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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef
le 26 Septembre 2013
Le Vice-Bâtonnier Yvon Martinet explique que c'est la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) qui a créé une obligation de "reporting RSE" pour les 950 sociétés cotées françaises. A partir de 2001, les entreprises et les professionnels sont entrés dans un nouveau monde : avant, la RSE était plutôt un outil de communication, destiné aux clients ; aujourd'hui, c'est une obligation légale, dont le respect fait l'objet d'un rapport, pour la rédaction duquel les entreprises doivent adopter une méthodologie. Depuis les exercices ouverts en 2002, la RSE est devenue réelle et opérationnelle. Ces obligations ont donné lieu à l'apparition de vrais groupes RSE (Danone, Nature & Découverte...). Certains dirigeants sont des militants depuis longtemps (par exemple, Ben & Jerry's), d'autres ne le sont pas mais apportent, de par la loi, une contribution pérenne et efficace à la RSE. Les entreprises sont ainsi passées d'une RSE corporate à une RSE opérationnelle, qui touche au produit. Par exemple, le groupe Botanic, dans le secteur de la jardinerie, et qui n'était pas spécialement militant pour le droit de l'environnement, a décidé de ne plus vendre de phytos librement dans ses magasins. Le modèle économique change, et a un impact sur le produit. Finalement, par cette attitude, le dirigeant a vu son chiffre d'affaires augmenter de 20 à 25 % en deux à trois exercices.
RSE et comptabilité
La RSE a un impact mondial et global. En mois de dix ans, en accompagnement de l'évolution politique et intellectuelle du pacte mondial, la comptabilité s'est adaptée aussi. La question était la suivante : comment comptabiliser les extras financiers et l'internalisation des externalités, c'est-à-dire l'entrée de l'environnement dans l'entreprise ? Tous ces éléments d'environnement social entrent désormais dans les comptes. Le GRI, groupe de travail permanent basé à Amsterdam (1), a mis en place des cabinets comptables spécialisés dans l'extra financier (par exemple, le cabinet Caramba). A l'heure de cette conférence, les normes comptables sont en cours de transformation. Ainsi, aux normes IAS mondiales va s'ajouter, dans les 2-3 ans à venir, un système de traitement de l'extra financier. L'Afrique du Sud, notamment, travaille beaucoup sur cette question. Elle a proposé un modèle pour l'intégralité des entreprises mondiales. La RSE devient une stratégie partagée, et perd même cette qualité de stratégie, puisque tout le monde l'applique !
Le financement de la RSE
Les avocats accompagnent les entreprises dans la mise en place de la RSE et la méthode de reporting dans le rapport annuel. Au niveau du financement de la RSE, soit les entreprises utilisent leurs fonds propres, soit, dans la grande majorité des cas, elles contractent des prêts ou font appel au public ou à l'investissement fiduciaire. Par conséquent, l'investissement socialement responsable est passé en Europe de 0 à 12-13 %. C'est une révolution. Le private equity (investissement public via des fonds d'investissement) a fait son entrée dans la RSE, et son influence augmente chaque année. Il y a tout de même une distorsion entre ce qui se passe aux Etats-Unis et en Europe. Alors qu'aux Etats-Unis des secteurs entiers sont soigneusement évités par le private equity (le nucléaire, les OGM, l'armement), en Europe aucun secteur n'est banni. Globalement, il y a aujourd'hui une explosion des choix d'investissement.
Les banquiers sont plutôt suiveurs dans cette tendance, et non moteurs. Ils créent en interne des comités dans lesquels ils demandent à des personnalités de participer. Il s'agit là d'une tentative factice, même si certaines banques oeuvrent activement. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Du côté du public, des associations se sont créées et se consacrent à la RSE et à son financement, mais cette tendance est minoritaire, et les effets de la crise se font ressentir. L'objectif aujourd'hui est plutôt axé sur la rentabilité, du livret A par exemple. L'AMF considère que la RSE est très importante, mais les associations d'actionnaires ne s'y intéressent pas assez.
Les nouveaux métiers de l'avocat
Quel est le rôle des avocats dans la RSE ? Selon le Vice-Bâtonnier Yvon Martinet, l'avocat assiste l'entreprise dans son choix de méthode de reporting. Il faut adopter une méthode d'interrogation thématique des filiales. Les avocats ont souvent à prendre connaissance de questionnaires très complexes, qu'ils doivent optimiser et surtout simplifier, en instaurant un système de questions fermées, avec des réponses à cocher oui/non.
La tâche de l'avocat est aussi d'aider l'entreprise dans son audit quotidien, sur tous les aspects de RSE.
Un nouveau métier est apparu avec la RSE : celui de tiers certificateur (décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable N° Lexbase : L6889ISX). Ce tiers vérifie que la méthode, la qualité et la réalité des informations respectent une certaine norme. Le tiers certificateur est un tiers indépendant. Si ce métier est d'abord dédié aux comptables, il existe un vrai marché pour l'avocat. Culturellement, ce sont plutôt les commissaires aux comptes qui devraient s'intéresser à cette fonction, mais l'avocat et le secret professionnel qui lui est attaché ont tout à fait leur place. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer ce que l'avocat peut faire dans le cadre du métier de correspondant informatique et libertés (CIL (2)). Aujourd'hui, sur 100 CIL, 3 sont avocats. Or, l'avocat a, par effet de la loi, le bénéfice d'une dérogation particulièrement intéressante : celle de ne pas avoir à dénoncer son client à la CNIL en cas de violation de ses obligations. L'avocat doit donc s'emparer de la question du tiers certificateur.
Depuis l'affaire "Lehman Brothers" (3), l'on sait que le marché ne peut pas se réguler tout seul. Comment traduire une régulation du marché ? Le Medef estime qu'il faut créer des postes de déontologues. Le déontologue doit être un tiers à l'entreprise. L'avocat n'est-il pas le déontologue parfait pour cette fonction ? Dans le secteur public, le rapport "Sauvé" de 2011 (4) est passé inaperçu, et les déontologues de l'Assemblée nationale ne sont, en réalité, jamais saisis. L'affaire "Cahuzac" a tout remis en cause. Aujourd'hui, Noëlle Lenoir, avocate, occupe ce poste. Tout le secteur public est concerné.
Enfin, le métier de facilitateur de débat public semble aussi à la portée de l'avocat. Dans les pays scandinaves, cette fonction existe depuis longtemps. Aujourd'hui, les débats publics sont animés par des énarques, qui sont trop liés à l'Etat. Les avocats, et leur culture du consensus, peuvent mener ces débats. Le débat public doit être animé par des personnes indépendantes, soumises au secret et en-dehors de tout conflit d'intérêt. L'avocat ne répond-t-il pas à tous ces critères ?
La RSE et l'Ordre
Samir Ouriaghli considère que l'Ordre doit légitimer la place de l'avocat dans la prise de ces nouveaux marchés. D'où la mise en place nécessaire d'une RSE en son sein, et au sein de l'ensemble des cabinets de la place de Paris. L'Ordre a dressé son rapport RSE 2012 mais il est déjà dépassé par les récentes réalisations. En effet, en 2013, l'Ordre a contribué à la création, avec l'AFNOR (5), d'une nouvelle certification ISO 26000, aujourd'hui ouverte aux avocats.
Depuis 2012, l'Ordre a une vraie volonté de mettre en place cette RSE que les avocats accompagnent déjà chez leurs clients. Ainsi, en 2012, l'Ordre a opéré un diagnostic, comprenant un bilan carbone. Les différents axes stratégiques ont été définis et ont permis de structurer cette volonté de RSE au sein de l'Ordre. De plus, une cartographie de l'influence de l'Ordre a été dressée, comprenant les avocats de Paris et les salariés de l'Ordre. Ainsi, vingt salariés se réunissent 4 à 5 fois par an pour améliorer la RSE. Un auto-diagnostic a été mis en place avec l'aide de l'AFNOR. Les salariés ont découvert des éléments sur l'Ordre qu'ils ne connaissaient pas. Cette réalisation est fédératrice en interne, et donne une vision des valeurs partagées. Pour un cabinet, cela clarifie le projet d'entreprise.
Le bilan carbone est essentiel. L'Ordre est dans la norme, mais ce bilan donne un aperçu des éléments sur les principaux postes, comme le déplacement des élus. L'empreinte écologique de ces voyages, qui permettent de défendre les droits de l'Homme dans le monde et de promouvoir le droit civil, ne peut être réduite, au vu de cet objectif. En revanche, il va être possible de compenser cette empreinte sur d'autres postes, avec la participation à un projet de reforestation, par exemple.
A partir de ces données, l'Ordre a imaginé un plan d'action. Ce dernier est rendu compliqué par l'éclatement géographique de l'Ordre sur cinq sites, et le prochain déménagement aux Batignolles, en 2017. De plus, dans le cadre du Palais de justice de Paris, l'Ordre n'est pas libre. Et pourtant, des réalisations notables peuvent être soulignées : installation de détecteurs de mouvement dans les couloirs, qui allument ou éteignent la lumière selon que le couloir est vide ou non, pour économiser l'énergie, gestion des déchets avec le recyclage du papier, diminution du volume d'eau dans les lieux d'aisance, valorisation de l'eau de pluie, etc..
La RSE ne s'arrête pas à l'environnement, l'Ordre non plus. A été améliorée, la mise en ouverture des postes en interne quand l'un se libère. L'Ordre a aussi travaillé sur la question des handicapés et sur l'égalité homme/femme. Il y a deux ans, l'Ordre a reçu un label de qualité sur ces questions.
Concernant la gouvernance, la question est plus délicate, mais d'ici trente ans, elle devrait être au coeur des avancées. Le point le plus complexe porte sur la justification des dépenses. Cet élément est moins problématique dans les cabinets d'avocats, car la culture de l'avocat est la décentralisation. La structure pyramidale de l'Ordre entre en conflit avec la RSE, basée sur une hiérarchie plate.
L'Ordre s'engage à financer 50 % de la mise en place de la RSE et de son reporting au sein des cabinets d'avocats.
La RSE et la place de Paris
L'accord signé entre l'Ordre et l'AFNOR prévoit une évolution des cabinets d'avocats tendant à l'éligibilité à la norme ISO 26000. L'Ordre se propose de prendre en charge 50 % de dépenses ayant trait au bilan du cabinet (environ 10 000 euros) et à son adaptation.
La procédure est la suivante : tout d'abord, une journée d'initiation est proposée au cabinet. Ensuite, c'est la phase de déploiement qui prend le relais, et qui consiste en un auto-diagnostic visant à situer le cabinet dans le développement durable. Enfin, une évaluation plus précise est effectuée, avec la pratique d'interviews. Il ne s'agit pas d'un audit, ni d'une certification, donc il n'est pas besoin que l'avocat présente des preuves de son implication dans la RSE. Il s'agit en réalité d'un système de notation des pratiques et de leurs résultats. Est-ce qu'une pratique est planifiée, est-ce qu'elle est volontaire, comment les résultats sont-ils exploités et comment peut-on les améliorer ? Telles sont les questions auxquelles l'évaluation doit répondre. A la fin, une note globale sur mille est attribuée. A partir de 300, le cabinet est considéré comme un "bon élève". Très peu d'entreprises obtiennent une note supérieure à 700.
L'Ordre effectue un appel à candidatures auprès des cabinets. Pour l'instant, deux cabinets sont candidats. Cette procédure peut s'appliquer à tout type de cabinet. Elle est plus simple de réalisation dans les petits cabinets, car souvent les cabinets de taille plus importante ont un système de management ad hoc et ancien, qui n'apprécie pas les changements trop soudains.
Opérer ce bilan et en tirer les conséquences est essentiel pour l'ensemble de la place de Paris. Même les cabinets les plus importants et de haut de bilan doivent s'y conformer, car la concurrence aujourd'hui tient compte du respect de la RSE. Un client souhaite s'entourer de professionnels RSE compatibles, pour sa propre réputation. Cela est particulièrement vrai dans les relations avec les Etats-Unis.
C'est une question de légitimité de place.
(1) Le Global Reporting Initiative (GRI) a été établi à la fin de 1997 avec pour mission de développer les directives applicables mondialement en matière de développement durable, et de rendre compte des performances économiques, environnementales, et sociales, pour les sociétés d'abord, puis pour n'importe quelle organisation gouvernementale ou non gouvernementale.
(2) Le CIL permet de garantir la conformité de l'entreprise à la loi "informatique et libertés" (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS).
(3) Lehman Brothers était une banque d'investissement multinationale qui a fait faillite à la suite de la crise des subprimes, lorsque le marché s'est rendu compte qu'elle masquait son endettement derrière une norme comptable tout à fait légale.
(4) Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d'Etat, remis le 26 janvier 2011 au Président de la République.
(5) Association française de normalisation, placée sous la tutelle du ministère de l'Industrie, et chargée d'organiser et de participer à l'élaboration des normes françaises, européennes et internationales.
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