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N4996BZ3
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par Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’institut de criminologie et de droit pénal de l’université Panthéon-Assas
le 12 Avril 2023
Mots-clés : droit pénal fiscal • infractions • procédure • visites domiciliaires • répression
La présente chronique traite des décisions rendues par le juge pénal en matière de droit fiscal, sur les aspects tant substantiels que procéduraux de la matière, sous la plume de Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’Institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Panthéon-Assas.
Une dizaine de décisions ont été sélectionnées par l'auteur pour cette nouvelle chronique, couvrant la période de juin 2022 à mars 2023.
Sommaire :
I. Les infractions du droit pénal fiscal
A. Éléments constitutifs des délits fiscaux
B. Répression des délits fiscaux
II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal : les visites domiciliaires
A. Une autorisation judiciaire
B. Une autorisation judiciaire à portée limitée
I. Les infractions du droit pénal fiscal
A. Éléments constitutifs des délits fiscaux
Si les SCI ne sont pas en principe soumises à l’impôt sur les sociétés, les associés des sociétés mentionnées à l'article 206, 3 du Code général des impôts N° Lexbase : L8926MCL peuvent cependant, en application de l'article 239 du même Code, opter pour ce régime, ce qui leur permet de n’avoir à acquitter l'impôt sur le revenu sur les bénéfices sociaux mis en réserve qu'au moment de la distribution de ces réserves (CGI, art. 162 N° Lexbase : L2670HLH). Bien entendu cet impôt n'atteint pas les distributions prélevées sur les bénéfices des exercices clos avant la date à laquelle l'option a pris effet ou sur des réserves constituées au moyen de ces bénéfices, qui ont déjà supporté cet impôt au moment de leur réalisation. Les rémunérations allouées aux associés deviennent déductibles des bénéfices sociaux dans les conditions prévues à l'article 211 du CGI N° Lexbase : L2355IBT et passibles de l'impôt sur le revenu entre les mains des bénéficiaires, en application de l'article 62 du même Code N° Lexbase : L2354IBS.
Au cas présent, l’administration fiscale a considéré qu’une SCI avait opté pour un assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Son dirigeant a fait valoir que tel n’était pas le cas en l’absence de notification de l’option par la société aux services des impôts.
La jurisprudence fiscale s'attache, s'agissant d'une option qui est irrévocable et qui modifie le régime d'imposition des associés des sociétés civiles concernées, à faire respecter un certain formalisme, tenant, par exemple, au fait que l'option doit être signée par tous les associés (CE 9° et 7° ssr., 15 décembre 1986, n° 48700 et n° 48701, « SCI de Saint-Maur » N° Lexbase : A4598AMA : Dr. fisc. 1987, n° 52, comm. 2344 ; RJF, 1987, n° 146, concl. Ph. Martin, p. 79).
À ce dernier égard, ce formalisme s’impose en toute hypothèse, que l’irrégularité de l’option soit invoquée par le contribuable ou par l’administration.
Tirant les conséquences de cette jurisprudence, la chambre criminelle, dans son arrêt du 8 mars 2023, juge qu’en l'absence de notification régulière à l'administration fiscale, une SCI ne peut être regardée comme ayant valablement exercé l'option prévue par l'article 239 du Code général des impôts en faveur de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, de sorte que son dirigeant ne peut se voir reprocher le délit de fraude fiscale pour avoir omis de déclarer à l’administration une plus-value résultant de la vente d'un bien immobilier dont elle était propriétaire.
B. Répression des délits fiscaux
1) Règles de fond
Dans cette affaire, l’administration des douanes et des droits indirects a formé un pourvoi contre un arrêt en ce qu’il a omis de prononcer une pénalité proportionnelle pour les cinquante-huit infractions qu’il a retenues.
Il était soutenu en substance qu’en matière de contributions indirectes, en application des articles 1791 N° Lexbase : L3046I7X et 1794 N° Lexbase : L0076LZT du Code général des impôts, toute infraction encourt, non seulement une amende, mais également une pénalité proportionnelle.
L’article 1800 du Code général des impôts permet au juge de « modérer » le montant des amendes et pénalités jusqu'à un montant inférieur à leur montant minimal, ce qui ne signifie pas qu’il les autorise à ne pas les prononcer. C’est au regard de cette faculté de modération que la chambre criminelle a jugé que l’article 1791 du Code général des impôts n’était pas contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (Cass. crim., 22 février 2006, n° 05-81.066).
Cela étant, le législateur fait clairement la différence entre « modérer » le montant et « libérer » le contrevenant d’une sanction. Or l’article 1800 du Code général des impôts permet au juge de libérer le contrevenant de la confiscation, mais pas des amendes ou pénalités que le juge peut seulement modérer.
Dès lors, par un arrêt du 5 janvier 2023, la chambre criminelle censure la cour d'appel qui ne prononce à l'encontre des prévenus, reconnus coupables d'infractions à la législation sur les contributions indirectes, que des amendes douanières, alors qu'elle ne pouvait dispenser ceux-ci de toute pénalité proportionnelle, fût-elle d'un montant symbolique.
C’est à l’unisson que les juges constitutionnels, judiciaires et administratif jugent que la solidarité fiscale constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor Public, et non une peine, au sens de l’article 8 de la Déclaration de 1789, de sorte que le principe de proportionnalité des délits et des peines ne lui est pas applicable (Décision n° 2010-90 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : Z59706KW ; Cass. QPC, 12 septembre 2012, n° 12-80.574, F-D N° Lexbase : A2493ITI : Dr. sociétés 2012, comm. 146, obs. J.-H. Robert; Dr. pén. 2013, chron. 9, S. Detraz; Dr. fisc. 2012, chron. 493, R. Salomon ; Cass. crim., 23 mars 2016, n° 14-88.507, FS-D N° Lexbase : A3552RAS : Dr. fisc. 2016, chron. 321, R. Salomon ; Cass. crim., 23 février 2021, n° 21-81.161, F-B N° Lexbase : A75207NT : RJF, 6/22 ; CE, 3° et 8° ch.-r., 8 décembre 2017, n° 414303, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0787W7B : Dr. fisc. 2018, comm. 214, concl. R. Victor).
Loin de remettre en question cette jurisprudence fortement ancrée, le demandeur au pourvoi a proposé d’introduire une exception à cette règle, dès lors que l’action récursoire est devenue impossible du fait du placement en liquidation judiciaire de la société redevable de l’impôt. En pareil cas le juge répressif devrait motiver sa décision en prenant en considération la gravité des faits, la personnalité de leur auteur et sa situation personnelle, comme il le fait classiquement lorsqu’il prononce une peine.
Mais, c’est faire abstraction de ce qu’une mesure prononcée par une juridiction pénale est soit de nature pénale, soit de nature civile, mais ne peut changer de nature selon que la personne condamnée solidairement au paiement de l’impôt a ou non la faculté de faire jouer l’action récursoire.
Or, la mesure de solidarité passive, prévue à l’article 1745 du Code général des impôts, présente une autonomie marquée à l’égard tant de la solidarité pénale de droit commun (CPP, art. 480-1 N° Lexbase : L9921IQI) que des mécanismes de solidarité prévus en cas de fraude à la TVA (CGI, art. 283, 4 bis et 4 ter N° Lexbase : L8936MCX) auxquels elle s’ajoute (S. Detraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, LexisNexis, coll. Précis fiscal 2021, n° 827 .- Pour une application : Cass. crim., 24 septembre 2008, n° 07-87.488).
C’est en considération de la nature sui generis de la mesure de solidarité passive que la Cour de cassation a au cas présent jugé non-fondé le grief aux motifs que le prononcé par le juge correctionnel de la solidarité fiscale prévue à l'article 1745 du Code général des impôts, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et non une peine au sens de l'article 132-1 du Code pénal, n'est pas soumis aux prescriptions des articles 485-1 du Code de procédure pénale ni, le cas échéant, au contrôle du caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé.
Dans cette affaire, les demandeurs à la question prioritaire de constitutionnalité soutenaient que la solidarité, prononcée à leur encontre en application de l’article 1745 du Code général des impôts, ne peut s’analyser que comme une punition, lorsque celui qui s’est acquitté du paiement des impôts fraudés et de pénalités correspondantes ne dispose pas d’une action récursoire effective contre le débiteur principal, notamment dans les hypothèses où ce dernier est insolvable. Ils rappellent qu’ils ont été condamnés solidairement avec la société, dont ils assuraient la gérance, au paiement de impôts fraudés et des pénalités afférentes mais qu’au jour où le juge a statué, l’action récursoire était manifestement insusceptible de prospérer puisque leur société avait fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif. Selon eux, c’est au regard du risque de non-recouvrement de la dette fiscale auprès du débiteur principal que l’obligation de motivation devrait être imposée au juge pénal.
Un tel raisonnement était voué à l’échec, dès lors que la solidarité fiscale n’a d’autre but que de rétablir les droits du Trésor public. La fraude a empêché le Trésor public d’exiger les sommes dues ou de prendre des garanties. Ce mécanisme de solidarité permet d’y pallier, de sorte qu’il s’agit ici d’un mécanisme légal de garantie de paiement, et non d’une pénalité. Dans ces conditions, il serait incompréhensible de faire varier sa nature selon la possibilité ou non pour le débiteur de faire valoir son action récursoire.
La chambre criminelle en conclut que, dans la mesure où la solidarité constitue une telle garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, même en cas de défaillance du redevable légal de l'impôt, la personne condamnée qui s'est acquittée du paiement des impôts fraudés et des pénalités afférentes, dispose d'une action récursoire contre, le cas échéant, les codébiteurs solidaires, et conserve le pouvoir de contester tant sa qualité de débiteur solidaire que le bien-fondé et l'exigibilité de la dette et de s'opposer aux poursuites devant les juridictions compétentes.
2) Règles de forme
La chambre criminelle a été conduite à appliquer pour la première fois au droit pénal fiscal son nouveau critère appréciation du principe ne bis in idem, dégagé par un arrêt de principe du 15 décembre 2021(Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, F-D N° Lexbase : A17417GL ; JCP G, 2022, 132, note D. Rebut; D. 2022, p. 154, note G. Beaussonie; AJ pén. 2022, p. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément).
Avec bonheur, elle a, par cet arrêt de revirement, rompu avec sa solution, difficilement applicable par les juges du fond, selon lequel le principe d’unicité de qualification en cas d’action unique gouvernée par une seule intention coupable en énonçant que « les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes » (Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3230SCM ; JCP G, 2017, 16, note N. Catelan ; D. actu., 7 nov. 2016, obs. Fucini; Gaz. Pal. 2017, p. 413, obs. S. Detraz; Dr. pén. 2017, comm. 4, obs. P. Conte). Le nouveau critère d’appréciation du principe ne bis in idem est le suivant : « outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes :
Dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue.
Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale ».
Au cas présent, la chambre criminelle était conduite à se pencher sur le cumul des délits de fraude fiscale (CGI, art. 1741) et d’omission d’écriture en comptabilité (CGI, art. 1743).
Les juges d’appel - après avoir caractérisé la fraude dans son montant et ses modalités, à savoir le fait d’avoir dissimulé des recettes sur trois exercices successifs, en ne déclarant pas les sommes issues de rétrocessions, ces dernières étant versées sur des comptes bancaires non mentionnés en comptabilité – ont relevé que « la minoration déclarative de résultats imposables constitue enfin un fait distinct de l’omission en comptabilité des recettes constituées par les rétrocessions trimestrielles puis mensuelles sur les forfaits techniques scanner de la clinique à la SEARL ; les omissions comptables n’étaient pas en effet nécessaires à la réalisation de la fraude fiscale, mais elles permettaient à la SEARL, si elle était contrôlée, de restreindre le pouvoir de contrôle de l’administration, ce que celle-ci a considéré et retenu ».
Par ces motifs, la cour d’appel a, selon la Haute juridiction, parfaitement justifié sa décision de non-cumul. Elle a en effet démontré que les deux infractions sanctionnaient des faits distincts, et cette seule circonstance suffit à exclure l’application du principe ne bis in idem. C’est donc en toute logique que la chambre criminelle rejette le grief aux motifs que « les faits réprimés par le délit de fraude fiscale par dissimulation, d'une part, et le délit d'omission d'écritures en comptabilité, d'autre part, sont nécessairement distincts dès lors que l'article 1741 du Code général des impôts sanctionne la souscription d'une déclaration fiscale minorée, tandis que l'article 1743 du même code sanctionne l'omission, pour tout contribuable soumis à l'obligation de tenir une comptabilité, de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires ».
Après le coup d’arrêt, mis en 2014, par la Cour européenne des droits de l’Homme aux cumul des sanctions pénales et administratives (CEDH, 4 mars 2014, n° 18640/18, Grande Stevens et a. c/ Italie : Dr. sociétés 2014, comm. 87, note S. Torck), le Conseil constitutionnel a été conduit à s’interroger sur le point de savoir un tel cumul en matière fiscale porte atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines (Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.001, FS-P+B+I [LXB=A5104RAB : Bull. crim. 2016, n° 113 ; Dr. fisc. 2016, comm. 268, note R. Salomon ; D. 2016, p. 788, note N. Catelan).
Un tel cumul a été jugé conforme à la Constitution, sous trois réserve d’interprétation (Cons. const., décision n° 2016-545 QPC N° Lexbase : A0909RU9 et n° 2016-546 QPC N° Lexbase : A0910RUA, du 24 juin 2016 : Dr. fisc. 2016, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, chron. 439, R. Salomon).
La seconde réserve, examinée dans l’arrêt ici commenté de la chambre criminelle, porte sur la nécessité de réserver les poursuites pénales pour fraude fiscale, en plus des sanctions fiscales, aux cas les plus graves, cette gravité, selon la Haute juridiction, pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention (Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-84.144 N° Lexbase : A9086ZMH, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC et n° 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, P+B+I+R: JCP G, 2019, 1086, note E. Dezeuze et S. Detraz; Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon ; Cass. crim., 23 février 2021, n° 21-81.366, F-D N° Lexbase : A04717P7 : RJF, 7/22, n° 682 ; JCP E, 2022, chron. 1258, R. Salomon). La Cour de cassation a ainsi forgé un véritable mode d’emploi judiciaire de la condition de gravité.
Au cas présent, la Haute juridiction, faisant application de cette réserve d’interprétation, sauve l’arrêt d’appel par motifs substitués.
Il est vrai qu’en s’abstenant sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors qu'il était justifié de ce que le prévenu avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du Code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.
Pour autant, l’arrêt d’appel n’encourt pas la censure, car, au regard des éléments de fait souverainement constatés par la cour d'appel, la chambre criminelle est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu tenant au montant des droits éludés.
II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal : les visites domiciliaires
A. Une autorisation judiciaire
En application de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L0419LTP, le juge des libertés et de la détention doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise par l’administration fiscale est bien fondée (Cass. ch. mixte, 15 décembre 1988 : Bull. civ. 1988, ch. mixte, n° 4 ; JCP G, 1989, II, 21263, note Dugrip ; Dr. fisc. 1989, comm. 9, p. 330 ; D. 1990, somm. p. 109, obs. C. Gavalda et F. Lucas ; Cass. crim., 28 mars 2007, n° 06-81.099 ; Cass. crim., 17 octobre 2007, n° 06-87.091 ; Cass. com., 7 mars 2000, n° 97-30.392 et n° 97-30.393: Bull. civ. 2000, IV, n° 53). À cet égard, il doit obligatoirement indiquer les éléments de fait et de droit qu’il détient et qui laissent présumer l’existence des agissements frauduleux, dont la preuve est recherchée (Cass. com., 7 mars 2000, n° 97-30.392 et n° 97-30.393 : Bull. civ. 2000, IV, n° 53). Ce fondement se traduit par des présomptions de fraude en raison de certains agissements précis mentionnés dans la demande. Ainsi, l’ordonnance qui autorise l’administration à effectuer des visites et des saisies de documents dans les locaux d’un établissement bancaire, sans préciser en quoi ces locaux étaient susceptibles de contenir des documents permettant d’apprécier l’existence de présomptions d’agissements frauduleux de la part d’un contribuable, n’est pas régulière (Cass. crim., 7 mai 2002, n° 00-30.223, n° 00-30.196, n° 00-30.197, n° 00-30.198).
Si l’appréciation de la valeur probante des éléments produits par l’administration relève du pouvoir souverain des juges du fond, ces derniers doivent toutefois apprécier seulement l’existence de présomptions d’agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée, sans être tenus d’établir l’existence de ces agissements (Cass. crim., 29 juin 2005, n° 04-85.120 ; Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-83.770). À cet égard, ni l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ni la jurisprudence de la chambre commerciale et de la chambre criminelle n’exigent des infractions d’une particulière gravité, mais seulement l’existence de présomptions de fraude à l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices ou de fraude à la TVA (Cass. com., 30 mai 2012, n° 11-14.601, F-D N° Lexbase : A5362IMK ; Cass. com., 3 avril 2012, n° 11-15.325 N° Lexbase : A1313IIH, n° 11-15.327 N° Lexbase : A1085IIZ et n° 11-15.329 N° Lexbase : A1278II8. – Cass. crim., 30 octobre 2002, n° 01-84.260 ; Cass. com., 30 mai 2000, nos 98-30.254 et s.).
Par un arrêt du 9 mars 2010, la chambre commerciale a jugé que « pour annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, l’ordonnance du premier président retient que les éléments apportés par l’administration fiscale ne démontraient pas d’indices précis, graves et suffisamment concordants pour faire présumer l’existence d’une fraude fiscale commise en France. En statuant ainsi, alors que l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales exige de simples présomptions, le premier président a ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas » (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-13.829).
C’est ce principe fondamental que viennent rappeler ici avec force les deux arrêts publiés, rendus par la chambre commerciale, le 15 février 2023.
On notera que l’arrêt « Maschino », rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, le 16 octobre 2008, conforte cette position de la Cour de cassation, lorsqu’il retient que « tout porte à considérer » que la procédure prévue par l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales a été respectée, « dès lors que l’ordonnance, dûment motivée […], indique les éléments de fait et de droit retenus par le juge et sur lesquels reposent les soupçons d’agissements frauduleux dont la preuve devait être recherchée » (CEDH, 16 octobre 2008, n° 10447/03, pt 34 N° Lexbase : A7387EAT).
Dans cette affaire, le premier président, qui a conformé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, ayant ordonné la visite domiciliaire et les saisies, a retenu des présomptions fondées sur de nombreux constats de l’administration fiscale, analysés à la lumière des règles relatives à la territorialité de l’impôt.
À cet égard, on rappellera que, s’agissant de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, les Etats membres de l’union européenne conservent leur souveraineté fiscale et les conventions bilatérales qu’ils signent entre eux ont pour finalité d’éviter les doubles impositions. Il s’en déduit que les règles de droit interne prévalent et qu’il ne peut y être dérogé qu’en cas de double imposition expressément visée par une convention.
Au cas présent, en application de l’article 209, I- alinéa 1er du Code général des impôts, les sociétés étrangères sont, quelle que soit leur nationalité, imposables à l'impôt sur les sociétés en France à raison des profits tirés de leurs entreprises exploitées en France.
Par ailleurs, lorsqu'une prestation de services est réputée se situer en France, elle entre dans le champ d'application de la TVA française et est donc imposable en France. En application de l'article 259, 1 du Code général des impôts, le lieu des prestations de services est en principe situé en France lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel, qui a en France soit le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis, soit un établissement stable auquel les services sont fournis ; ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle.
C’est en application de l’ensemble de ces règles que la Haute juridiction énonce, dans son arrêt du 15 février 2023, qu’une société de droit étranger est tenue, lorsqu'elle exerce une activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, aux obligations résultant des articles 54, 209 et 286, I, 3°, du code général des impôts, qui exigent la passation d'écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables en France, de sorte que lorsqu'elle a méconnu ses obligations déclaratives, elle peut être présumée avoir omis sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou avoir passé ou fait passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.
En conséquence, elle approuve sans réserve le premier président d'une cour d'appel :
B. Une autorisation judiciaire à portée limitée
Aux termes de cette question prioritaire de constitutionnalité, transmise en raison de son caractère sérieux par la Cour de cassation (Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-83.757 N° Lexbase : A21268R8), il était soutenu que l’application combinée des articles 56-1 du Code de procédure pénale et L. 16 B du Livre des procédures fiscales porte atteinte au principe d’impartialité des juridictions en ce qu’elle conduit, lors d’une perquisition au cabinet ou au domicile d’un avocat en matière fiscale, le même juge, à savoir le juge des libertés et de la détention (JLD), à être, successivement, le juge qui autorise la saisie, celui qui l’effectue et celui qui se prononce sur sa régularité lorsqu’une contestation est élevée par le bâtonnier, alors même que dans le cadre d’une perquisition fiscale qui ne concerne pas les locaux d’un avocat, la contestation de saisie est portée devant le premier président de la cour d’appel. En outre, le JLD, officiant comme juge de la contestation, doit entendre le juge des libertés et de la détention qui a réalisé la saisie et qui l’a maintenue en dépit de l’opposition du bâtonnier. Ce magistrat est donc tout à la fois juge de la régularité de la saisie et partie à la procédure en tant que juge saisissant.
En réponse à la question posée, les Sages de la rue de Montpensier ont affirmé tout d’abord que le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une perquisition statue sur la contestation d’une saisie effectuée à cette occasion par un autre juge des libertés et de la détention.
Mais ils ont aussitôt posé une réserve en énonçant que les articles 56-1 du Code de procédure pénale et L. 16 B. du Livre des procédures fiscales ne sauraient, sans méconnaître ce principe d’impartialité, être interprétées comme permettant qu’un même juge des libertés et de la détention effectue une saisie et statue sur sa contestation.
En raison de l’exigence d’impartialité objective, le Conseil constitutionnel déclare de longue date inconstitutionnelles les dispositions législatives qui permettent qu’un magistrat exerce successivement, dans la même affaire, les fonctions d’instruction puis de jugement (Cons. const., décision n° 2011-147 QPC, du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY ; Cons. const., décision n° 2021-893 QPC, du 26 mars 2021 N° Lexbase : A40334MC ; Cons. const., décision n° 2012-280 QPC, du 12 octobre 2012 N° Lexbase : A2619IUK ; Cons. const., décision n° 2016-616/617 QPC, du 9 mars 2017 N° Lexbase : A6457TUP).
Plus précisément encore, le Conseil a été saisi d’une critique en des termes assez similaires de ceux employés dans la présente question prioritaire de constitutionnalité. Elle portait sur les dispositions de l’article 802-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7201LPE, issues de l’article 49-V de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC, ouvrant, à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire en application des dispositions du Code de procédure pénale et n’ayant pas été poursuivie devant une juridiction d’instruction ou de jugement au plus tôt six mois après cet acte, un recours devant le JLD. tendant à l’annulation de cet acte. Le Conseil a affirmé que le magistrat qui a pris une décision d’autorisation de perquisition ou de visite domiciliaire ne saurait être le même qui statue ensuite, le cas échéant, sur la demande d’annulation de la perquisition (Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : A5079Y4U).
Lorsqu’il décide, à la demande de l’administration fiscale, d’autoriser une visite domiciliaire et des saisies, le juge désigne un officier de police judiciaire (OPJ) chargé d’assister aux opérations et de le tenir informé de leur déroulement (LPF, art. L. 16 B, II). Cet OPJ est notamment chargé de veiller au respect du secret professionnel et des droits de la défense, conformément aux dispositions du 3ème alinéa et l’article 56 du Code de procédure pénale (S. Detraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, préc., n° 1425). Ainsi, en sa qualité d’interface entre les personnes dont les lieux sont visités ou les objets saisis et le juge ayant accordé l’autorisation, l’OPJ peut tenir informé ce juge des incidents survenant au cours des opérations et le saisir (Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-84.566, FS-P+B N° Lexbase : A1673Q74 : Bull. crim., n° 76).
La Cour de cassation ne se montre pas excessivement pointilleuse, s’agissant du contrôle des opérations de visite et de saisies par l’OPJ.
Elle a en effet jugé qu’il ne peut lui être reproché d’être resté passif en l’absence de difficultés durant les opérations et de remarques des parties intéressées avant la signature des procès verbaux (Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-28.168, F-D N° Lexbase : A3330RNN ; Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-28.169, F-D N° Lexbase : A3369RN4 ; Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-28.170 N° Lexbase : A3331RNP ; Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-27.960 N° Lexbase : A3395RN3). Par ailleurs, selon la Haute juridiction, « aucun texte n’interdit de conduire plusieurs saisies de manière simultanée dans les mêmes locaux en présence d’un seul OPJ » (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-21.944 N° Lexbase : A5809KGA et n° 12-21.949 N° Lexbase : A5809KGA), de sorte qu’elle n’exige pas qu’il supervise dans tous leurs détails chacune des saisies.
C’est dans la logique de ces précédents que la chambre commerciale, dans son arrêt publié du 6 juillet 2022, juge que le premier président, qui constate que l'OPJ chargé d'assister aux opérations de visite et de saisies, qui s'est absenté du local où elles se déroulaient, est demeuré à proximité de ce local et à tout moment joignable, qu'aucun incident n'a été soulevé à ce propos et que le procès-verbal a été signé sans que des observations soient formulées, en déduit à bon droit qu'il n'y pas lieu d'annuler les opérations de visite et de saisies dès lors que n'est invoquée aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par ses absences.
Cette jurisprudence est confortée par celle de la chambre criminelle, qui statuant en matière de visites domiciliaires et de saisies en droit de la concurrence (C. com., art. L. 450-4, a validé les opérations de visites domiciliaires et de saisies, malgré l’absence, non pas seulement momentanée, mais prolongée de l’OPJ (Cass. crim., 5 décembre 2018, n° 17-85.332, F-D N° Lexbase : A7884YPP ; Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-84.292, F-D N° Lexbase : A25014ED).
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