Le Quotidien du 13 juillet 2023 : Assurances

[Brèves] Faute dolosive : retour sur la conscience du caractère « inéluctable » du sinistre

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juillet 2023, deux arrêts, n° 21-24.833, F-B N° Lexbase : A367998R, et n° 21-24.835, F-D N° Lexbase : A288399N

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 12 Juillet 2023

► La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, qui ne se confond pas avec la seule conscience du risque d'occasionner le dommage.

Les présents arrêts sont rendus dans le cadre d’un contentieux de masse, né à l’occasion de la souscription, par des particuliers, d’un produit de défiscalisation « Snc GIR Réunion » (réduction d'impôt sur le revenu à l'occasion du dispositif dit « Girardin Industriel », prévu par l'article 199 undecies B du CGI), proposé par la société Gesdom pour l'acquisition et la mise en location des stations autonomes d'éclairage (SAE), alimentées par des panneaux photovoltaïques sur l'Île de La Réunion.

Ces investissements, portant sur des installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative au soleil, sont cependant devenus inéligibles à la défiscalisation à la suite de la loi de finances pour 2011. N’ayant pas reçu de la société d’attestation fiscale leur permettant de bénéficier de la réduction d’impôt escomptées, de nombreux souscripteurs ont alors assigné en indemnisation l’assureur de responsabilité civile de la société.

Par deux arrêts en date du 10 novembre 2021, inédits au bulletin, mais déjà relevés et commentés dans ces colonnes (Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, deux arrêts, n° 19-12.659 N° Lexbase : A74137B8 et n° 19-12.660 N° Lexbase : A74847BS, F-D ; v. R. Bigot, A. Cayol, Chronique de droit des assurances, Décembre 2021, Lexbase Droit privé, n° 888, 16 décembre 2021 N° Lexbase : N9770BYI) la Cour de cassation avait censuré les décisions des cours d’appel de Versailles qui avaient débouté les souscripteurs en cause de leurs demandes formées contre l’assureur, après avoir retenu l’exclusion de garantie à raison de la faute dolosive de la société assurée. La Haute juridiction avait notamment reproché aux juges d’appel de ne pas avoir recherché, comme il leur était demandé, si la faute dolosive exclusive d'aléa, découlait d’un manquement délibéré de la société à ses obligations envers l'investisseur et de la conscience qu'elle avait de la réalisation inéluctable du dommage en raison de l’inéligibilité à la défiscalisation des SAE. Par ces arrêts, la Cour suprême avait alors eu l’occasion de relever l’autonomie de la faute dolosive, rappelant que « la faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l'exclusion de la garantie de l'assureur dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l'assuré qui ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre ».

C’est dans le cadre de ce même contentieux que la Cour de cassation a de nouveau été amenée à se prononcer dans ses deux arrêts rendus 6 juillet 2023. Elle procède à un nouveau rappel de la définition de la faute dolosive, laquelle « s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ».

Elle attire ainsi, cette fois, l’attention des juges d’appel sur la nécessité de caractériser la conscience qu'avait la société du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit auprès de son client, en précisant qu’elle ne se confond pas avec la conscience du risque d'occasionner le dommage.

Décision CA. En effet, pour rejeter les demandes en indemnisation formées auprès de l’assureur, la cour d’appel de renvoi énonçait qu'il était constant que l'article 36-1 de la loi de finances pour l'année 2011 du 29 décembre 2010 avait exclu du champ d'application de la loi dite « Girardin » les investissements portant « sur les installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil » et observait que les SAE produisent de l'électricité au moyen de panneaux photovoltaïques grâce à cette énergie.

L'arrêt énonçait encore qu'il était certain que tous les professionnels du secteur ne pouvaient que conclure à l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE et ne pouvaient faire valoir auprès des investisseurs potentiels un avantage fiscal devenu manifestement exclu. Il ajoutait que la société A aurait dû suspendre la commercialisation des produits concernés et interroger l'administration fiscale plus tôt qu'elle ne l'avait fait.

Il relevait, à cet égard, que cette administration avait été interrogée au mois d'avril 2013 seulement, et avait considéré que c'était sans l'ombre d'une hésitation et sans surprise qu'elle avait pris position en indiquant que l'exclusion définie par l'article 36 précité, concernant toutes les installations générant de l'électricité par la conversion photovoltaïque de l'énergie solaire, ne pouvait qu'appréhender également les SAE. Il a ajouté que l'argument tiré du délai de réponse de cette même administration, pour expliquer que la commercialisation se soit faite sans attendre sa réponse, était inopérant, au regard des enjeux et des risques que la société A faisait courir aux investisseurs en la poursuivant.

L'arrêt relevait encore que si le client contestait tout risque délibéré pris par la société A, dès lors qu'elle avait consulté un cabinet d'avocat spécialisé en matière fiscale, cette consultation était intervenue tardivement, plus de huit mois après l'entrée en vigueur de la loi précitée, et après la souscription par de son investissement. Il considérait que la société A avait sollicité cette consultation parce qu'elle connaissait la nouvelle exclusion figurant à l'article 36-1 précité, et en avait déduit qu'elle avait pleinement conscience du risque évident qu'elle faisait courir aux investisseurs au moment où le contrat a été souscrit.

L’arrêt avait retenu, enfin, que le manquement délibéré de cette société à son obligation de prudence avait abouti à la réalisation inéluctable du dommage qui avait fait disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, et en avait déduit qu'en vendant, en mai 2011, un tel produit de défiscalisation dont l'avantage fiscal n'était plus garanti, elle avait commis une faute dolosive exclusive de tout aléa, de telle sorte que les assureurs étaient fondés à opposer à l’intéressé une exclusion de garantie.

Pourvoi. L’intéressé a formé un pourvoi en vue d’obtenir la garantie de l’assureur, faisant valoir que la connaissance de l'existence du risque de réalisation d'un dommage ne peut être assimilée à celle de la certitude de sa survenance, et qu’il s'ensuit qu'un manquement, même délibéré, à l'obligation de prudence de l'assuré, qui rend seulement possible la réalisation d'un dommage, ne peut être assimilé à un manquement qui conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre.

Cassation. L’argument est accueilli par la Cour régulatrice qui censure la décision, reprochant aux conseillers d’appel de s’être déterminés ainsi, par des motifs impropres à caractériser la conscience qu'avait la société du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit auprès de l’intéressé, qui ne se confond pas avec la conscience du risque d'occasionner le dommage.

Il est intéressant de relever que la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 6 juin 2023, statuant sur renvoi après cassation par l’arrêt précité du 10 novembre 2021 (pourvoi n° 19-12.660), a finalement retenu l’absence de faute dolosive de la société : « compte-tenu de l'incertitude entourant l'éligibilité des SAE au dispositif, si la société Gesdom a manqué à son obligation de prudence et de sécurité juridique de l'opération et aurait dû s'assurer que le montage proposé à M. [C] lui permettrait de bénéficier de la réduction d'impôt envisagée, elle n'a cependant pas manqué délibérément à ses obligations envers l'investisseur et n'avait pas conscience de la réalisation inéluctable du dommage en raison de l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE. Elle n'a par conséquent commis ni faute intentionnelle ni faute dolosive excluant la garantie de l'assureur ».

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