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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 26 Septembre 2013
A - La validité du consentement
La rupture du contrat de travail résultant d'une convention est soumise aux règles générales du droit des contrats et, en particulier, à l'exigence que les parties aient valablement consenti au contrat comme l'exige l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8). Le Code du travail renforce encore cette exigence puisqu'il prête une attention toute particulière au consentement des parties qui concluent une rupture conventionnelle. En effet, les dispositions issues des articles L. 1237-11 et suivants, relatifs à la rupture conventionnelle, sont "destinées à garantir la liberté du consentement des parties". La Chambre sociale de la Cour de cassation a parfaitement entendu l'importance donnée au consentement et c'est donc très logiquement que l'on retrouve la protection de celui-ci au coeur de la plupart des décisions rendues depuis un an.
L'affaire la plus symbolique est certainement celle jugée le 30 janvier 2013 par la Chambre sociale et par laquelle elle décide que la situation de violence morale résultant d'un harcèlement moral subi par le salarié au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle caractérise un vice du consentement permettant l'annulation de la rupture conventionnelle (3). Le fondement de la décision ne repose ni sur les règles relatives au harcèlement moral, qui permettent l'annulation d'une rupture conclue dans un contexte de harcèlement, ni sur celles relatives au consentement édictées par la section relative à la rupture conventionnelle, mais sur les règles générales applicables au consentement et, en particulier, sur l'existence d'un vice de violence altérant le consentement sur le fondement de l'article 1109 du Code civil (N° Lexbase : L1197ABX). Le consentement du salarié n'est pas seul concerné si bien que celui de l'employeur peut également être altéré, par exemple lorsque la rupture conventionnelle a été acceptée à la suite de manoeuvres dolosives du salarié (4).
B - Le respect du formalisme garantissant la validité du consentement
D'autres décisions ont permis de mettre en avant l'importance du consentement et, plus particulièrement, de renforcer son lien avec le formalisme imposé à ce mode de rupture. C'est ainsi que la Chambre sociale a pu juger que la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié était nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause si bien qu'à défaut d'une telle remise, la rupture conventionnelle est nulle (5). Le respect du délai de rétractation pourrait poser d'autres difficultés à l'avenir tant on sait, dans les relations entre professionnels et consommateurs où ces délais sont fréquents, qu'ils font souvent l'objet de fraudes. Les juridictions du fond paraissent vigilantes comme le démontre une affaire jugée par la cour d'appel de Paris le 27 juin 2013, mais il y a fort à parier que d'importantes difficultés probatoires pourront le plus souvent paralyser toute action, sauf à ce que la chambre sociale adopte une conception souple du régime probatoire en la matière (6).
Si, sans surprise, la prééminence du consentement est donc affirmée, une certaine marge de manoeuvre est tout de même laissée aux parties. En effet, certaines situations dans lesquelles il aurait pu être imaginé que le consentement soit altéré sont acceptées par la Chambre sociale.
C - L'absence d'incidence de l'existence d'un différend
Ainsi en va-t-il de l'existence d'un différend ou d'un litige entre les parties dont on s'est longtemps demandé si, comme cela était le cas à propos de la rupture amiable conclue en application de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (7), elle n'était pas de nature à caractériser l'existence d'un consentement vicié. Prenant le contrepied de ces décisions antérieures, la Chambre sociale a très clairement affirmé que "si l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties" (8). Cette formule doit être bien comprise : l'existence d'un différend ou d'un litige peut éventuellement justifier que la validité de la rupture soit affectée, mais à la condition d'être accompagné d'autres éléments caractérisant cette altération. L'existence seule d'un différend concomitant à la conclusion de la convention est insuffisante (9). Les juges du fond exigeront, par exemple, l'existence de violences, de pressions ou de menaces exercées par l'une des parties (10).
Plus surprenant, la Chambre sociale considère que le consentement des parties n'est pas altéré lorsqu'aucun délai n'est respecté entre l'entretien des parties et la conclusion de la convention de rupture intervenue sur-le-champ (11). Cette décision est, comme nous relevions dans ces colonnes, parfaitement conforme aux textes du Code du travail qui n'imposent pas un tel délai. Elle a cependant la fâcheuse conséquence de rendre totalement ineffective la faculté offerte aux parties par la loi de se faire assister lors de l'entretien. Aucune obligation d'information du salarié n'étant imposée par les textes quant à ce droit d'assistance, la seule manière de la rendre véritablement effective aurait en effet consisté à exiger qu'un second entretien ait lieu après que le salarié ait pris connaissance, lors du premier entretien, de l'intention de l'employeur de conclure une rupture conventionnelle. L'absence d'obligation d'information quant à l'existence de la faculté de se faire assister est certainement l'un des défauts majeurs du régime légal de la rupture conventionnelle, défaut qui pouvait difficilement être évité à partir du moment où le législateur a souhaité ignorer la phase de prise d'initiative de la rupture, a entendu simuler l'existence d'une volonté initiale conjointe et concomitante. Comme cela est souvent le cas, la réalité rattrape la fiction...
D - Les interrogations maintenues quant à la sanction du défaut de validité
Le défaut d'une condition de validité contractuelle emporte la nullité du contrat. Cette règle de droit commun est appliquée à la rupture conventionnelle mais la Chambre sociale ne semble pas lui faire produire tous ses effets. Ainsi, la Chambre sociale a confirmé l'annulation de la convention prononcée par les juges d'appel lorsque le salarié était victime de harcèlement moral, mais, aussi, a accepté que cette nullité produise les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (12). Il est vrai que, dans cette affaire, aucun moyen n'avait été soulevé pour contester cette requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui, vraisemblablement, était même souhaitée par le salarié demandeur.
Techniquement, la nullité de la convention de rupture, comme la nullité de tout acte de rupture d'ailleurs, devrait pourtant avoir pour effet de remettre les parties en état et, en particulier, de permettre la réintégration du salarié. La même ambiguïté traverse la jurisprudence des juridictions du fond comme en témoigne un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui prononce la nullité d'une rupture conventionnelle, juge que cette nullité "remet les parties en l'état où elles se trouvaient avant la signature de cette convention" mais ne prononce pas la réintégration et octroie au salarié des indemnités pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (13).
Une position plus nette doit être adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Si celle-ci choisit de maintenir la requalification en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la motivation de ce choix sera bien délicate.
II - L'influence de l'ordre public sur la rupture conventionnelle
Quelques décisions ont encore été rendues par les juridictions judiciaires sur les rapports qu'entretient le régime de la rupture conventionnelle avec l'ordre public. Il existe principalement deux manifestations de cette relation.
A - Qualification indisponible
On peut d'abord relever qu'une juridiction du fond a eu l'occasion d'affirmer qu'un accord amiable de rupture conclu entre les parties devait être requalifié en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse faute que les parties à l'accord n'aient respecté les dispositions du Code du travail relatives à la rupture conventionnelle (14). En somme, la qualification de la rupture amiable du contrat de travail n'est plus disponible : il doit s'agir d'une rupture conventionnelle.
A l'exception des ruptures amiables qui peuvent encore survenir dans le cadre du régime applicable au licenciement pour motif économique (contrat de sécurisation professionnelle, accord de rupture dans le cadre d'un PSE, etc.), les ruptures amiables du contrat de travail issues de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) semblent donc en voie de disparition, par une application finalement assez logique de l'adage specialia generalibus derogant.
B - Clauses de la convention
Le Code du travail demeure relativement lacunaire quant au contenu de la convention de rupture et n'impose que l'existence d'une clause relative à l'indemnité servie au salarié et la détermination de la date de la rupture du contrat de travail. Faute d'autres précisions, c'est donc le principe de liberté contractuelle qui doit ici développer ses effets et l'on pouvait donc imaginer que les parties aient une grande latitude dans la détermination du contenu de la convention (15).
La Chambre sociale de la Cour de cassation s'est prononcée dans le sens opposé à propos d'une clause de la convention par laquelle les parties renonçaient "à tout recours" judiciaire après la rupture du contrat (17). Le fondement de la décision repose sur les dispositions de l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9) qui ouvre le droit au salarié de contester la validité de la rupture conventionnelle et qui, par conséquent, semble être considéré comme une disposition d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent déroger.
III - Articulation entre rupture conventionnelle et autre mode de rupture
Deux décisions ont encore été rendues à propos de l'articulation de la rupture conventionnelle avec d'autres modes de rupture du contrat de travail sans, d'ailleurs, que les deux décisions en question ne paraissent être bien cohérentes.
C'est cette règle qui permet à la Chambre sociale de rejeter une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formé contre un contrat déjà rompu par rupture conventionnelle faute que la nullité de cette dernière n'ait été demandée (17). Quelques semaines seulement après cette décision, une autre affaire jugée par la cour d'appel de Colmar donnait cependant le sentiment que la règle devrait à nouveau être précisée. En effet, les juges alsaciens ont eu l'occasion de juger que lorsque des parties signent une rupture conventionnelle postérieurement à la notification d'un licenciement pour faute, elles ont nécessairement renoncé aux effets de la lettre de licenciement et ont réglé par là même les effets de la rupture de leur relation (18). Ce faisant, elle acceptait la conclusion d'une rupture conventionnelle relative à un contrat de travail déjà rompu.
L'argumentation de la cour d'appel de Colmar a peu de chance de susciter une évolution de la jurisprudence. D'abord parce que la Chambre sociale a pris pour habitude de faire produire ses effets à la première rupture intervenue dans le temps, pour les ruptures conventionnelles comme pour d'autres modes de rupture. Ensuite parce que l'argumentation des juges d'appel reposait sur l'existence d'une renonciation des parties au licenciement caractérisé par la conclusion de la rupture conventionnelle. S'il est vrai que l'employeur peut renoncer au licenciement en accord avec le salarié, toute renonciation doit résulter d'une volonté expresse que l'on parvient difficilement à identifier dans ce cas de figure. Au contraire, on peut penser que la volonté des parties consistait à transiger à la suite de la rupture. La requalification de la rupture conventionnelle en transaction semble cependant ne pas être à l'ordre du jour de la Cour de cassation (19).
(1) V. les obs de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3627BTI).
(2) A l'exception d'une décision relative à l'articulation entre le régime de la rupture conventionnelle et celui du licenciement pour motif économique, v. Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79) ; v. les obs de Ch. Willmann, La Cour de cassation assimile les ruptures conventionnelles à des licenciements pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7642BRH) ; RDT, 2011, p. 226, rapp. J.-M. Béraud ; SSL, 2011, n° 1484 , p. 7, obs. J. Pélissier.
(3) Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, LexbaseHebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p . 258, note F. Taquet ; JCP éd. E., 2013, 1236, note D. Corrignan-Carsin ; LPA 8 août 2013, p. 19, note F. Hemadache.
(4) CA Metz, 6 mai 2013, n° 11/01105 (N° Lexbase : A2943KDD).
(5) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, préc. ; CSBP 2013, n° 250, p. 74, obs. A. Belot. La solution a depuis lors été reprise par les juridictions du fond, v. par ex. CA Rouen, 2 avril 2013, n° 12/03837 (N° Lexbase : A3617KBL).
(6) CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 27 juin 2013, n° 11/03173 (N° Lexbase : A9727KHQ).
(7) Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.570, F-D (N° Lexbase : A2439DZD).
(8) Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9246KDS) et nos obs., La rupture conventionnelle conclue avec l'avocat collaborateur salarié, Lexbase Hebdo n° 130 du 30 mai 2013 - édition. professions (N° Lexbase : N7295BTD) ; RDT 2013, p . 480, note G. Auzero ; LPA du 5 septembre 2013, p. 10, note R. Dalmasso ; Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5419KIK) et nos obs., Absence de délai entre entretien et signature de la rupture conventionnelle : que reste-t-il du droit des parties à se faire assister ?, Lexbase Hebdo n° 536 du 18 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8072BT7) ; CA Poitiers, 10 juillet 2013, n° 11/05381 (N° Lexbase : A6087KIB).
(9) Avant les décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation , v. par ex. une affaire jugée par la cour d'appel d'Agen qui jugeait que le consentement des parties était altéré puisque l'employeur avait sanctionné le salarié d'un avertissement quelques jours seulement avant la rupture conventionnelle, ce qui caractérisait l'existence d'un différend permettant d'annuler la convention : CA Agen, 12 mars 2013, n° 12/01002 (N° Lexbase : A8000I98).
(10) CA Limoges, 9 septembre 2013, n° 12/01357 (N° Lexbase : A5557KKZ).
(11) Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, préc.
(12) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, préc.
(13) CA Aix-en-Provence, 27 juin 2013, n° 12/19472 (N° Lexbase : A9211KHM).
(14) CA Amiens, 19 juin 2013, n° 12/02687 (N° Lexbase : A7883KG3).
(15) La cour d'appel de Bordeaux a, par exemple, accepté qu'une clause de non-concurrence soit instituée au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle ; v. CA Bordeaux, ch. soc., 6 mars 2012, n° 11/01545 (N° Lexbase : A9634ID8) et les obs. de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, préc.
(16) Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2990KIL).
(17) Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4) et nos obs., Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 525 du 25 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6799BTY) ; JSL, 2013, n° 344, p. 13, obs. Ph. Lhernould ; JCP éd. S, 2013, 1281, note C. Puigelier.
(18) CA Colmar, 7 mai 2013, n° 12/00123 (N° Lexbase : A1142KDN).
(19) V. Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208, préc., décision par laquelle la Chambre sociale refuse implicitement mais très clairement la requalification d'une rupture conventionnelle en transaction.
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