Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-21.185, FS-B N° Lexbase : A54001AA
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 25 Juillet 2023
► L'article 31, 3), du Code du statut personnel tunisien édicte un cas de divorce qui n'est pas assimilable à une répudiation unilatérale, accordée au seul mari, dès lors que celui-ci est ouvert de manière identique à chacun des conjoints ; les décisions tunisiennes (jugement, arrêt de cour d’appel, arrêt de Cour de cassation) prononçant le divorce à la demande du mari n’étaient donc pas contraires au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et donc à l'ordre public international.
En l’espèce, des époux, tous deux de nationalité tunisienne, s’étaient mariés en Tunisie le 8 avril 2006. Ils avaient acquis la nationalité française le 25 janvier 2016.
Le 8 août 2019, l’épouse avait saisi un juge aux affaires familiales d'une requête en divorce. L’époux avait soulevé une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement de divorce prononcé le 26 décembre 2017, sur sa demande unilatérale, par le tribunal de première instance de Sousse (Tunisie) et ayant acquis force de chose jugée sur le principe du divorce.
L’épouse faisait alors grief à l'arrêt de dire que le jugement du 26 décembre 2017, l'arrêt de la cour d'appel de Sousse du 16 mai 2018 et l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 12 décembre 2018 étaient opposables en France et de déclarer irrecevable sa requête en divorce. Elle faisait valoir que la décision d'une juridiction étrangère constatant la volonté unilatérale du mari de mettre fin au mariage sans justification aucune, sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international.
L’argument est classique. On rappellera que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de relever l’absence de conformité à l’ordre public international à propos de divorces prononcés par les juges marocains ou algériens, du fait d’une atteinte au principe de l’égalité entre époux (Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-25.802, FS-P+B+I N° Lexbase : A2624KNI : validant le refus de reconnaissance en France d'un jugement de divorce marocain consacrant un déséquilibre des droits entre les époux au détriment de la femme qui ne peut engager la procédure qu'avec l'accord de son époux, quand celui-ci peut agir unilatéralement ; Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-21.344, FS-P+B+I N° Lexbase : A2621KNE : retenant qu’est contraire à l'ordre public international un jugement de divorce algérien constatant la répudiation unilatérale et discrétionnaire par la seule volonté du mari, pour des motifs que ce dernier n'était tenu ni de révéler, ni de justifier, sans donner d'effet juridique à l'opposition de l'épouse, fût-elle dûment convoquée, ce qui rendait cette décision contraire au principe de l'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, quelles que soient les nouvelles voies de droit ouvertes à l'épouse pour y parvenir). Elle a retenu, en revanche, que le divorce algérien par compensation (Khol’a) prévu à l’article 54 du Code de la famille algérien n’est pas assimilable à la répudiation prévue à l’article 48 du même code, dès lors que le premier, prononcé à l’initiative de l'épouse, est subordonné au paiement d’une somme d'argent, tandis que la seconde procède de la seule volonté de l’époux, lequel ne peut être tenu à une réparation pécuniaire qu’en cas de reconnaissance par le juge d’un abus de droit (Cass. civ. 1, 17 mars 2021, n° 20-14.506, FS-P N° Lexbase : A89574LC).
Mais l’argument est rejeté en l’espèce par la Haute juridiction qui rappelle que selon l'article 15, d), de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires N° Lexbase : L2064MIB, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions tunisiennes, en matière civile, n'ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international.
Elle relève également qu’aux termes de l'article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la CESDH, les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
Cela étant rappelé, elle approuve néanmoins la cour d'appel de Versailles ayant énoncé que l'article 31, 3), du Code du statut personnel tunisien édicte un cas de divorce qui n'est pas assimilable à une répudiation unilatérale, accordée au seul mari, dès lors que celui-ci est ouvert de manière identique à chacun des conjoints.
Les conseillers versaillais ont alors retenu que, régulièrement citée et représentée par un avocat devant les juridictions tunisiennes, l’épouse ne démontrait pas que les décisions, qui avaient été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle avait exercé les voies de recours mises à sa disposition, avaient été rendues en fraude de ses droits.
La cour d’appel en avait déduit à bon droit que les décisions tunisiennes invoquées par l’époux n'étaient pas contraires au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et donc à l'ordre public international.
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