Le Quotidien du 11 mai 2023 : Actualité judiciaire

[A la une] Les manifestations contre la réforme des retraites relancent le débat sur les gardes à vue abusives et l’idée d’une loi anticasseurs

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[A la une] Les manifestations contre la réforme des retraites relancent le débat sur les gardes à vue abusives et l’idée d’une loi anticasseurs. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/95815188-a-la-une-les-manifestations-contre-la-reforme-des-retraites-relancent-le-debat-sur-les-gardes-a-vue-
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par Vincent Vantighem

le 09 Mai 2023

C’est un hiatus. Un gap. Presque un fossé infranchissable. Entre deux franges de l’opinion publique. Celle qui considère que les autorités sont vraiment trop laxistes avec les fauteurs de troubles. Et celle qui pense, à l’inverse, que l’on embastille un peu trop facilement ceux qui ne veulent qu’exprimer leur mécontentement à la suite de l’adoption contestée et la promulgation incontestable de la réforme des retraites. Les récentes manifestations contre le projet d’Emmanuel Macron ont douloureusement ravivé le débat public sur la gestion du maintien de l’ordre en France. Entre ceux qui prônent la mise en place d’une loi « anticasseurs » et ceux qui dénoncent les gardes à vue abusives. Comme souvent, c’est par une bataille de chiffres que tout a recommencé.

Le premier à dégainer n’est autre que Gérald Darmanin. Ministre de l’Intérieur, prompt à commenter les violences bien réelles subies par les policiers et les gendarmes lors de la gestion de ces rassemblements. Encore le 1er mai dernier. La manifestation à peine achevée. Les poubelles à peine éteintes que le ministre dénonçait sur les chaînes d’information en continu le fait que 406 membres des forces de sécurité intérieure avaient été blessés à l’échelle de la France, dont 259 rien qu’à Paris. Ceux qui préfèrent une image à une courbe statistique avaient évidemment droit aux images de ce policier atteint par un pavé en pleine tête et à celui dont l’équipement s’est embrasé lors de la réception d’un cocktail Molotov. Insupportable pour l’opinion publique.

Moins de deux jours plus tard, c’est la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté qui lui répondait, mettant en avant, de son côté, un autre aspect du dossier. Dominique Simmonot révélait en effet avoir écrit au ministre le 17 avril dernier pour dénoncer « des atteintes graves aux droits fondamentaux » par la police dans les gardes à vue de personnes interpellées à Paris dans des manifestations contre la réforme des retraites… Elle aussi aime les chiffres. Et c’est celui d’un taux de classement sans suite de 80 % des procédures entre le 16 et le 23 mars des gardes à vue prises à Paris qu’elle choisissait de mettre en avant. Estimant donc que 80 % des personnes placées en garde à vue l’avaient été… pour rien. Ou presque.

À Paris, 62 % des gardes à vue classées sans suite depuis le 16 mars

Voilà où nous en sommes donc après des mois de mobilisation contre cette réforme qui prévoit, rapidement, d’allonger l’âge de départ légal à la retraite à 64 ans. D’un côté, des violences de plus en plus palpables. De l’autre, des gens placés en garde à vue de façon abusive. Comme si on devait démontrer qu’il y a de plus en plus de casseurs, mais qu’on a de plus en plus de mal à les arrêter et à leur faire rendre des comptes devant la justice.

Car Dominique Simmonot ne dit pas autre chose : dans son rapport de trente-quatre pages publié, mercredi 3 mai, elle dénonce le fait que la majorité des personnes placées en garde à vue voient au final leurs procédures classées sans suite. Qu’elles se retrouvent donc derrière des barreaux, dans « des conditions d’hygiène indignes », avec « une notification des droits tardive » (droit à un avocat, à un médecin), dans une situation de promiscuité intenable (de 0,88 à 3 m² par personne dans les cellules collectives) alors qu’on ne trouve, finalement, rien à leur reprocher. Se faisant, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté – nommée à ce poste par le Président de la République, faut-il le rappeler – explique aussi que tous ces gens-là n’ont, une fois interpellés, pas eu le loisir de poursuivre leur action de revendication, leur manifestation, leur volonté de vouloir revendiquer leur position.

Le classement sans suite des gardes à vue est un vrai problème. Selon un décompte réalisé pour Lexbase à partir des chiffres fournis par le parquet de Paris, 557 des 895 personnes placées en garde à vue à Paris lors des six dernières journées d’action nationale ont vu leurs procédures classées sans suite. Soit 62,2 %. Autrement dit : six gardes à vue sur dix pour des procédures qui se finissent en peau de chagrin. Laurent Nuñez, le préfet de police, a beau dire qu’il se sent « insulté » par l’analyse de Dominique Simmonot, ça fait beaucoup !

Alors, certes, il est difficile de gérer le maintien de l’ordre dans de tels mouvements quand les poubelles et les vélos en libre-service s’enflamment. Mais tout de même. Devant la critique, Gérald Darmanin met en avant le « défi logistique » que revêt la gestion de ces manifestations et reconnaît que ses hommes ont encore des « progrès à faire » pour bien ficeler les procédures et notamment bien rédiger les fiches d’interpellation. Mais les faits sont là. Et ils suffisent à inciter des avocats pour déposer des recours pour dénoncer ces gardes à vue abusives. Quand bien même ils savent qu’il faut parfois interpeller dix personnes pour découvrir lequel des dix a jeté le pavé vers les CRS…

Les syndicats de policiers reçus à l’Élysée

Car, le problème, c’est que tout coulerait de source si les policiers et gendarmes engagés sur le pavé n’en prenaient pas dans la figure à longueur de manifestation. Les images des black blocs organisés qui n’hésitent plus à déposer, au préalable, sur le parcours des manifestations leurs projectiles pour se prémunir du risque de fouilles préventives le jour J suffisent à s’en convaincre.

Et à titiller l’opinion publique. Il aura donc fallu le 1er mai pour remettre sur l’ouvrage l’idée d’une nouvelle loi « anticasseurs ». Bien diffusée par les syndicats de policiers. Gérald Darmanin, très présent dans les médias, a donc annoncé qu’il y réfléchissait. Et même qu’il souhaitait y réfléchir avec Éric Dupond-Moretti, son homologue à la Justice. L’idée est aussi vieille que Georges Pompidou est mort vu qu’elle faisait déjà débat à l’époque où il présidait aux destinées de la France. Plus récemment, en 2019, elle a même été proposée par le Gouvernement d’Édouard Philippe. L’idée était simple : puisque l’on parvient à empêcher les hooligans de se rendre dans les stades en les faisant pointer dans les commissariats au moment des matchs, faisons de même avec les casseurs habitués des manifestations. Las, le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition, expliquant doctement que la liberté de voir vingt-deux hommes courir derrière un ballon n’était pas comparable avec la liberté de manifester et de faire valoir sa liberté d’expression qui sont, elles, inscrites dans la Constitution.

Mais l’idée fait son chemin. Et le 12 mai, Emmanuel Macron a proposé aux syndicats de policiers de venir exposer leurs points de vue devant son directeur de cabinet et son « Conseiller police ». Éric Dupond-Moretti, lui, joue les sages dans ce domaine. Reconnaissant que les images des violences sur les policiers sont « inadmissibles », il a reconnu qu’il allait en discuter avec Gérald Darmanin. Mais sur les plateaux de télévision, il a expliqué qu’il n’aimait pas l’idée d’inventer de nouvelles lois « sous le coup de l’émotion ». Fort de ses racines italiennes, il sait mieux que quiconque que « qui va piano va sano ». Qui va doucement avec ces grands concepts, avance sereinement. Au moins jusqu’à la prochaine manifestation qui, malheureusement, pourrait dégénérer.

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