La lettre juridique n°942 du 13 avril 2023 : Procédure civile

[Jurisprudence] L’exécution de condamnations exécutoires et non-exécutoires ne vaut pas renonciation à recours

Réf. : Cass. civ. 2, 23 mars 2023, n° 21-20.289, F-B N° Lexbase : A39519KK

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par Charles Simon, Avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’Association des avocats et praticiens des procédures et de l’exécution (AAPPE) et de Droit & Procédure

le 12 Avril 2023

Mots-clés : acquiescement à jugement • renonciation à recours • exécution provisoire

La Cour de cassation sécurise le droit au recours contre un jugement en posant que l’exécution volontaire de celui-ci ne vaut pas renonciation à recours alors même que certains chefs de condamnation exécutés n’étaient pas exécutoires. Mais le sommaire de l’arrêt que la Cour de cassation propose sur son site web et certains passages de l’arrêt lui-même contredisent la jurisprudence antérieure et les textes et fragilise, au moins en apparence, le caractère exécutoire des condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.


 

Dans cet arrêt publié au bulletin de la Cour de cassation revient sur le problème classique de la renonciation à recours par l’effet de l’exécution du jugement. Le cas d’espèce présentait cependant une particularité : certaines condamnations exécutées étaient exécutoires, d’autres non. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait jugé que l’exécution du jugement dans son entier valait renonciation à appel. Elle confirme ainsi, sur un nouveau fondement, une jurisprudence en réalité déjà établie (I). Mais, de façon incidente, l’arrêt et le sommaire que la Cour de cassation en propose sur son site web font naître un doute à la fois sur l’interprétation des textes applicables et le caractère exécutoire des condamnations à article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM et aux dépens (II).

I. L’exécution volontaire du jugement ne vaut pas acquiescement et renonciation à recours

L’arrêt commenté s’inscrit dans un problème classique (A). Il confirme et élargit la jurisprudence antérieure protégeant le droit au recours du justiciable dans le cas où une partie des condamnations du jugement dont recours n’étaient pas exécutoires et ont pourtant été exécutées (B).

A. Le problème classique de l’exécution du jugement dont recours

En l’espèce, une partie avait été condamnée en première instance et avait formé appel du jugement. Mais, en parallèle, elle avait exécuté le jugement. Se prévalant du fait que certains chefs de condamnation exécutés n’étaient pas exécutoires, l’intimé avait alors contesté la recevabilité de l’appel. En effet cette exécution volontaire de chefs de condamnation non exécutoires aurait valu acquiescement au jugement et donc renonciation de l’appelant à son droit au recours.

La cour d’appel avait suivi l’intimé et déclaré l’appel irrecevable. La Cour de cassation casse, aux motifs que l’acquiescement de l’appelant aurait été incertain.

Juridiquement, les éléments du problème étaient les suivantes :

  • l’article 409 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6510H7A prévoit que « l’acquiescement au jugement emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours sauf si, postérieurement, une autre partie forme régulièrement un recours » ;
  • l’article 410 du même Code N° Lexbase : L6511H7B prévoit que « l’acquiescement peut être exprès ou implicite ». Son alinéa 2 précise que « l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n'est pas permis ».

C’est l’application de l’alinéa 2 de l’article 410 du Code de procédure civile qui fait difficulté ici.

Cet alinéa amène à distinguer deux cas, selon que le jugement est exécutoire ou non :

  • si le jugement est exécutoire, son exécution, même sans réserve ne peut valoir acquiescement et donc renonciation à recours (Cass. civ. 3, 5 juillet 1989, n° 88-70.165 N° Lexbase : A0120AB3 ; Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 02-12.392, F-P+B N° Lexbase : A2716DB9 ;
  • si le jugement n’est pas exécutoire, son exécution sans réserve vaut acquiescement et renonciation à recours, y compris lorsqu’un recours a été formé au préalable (Cass. civ. 2, 2 février 2012, n° 10-28.103, F-D N° Lexbase : A8871IB8) et que des conclusions ont été déposées devant la cour d’appel (Cass. soc., 21 janvier 2014, n° 12-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A0066MDS). Le juge n’a même pas à rechercher si la partie qui a exécuté le jugement avait ou non l'intention d'y acquiescer (Cass. civ. 2, 14 décembre 1992, n° 91-13.193 N° Lexbase : A5848AH3 ; Cass. civ. 2, 7 janvier 1998, n° 95-10.949 N° Lexbase : A8865CNN). Car l’exécution vaut, en soi, acquiescement, sans qu’aucune autre condition objective ou subjective ne soit requise.

En pratique, le cas d’espèce s’écartait cependant de cette dichotomie simple. Ici, le jugement était bien exécutoire mais l’intimé prétendait qu’il ne l’était pas intégralement. En effet, les condamnations accessoires aux dépens et à « l’indemnité de procédure », non susceptibles d’exécution provisoire selon lui, avaient aussi été exécutées. C’est cette exécution de chefs de condamnation non exécutoires aux côtés de chefs de condamnation exécutoires qui justifiait l’irrecevabilité prononcée par la cour d’appel.

B. La confirmation et l’élargissement de la protection dont le droit au recours bénéficie en cas d’exécution d’un jugement partiellement exécutoire

Là encore, le cas de figure n’est pas inédit. L’arrêt d’appel cassé cite d’ailleurs deux arrêts de la Cour de cassation jugeant que l’exécution des condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, non exécutoires, à côté d’autres condamnations exécutoires, vaut acquiescement au jugement et donc renonciation à appel (Cass. civ. 2, 21 juin 1989, n° 88-12.708 N° Lexbase : A0040AB4 ; Cass. civ. 2, 26 novembre 1990, n° 89-14.873 N° Lexbase : A4499AH4). La cour d’appel qualifiait même ces précédents vieux de plus de trente ans de « jurisprudence établie » (CA Versailles, 8 juin 2021, n° 20/01184 N° Lexbase : A60004UR). Au vrai, la cour d’appel aurait aussi pu citer au moins un autre précédent, plus récent que les deux qu’elle cite puisqu’il date de 1994 (Cass. civ. 2, 23 février 1994, n° 92-18.816 N° Lexbase : A9606CYG) !

Mais la réalité est que cette jurisprudence « établie » selon la cour d’appel n’est plus d’actualité depuis au moins 1997, soit vingt-cinq ans. En effet, par un premier arrêt (Cass. civ. 2, 26 février 1997, n° 95-13.876 N° Lexbase : A0433ACZ), la Cour de cassation a jugé que les articles 410 et 458 N° Lexbase : L5910MBI, sur la renonciation, du Code de procédure civile ne sont pas applicables en cas d’exécution des condamnations aux dépens et aux sommes allouées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La Cour ne s’étend pas sur le raisonnement derrière ce revirement qu’elle a renouvelé trois mois plus tard, dans les mêmes termes (Cass. civ. 2, 14 mai 1997, n° 95-20.130 N° Lexbase : A1346CTZ).

La solution pratique de l’arrêt commenté n’est donc pas nouvelle : le fait d’avoir exécuté, sans réserve, des condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens n’entraîne pas acquiescement au jugement et, consécutivement, renonciation à appel.

L’apport de l’arrêt commenté est cependant que le raisonnement juridique a évolué de 1997 à aujourd’hui.

Alors que, en 1997, la Cour de cassation posait, sans plus d’explication, qu’en particulier l’article 410 du Code de procédure civile n’était pas applicable aux condamnations à article 700 du même code et aux dépens, la Cour de cassation admet son applicabilité dans l’arrêt commenté. Car ce qui fonde la solution désormais, c’est le caractère équivoque de l’exécution.

La Cour de cassation estime ainsi que l’exécution de condamnations exécutoires d’une part et non susceptibles d’exécution provisoire d’autre part ne démontre pas, avec évidence et sans équivoque, l’intention de l’appelant d’acquiescer au jugement et donc de renoncer à son droit d’appel. Le raisonnement ne s’attache ainsi plus à la nature de la condamnation non exécutoire exécutée (condamnation à article 700 du Code de procédure civile et dépens) mais aux circonstances de son exécution (concurremment à l’exécution de condamnations bénéficiant de l’exécution provisoire). On est là dans l’appréciation classique des conditions de l’acquiescement implicite à un jugement, nécessitant la démonstration d’actes manifestant de façon non équivoque la volonté de renoncer à exercer des recours et de se soumettre à la décision (en ce sens, cf. N. Fricero, fasc. 850-45 : Acquiescement in JCl Procédure civile, 57.).

La solution devrait donc être transposable hors des cas où l’exécution concerne des condamnations non exécutoires autres qu’à l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens. La Cour de cassation étend ainsi la protection accordée à l’appelant maladroit qui exécute en même temps des chefs de condamnation exécutoires, ce qui ne remet pas en cause son droit d’appel, et non exécutoires, ce qui le remet en cause.

II. Le doute que l’arrêt et son sommaire sèment

Au-delà de l’avancée qu’il représente pour la protection du droit au recours, l’arrêt commenté n’est cependant pas sans poser de sérieuses difficultés sur deux autres points : d’abord, son sommaire fait penser que l’exécution de tous les jugements de première instance ne vaudrait jamais acquiescement, ce qui est faux (A) ; ensuite, son rappel de l’arrêt dont pourvoi, reproduit dans son sommaire, peut faire croire que les condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ne seraient pas susceptibles d’exécution, ce point n’étant pas critiqué. Or, la jurisprudence dit le contraire pour les premières depuis près de vingt-deux ans et les textes qui disaient cela pour les secondes ont été modifiés il y a plus de dix-huit ans (B)

A. L’exécution des jugements continue de valoir acquiescement lorsqu’il n’est pas exécutoire

Sur le premier point, le sommaire de l’arrêt commenté que la Cour de cassation a diffusé indique que « la seule exécution d'une décision d'un premier juge ne [peut], en elle-même, valoir acquiescement » [1]. Mais ce n’est pas ce que la Cour de cassation dit dans son arrêt.

En effet, dans son arrêt, la Cour de cassation parle de « la seule exécution de cette décision du premier juge ». Cette décision, ce n’est pas toutes les décisions d’un premier juge comme l’emploi de l’adjectif indéfini « une » dans le sommaire pourrait le faire penser. « Cette décision » correspond à un cas particulier ainsi qu’il a été vu puisqu’elle contenait, selon la Cour d’appel, des chefs de condamnation exécutoires et d’autres non susceptibles d’exécution provisoire.

La nuance est de taille : même si, aux termes de l’article 514 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9080LTH, l’exécution provisoire est désormais, par principe, de droit pour les décisions de première instance, il existe des exceptions. On continue donc aujourd’hui de rencontrer des décisions de première instance qui ne sont pas exécutoires à titre provisoire, soit que l’exécution provisoire ait été interdite par un texte dans la matière considérée soit que le juge l’ait écartée, en application de l’article 514-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9081LTI.

Or, l’alinéa 2 de l’article 410 du Code de procédure civile continue aussi d’exister. En conséquence, l’exécution sans réserve de décisions intégralement non exécutoires vaudra acquiescement aujourd’hui comme hier. Le sommaire de l’arrêt que la Cour de cassation propose est donc trompeur en généralisant la solution qu’il pose dans un cas particulier à l’ensemble des décisions de première instance.

B. Les condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens sont parfaitement exécutoires

De façon plus fâcheuse, il nous semble, la Cour de cassation reprend également in extenso, à la fois dans son arrêt et dans son sommaire, le raisonnement de la Cour d’appel qu’elle censure sur le caractère non susceptible d’exécution provisoire des condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, sans critiquer ce raisonnement. Certes, n’ayant manifestement pas été saisie sur ce point, la Cour de cassation n’avait pas à y répondre. Mais la reprise telle quelle de l’arrêt d’appel jette le trouble sur un point réglé depuis plus de dix-huit ans : les condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens sont bien susceptibles d’exécution provisoire contrairement à ce que la cour d’appel en a dit.

La Cour de cassation l’a d’abord jugé en 1998 pour les condamnations à article 700 du Code de procédure civile résultant d’un jugement bénéficiant de l’exécution provisoire de droit (Cass. civ. 2, 24 juin 1998, n° 96-22.851 N° Lexbase : A5154ACU). Elle l’a confirmé en 2001, en généralisant la solution à tous les jugements bénéficiant de l’exécution provisoire, de droit ou ordonnée, dans les termes suivants (Cass. civ. 2, 31 mai 2001, n° 99-13.712 N° Lexbase : A5733ATI) :

  • « attendu que l’interdiction édictée par l'article 515, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ne vise que les seuls dépens. »

En effet, le texte faisant difficulté était l’alinéa 2 de l’article 515 du nouveau Code de procédure civile N° Lexbase : L9088LTR qui disposait :

  • « l’exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation. En aucun cas, elle ne peut l’être pour les dépens. »

Contrairement à ce que la cour d’appel a retenu et à ce que la Cour de cassation a repris sans l’interroger, cela fait donc près de vingt-deux ans qu’on sait que les condamnations à article 700 du Code de procédure civile sont susceptibles d’exécution provisoire, faute de texte l’interdisant. Seules les condamnations aux dépens pouvaient poser difficulté, en raison des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 515 du Code de procédure civile interdisant cette exécution provisoire en ce qui les concernaient.

Mais ces dispositions ont fait l’objet d’une modification par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile N° Lexbase : L0896GTD, entré en vigueur le 1er janvier 2005, soit il y a plus de dix-huit ans. Il n’existe plus désormais de dispositions interdisant l’exécution provisoire des condamnations à dépens. En conséquence, ces condamnations doivent pouvoir en bénéficier, d’autant plus dans un système où l’exécution provisoire est de droit.

En l’espèce, l’arrêt d’appel ayant donné lieu à l’arrêt commenté concernait une instance introduite devant le premier juge le 26 mars 2019. Nous sommes donc avant la réforme ayant fait de l’exécution provisoire le principe [2]. Mais nous sommes aussi largement après les arrêts de la Cour de cassation et la modification textuelle qui ont balayé la jurisprudence antérieure, vieille d’alors plus de trente ans, dont la cour d’appel se prévaut pour juger non susceptibles d’exécution provisoire les condamnations à article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Les textes propres à l’indemnisation de l’expropriation, cas de l’espèce, n’y changent rien. L’article R. 311-25 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique N° Lexbase : L2156I7Y indique, au contraire, que l’appel du jugement fixant les indemnités n’est pas suspensif.

Nous avons donc là :

  • une cour d’appel qui a pris une mauvaise décision, sur la base d’une jurisprudence « établie » qui, au contraire, avait été renversée de longue date ;
  • et un arrêt de la Cour de cassation qui, certes, formellement, répond à la seule question qui lui  était posée mais crée le doute en reprenant telle quelle la mauvaise décision de la cour d’appel sur un point qui aurait mérité d’être contesté.

Cet arrêt, en particulier son sommaire, doit donc être manié avec la plus grande précaution, car il est source de confusion.

 

[1] Cass. civ. 2, 23 mars 2023, n° 21-20.289, F-B N° Lexbase : A39519KK.

[2] Article 55 II. du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3, les dispositions du décret concernant l’exécution provisoire se trouvant à son article 3 et n’étant donc applicables qu’aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020.

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