertitude inhérente aux conventions d’assurances l’exige [42].

20.           Les prêts et libéralités destinés au paiement de la dette pénale d’autrui. Les éléments de résolution venant d’être dégagés peuvent être pour partie étendus au paiement indirect par prêts ou libéralités, dont la contrariété à l’ordre public n’est pas plus susceptible d’être déduite de l’infraction même ou du principe de personnalité des peines. Ainsi, consentir un prêt au condamné ou le faire bénéficier de dons ou de legs destinés au paiement de sa dette pénale n’est probablement pas illicite en soi – comme le suggère a contrario l’article 40 de la loi de 1881 [43]. L’annulation de tels actes juridiques pourrait toutefois être recherchée sur le fondement de la fraude, en prouvant que leur unique but était de tenir en échec, sinon la personnalité des peines, au moins les ambitions rétributives et préventives de ces dernières. On réitèrera néanmoins qu’une loi particulière, qualifiant expressément de but illicite le paiement de la dette pénale d’autrui, aurait l’avantage de grandement simplifier la situation. L’opportunité d’une intervention législative pourrait d’ailleurs apparaître ici plus vive qu’en matière d’assurance pénale. Car s’il est vrai que cette dernière comprend un élément d’anticipation, dont on pourrait craindre qu’il ne favorise les comportements punissables, les prêts et libéralités ont en revanche cela de particulier qu’ils ne sont pas d’office exclus du giron des infractions volontaires, dont la sanction pourrait dès lors être acquittée par un tiers.

21.           Bilan. Le paiement indirect de la dette pénale d’autrui ne semble pas, contre l’avis général, illicite et ce faisant, annulable. Sa méconnaissance de l’ordre public ne peut être déduite, en effet, ni de l’infraction elle-même – car payer n’est pas commettre – ni du principe de personnalité des peines – qui ne s’adresse qu’à l’État et ses agents. En outre, on peut douter qu’un principe jurisprudentiel de prohibition des contrats destinés au paiement de dettes pénales existe valablement, les arrêts rendus en ce sens étant rares, anciens et sans autre fondement qu’eux-mêmes. Il ne reste donc que l’option de la fraude à la loi pénale, et spécialement, aux ambitions de la peine, pour faire annuler de tels actes juridiques. Aussi une intervention législative serait-elle souhaitable.  

B. Le paiement direct

22.           Les modalités du paiement. Payer directement la dette pénale du condamné, sans lui adresser à titre transitoire les sommes destinées à le libérer, est une opération dont la licéité apparaît d’emblée douteuse. Mais est-elle, au préalable, ne serait-ce que techniquement réalisable ? S’en convaincre implique de s’intéresser brièvement aux modalités du paiement.

23.           Le recouvrement des dettes pénales [45] est effectué au nom du procureur de la République et confié, par principe, aux comptables de la direction générale des finances publiques [44]. Concrètement, les modalités du paiement dépendent du type de dette à acquitter. S’il s’agit d’une amende forfaitaire – contraventionnelle ou délictuelle – les options ouvertes sont le télépaiement, le paiement par courrier ou par virement, le paiement auprès de l’agent verbalisateur, le paiement dans un centre des finances publiques et, de façon plus originale, le paiement direct ou par acquisition d’un timbre dématérialisé auprès d’un buraliste [46]. Dans les autres cas, seul le paiement dans un centre des finances publiques est généralement ouvert [47]. Il appert ainsi que le paiement direct par une tierce personne est une hypothèse pratiquement envisageable, puisque la provenance du paiement et donc, l’identité du solvens ne sont jamais évoquées [48]. L’opération pourrait, par exemple, prendre la forme d’un virement ou d’un télépaiement effectués depuis le compte d’un tiers, ou d’un paiement au moyen de la carte bancaire ou des liquidités de celui-ci auprès d’un buraliste ou d’un centre des finances publiques. Mais si le paiement direct de la dette pénale d’autrui apparaît effectivement possible, sa validité juridique reste en revanche en suspens. 

24.           La nature juridique du paiement. On ne peut se contenter d’apprécier l’effet libératoire du paiement direct en lui appliquant les solutions retenues à l’égard du paiement indirect. Car la validité de ce dernier est toujours tributaire de l’acte juridique permettant d’adresser au condamné les sommes qu’il doit acquitter. Or, il n’est pas certain que le paiement direct – le paiement en lui-même – soit un acte juridique. Sa nature, en effet, demeure discutée [49]. Prudemment, on s’abstiendra de prendre parti, d’autant plus que le paiement pourrait fort bien avoir une nature duale et alternative, fonction de la prestation en laquelle il consiste [50]

25.           Première hypothèse : le paiement est un acte juridique. Si le paiement direct de la dette pénale d’autrui devait être qualifié d’acte juridique, sa licéité s’apprécierait dans des conditions similaires à celles, précédemment approfondies, du paiement indirect – insusceptible d’être annulé en raison de la contrariété de son but à l’ordre publique, il demeurerait toutefois possible de le contester sur le terrain de la fraude [51].

26.           Seconde hypothèse : le paiement est un fait juridique. La question de la licéité d’un fait juridique ne se pose pas, en ce sens, du moins, que l’on n’en poursuit jamais l’annulation ; un fait contraire aux prescriptions du Droit est soit source de responsabilité, soit dépourvu de l’effet escompté. D’évidence, le paiement de la dette pénale d’autrui n’est ni un fait dommageable, ni une infraction à part entière, ni même un mode de participation à l’infraction dont la sanction est acquittée – sauf à constituer, en cas d’entente préalable, une forme de complicité par provocation [52]. Il ne s’agit donc pas, de façon générale, d’une source de responsabilité. Pour autant, un tel paiement est-il susceptible d’éteindre la dette du condamné ? Le droit pénal n’en dit mot. Aussi convient-il, là encore, de s’en remettre, faute de disposition particulière, aux préceptes du droit des obligations. 

27.           Le refus et l’opposition légitime. L’article 1342-1 du Code civil N° Lexbase : L0674KZY, dont l’applicabilité ne s’embarrasse d’ailleurs pas de la distinction des actes et des faits juridiques, prévoit que « le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier ». La doctrine indique qu’un tel refus peut résulter du caractère intuitu personae du contrat – considération qu’il convient d’étendre à l’ensemble des sources d’obligations – ou des particularités du rapport unissant le créancier au débiteur [53] – dont notamment, la possibilité pour l’un d’opposer à l’autre des exceptions personnelles ou inhérentes à la dette. De ces deux motifs, seul le premier apparaît transposable à la dette pénale, dont la nature hautement singulière est notamment attestée par les principes de personnalité de la responsabilité et des peines. Suffisamment, en tout cas, pour que l’on puisse concevoir la légitimité d’un refus du paiement de la dette pénale d’autrui. Partant, les agents comptables de la direction générale des finances publiques – et leurs relais – devraient invariablement refuser qu’une personne s’acquitte d’une autre peine que la sienne. Toutefois, il est également à remarquer que le fait même d’être payé constitue un intérêt légitime concurrent, et qu’éconduire un paiement au motif que le solvens n’est pas le débiteur suppose d’en avoir conscience, ce qui pourrait ne pas toujours être le cas. 

28.           Au refus légitime du créancier prévu par l’article 1342-1 du Code civil, il faudrait aussi ajouter l’opposition du débiteur qui, cependant, n’a pas été consacrée par le législateur [54]. De prime abord, on pourrait ne pas voir, il est vrai, l’intérêt qu’aurait le condamné à empêcher qu’un autre ne supporte ce qu’il doit. Pourtant, il est concevable que celui-ci désire, pour des raisons purement morales, payer seul sa dette envers la société – et ne pas se retrouver obligé, ne serait-ce que par un devoir de conscience, à l’égard d’un tiers. En outre, il est des cas où le paiement vaut reconnaissance de culpabilité et ferme donc la possibilité de contestations. L’article L. 223-1 du Code de la route N° Lexbase : L1338LKR dispose en ce sens que « la réalité d’une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d’une amende forfaitaire ou l’émission du titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée, l’exécution d’une composition pénale ou par une condamnation définitive ». Le Conseil d’État précise toutefois que le conducteur n’ayant pas élevé de contestation dans le délai qui lui était imparti ne peut ensuite se prévaloir de ce que l’option lui aurait été fermée par le paiement de l’amende par un tiers [55], ce qui sous-entend que le paiement par un tiers au cours du délai imparti pour contester la matérialité des faits ne devrait point y faire obstacle.

29.           Cession de dette pénale et délégation. Il résulte de ce qui précède que le paiement direct de la dette pénale d’autrui est techniquement envisageable et pourrait produire l’effet libérateur escompté chaque fois que, par mégarde ou par choix, les comptables publics ne le refusent pas. Cela étant, le condamné pourrait-il valablement organiser jusqu’à la cession de sa dette pénale ou la délégation de son paiement ? Assurément pas, puisque l’une et l’autre de ces opérations supposent un accord que le créancier ne saurait ici donner. La commercialité de l’action publique, c’est-à-dire sa propension à faire l’objet d’actes juridiques, est extrêmement limitée [56] – et contestée [57]. Par conséquent, il ne peut être sérieusement envisagé que les agents de recouvrement du droit pénal admettent – à défaut de dispositions particulières les y autorisant – de telles manipulations des obligations répressives du condamné. Car si les peines, notamment d’amende et de confiscation, sont bien des dettes, on ne saurait admettre qu’il en soit fait commerce comme s’il s’agissait de simples rapports privés. 

30.           Bilan. Le paiement de la dette pénale d’autrui peut en toute vraisemblance être effectué directement auprès des comptables publics et de leurs relais – buralistes en tête. Non seulement parce qu’aucun texte ne s’y oppose, mais encore, parce que le refus qu’une telle opération devrait susciter, en application de l’article 1342-1 du Code civil, peut être pratiquement difficile à mettre en œuvre, en l’absence de contrôle systématique de l’identité du solvens. 

31.           Transition. Volontaire pour payer ce qu’il ne doit pas, le solvens n’exerce que sa liberté, bien que l’on puisse trouver à y redire. La situation est en revanche toute différente lorsqu’en vertu de la loi même, le paiement de la dette pénale d’autrui est imposé à un autre que le condamné. 

II. Le paiement subi

Le paiement de la dette pénale d’autrui ne résulte pas toujours d’un choix libre. Il peut aussi être ordonné par la loi et par le juge. L’éventualité a de quoi surprendre au-delà de toutes les manifestations du paiement choisi venant d’être étudiées. Car le législateur, à la différence du condamné et de ses bienfaiteurs, est astreint au respect des principes directeurs du droit pénal. Il convient ainsi de parcourir les curieuses modalités de ce paiement subi (A.) afin d’établir consécutivement l’ampleur des transgressions qu’il consomme (B.). 

A. La transmission de la charge du paiement

32.           Panorama. La loi permet au juge et aux agents de recouvrement du Trésor public de faire supporter à d’autres que le condamné la charge de sa dette pénale. Les mécanismes à l’œuvre sont au moins de trois sortes que l’on présentera successivement en vue d’établir toute la diversité du phénomène décrié. 

33.           La transmission universelle de la dette pénale. L’article 133-1 du Code pénal N° Lexbase : L2149AMK dispose qu’il « peut être procédé au recouvrement de l’amende et des frais de justice ainsi qu’à l’exécution de la confiscation après le décès du condamné ou après la dissolution de la personne morale jusqu’à la clôture des opérations de liquidation ». La rédaction même de ce texte présente plusieurs défauts [58]. Le plus obscur demeure toutefois ses motifs. Selon Michel Vauzelle, alors ministre de la Justice, il ne conviendrait point, en effet, d’y voir une atteinte au principe de personnalité des peines, mais la simple consécration dans le Code pénal d’une « règle traditionnelle issue de l’article 870 du Code civil N° Lexbase : L0010HP3 selon lequel “les cohéritiers contribuent entre eux aux paiements des dettes et charges de la succession” » [59]. De surcroît, la solution serait imposée par la nécessité d’empêcher que les héritiers du condamné ne tirent profit des infractions commises par celui-ci [60]. L’argument fait néanmoins peu de cas de la spécificité des peines dans l’ordre des dettes et de l’existence de l’infraction de recel. Toujours est-il que le mécanisme a reçu l’onction du Conseil constitutionnel, par l’entremise des dispositions toutes proches de l’article 1754 IV du Code général des impôts N° Lexbase : L4183MGZ [61]. De l’avis de la doctrine, cette survie incongrue de la dette pénale – parfois qualifiée de patrimonialisation [62] – pourrait en outre être étendue par analogie aux restructurations sociétaires [63].

34.           La garantie pénale. Le Code de la route et le Code du travail prévoient la possibilité de mettre « à la charge » du commettant le paiement des amendes infligées à son préposé, « compte tenu des circonstances de fait et des conditions de travail de l’intéressé » [64]. Une option analogue est par ailleurs prévue par le Code des transports [65], le Code de la santé publique [66] et le Code de commerce [67]. Appelé par le juge à s’acquitter de tout ou partie d’une dette pénale qui n’est pas la sienne, le tiers assume ici le rôle d’un garant [68]. Ce dispositif était initialement destiné à contourner l’impossibilité d’engager la responsabilité pénale des personnes morales, mises à contribution parce que l’infraction pouvait leur avoir profité [69]. Pragmatique, cette justification n’en demeurait pas moins insuffisante au regard de l’atteinte manifeste portée au principe de personnalité des peines. C’était toutefois sans compter la sagesse du Conseil constitutionnel qui, saisi en 1976 des dispositions litigieuses du Code du travail, ne trouva rien à y redire [70]. Ces mécanismes de garantie pénale ont néanmoins perdu leur raison d’être avec l’avènement de la responsabilité pénale des personnes morales. De plus, « ils sèment le doute sur ce qui justifie la condamnation des groupements : sont-ils tenus de payer parce qu’ils profitent de l’infraction ou parce qu’ils la commettent ? Et s’ils la commettent parce qu’ils en profitent, n’y a-t-il pas une sanction de trop ? » [71]. C’est peu dire que la censure se fait attendre. 

35.           La solidarité pénale. Modalité de l’obligation prévue par l’article 1313 du Code civil N° Lexbase : L0967KZT, la solidarité confère sous sa forme passive la faculté pour le créancier d’exiger du codébiteur de son choix le paiement de la totalité de la dette. Elle sert ainsi la réalisation de l’un des enjeux majeurs du droit – civil – des obligations, qui est la satisfaction du créancier par le paiement, quelle qu’en soit la source. Rien de moins pénal, en somme. De façon surprenante, les articles 375-2 N° Lexbase : L1527MAS, 480-1 N° Lexbase : L9921IQI et 543 N° Lexbase : L1553MAR du Code de procédure pénale permettent néanmoins d’ordonner, « par une décision spéciale et motivée », que le condamné « qui s’est entouré de coauteurs ou de complices insolvables sera tenu solidairement des amendes ». Contraint de payer plus que la rançon de ses forfaits, il supportera donc au stade de l’obligation à la dette – et certainement au-delà – un « surcroit de peine au mépris du caractère personnel de celle-ci » [72]. La confusion des enjeux de la responsabilité pénale et de la responsabilité civile apparaît si nette que l’on ne s’étonnera même pas de ce que l’article 375-2 vienne clore une section du Code de procédure pénal consacrée à l’action civile. La solidarité pénale, dont le domaine a été étendu par la Chambre criminelle aux infractions indivisibles ou connexes [73], connait en outre des formes particulières, notamment inscrites aux articles 406 N° Lexbase : L1013ANT et 407 N° Lexbase : L3318IQX du Code des douanes, L. 267 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L0442LTK, et 1745 N° Lexbase : L1736HNM et 1754 V N° Lexbase : L4183MGZ du Code général des impôts. À propos de ce dernier, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs eu l’occasion d’énoncer sans ambages que la solidarité « constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public » et que « conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité » le solvens dispose d’une action récursoire contre ses codébiteurs, de sorte que le mécanisme ne revêt pas même le caractère d’une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 [74].

36.           La confiscation de biens dont le condamné n’est pas propriétaire. Une dernière modalité du paiement contraint de la dette pénale d’autrui pourrait être trouvée à l’article 131-21 du Code pénal N° Lexbase : L7556MMS, qui autorise la confiscation de biens dont le condamné n’est pas le propriétaire dans deux séries d’hypothèses ; soit qu’il s’agisse de l’objet ou du produit de l’infraction, ou de biens spécialement visés par la loi ou qualifiés par elle de dangereux ou nuisibles ; soit qu’il s’agisse de biens dont le condamné a la libre disposition. On ne s’attardera pas, cependant, sur cette modalité, dont une précédente étude [75] a démontré qu’elle ne consiste probablement pas en une atteinte pénale à la propriété d’autrui – les premiers cas énoncés peuvent être rattachés aux mesures de sûreté, qui par nature, outrepassent la culpabilité, tandis que les seconds correspondent plutôt à une forme d’acquisition de la propriété à finalité répressive. 

37.           Bilan. Le paiement de la dette pénale d’autrui peut être une charge grevant le patrimoine transmis, ou la conséquence d’une mesure de garantie ou de solidarité prononcée par le juge. L’offense ainsi portée au principe de personnalité des peines est flagrante. Il reste toutefois à vérifier que la nature pénale des dettes persiste lors de leur détachement de la personne du condamné. Faute de quoi, les atteintes déplorées ne seraient qu’illusoires. 

B. La nature pénale de la dette

38.           Il est fréquemment allégué que la charge de supporter la dette pénale d’autrui n’a, en vérité, que la nature d’une obligation civile. Les raisons avancées sont essentiellement de trois ordres, que l’on illustrera brièvement avant de les réfuter.  

39.           La caducité répressive. Lors des débats parlementaires ayant conduit à l’adoption de l’article 133-1 du Code pénal, le pouvoir exécutif a notamment soutenu que « les dettes successorales provenant d’une amende perdent leur caractère pénal et s’analysent en une obligation de nature civile » [76], sorte de caducité répressive par l’effet du décès, là où l’on aurait pu s’attendre à une extinction pure et simple. Majoritairement, la doctrine ne s’en émeut pas [77], et surenchérit parfois en invoquant le supposé caractère réel des peines d’amende et de confiscation [78]. La thèse de la caducité répressive a en outre été appliquée à la garantie pénale, un auteur estimant qu’en pareil cas, « l’amende dégénère en une dette civile » [79].

40.           La faute civile déduite du fait pénal d’autrui. Dans un autre ordre d’idée, la doctrine estime parfois, toujours au sujet de la garantie pénale, que l’obligation de payer mise à la charge du commettant est une conséquence de sa propre faute civile [80]. L’argument semble également applicable à la solidarité instituée par l’article 1754 V du Code général des impôts, dont plusieurs entrées font référence aux mauvais comportements des codébiteurs solidaires [81].

41.           L’institution d’une sûreté personnelle. On l’a vu, le Conseil constitutionnel estime que l’article 1754 V du Code général des impôts fait naître une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et non une peine. La Cour de cassation en convient également à propos de l’article 1745 du même Code, disposition toute proche [82]. Supportée par le codébiteur solidaire du condamné, la dette pénale emprunterait ainsi la nature d’une sûreté personnelle [83].

42.           Réfutation. Les peines se distinguent des autres dettes en raison de leur source et de leurs ambitions : elles procèdent d’une déclaration de culpabilité consécutive à la commission d’une infraction et poursuivent une mission répressive – rétributive et préventive. Cette nature est figée. Le Droit, en effet, n’est jamais le théâtre de transmutations. Les formes, éventuellement, changent. Point la substance. Une peine ne devient donc pas une dette civile – ou quoi que ce soit d’autre – lorsque la charge d’en assumer le paiement est transmise à un tiers. Ce qu’elle y perd n’est pas sa nature mais sa légitimité. Il apparaît ainsi que le recouvrement de la dette pénale du condamné auprès de ses ayants cause, de son entourage professionnel ou de ses complices et coauteurs est une peine à part entière. Mais une peine sans cause ni desseins, une fantaisie dangereuse née de la confusion des intérêts pécuniaires des créanciers administratifs et civils avec ceux de la société au nom de laquelle on protège et l’on punit. 

43.           Au-delà de l’immutabilité des dettes pénales, il apparaît plus particulièrement que l’argument de la caducité répressive est vain, puisque le caractère intuitu personae du rapport d’obligation initial devrait dans tous les cas s’opposer à sa transmission. On ne peut pas non plus donner pour fondement à la garantie et à la solidarité pénales l’existence d’une faute civile du tiers auquel est imputé le paiement, puisque cela supposerait non seulement que les textes abondent en ce sens, ce qu’ils ne font pas tous, mais surtout, que le Trésor public soit assimilé à une victime. Sinon, comment pourrait-il profiter de la sanction d’une faute civile ? L’hypothèse est à peine envisageable dans le contentieux fiscal, et certainement pas en dehors. De surcroît, il faudrait encore admettre que cette faute civile soit curieusement sanctionnée par l’infliction d’une dette auxiliaire, calquée sur celle d’autrui, ce qui n’aurait pas beaucoup de sens – que l’ambition, d’ailleurs, soit de réparer ou de punir. La critique vaut aussi pour la thèse de la sûreté personnelle, en ce que le Trésor public ne peut être, à raison d’une même créance, tout à la fois l’agent de recouvrement des peines que l’on inflige dans l’intérêt général et une victime particulière que l’on pourvoit de garants. La peine trouve sa raison d’être dans la personne du condamné, elle n’est pas un fardeau que l’on scinde et que l’on barde de débiteurs accessoires. Déjà rétive, la doctrine estime de toute façon que la qualification de garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public ne peut être étendue au Code de procédure pénale, dont les articles 375-2, 480-1 et 543 doivent être regardés comme instituant une peine complémentaire [84], à l’instar de la contrainte judiciaire, ce que l’exigence d’une « décision spéciale et motivée » permet d’accréditer.  

44.           Nuance. Cela étant, suffirait-il, pour assoir la viabilité de la garantie et de la solidarité pénales, que la loi et la jurisprudence les présentent expressément pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des peines plutôt que la conséquence ou l’accessoire de fautes civiles ? Sans doute pas. Car l’infliction d’une peine suppose la déclaration préalable de culpabilité de son destinataire. Or, la garantie et la solidarité pénales de l’article 1754 V du Code général des impôts ne font point de la condamnation du tiers auquel est imputé le paiement une condition de leur mise en œuvre. C’est en revanche le cas de la solidarité instituée par le Code de procédure pénale et par l’article 1745 du Code général des impôts, qui ne peut peser que sur l’un des coauteurs ou complice du débiteur initial. En raisonnant à partir du dispositif du Code de procédure pénale – que l’on ne saurait soumettre à une appréciation moins rigoureuse au prétexte qu’il relève du droit para-pénal ou technique [85] –, pourrait-on considérer qu’une telle peine – consistant par une décision spécialement motivée à infliger au condamné, doublement fautif puisqu’il s’est entouré de coauteurs ou complices insolvables, la charge de supporter solidairement d’autres peines que la sienne – est admissible ? Probablement pas, car à supposer même qu’une peine puisse avoir pour objet de payer celle d’un autre condamné, l’incertitude inhérente à la solidarité devrait alors heurter le principe de prévisibilité – mais c’est un autre problème, que l’on n’approfondira pas [86].

45.           Pour sauvegarder la possibilité de contraindre une personne à acquitter la dette pénale d’autrui, c’est à la rigueur en termes de novation plutôt que de transmission qu’il faudrait raisonner, en considérant que la dette pénale n’est pas transformée lors de son changement de débiteur, mais bien remplacée par une autre, de nature différente. Pour ce faire, il conviendrait que la loi soit explicite, ce qui, néanmoins, ne comblerait pas le manque de justification du mécanisme, le Trésor public demeurant grimé en victime, au risque de faire passer le droit pénal pour une forme incongrue de fiscalité ou de responsabilité civile. 

46.           Une atteinte au principe de personnalité des peines. Les tiers astreints au paiement de la dette pénale d’autrui ne sont pas déclarés coupables en ses lieux et places. La transmission universelle de la dette pénale, la garantie et la solidarité pénales ne sont donc pas des cas de responsabilité pénale du fait d’autrui. Dans chacune de ces hypothèses, en revanche, une peine est bien infligée, sous de faux-semblants, à d’autres que le coupable, de surcroît, sans avoir été personnalisée. Comment le pourrait-elle d’ailleurs ? En anticipant le décès ou la dissolution de la personne condamnée ? En tenant compte de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de cette dernière aussi bien que de ses garants ? On ne saurait dire – et il semblerait que le législateur non plus. Une telle sanction, dépourvue de cause et inadaptée à son sujet, apparaît ainsi contraire au principe de personnalité des peines, et donc inconstitutionnel.

47.           D’un avis différent, le Conseil constitutionnel manque de convaincre. Sa décision rendue en 1976 à propos de la garantie pénale prévue par le Code du travail [87] ne fait pas même l’effort d’essayer : « aucune disposition de la Constitution [ni] aucun autre principe de valeur constitutionnelle applicable en matière pénale » ne s’oppose de près ou de loin à ce qu’une peine soit supportée par un autre que le condamné. Sa décision rendue en 2011 au sujet de la solidarité pénale organisée par l’article 1754 V du Code général des impôts [88] est du même ordre : la possibilité de déclarer les dirigeants sociaux solidairement responsables des peines prononcées contre les personnes morales n’a pas le caractère d’une punition. Pourquoi ? Parce que la mesure instituée ne suppose pas de faute du dirigeant – on aurait eu tendance à y voir un argument à charge – et qu’une action récursoire peut toujours être intentée contre ce dernier – oui, mais quel rapport avec la nature de la dette [89] ? Plus raisonnable, sa décision rendue en 2012 à propos de la transmission successorale des amendes prévue par le Code général des impôts [90] a admis le caractère pénal du procédé. La disposition déférée a toutefois été validée au motif, d’une part, que les amendes et majorations litigieuses ne sont pas « prononcées » directement à l’encontre des ayants cause, et d’autre part, que ces derniers peuvent engager une contestation ou une transaction auprès de l’administration lorsque, du moins, le délai imparti à leur auteur n’est pas déjà écoulé.

48.           Le Conseil ne s’est prononcé à ce jour que sur des dispositions prévues par le Code général des impôts et le Code du travail. Il est probable, cependant, que son avis ne varie pas en fonction des sources mobilisées. Trois raisons à cela. Tout d’abord, il n’est pas indiqué que le raisonnement tenu ne vaut qu’en « dehors du droit pénal » [91] – comprendre, en dehors des dispositions générales prévues par le Code pénal ou le Code de procédure pénale. Ensuite, si l’on veut bien admettre la spécificité du contentieux fiscal, dont il était question dans les décisions de 2011 et 2012, un tel argument n’était pas même évoqué et ne saurait, de toute façon, être étendu aux dispositions du Code du travail contrôlées en 1976. Enfin, les différences minimes existant entre la transmission successorale et la solidarité instituées, d’un côté, par le Code pénal et le Code de procédure pénale, et de l’autre, par le Code général des impôts ne sont vraisemblablement pas de nature à infléchir la position du Conseil [92]

49.         Bilan. Déracinée ou fragmentée, une peine conserve sa nature – mais perd toute chance de réaliser ses ambitions répressives. La transmission universelle de la dette pénale, la garantie et la solidarité pénales sont donc autant de transgressions du principe de personnalité des peines. Le Conseil constitutionnel, plus préoccupé par le recouvrement des créances que par la nature des dettes, ne l’entend cependant pas de la sorte. Du moins, pour le moment. 

Conclusion

50.           Le droit pénal est perfectible. Pour commencer, on lui saurait gré de se conformer à ses propres principes, dont plusieurs transgressions – certaines, spécieuses mais décriées, et d’autres, véritables mais tolérées – ont été mises en exergue par l’examen de sa parenté obligationnelle. 

51.           En premier lieu, il a été vu que se porter volontaire pour payer ce que doivent les autres, par intérêt ou par altruisme, n’est pas un dessein contraire au droit positif. La raison en est, pour l’essentiel, que le principe de personnalité des peines dirige la production et l’application des normes mais point ce dont les particuliers peuvent convenir. Il n’est donc pas permis d’en tirer argument pour soutenir la contrariété à l’ordre public des contrats destinés au paiement indirect de la dette pénal d’autrui. Une intervention législative serait ainsi la bienvenue, ne serait-ce que pour consolider le principe – infondé – de la prohibition de l’assurance pénale. En revanche, le paiement direct effectué de bon gré par un tiers devrait toujours se voir opposer le refus légitime de l’accipiensen application – faute de mieux – de l’article 1342-1 du Code civil, puisque la peine n’a de sens que lorsqu’elle est supportée par le condamné. 

52.           En second lieu, il a été vu que le paiement de la dette pénale d’autrui devient inadmissible chaque fois que le législateur ou le juge l’impose. Les arguments contraires, avancés par la doctrine et surtout, par le Conseil constitutionnel, apparaissent inopérants, soit qu’ils impliquent un changement de nature de la dette pénale, miracle que le Droit ne sait accomplir, soit qu’ils présupposent que la créance pourtant pénale du Trésor public peut être dotée de sûretés personnelles, comme s’il s’agissait d’une banale obligation de réparer. On ne saurait espérer mieux, dès lors, qu’une suppression pure et simple des dispositifs de transmission universelle de la dette pénale, de garantie pénale et de solidarité pénale – puisqu’une peine ne se transmet pas plus qu’elle ne se partage. À défaut, on se satisfera de l’abrogation des transmissions universelles de la dette pénale, au moins dans leur forme générale issue de l’article 133-1 du Code pénal ; d’un changement de rédaction des textes relatifs à la garantie pénale afin d’en préciser la justification et la nature ; et de ce que la qualification de peine de la solidarité du Code de procédure pénale soit pleinement assumée. 

 

[1] V. X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, coll. Cours, 15e éd., 2024, n° 25 : « le dernier grand principe [après ceux de légalité et de culpabilité] est certainement celui qui est le plus profondément ancré dans notre tradition juridique, à savoir celui de la personnalité de la répression » ; E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, coll. Manuel, 2024, n° 1097 et s. V., sur la valeur des principes, Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-239, QPC N° Lexbase : A5657IKQ, n° 3 ; CEDH, 28 juin 2018, req. n° 1828/06, G.I.E.M s.r.l. c. Italie, §243 N° Lexbase : A60931BB ; CJUE, 10 novembre 2022, aff. C-203/21, §34 N° Lexbase : A40468SN

[2] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FS-P+B+I N° Lexbase : A551437D ; Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653, FS-B N° Lexbase : A41207TR ; Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.180, FS-B N° Lexbase : A72515CK.

[3] V. E. Accarion, L’impossible mixité des choses et des personnes, in C. Pourlier-Cucherat, C. Revet, R. Sebal et N. Torz-Duois, (dir.), Mixité & Droit, Éditions l’épitoge, coll. L’unité du droit, vol. 30, 2021, p. 27.

[4] V. C. Dubois, Responsabilité civile et responsabilité pénale. À la recherche d’une cohérence perdue, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 570, 2016, n° 4 : « le droit pénal tout entier est, à notre sens, droit de la responsabilité ».

[5] V. N. Dejean de la Batie, in C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. VI-2. Responsabilité délictuelle, Litec, 8e éd., 1989n° 1 ; P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, coll. Manuel, 6e éd., 2023, n° 292 ; J. Lagoutte, Les conditions de la responsabilité en droit privé : éléments pour une théorie générale de la responsabilité juridique, thèse Bordeaux IV Montesquieu, 2012, n° 150 et s. ; B. Menard, L’anormalité en droit de la responsabilité civile, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 596, 2020, n° 82 et s. et n° 391 et s. 

[6] V., pour un exemple d’approche obligationnelle du droit pénal, N. Catelan, « Qu’est la responsabilité pénale des personnes morales advenue ? », Les nouveaux problèmes actuels de sciences criminelles, vol. XXXI, Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles d’Aix-Marseille, 2023, p. 33 et s.

[7] La notion de dette pénale n’est visée par aucun texte, si ce n’est l’instruction ministérielle n° 96-087-A6 du 21 août 1996, relevant que les différentes lois relatives à la prévention du surendettement « n’abordent pas le paiement des dettes pénales ». La doctrine et la jurisprudence ne s’y réfèrent elles-mêmes que rarement. La première, en des occasions variées (v. par ex., M. Segonds, « De l’art de l’ombre à l’art du clair-obscur », Droit pénal, n° 1, janvier 2018, comm. 14, mentionnant la « dette pénale potentielle » dont la convention judiciaire d’intérêt public permet le recouvrement ; F. Stasiak, Responsabilité pénale de la société absorbante : la chambre criminelle “fusionne” sa jurisprudence avec celles des juridictions européennes, JCP En° 2, 14 janvier 2021, 1006 ; J.-C. Saint-Pau, Redevabilité pénale d’une société absorbante pour des contraventions commises par une société absorbée : extension du revirement !, JCP G, n° 26, 1er juillet 2024, act. 840). La seconde, seulement en matière de surendettement (v. Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-22.520, F-D N° Lexbase : A67534M3 ; Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-31.235 ; Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-27.022, F-D N° Lexbase : A9848YUB ; Cass. civ. 2, 1er juin 2017, n° 16-18.737, F-D N° Lexbase : A2803WGW ; Cass. civ. 2, 15 mai 2014, n° 13-15.860, F-D N° Lexbase : A5517MLW ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-19.632, F-D N° Lexbase : A1271IQ7).

[8] V., sur la notion de redevabilité pécuniaire, G. Beaussonie, La responsabilité pénale “pécuniaire”. Quand Mammon se fait trop présent en droit pénalin Le droit pénal des affaires, du singulier au pluriel. Mélanges en l’honneur du professeur Frédéric Stasiak, Edul, coll. Prestige, 2023, n° 6 ; M. Segonds, « Fasc. 792 : RÉGLEMENTATION ROUTIÈRE. – Responsabilité. – Sanctions », JCl Transportn° 34 et s. ; C. route, art. L. 121-3 N° Lexbase : L3315LUC.

[9] Il ne saurait donc exister en droit pénal de responsabilité du fait d’autrui. Ce qui n’exclut pas, cependant, qu’un fait infractionnel – typiquement, une abstention coupable dans l’application de règle de sécurité – puisse être déduit du fait d’un tiers. 

[10] C. pén., art. 132-1, al. 3 N° Lexbase : L9834I3M.

[11] V. J.-Y. Lassale, Amende pénale et jour-amende, Rep. pén., 2019, n° 1.

[12] Rapport annuel sur les condamnations. Données 2022, site du ministère de la Justice, février 2024, p. 10 et 12. Les Chiffres clefs de la justice 2024 rapportent que les amendes représentaient toujours, en 2023, 35 % des peines principales prononcées. Les données sur les peines complémentaires n’ont toutefois pas encore été publiées. 

[13] V. M. Hy, ÉTUDE : les confiscationsin Droit pénal général (Dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E089103E.

[14] V. C. pén.,  art. 131-6 N° Lexbase : L3988MMN.

[16] Éléments chiffrés d’activité 2023, AGRASC, p. 2 [en ligne]. 

[17] Si tant est que l’on considère l’argent comme un bien, l’amende peut apparaître comme une forme de confiscation. 

[18] V. J.-Y Lassale, Amende pénale et jour-amendeop. cit., n° 12 ; B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 28e éd., 2023, n° 640.

[19] V. supra, note n° 2. 

[20] V. art. 40, al. 1, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, des amendes forfaitaires, des amendes de composition pénale (…) sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement ».

[21] V. Loi de 1881 sur la presse accompagnée des travaux de rédaction, Édition A. Chevalier-Marescq, 1882, p. 522 : la disposition est déclarée adoptée par vote à main levée et par non par scrutin, au terme d’un décompte très critiqué, notamment par les députés Jean-Edmond Laroche-Joubert – « il nous a paru y avoir plus du double de votes contre que pour l’article » – et Paul de Cassagnac. 

[22] Idem, p. 521.

[23] Idem, p. 503 : « chacun est libre de disposer à son gré de ses sympathies et de son argent. C’est la publicité donnée à l’ouverture de la souscription ou à l’annonce de cette ouverture que la loi a entendu prohiber et punir. On a craint que ces manifestations ne prissent le caractère d’une protestation contre les décisions judiciaires et que leur autorité ne s’en trouvât infirmée ».

[24] TJ Paris, 6 janvier 2021, n° 19/03587 N° Lexbase : A12154G4 : « la cagnotte ne contrevient pas aux dispositions de l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dès lors qu’il ne s’agissait pas d’organiser une souscription pour payer des condamnations déjà intervenues. Aucune infraction pénale n’est donc caractérisée » ; C. Helaine, De l’annulation de la cagnotte du « boxeur gilet jaune », Dalloz Actualité19 janvier 2021 [en ligne] ; R. Mesa,  Collecte de fonds en ligne contre ordre public contractuel - À propos de la cagnotte de soutien au “boxeur gilet jaune”, JCP Administration et Collectivités territorialesn° 6, 8 février 2021, act. 85. La solution a depuis été confirmée par la Cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 11) le 8 septembre 2023, n° 21/02326 N° Lexbase : A44341M8, sans toutefois que le rapport de la cagnotte litigieuse à l’article 40 de la loi de 1881 ne soit à nouveau discuté.

[25] TJ Paris, 6 janvier 2021, n° 19/03587 : « il est certain que, par son large objet, la cagnotte comprend également un appel à compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir. Même si la loi sur la liberté de la presse ne prohibe pas cette pratique, elle est susceptible de contourner l’interdiction des cagnottes postérieures aux condamnations et est, donc, en tant que telle, contraire à l’ordre public ».

[26] Cass. Ch. req., 20 février 1882, D. 1882, I, p. 232.

[27] Cass. com., 21 juin 1960, Bull. civ. n° 246.

[28] V. S. Bertolaso, Fasc. 5-2 : ASSURANCES TERRESTRES. – Contrat d’assurance. – Le risque, objet du contrat, JCl Civil Annexe, V° « Assurances »2024, n° 3 : 22 : « conformément à l’article 6 du Code civil, l’assureur doit refuser la garantie d’un risque qui porterait atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Cette exigence explique l’inassurabilité de la responsabilité pénale » ; J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, Sirey, coll. Université, 17e éd., 2022, n° 479.

[29] V. B. Neraudau, A.-C. Pichereau, P. Guillot, Assurances, Rep. pén., 2021, n° 7 ; L. Mayaux et A. Pimbert, Contrat d’assurance, Rep. civ.,2024, n° 182 : « l’assurance des amendes est illicite en tant que telle, c’est-à-dire en tant que mécanisme de couverture du risque qui, en l’occurrence, est contraire au principe de personnalité des peines » ; F. Turgne, Fasc. 523 : ASSURANCES TERRESTRES. – Assurances diverses relatives aux biens, JCl Responsabilité civile et Assurances, 2023, n° 35.

[30] V. C. civ., art. 1162 N° Lexbase : L0884KZR : « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » ; art. 1102, al. 2 N° Lexbase : L0823KZI : « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public » ; art. 6 N° Lexbase : L2231ABA : « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». 

[31] Les articles 1162, 1102 et 6 du Code civil interdisent plus précisément de « déroger » à l’ordre public.

[32] P. Malaurie, P. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, coll. Droit civil, 13e éd., 2024, n° 397. V. aussi Cass. Civ., 4 déc. 1929, Sirey, I, 49 (GAJ Civ., 14e éd., 2024, n° 17).  

[33] Comp. L. Mayaux, Assurance et ordre public : à la recherche d’un critère, Revue générale du droit des assurances, 2008, n° 3, p. 601, n° 10 et s., distinguant la garantie d’un risque illicite (par ex., l’assurance couvrant la destruction par incendie d’un champ destiné à la production de stupéfiants) et la garantie d’un risque licite (par ex., l’assurance couvrant les amendes infligées à raison d’infractions commises dans l’exercice de sa profession).

[34] V. B. Neraudau, A.-C. Pichereau, P. Guillot, Assurancesop. cit., n° 7 : « une telle assurance anéantirait de facto le caractère dissuasif de la sanction pénale en permettant à toute personne d’organiser par avance son impunité, du moins financière ». 

[35] V., pour une synthèse, G. Beaussonie,  Le crépuscule de la sûreté individuelleD., 2017, p. 1768. V., pour une étude détaillée, E. Accarion,  La personnalité juridique en droit pénal et en droit civil. Essai d’une théorie générale, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. 241, à paraître, n° 185 et s., spéc. n° 221 et s.

[36] V. supra, n° 5.

[37]  « Fraude », in R. Cabrillac (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique 2024, LexisNexis, coll. « Objectif droit », 2023 ; A. Benabent, Droit des obligations, LGDJ, coll. Précis Domat droit privé, 20e éd., 2023, n° 182 : « est frauduleuse une opération qui n’est pas directement contraire à la loi (c’est ici que réside l’habileté) mais qui revient à tourner la loi : par un artifice, on se place hors du champ d’application du texte que l’on veut éluder ».

[38] V. A. Benabent, Droit des obligations, op. cit., n° 183.

[39] C. assur., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0060AAH.

[40] Comp. L. Mayaux et A. Pimbert, Contrat d’assuranceop. cit., n° 184, considérant que « ce n’est pas l’aléa qui disparaît en présence d’une faute intentionnelle, en ce qu’il affecterait l’événement constitutif du sinistre (sinon cette faute devrait être exclusive de garantie y compris quand elle émane d’un tiers, et elle devrait être écartée quand le sinistre n’est pas sa conséquence inéluctable, condition imposée uniquement pour la faute intentionnelle dite « objective »). C’est le hasard qui est éliminé, en tant que cause de cet événement. Le sinistre n’est pas arrivé par un pur hasard (comme dans l’assurance des cas fortuits), ni même par un hasard mâtiné d’un fait de l’homme (comme dans l’assurance des fautes simples, lourdes, voire inexcusables). Il est entièrement imputable à la volonté de l’assuré ».

[41] L. Mayaux et A. Pimbert, Contrat d’assuranceop. cit., n° 34.

[42] Idem, n° 183 et s.

[43] V. supra, n° 12.

[44] L’article 1 du Décret n° 64-1333 du 22 décembre 1964 N° Lexbase : L8364CIM vise plus largement encore « les amendes et condamnations pécuniaires » – au sens de l’article 108 du Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique N° Lexbase : L3961IUA : « 1° Les amendes pénales, civiles et, sous réserve des dispositions spécifiques qui leur sont applicables, les amendes fiscales et administratives ; 2° Les confiscations, réparations, restitutions, dommages et intérêts, frais ayant le caractère de réparation et intérêts moratoires ; 3° Les frais de justice et les droits fixes de procédure » – ainsi que « les pénalités transactionnelles, les pénalités forfaitaires et les amendes de substitution ».

[45] V. art. 1, Décret n° 64-1333 du 22 décembre 1964 ; C. proc., pén., art. 707-1 N° Lexbase : L7606MMN.

[46] V. C. proc. pén., art. R. 49-3 N° Lexbase : L5978LWC, R. 49-3-1 N° Lexbase : L8730IBX et D. 45-8 N° Lexbase : L2284MKS. ; art. 201, de la Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, à propos des prestataires extérieurs N° Lexbase : L6297LNK – dont les buralistes. V. aussi, pour une synthèse [en ligne].

[47] V., de façon générale, art. 1 du Décret n° 64-1333 du 22 décembre 1964. V. aussi, pour un ex. de disposition particulière, l’article R. 15-33-51 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1198KMC, relatif au paiement des amendes de composition pénale. 

[48] Encore qu’il puisse être fait référence, à propos des buralistes, à « l’encaissement des sommes auprès des redevables » (art. 201, de la Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019).

[49] V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Obligation. Régime, PUF, coll. droit fondamental, 2013, n° 35 ; F. Terre, P. Simler, Y. Lequette et F. Chenede, Droit civil. Les obligations, Dalloz, coll. Précis, 13e éd., 2022, n° 1412 ; A. Benabent, Droit des obligations, op. cit., n° 759, considérant que le paiement n’est pas une convention mais demeure un acte juridique, et plus précisément, « une juxtaposition de deux actes unilatéraux ». V. aussi Cass. civ. 1, 6 juillet 2004, n° 01-14.618 N° Lexbase : A0151DDX et Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-13.947, F-P+B+I N° Lexbase : A4755E9Y, qualifiant expressément le paiement de fait juridique. 

[50] V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Obligation. Régime, op. cit., n° 35.

[51] V. supra, n° 18.

[52] V. C. pén., art. 121-7, al. 2 N° Lexbase : L5525AIH

[53] V. V. Forti, Article 1342 à 1342-10. Fasc. 10 : RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS. – Extinction des obligations. – Paiement. – Généralités. Parties, JCl Civ., 2024, n° 26. 

[54] Idem., n° 27.

[55] CE, 4e-5e, 20 mars 2015, n° 368093, n° 7 N° Lexbase : A1277NEZ.

[56] V. E. Accarion, La personnalité juridique en droit pénal et en droit civil. Essai d’une théorie générale, op. cit., n° 170 et s. Comp. M. Cariven, La convention judiciaire d’intérêt public ou l’infusion de la compliance au sein des mécanismes transactionnels répressifsin J. Theron et L. Rass-Masson, (dir.), Compliance, coll. Cahiers Jean Monnet, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2021, p. 187 et s., n° 18 et s., distinguant la disponibilité de l’action de l’indisponibilité de son exercice. 

[57] V. J.-B. Perrier, La transaction en matière pénale, LGDJ, coll. Bibliothèque de sciences criminelles, t. 61, 2014, n° 639 et s. ; C. Ribeyre, Fasc. 20 : ACTION PUBLIQUE ET ACTION CIVILE. – Action publique, JCl procédure pénale2021, n° 52 et s. 

[58] Les frais de justice incombent à l’État et ne sont donc jamais supportés par le condamné ou ses ayants cause ; la mention des personnes morales est inutile puisque leur personnalité subsiste jusqu’à la clôture des opérations de liquidation, de sorte que la possibilité de les punir avant ce terme tombe sous le coup de l’évidence.

[59] V. Journal official de l’Assemblée nationale, 15 juin 1992, n° 48575, réponse de Michel Vauzelle au député Édouard Frédéric-Dupont [en ligne].

[60] Idem.

[61] Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-239 QPC N° Lexbase : A5657IKQ ; B. de Lamy, La transmission d’une amende par voie successorale, RSC, avril-juin 2013, n° 2, p. 430 ; E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n° 1108.

[62] V. M. Duppré, La patrimonialisation de l’amende et de la pénalité fiscale, Droit & Patrimoine, 2012, n° 217, p. 42 ; B. de Lamy, La transmission d’une amende par voie successoraleop. cit.

[63] V. nota. H. Matsopoulou, Responsabilité pénale des personnes morales, Rep. Soc., 2024, n° 197 : « si la personne morale est absorbée par une autre, la condamnation à l’amende devenue définitive avant la perte de sa personnalité morale constitue une dette qui peut être recouvrée sur la société absorbante ».

[64] C. route, art. L. 121-1, al. 2 N° Lexbase : L8984AMP ; C. trav., art. L. 4741-2 N° Lexbase : L3366IQQ.

[65] V. C. transp., art. L. 5111-2, al. 5 N° Lexbase : L5683L8Y

[66] V. CSP, art. L. 3351-7, al. 3 N° Lexbase : L4819DY7.

[67] V. C. com., art. L. 490-1 N° Lexbase : L2213LDC

[68] V. J.-P. Cere et L. Grégoire, Peine : nature et prononcé, Rep. pén., 2024, n° 28 ; G. Beaussonie, La responsabilité pénale “pécuniaire”. Quand Mammon se fait trop présent en droit pénalop. cit. n° 5.

[69] V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit, n° 1107.

[70] V. Cons. const., 2 décembre 1976, n° 76-70 DC N° Lexbase : A7934ACT

[71] E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit, n° 1107. 

[72] Idem, n° 1108.

[73] V. Cass. crim., 31 mai 2000, n° 99-84.507 N° Lexbase : A6533CK8, rendu en application de l’article 375-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1527MAS. Comp. Cass. crim., 2 octobre 2024, n° 23-84.448, F-B N° Lexbase : A776957U, rendu en application de l’article 480-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9921IQI, mais seulement au sujet des dommages et intérêts.

[74] Cons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-90 QPC, n° 6 N° Lexbase : Z59706KW.

[75] V. E. Accarion, La libre disposition des biens confisqués, RSC, 2024, n° 3, p. 533. 

[76] V. Journal official de l’Assemblée nationale, 15 juin 1992, n° 48575.

[77] V. C. Lombois, Droit pénal général, Hachette supérieur, coll. Les Fondamentaux, 1994, p. 104 : « une fois prononcée irrévocablement, elle devient une banale dette » ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, coll. U, 7e éd., 2004, n° 437.

[78] V. Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, coll. Droit fondamental, PUF, 6e éd., 2021, n° 602. Comp. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal généralop. cit., n° 437, relevant que « ce mécanisme ne porte que sur des sanctions qui ne sont pas spécifiques de l’arsenal répressif ». Contra. Cass. crim., 7 mai 2024, n° 22-81.344, FS-B N° Lexbase : A61055AD, n° 3 et s., semblant revenir sur la possibilité de tirer argument du supposé caractère réel de la peine de confiscation. 

[79] Y. Monnet, Aspects pénaux de la loi du 6 décembre 1976, Droit socialnuméro spécial, 1977, p. 77 (citation empruntée à J.-Y. Lassalle, La responsabilité civile du fait pénal d’autruiop. cit.). 

[80] V. P. Pelissier, Circulation routière, Rep. pén., 2017, n° 151. Comp. J.-Y. Lassalle, La responsabilité civile du fait pénal d’autruiop. cit.,envisageant la garantie pénale sous la dénomination de « responsabilité “civile” des conséquences du fait pénal d’autrui ». 

[81] V. art. 1754 V, 1 (abus de droit ou dissimulation), 4 (fausse attestation) et 5 (dissimulation complice).

[82] V. Cass. crim., 7 septembre 2022, n° 21-86.515, F-D N° Lexbase : A68298HE ; Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-81.161, F-B N° Lexbase : A75207NT.

[83] V. P. Le Tourneau et J. Julien, Solidarité, Rep. civ., 2024, n° 21 : « la solidarité passive constitue pour le créancier une garantie puissante, plus précisément une sûreté personnelle, très proche du cautionnement ».

[84] V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit, n° 1108 ; M. Redon, Solidarité pénale, Rep. pén., 2024, n° 2.

[85] V. néanmoins, pour une étude de l’article 1745 CGI, C.-H. Hardy, La répression en matière fiscale en France, 1789-2019, IRJS éditions, coll. Bibliothèque de l’IRJS – André Tunc, t. 123, 2023, n° 237 et s., concluant que le caractère pénal du dispositif n’est écarté que par opportunité, afin de privilégier la « logique d’efficacité de l’action administrative » (n° 242) ; S. Detraz, La nature de la solidarité de l’article 1745 du CGI, Revue de droit fiscaln° 50, 13 décembre 2012, étude 551.

[86] Le quantum effectif de la peine dépendrait des choix d’action du Trésor public, du montant recouvré auprès des coauteurs ou complice et du succès de l’action récursoire – dont il faudrait encore admettre qu’elle est possible malgré l’origine pénale de la dette. 

[87] Cons. const., décision n° 76-70 DC, du 2 décembre 1976 N° Lexbase : A7934ACT

[88] Cons. const., décision n° 2010-90 QPC, du 21 janvier 2011N° Lexbase : A1523GQH. V. dans le même sens, Cass. com., 24 janvier 2019, n° 18-19.152, F-D N° Lexbase : A3121YU7, à propos de l’article 267 LPF ; Cass. crim. 12 septembre 2012, n° 12-80.574, F-D N° Lexbase : A2493ITI, à propos de l’art. 1745 CGI.  

[89] V. S. Detraz, La nature de la solidarité de l’article 1745 du CGIop. cit., n° 25 ; C.-H. Hardy, La répression en matière fiscale en France, 1789-2019, op. cit., n° 241. 

[90] Cons. const., décision n° 2012-239 QPC, du 4 mai 2012 N° Lexbase : A5657IKQ.

[91] Cons. const., décision n° 2016-542 QPC, du 18 mai 2016 N° Lexbase : A3876RPA, n° 6.

[92] S’agissant de la transmission universelle, l’article 133-1 du Code pénal N° Lexbase : L2149AMK ne prévoit pas, il est vrai, que l’ayant cause peut engager une contestation ou une transaction, sur le modèle de ce que permet le Code général des impôts. Toutefois, cette différence mineure n’est, de l’aveu même du Conseil, que la conséquence de ce que les amendes fiscales « sont exigibles dès leur prononcé ». En droit pénal, le décès survenant avant l’extinction des délais de contestation éteint l’action publique et empêche donc l’infliction de la peine. Le mécanisme du Code pénal est donc plus favorable aux ayants cause que celui du Code général des impôts et ne devrait donc pas être traité plus sévèrement par le Conseil. S’agissant de la solidarité, les articles 375-2, 480-1 et 543 du Code de procédure pénale imposent « une décision spéciale et motivée », là où l’article 1754 V ne prévoit rien de tel. Si le second, plus sévère, a été favorablement reçu par le Conseil, il devrait a fortiori en aller de même du premier. 

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Marchés publics

[Brèves] Commande publique / dématérialisation : nouvelle illustration des risques pour les candidats

Réf. : TA Montpellier, 29 octobre 2024, n° 2405722 N° Lexbase : A20966DY

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par Johan Sanguinette, Avocat à la Cour

Le 18 Décembre 2024

Mots clés : marché public • dématérialisation  dysfonctionnement  offre incomplète

Une ordonnance de référé rendue le 29 octobre 2024 par le tribunal administratif de Montpellier fournit un nouvel exemple des difficultés et litiges pouvant résulter de dysfonctionnements techniques (informatiques), lorsqu’une offre est remise au format électronique.


 

Au cas d’espèce, une entreprise a remis une offre au format électronique dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres lancée par le département des Pyrénées-Orientales pour l’attribution d’un marché public de conception-réalisation d’un réseau de communication électronique à très haut débit.

L’acheteur, confronté à l’impossibilité d’ouvrir le fichier qui, au vu de son intitulé, était supposé contenir le mémoire technique, a considéré que l’offre était irrégulière, car incomplète, et l’a donc rejetée pour ce motif.

Le candidat ainsi évincé a saisi le juge des référés précontractuels afin de contester le rejet de son offre.

Au terme d’une instruction lors de laquelle la preuve d’un dysfonctionnement technique a manifestement tenu un rôle fondamental (la clôture d’instruction ayant, notamment, été reportée postérieurement à l’audience pour permettre une énième intervention d’un commissaire de justice, aux fins de constater le contenu du dossier « archive » déposé par le soumissionnaire sur le profil d’acheteur), le tribunal administratif confirme l’irrégularité de l’offre (I.), ce qui illustre une fois de plus que la dématérialisation des procédures de passation de la commande publique doit inciter les opérateurs à redoubler de vigilance et de précautions (II.).

I. Un fichier/dossier inexploitable et l’offre est incomplète

Pour rejeter l’offre du requérant comme incomplète, le département des Pyrénées-Orientales avait relevé que le dossier au format « archive » déposé par le soumissionnaire sur le profil d’acheteur en guise d’offre (i) contenait un dossier nommé » 3 – Me¦ümoire technique et environnemental « , mais vide de tout fichier et (ii), un fichier dénommé » ._3 – Me¦ümoire technique et environnemental ", situé dans un dossier intitulé _MACOSX\\Pieces de l’offre – Solutions30 Lumycom, dont la taille était de 1Ko et qui ne s’ouvrait sur aucun des postes informatiques utilisés.

Partant de ce constat, l’acheteur a donc considéré que l’offre remise par le requérant ne contenait pas le mémoire technique exigé par le règlement de consultation, raison pour laquelle l’offre devait être jugée irrégulière.

Si dans le cadre du recours en référé précontractuel, la société requérante a bien tenté de contester le bien-fondé des manipulations techniques réalisées par l’acheteur afin de tenter d’ouvrir les fichiers contenus dans le dossier « archive » contenant l’offre, ses arguments se sont toutefois heurtés aux constats opérés par le commissaire de justice mandaté par le département afin d’attester l’impossibilité d’ouvrir un quelconque fichier qui contiendrait le mémoire technique attendu.

Dès lors, à défaut de mémoire technique dans l’offre, les motifs retenus par le juge des référés pour écarter le recours sont implacables.

Tout d’abord, il rappelle qu’ « une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale », ainsi que le prévoit l’article L. 2152-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L2620LRH.

Pour mémoire, un « pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières » [1].

Ensuite, le juge du référé rappelle les termes de l’article R. 2152-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3979LRS suivant lesquels « dans toutes les procédures, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles. ».

Ceci sachant qu’un acheteur n’est jamais tenu d’inviter les soumissionnaires à régulariser leur offre ; la régularisation n’étant qu’une faculté [2].

Par conséquent, dès l’instant où le département des Pyrénées-Orientales considérait, à bon droit, que l’offre remise par l’entreprise requérante était incomplète, elle était dans l’obligation de l’écarter, sauf à l’inviter à la régulariser, ce qu’elle n’a pas fait au cas d’espèce.

On notera, à ce dernier titre, que l’ordonnance commentée relève, à titre surabondant, qu’une régularisation de l’offre au cas d’espèce aurait, en tout état de cause, présenté le risque de constituer une modification substantielle de l’offre initiale, laquelle aurait alors été prohibée par l’article R. 2152-2 susmentionné.

Pour ce motif, le juge des référés précontractuels écarte donc le moyen et rejette le recours.

II. La difficulté pour les candidats de prouver que le dysfonctionnement ne leur est pas imputable

L’affaire commentée met en lumière le niveau de complexité technique que peut, parfois, revêtir la remise d’une offre dématérialisée, lorsqu’un litige se fait jour entre l’acheteur et les candidats.

Il ressort des textes et de la jurisprudence qu’il incombe, au premier chef, à l’acheteur de mettre à disposition des candidats un profil d’acheteur fiable et dénué de tout dysfonctionnement [3].

Et pour cause, les soumissionnaires n’ayant pas accès au diagnostic de fonctionnement du profil d’acheteur, il ne saurait être exigé de leur part qu’ils démontrent l’existence d’un dysfonctionnement de ce dernier. 

Pour cette raison, il appartient à l’acheteur de justifier que le profil d’acheteur mis à disposition des soumissionnaires fonctionne parfaitement et, en cas de doute quant à l’origine du dysfonctionnement, il existe une présomption en faveur du candidat, contre l’acheteur [4].

Au cas d’espèce, l’entreprise requérante a bien tenté d’arguer que le dossier « archive » qu’elle a remis à titre d’offre n’était empreint d’aucun dysfonctionnement et que l’impossibilité d’ouvrir un quelconque fichier qui contiendrait son mémoire technique proviendrait d’un problème d’interopérabilité entre les systèmes d’exploitation MacOS et Windows, ou plus globalement dans un défaut de manipulation imputable à l’acheteur.

Toutefois, outre que de telles affirmations sont toujours très difficiles à prouver lorsqu’elles sont invoquées, le juge des référés n’ayant pas vocation à se muer en expert informatique, elles ont été contredites en l’espèce par la démonstration opérée par le département, de ce que le dossier qui lui a été remis ne contenait aucun fichier exploitable au titre du mémoire technique attendu.

À cet égard, le recours à un commissaire de justice, tiers assermenté, a vraisemblablement été crucial pour attester du bien-fondé de la position de l’acheteur et lui permettre d’écarter la présomption qui aurait pu jouer en sa défaveur en cas d’incertitude persistante sur le point de savoir si le profil d’acheteur avait fonctionné correctement, ou pas.

En effet, on notera que l’ordonnance commentée relève que les affirmations de la requérante ne convainquent pas « faute de combattre, utilement, les constats du commissaire de justice faits, en dernier lieu, le 24 octobre 2024, à partir du dossier » séquestre « où ont été initialement téléchargés le 14 mai 2024 à 11 heures 52 par le département tous les dossiers des quatre candidats au marché en litige ».

Enfin, le juge du référé relève également, en défaveur de la société requérante, le fait qu’elle n’ait pas produit, au soutien de son offre, de copie de sauvegarde, comme l’autorisait le règlement de consultation.

Si une telle copie n’est jamais obligatoire, elle présente la vertu, en pratique, de permettre au candidat de prouver a posteriori le contenu du dossier électronique qu’il a déposé en guise d’offre car, bien souvent, ce dossier n’est plus accessible une fois déposé sur le profil d’acheteur.

Autrement dit, on en revient inexorablement à la difficulté, pour les candidats d’évincés, de disposer d’éléments probants relatifs à ce qui se trouve sur le profil d’acheteur, à ce qui y a été téléchargé et, plus globalement, à son fonctionnement.

C’est pour cette raison que le juge administratif fait peser sur les soumissionnaires une obligation de diligence et de précaution, laquelle peut se traduire par exemple, par l’envoi d’une copie de sauvegarde de l‘offre afin de pallier toute difficulté avec l’envoi électronique de l’offre, ainsi que le permet l’article R. 2132-11 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3310MGP.

La diligence du soumissionnaire se traduit également par la réalisation d’un test de connexion ou de configuration de l’ordinateur qui servira à l’envoi de l’offre, ce afin de vérifier, notamment, que les logiciels utilisés sont appropriés [5].

Dans le même ordre d’idée, il incombe toujours aux soumissionnaires de prendre des dispositions suffisantes pour télécharger leur offre, notamment en prévoyant un laps de temps minimum de sécurité, afin de prévenir toute difficulté technique, qu’elle soit logicielle ou réseau [6].

En définitive, si la dématérialisation des procédures de passation a indéniablement contribué à la simplification de l’accès à la commande publique, il n’en demeure pas moins qu’elle s’accompagne de certains éléments de complexité, notamment d’ordre technique, qui constituent autant de risques pour les soumissionnaires.


[1] CE, 20 septembre 2019, n° 421075 N° Lexbase : A3218ZPU.

[2] CE, 21 mars 2018, n° 415929 N° Lexbase : A4843XHT.

[3] Voir CCP, art. R. 2132-8 N° Lexbase : L4088LRT.

[4] CE, 17 octobre 2016, n° 400791 N° Lexbase : A9442R7T ; CE, 23 septembre 2021, n° 449250 N° Lexbase : A469547Z.

[5] TA Lille, 12 mai 2014, n° 1402451 ; TA Orléans, 9 août 2022, n° 2202408 N° Lexbase : A09328P9.

[6] TA Melun, 25 février 2019, n° 1900979 N° Lexbase : A01816NZ ; TA Dijon, 23 février 2021, n° 2100373 N° Lexbase : A03124L7.

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Responsabilité administrative

[Brèves] Pas d’engagement de la responsabilité de l’État du fait de la survenance des attentats du 13 novembre 2015

Réf. : TA Paris, 10 décembre 2024, n° 2221426 N° Lexbase : A78656MA

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N1278B3Q

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par Yann Le Foll

Le 18 Décembre 2024

► Le fait que les services de renseignement de l’État n’aient pas pu empêcher les attentats du 13 novembre 2015 ne constitue pas une faute lourde susceptible d’engager sa responsabilité.

Faits. Les parents et les deux sœurs de l’une des victimes des attentats du 13 novembre 2015 ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l’État à réparer certains des préjudices qu’ils ont subis à la suite de cet événement. Ils soutiennent que l’État aurait commis une addition de négligences caractérisant une faute lourde, susceptible d’engager sa responsabilité.

Position TA. Ni l’ampleur du drame survenu à Paris le 13 novembre 2015, ni ces différentes déclarations, ni la circonstance que des terroristes aient pu franchir les frontières, munis parfois de faux papiers, sans être repérés et identifiés ne sont de nature à révéler une faute lourde de l’État, seule susceptible en l’espèce d’engager sa responsabilité.

En effet, selon le tribunal, doivent être prises en compte les difficultés particulières inhérentes à l’activité des services de renseignement, à la fois pour appréhender et prévenir de nouvelles formes d’attentat terroriste, dans un contexte caractérisé par une augmentation récente et rapide de la menace constituée par l’organisation terroriste de l’État islamique en Syrie, et de flux transfrontaliers intenses en provenance de Syrie, en raison de la guerre civile qui s’y déroulait.

En outre, il ne résulte pas de l’instruction que les moyens affectés à la prévention du terrorisme et à la surveillance des frontières aient été insuffisants au regard des informations alors disponibles et surtout de l’extrême difficulté, sinon de l’impossibilité pratique, de procéder à des ajustements immédiats et massifs pour répondre à une dégradation extrêmement rapide et forte du contexte sécuritaire.

Enfin, l’instruction n’a pas mis en évidence une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude des services de renseignement et de sécurité intérieure à remplir la mission dont ils sont investis, ce malgré le lourd échec que représentent pour eux les attentats du 13 novembre 2015.

Décision. La requête est rejetée.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La responsabilité administrative pour faute, Les autres activités régaliennes de l'administration, in Responsabilité administrative (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E3802EUD.

 

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