La lettre juridique n°948 du 8 juin 2023 : Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Toujours pas d’état de nécessité écologique

Réf. : Cass. crim., 29 mars 2023, n° 22-83.911, F-B N° Lexbase : A39239LU

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par Barbara Drevet, Docteure, ATER Université Clermont Auvergne, CMH UPR 4232, F-63000 Clermont-Ferrand, France

le 07 Juin 2023

Mots-clés : état de nécessité • destructions • dégradations • détériorations • glyphosate • écologie

L’état de nécessité invoqué par les militants écologistes est, comme de coutume, rejeté par la Cour de cassation et ne peut ainsi justifier la dégradation ou détérioration délictuelle de bidons contenant du glyphosate, malgré l’existence d’un danger reconnu par la cour d’appel.


 

  1. Dix ans d’arguments d’état de nécessité écologique plus tard, la Cour de cassation ne paraît toujours pas disposée à l’admettre, en démontre l’arrêt du 29 mars 2023 [1]. Dans une affaire de bidons de produits contenant du glyphosate enduits de peinture par des militants écologistes dans plusieurs magasins, la Cour de cassation devait se prononcer sur l’admission de l’état de nécessité écologique et sur la qualification délictuelle appliquée à l’utilisation de peinture délébile sur un bien.
  2. Présence d’un danger actuel. S’agissant de l’état de nécessité d’une part, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a justifié sa décision, qui a souverainement estimé « qu’il n’était pas démontré que la commission d’une infraction était le seul moyen d’éviter un péril actuel ou imminent ». La solution est loin d’être nouvelle, la Cour de cassation ayant à maintes reprises refusé d’appliquer l’état de nécessité fondé sur des raisons écologiques pour justifier une destruction, dégradation, détérioration [2]. En revanche, si l’état de nécessité était écarté, c’est que les cours d’appel, validées par la Cour de cassation, considéraient qu’il n’existait aucun danger imminent. En effet, la destruction de plants d’OGM n’avait pu être justifiée par l’état de nécessité, « le péril [devant] être réel et non hypothétique » [3] et « l'expression d'une crainte ne [pouvant] justifier la commission d'une infraction » [4]. Plus lapidairement, la Cour de cassation a souvent considéré que la destruction de plants OGM ne remplissait aucune des conditions de l’état de nécessité [5], les motifs de la cour d’appel révélant que la condition de danger faisait défaut. La Cour de cassation avait de la même manière refusé que l’état de nécessité justifie l’introduction, par effraction et sans autorisation de l'autorité compétente, dans l'enceinte d'une centrale nucléaire car cela ne répondait pas à « un danger actuel ou imminent les menaçant directement mais [à] l'expression d'une crainte face à un risque potentiel, voire hypothétique » [6]. Or, et c’est là l’originalité de l’arrêt commenté, la cour d’appel admet ici que la présence de glyphosate dans les différents bidons constitue un « danger actuel pour l’ensemble de la population ».
  3. Absence de nécessité. Ce n’est donc pas le danger qui fait défaut ici mais la nécessité de commettre les dégradations en réponse. En effet, la Cour de cassation relève que selon la cour d’appel, les prévenus « ne démontrent pas en quoi la dégradation de bidons et de flacons de produits désherbants dans un magasin constituerait un acte nécessaire et le seul moyen indispensable à la sauvegarde des personnes, alors qu’ils avaient accès à de nombreux moyens d'action, politiques, militants, institutionnels qui existent dans tout État démocratique ». La motivation peut ne pas convaincre, la réaction à un danger pouvant justement conduire à une réaction plus rapide qu’une saisine des autorités publiques. Cela étant, pour être nécessaire, cette réaction doit aussi être efficace, c’est-à-dire constituer le meilleur moyen pour mettre fin au danger [7], ce dont on peut douter en l’espèce.
  4. Liberté d’expression. Une telle solution démontre une fois encore que l’état de nécessité n’est pas la cause d’irresponsabilité la plus pertinente en matière de militantisme écologique, ses conditions d’application n’étant pas compatibles avec le motif écologique sous-tendant la commission de l’infraction [8]. C’est sans doute ce qui explique que les militants aient adopté une nouvelle stratégie – peut-être plus prometteuse – en invoquant désormais la liberté d’expression pour tenter de justifier le vol dans les fameuses affaires des décrocheurs des portraits de Macron  [9]. Dans l’une d’elles, après avoir rejeté l’état de nécessité dont la condition de nécessité n’était pas remplie [10], la Cour de cassation a en effet censuré la cour d’appel qui n’a pas vérifié « si l'incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas, en l'espèce, une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression des prévenus » [11]. Si ce fait justificatif n’a pour l’instant pas prospéré pour les décrocheurs de tableaux [12], il demeure sans doute un choix plus pertinent que l’état de nécessité en ce qu’il ne nécessite de vérifier ni une condition de danger ni une condition de nécessité mais se concentre sur la proportionnalité [13]. Cela étant, cette condition aurait peut-être fait également défaut dans l’arrêt commenté en raison du dommage non léger relevé pour caractériser les destructions, dégradations et détériorations délictuelles.
  5. Dommage non léger. D’autre, part, s’agissant de la qualification délictuelle, la Cour de cassation se range là encore à l’appréciation souveraine de la cour d’appel, laquelle a « constaté que les faits commis ne constituaient pas des dégradations ou détériorations à caractère contraventionnel, les produits en cause, destinés à être vendus, étant devenus impropres à la vente ». La qualification délictuelle est ainsi préférée à la qualification contraventionnelle, qui suppose quant à elle un dommage léger. Or, la caractérisation d’un dommage non léger semble tout à fait discutable en l’espèce, les bidons ayant été enduits d’une peinture délébile nettoyée par les magasins qui, comme l’avaient relevé les juges du fond, avaient ensuite remis les biens en vente [14]. La cour d’appel quant à elle choisit de ne pas tenir compte de cette donnée et se concentre plutôt sur la persistance de peinture après nettoyage ainsi que sur les préjudices de plusieurs milliers d’euros invoqués par les responsables des magasins afin d’en conclure que les produits sont devenus impropres à la vente [15]. C’est ensuite de ce caractère impropre à la vente qu’elle conclut que le dommage est non léger et, partant, opte pour la qualification délictuelle. Cette motivation paraît alors reposer non pas sur une atteinte à la substance du bien, critère invoqué par le pourvoi, mais sur l’aptitude à l’usage de la chose atteinte. La cour d’appel vérifie bien ici si le fait d’être enduit de peinture a « ou non rendu le bien qui en est l’objet impropre à sa fonction normale » [16], c’est-à-dire ici impropre à être vendu. Il est donc contestable que la cour d’appel n’ait pas tenu compte du fait que certains bidons aient été remis à la vente, ce qui démontre bien qu’ils étaient toujours aptes à être utilisés. La censure était toutefois peu probable, la question relevant de l’appréciation souveraine de la cour d’appel.
  6. Absence de définition du dommage non léger. C’est sans doute toute la difficulté – et le problème – de l’absence de définition de ce qu’est un dommage léger ou non léger, qui laisse aux juges du fond et d’appel la tâche de trouver eux-mêmes les critères pour le déterminer et l’opportunité de choisir au cas par cas le critère qu’ils préfèrent utiliser. Mais cela correspond exactement aux souhaits de la Cour de cassation, qui avait refusé de transmettre une question proportionnalité sur ce point au motif que « les termes de l'article 322-1, alinéa 1, du Code pénal sont suffisamment clairs et précis pour que son interprétation, qui entre dans l'office du juge pénal, se fasse sans risque d'arbitraire, de sorte qu'aucun des principes invoqués n'est méconnu » [17].
 

[1] Cass. crim., 29 mars 2023, n° 22-83.911, F-B N° Lexbase : A39239LU.

[2] V. notamment Cass. crim., 19 novembre 2002, n° 02-80.788 N° Lexbase : A2434CXG : Mayer, note, D., 2003. 1315 ; Cass. crim., 18 février 2004, n° 03-82.951, F-D N° Lexbase : A88634RP : P. Trouilly, Environnement, 2004, n° 7, comm. 78 ; Cass. crim., 7 février 2007, n° 06-80.108, F-D N° Lexbase : A3018D9N : A. Darsonville, obs., D., 2007, p. 573 ; J.-Ph. Feldamn, obs., D., 2007, p. 1310 ; F.-G. Trébulle, obs., JCP G, 2007, n°14, II 10059.

[3] Cass. crim., 7 février 2007, n° 06-80.108, F-D N° Lexbase : A3018D9N.

[4] Ibid.

[5] Cass. crim., 19 novembre 2002, n° 02-80.788 N° Lexbase : A2434CXG ; Cass. crim., 18 février 2004, n° 03-82.951, F-D N° Lexbase : A88634RP.

[6] Cass. crim., 15 juin 2021, n° 20-83.749, F-B N° Lexbase : A00954WG : A. Dejean de la Bâtie, obs., D., 2021, p.1661 ; G. Beaussonie, obs., RDI, 2021, p.546 ; Ph. Conte, obs., Dr. pén., 2021, n° 9, comm. 138 ; E. Dreyer, Dénonciation du risque nucléaire : comme tout est plus simple sans la Convention européenne des droits de l'homme !, Légipresse, 2021, p. 429 ; J.-C. Saint-Pau, JCP G, 2021, n° 30-34, act. 840; L. Saenko, obs., RTD Com., 2022 p.175.

[7] Dans le même sens v. J. Ph. Fedelman, Les « faucheurs » fauchés par la Cour de cassation, D., 2007, p. 1310.

[8] Dans le même sens v. M. Danti-Juan, État de nécessité, Rép. pén. Dalloz, 2020, § 39.

[9] Cass. crim., 22 septembre 2021, n° 20-80.489 N° Lexbase : A134647Y et n° 20-80.895 N° Lexbase : A442447Y et n° 20-85.434 N° Lexbase : A134747Z : G. Beaussonie, obs., JCP G, 2022, n° 21, doctr. 925 ; Ph. Conte, obs., Dr. pén., 2021, comm. 206 ; G. Chetard, note, AJ pénal, 2021, p. 533.

[10] Cass. crim., 22 septembre 2021, n° 20-85.434, préc., § 8-10.

[11] Ibid, § 12-18

[12] Cass. crim., 18 mai 2022, n ° 20-87.272, FS-D N° Lexbase : A97017XL, n° 21-86.647, FS-D N° Lexbase : A98177XU et n° 21-86.685, FS-B N° Lexbase : A33897XS : S. Pellé, note, D., 2022, 1186 ; J.-B. Thierry, obs., AJ pénal, 2022, p. 374 ; F. Rousseau, obs., JCP G, 2022, 879 ; Ph. Conte, obs., Dr. pén. 2022 ; X. Pin, obs., RSC, 2022, 817 ; A. Lepage, Communication Commerce électronique, 2022, n° 7-8, comm. 51; Cass. crim., 30 novembre 2022, n° 22-80.959, F-D N° Lexbase : A34938XN : A. Costes, Décrochage des portraits officiels du Président de la République : quelques précisions à propos du contrôle de conventionnalité en droit pénal, Lexbase Pénal, 2023, n°57 N° Lexbase : N4391BZN.

[13] Dans le même sens v. Ph. Conte, Danger futur, Dr. pén., 2021, n° 9, comm. 138.

[14] Cass. crim., 29 mars 2023, n° 22-83.911, préc., § 11.

[15] Ibid, §§ 14-16.

[16] E. Bonis et R. Ollard, Destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes, Jurisclasseur Pénal Code, Fasc. 20, (actualisation 29 août 2022), §93.

[17] Cass. crim., 4 novembre 2014, n° 14-90.038, F-D {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 21560375, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. crim., 04-11-2014, n\u00b0 14-90.038, F-D, Qpc seule - Non-lieu \u00e0 renvoi au cc", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9225MZP"}} : pour une approche critique de la décision, v. Malabat, obs., Rev. pénit., 2015, p. 137-138.

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