Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 8 mars 2023, n° 451725, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A77859HS
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par Christophe Otero, Maître de conférences en droit public, Université de Rouen et Gaëtan Tréguier, Avocat au barreau de Rouen
le 12 Avril 2023
Mots clés : redevances • assainissement • service rendu • contrepartie • prestation
Dans un arrêt rendu le 8 mars 2023, le Conseil d’État applique les principes de redevance pour service rendu à la redevance particulière d’assainissement non collectif. Après en avoir rappelé le principe, selon lequel la redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service, la Haute juridiction administrative s’attache à la proportion entre, d’une part, la redevance exigée et, d’autre part, l’ensemble des charges du service et la valeur économique de la prestation pour ses bénéficiaires.
Par une délibération 27 mars 2010, la communauté de communes de La Terre de Randon, devenue depuis lors Randon-Margeride, a créé un service public d’assainissement non collectif (SPANC) géré en régie dont la mission était limitée à celle obligatoire de contrôle des installations d’assainissement non collectif, excluant ainsi les prestations facultatives d’entretien de ces installations. La communauté de commune a eu recours, dans le cadre d’un marché public, aux services d’une société qu’elle a chargée d’une partie des prestations de ce service public. Par une délibération du 10 février 2011, la communauté de communes de la Terre de Randon a approuvé le règlement du service public d’assainissement non collectif de Randon.
Premièrement, par des délibérations du 20 novembre 2015 et du 14 avril 2016, le conseil communautaire de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) a modifié le règlement de ce service.
Deuxièmement, par une autre délibération du 14 avril 2016, le même organe a modifié les conditions d’attribution de l’aide incitative accordée aux usagers ayant procédé à la vidange de leur fosse.
Troisièmement, par des délibérations du 3 mars 2017, la communauté de communes a approuvé un nouveau règlement du service de l’assainissement non collectif et fixé le montant des redevances dues par les usagers. L’association « les Spanqués » - en référence à l’acronyme du service public en cause - a sollicité la juridiction administrative aux fins d’obtenir l’annulation de ces délibérations, celle des règlements du service de l’assainissement non collectif, ainsi que celle des factures émises à l’encontre des usagers à compter du mois de novembre 2015. Par un jugement du 27 novembre 2018, le tribunal de Nîmes [1] a rejeté cette demande pour incompétence s’agissant des factures, et en se prononçant sur le fond pour l’ensemble des autres demandes.
Appel ayant été interjeté, la cour administrative d’appel de Marseille [2] a, quant à elle, annulé partiellement le jugement du tribunal, ainsi que certaines délibérations notamment en ce qu’elles fixent le montant et les modalités d’appel de la redevance relative aux contrôles périodiques de fonctionnement des installations existantes. La communauté de communes se pourvoit devant le Conseil d’État contre l’arrêt d’appel. Après avoir retenu implicitement sa compétence pour l’ensemble du litige la Haute juridiction se prononce sur le fond et annule avec renvoi l’arrêt attaqué. Cette espèce témoigne après en avoir posé le fondement (I) d’une application des principes de redevance pour service rendu à la redevance particulière d’assainissement non collectif (II).
I. La jurisprudence applicable : compétence et principe de la redevance
Les services publics de l’assainissement non collectif (SPANC) sont des services publics industriels et commerciaux (SPIC) par détermination de la loi [3]. Or, par principe et contrairement aux services publics administratifs où il y a lieu de distinguer selon la personne publique ou privée gestionnaire, il existe dans ce domaine un bloc de compétence juridictionnelle appartenant au juge judiciaire. C’est la raison pour laquelle le Tribunal administratif de Nîmes avait, en l’espèce, jugé que « les relations entre un service public industriel et commercial et ses usagers sont régies par le droit privé ; qu’ainsi, les litiges nés dans le cadre de ces relations ressortissent à la compétence non pas de la juridiction administrative mais des tribunaux de l’ordre judiciaire ; que les services de l’assainissement qui font l’objet d’une facturation périodique à l’usager, même gérés en régie, constituent des services publics industriels et commerciaux ». En effet pour la juridiction nîmoise, le critère matériel – c’est-à-dire le service public en cause – l’emporte sur le critère organique – c’est-à-dire la nature juridique de personne gestionnaire – quand bien même elle serait une personne publique.
À l’inverse, tant la cour administrative d’appel de Marseille, qu’ici le Conseil d’État ont reconnu la compétence du juge administratif, en vertu d’une jurisprudence constante [4], pour connaître de l’ensemble du litige dans la mesure où par exception, le juge administratif est compétent pour connaître des conclusions, même lorsqu’elles sont présentées par un usager, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des mesures relatives à l’organisation d’un tel service, comme les tarifs [5], le règlement du service [6] ou les règles de priorité dans l’usage des installations [7]. S’agissant du principe de la redevance la cour marseillaise avait laconiquement retenu que « les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial, qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges du service, doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers ».
Le Conseil d’État se fait, quant à lui, plus explicite et plus précis en reprenant la motivation connue de sa jurisprudence de 2007 relative aux redevances pour service rendu [8] dans laquelle est assouplie la règle du plafonnement par le coût. Aux termes de celle-ci : « une redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ou, le cas échéant, dans l’utilisation d’un ouvrage public et, par conséquent, doit correspondre à la valeur de la prestation ou du service. Si l’objet du paiement que l’administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges du service public, il n’en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Il s’ensuit que le respect de la règle d’équivalence entre le tarif d’une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. Dans tous les cas, le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d’égalité entre les usagers du service public et des règles de la concurrence ».
Deux éléments méritent, à ce sujet, d’être relevés : le premier a trait à la formulation du considérant de principe et le second se rapporte à une logique jurisprudentielle. Premièrement, sur la forme, de manière presque anecdotique mais pas tant que cela, il y a une absence de la référence que l’on trouve dans de nombreux arrêts, au fait que ladite redevance doit présenter ces caractéristiques « pour être légalement établi » [9]. Deuxièmement, sur le fond, le Conseil d’État avait déjà appliqué cette jurisprudence en 2010 à une redevance d’assainissement, celle d’un service public d’assainissement collectif [10] et il est plus que logique, dans une perspective de cohérence jurisprudentielle, que le régime applicable et appliqué soit identique et ce quelle que soit l’hypothèse, c’est-à-dire que le service d’assainissement soit collectif ou, comme en l’espèce, qu’il ne le soit pas.
II. La jurisprudence appliquée : les modalités de calcul
Les SPANC sont gérés comme des services à caractère industriel et commercial (SPIC) et se doivent d’équilibrer leurs recettes et leurs dépenses au moyen de redevances perçues auprès de leurs bénéficiaires, conformément aux dispositions des articles L. 2224-11 N° Lexbase : L2274MGC et L. 2224-12-3 N° Lexbase : L3873HWD du Code général des collectivités territoriales. En effet, en vertu de ce dernier article « les redevances d’eau potable et d’assainissement couvrent les charges consécutives aux investissements, au fonctionnement et aux renouvellements nécessaires à la fourniture des services, ainsi que les charges et les impositions de toute nature afférentes à leur exécution ».
D’ailleurs, comme le rappelle le rapporteur public Thomas Pez-Lavergne dans cette affaire, la redevance d’assainissement non collectif comprend : une part obligatoire représentative des opérations de contrôle (de la conception, de l’implantation et de la bonne exécution et du bon fonctionnement) des installations, qui peut donner lieu à une tarification forfaitaire, et une part facultative représentative des prestations d’entretien des installations qui n’est due qu’en cas de recours au service d’entretien par l’usager [11].
Le Code général des collectivités territoriales prévoit, en outre, que le produit des redevances d’assainissement est affecté au financement des charges du service d’assainissement qui comprennent notamment « les dépenses de fonctionnement du service, y compris les dépenses de personnel » [12]. Le juge administratif se fonde ici sur un des grands principes du droit des services publics : le prix doit avoir une contrepartie directe dans le service rendu aux usagers et le juge administratif en assure le respect en appréciant la proportionnalité de la redevance payée par les usagers par rapport justement au service rendu [13]. La Cour de comptes en tant que juge de la comptabilité publique, par le biais de ses chambres régionales des comptes, ne manque pas de recommander régulièrement qu’il convient d’ajuster le montant de la redevance aux besoins – réels - de l’exploitation du SPANC. Ainsi, il a été relevé par la chambre régionale des comptes Nouvelle Aquitaine que « de façon prospective, compte tenu des remboursements de frais de personnel qui seront dorénavant à effectuer et du niveau de trésorerie disponible plus modeste, il appartiendra à la collectivité d’être vigilante pour ajuster au mieux le montant de la redevance aux besoins de l’exploitation du service. Cet ajustement doit se faire selon une jurisprudence constante : les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial, qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges du service, doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers » [14].
Or, c’est justement sur les charges de personnel que les appréciations de la cour administrative d’appel de Marseille et du Conseil d’État divergent. Pour la première, il convenait de les exclure dans la mesure où selon elle « les explications fournies par la collectivité ne justifient pas » de les prendre en charge en considérant que la communauté de communes ne justifiait pas de l’augmentation de la redevance « dès lors qu'elle ne faisait état d’aucun déficit au titre des années antérieures, et qu’elle n’apportait pas d’explication justifiant les sommes importantes imputées à compter de 2016 au budget du service au titre de salaires du personnel ». À l’inverse, pour le second, il convenait d’inclure ces dépenses de personnel qui loin d’être anodines justifiaient l’augmentation de la redevance exigible et exigée. C’est la raison pour laquelle la Haute juridiction administrative retient qu’en « ne recherchant pas si, compte tenu des dépenses de personnel restant ainsi à la charge de la communauté de communes, le montant des redevances demandées aux usagers était proportionné au regard de l'ensemble des charges du service et de la valeur économique de la prestation pour ses bénéficiaires, la cour a commis une erreur de droit ». L’espèce montre de la sorte que dans le calcul de la redevance pour service rendu, ici appliquée à la redevance d’assainissement non collectif, il convient - encore et toujours – d’intégrer l’ensemble des charges, celles de personnelles incluses.
[1] TA Nîmes, 27 novembre 2018, n° 1603161.
[2] CAA Marseille, 15 février 2021, n° 19MA00387 N° Lexbase : A14444HX.
[3] Loi n° 2018-702 du 3 août 2018, relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes N° Lexbase : L6142LL3.
[4] CE, 3 octobre 2003, n° 242967 N° Lexbase : A6477C9R.
[5] CE, 2 juillet 2009, n° 298470 N° Lexbase : A1052EK8.
[6] CAA Versailles, 14 janvier 2021, n° 19VE02198 N° Lexbase : A48834CT.
[7] CAA Lyon, 14 avril 2005, n° 99LY02486 N° Lexbase : A3457DKA.
[8] CE, 16 juillet 2007, n° 293229 N° Lexbase : A4716DXX.
[9] CE, 7 octobre 2009, n° 309499 N° Lexbase : A8618ELR ; CAA Paris, 27 janvier 2023, n° 18PA03739 N° Lexbase : A50439AZ.
[10] CE, 21 mai 2010, n° 309734 N° Lexbase : A4039EXU.
[11] CGCT, art. R. 2224-19-5 N° Lexbase : L9795HZS.
[12] CGCT, art. R. 2224-19-10 N° Lexbase : L9800HZY.
[13] CE, 30 septembre 1996, n° 156176 N° Lexbase : A0836APN.
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