La lettre juridique n°942 du 13 avril 2023 : Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfant et communication électronique obligatoire : le formalisme excessif sanctionné

Réf. : Cass. civ. 1, 5 avril 2023, n° 22-21.863, FS-B N° Lexbase : A61659MB

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N5064BZL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 13 Avril 2023

► En faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée par le père sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le principe de l'obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par le père en qualité d'appelant incident, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a, partant, violé les textes susvisés.

Faits et procédure. En l’espèce, à l'issue des fêtes de fin d'année 2019, qui s’étaient déroulées à l’île Maurice où la famille était installée depuis décembre 2014, la mère, qui était partie avec les enfants en France, s'était opposée à leur retour à l'Île Maurice. Le 15 janvier 2020, le père avait saisi l'autorité centrale de l'Île Maurice en vue d'obtenir le retour immédiat des enfants, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants N° Lexbase : L0170I8S.

Le 10 juillet 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens avait saisi, à cette fin, le juge aux affaires familiales. Le père était intervenu volontairement à l'instance.

Par ordonnance de référé du 10 juillet 2020, le juge aux affaires familiales avait constaté que le non-retour des enfants à l'Île Maurice était illicite et rejeté la demande de retour, au motif qu'il existait un risque grave que celui-ci ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable.

Décision CA. Le ministère public avait interjeté appel de cette décision. Pour déclarer irrecevable l'appel du ministère public, l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel d'Amiens, après avoir énoncé qu'il résultait des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel, que la communication électronique avec le greffe s'impose au ministère public lorsqu'il est partie principale, celui-ci n'étant autorisé à établir la déclaration d'appel sur support papier qu'en cas d'impossibilité de la transmettre par voie électronique pour une cause étrangère, avait retenu que tel n'était pas le cas en l'espèce, la déclaration d'appel n'ayant été formalisée le 7 août 2020 que sur support papier, sa transmission le même jour au greffe par voie électronique ayant échoué en raison d'une « erreur du ministère public sur le type d'adresse accepté par le réseau privé virtuel des avocats ».

Cassation. Comme indiqué en introduction, ce faisant, la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif. La Cour régulatrice censure alors sa décision au visa de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 1210-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6128LT7, dont elle rappelle la teneur des dispositions.

Elle en déduit que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

C’est ainsi que la Cour suprême, fait référence à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, « Henrioud c/ France »  (CEDH, 5 novembre 2015, Req. 21444/11 N° Lexbase : A7326NUU, concernant également une procédure engagée dans le cadre d’un enlèvement international d’enfant) qui avait retenu qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge. En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13 a) de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

C’est donc en considération de la jurisprudence de la CEDH que la Cour de cassation a estimé qu’en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée par le père, le principe de l'obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d'appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par le père en qualité d'appelant incident, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a, partant, violé les textes susvisés.

On relèvera que cette décision doit également être mise en perspective avec un autre arrêt de la CEDH, rendu le 9 juin 2022, qui ne concernait pas une procédure d’enlèvement international d’enfant, mais par lequel la Cour européenne avait condamné la France pour formalisme excessif, également en matière de communication électronique obligatoire (CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20 N° Lexbase : A07327Z7, comm. M. Dochy, Lexbase Droit privé, n° 913, 7 juillet 2022 N° Lexbase : N2114BZC).

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