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par Damien Duchet, Avocat, Aguera Avocats
le 15 Mars 2023
Mots clés : harcèlement sexuel • agissement constitutif d’un harcèlement • comportement et propos à caractère sexuel • obligation de sécurité • mesures de prévention • éléments probants
Depuis le 31 mars 2022, la définition du harcèlement sexuel prévu à l’article L. 1153-1 du Code du travail a été étendue, d’une part, aux propos et comportements à connotation sexiste et, d’autre part, à de nouvelles formes collectives de harcèlement, pour appréhender notamment plus facilement le harcèlement numérique.
Si cette nouvelle définition n’a pas été mise en pratique dans les décisions revues compte tenu de sa date d’entrée en vigueur en cours de procédure, il apparaît intéressant, dans le prolongement du précédent panorama réalisé [1], de présenter une sélection de décisions rendues en matière de harcèlement sexuel avant l’application du nouveau texte.
Panorama avec 20 décisions de cours d’appel sur le harcèlement sexuel.
I. Actes constitutifs
Agissements
| Qualification de harcèlement sexuel | Sanction disciplinaire / Dommages et intérêts | Décision | |
Gestes déplacés | Le fait, pour un salarié, de s’être livré à un attouchement sur la poitrine de la salariée, a porté atteinte à la dignité de la salariée, en raison de son caractère dégradant et offensant, et laisse présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. | Oui | 10 000 € de dommages et intérêts (ancienneté du salarié : 10 ans et 3 mois lors du licenciement de la salariée) | CA Lyon, 12 janvier 2023, n° 19/07003 N° Lexbase : A585788G |
Constitue une situation de harcèlement sexuel le fait pour un salarié de montrer explicitement à ses collègues qu’il les « aime » en entretenant des relations proches, voire tactiles, d’embrasser régulièrement la salariée victime dans le creux de l’oreille pour la saluer, sans son consentement, de la prendre dans ses bras chaleureusement, de se frotter à elle, sachant que ce comportement a eu un retentissement psychologique sur la salariée qui a été placée en arrêt de travail pour stress post-traumatique, et ce, durant plusieurs mois. | Oui | Résiliation judiciaire aux torts de l’employeur | CA Rouen, 1er septembre 2022, n° 19/00447 N° Lexbase : A07878HM | |
Messages écrits | Le fait que les seuls messages produits par la salariée fassent apparaître des propositions de rencontre dans un café de la part du prétendu harceleur, non sans anticipation le cas échéant d’un refus auquel l’interlocuteur disait se soumettre et sans que les réponses que lui faisait la salariée n’établissent qu’elle se sentît contrariée, ne caractérise pas des faits de harcèlement sexuel, abstraction faite des dires de la salariée elle-même et des attestations de témoins produites ne détaillant pas comment ils auraient pu constater les nombreuses sollicitations évoquées par la salariée. | Non | N/A | CA Paris, 2 mars 2022, n° 19/05242 N° Lexbase : A18307PH |
La réitération des propos à connotation sexuelle tenus par le mis en cause à l’encontre de sa salariée caractérise un harcèlement sexuel : - il résulte des SMS produits par la salariée que le mis en cause lui avait tenu de manière répétée des propos déplacés et insistants, parfois à connotation sexuelle (« j’ai rêvé de toi cette nuit on faisait l’amour, gros bisous ma beauté »), et l’avait affublée de divers surnoms inappropriés à la relation de travail (« ma beauté », « ma poupée », « ma belle bombe », « ma douce »), sans que la salariée n’ait jamais répondu sur le même registre. Ces échanges dépassaient de loin le cadre habituel et normal des relations professionnelles et l’employeur ne peut faire valoir qu’il s'agissait de son mode habituel de communication ; | Oui | 4 000 € de dommages et intérêts (ancienneté du salarié : 2 ans et 9 mois lors du licenciement de la salariée) | CA Montpellier, 18 mai 2022, n° 20/03495 N° Lexbase : A43897XT | |
Constituent des faits de harcèlement sexuel : - l’envoi de messages équivoques et suggestifs établis par la production de SMS (« Je commence à vieillir ! Je pers la tête, à moins une ce soit toi qui me... », « Je te confirme que je conçois mal que tu puisses envisager de ne plus travailler avec moi ! Je ne peux même pas l’imaginer ! », « J’aurais aimé être là pour fêter avec toi ton anniversaire mais c’est partie remise. Je t’embrasse très fort ») ; - l’incitation à partager une seule chambre lors de déplacements professionnels. | Oui | 8 000 € de dommages et intérêts (ancienneté de la salariée : 3 ans et 6 mois ; rémunération brute de base : 3 500 €) | CA Aix-en-Provence, 29 septembre 2022, n° 19/09181 N° Lexbase : A37768PK | |
Propos inadaptés | Caractérisent une situation de harcèlement sexuel justifiant le licenciement pour faute grave du salarié : - des avances et tentatives de séduction à l’égard de la salariée, ainsi que des atteintes à sa réputation auprès des collègues avec de nombreuses plaisanteries à caractère sexuel ; | Oui | Licenciement pour faute grave justifié | CA Versailles, 8 février 2023, n° 21/02861 N° Lexbase : A71689CH |
Comportements inappropriés | Le fait pour un salarié, dans un cadre professionnel, de tenir à un collègue de travail, des propos insistants et répétés invitant à une relation, notamment de nature sexuelle, en dépit de la manifestation claire et non équivoque du collègue de mettre fin à la conversation, constitue une attitude inappropriée et déplacée. Une telle attitude, qui est de nature à porter préjudice à l’entente et aux relations d’ordre professionnel entre collègues, nécessaires à la bonne marche de l’entreprise, et au bien-être de chacun sur son lieu de travail, dont l’employeur demeure le garant, constitue un comportement fautif, justifiant un licenciement pour faute grave. | N/A | Licenciement pour faute grave justifié | CA Grenoble, 4 octobre 2022, n° 20/02029 N° Lexbase : A14588NC |
Culture d’entreprise | Les faits pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’un harcèlement sexuel, les pièces produites démontrant le caractère répété de ces agissements et le constat d’huissier produit confirmant qu’il existait une culture d’entreprise à connotation sexuelle à laquelle les salariés se sentaient obligés d’adhérer pour être intégrés, ce qui créait une pression implicite. | Oui | N/A | CA Agen, 13 décembre 2022, n° 21/00653 N° Lexbase : A87288ZB |
Consentement / Volonté mutuelle de séduction | Ne caractérisent pas une situation de harcèlement sexuel - des échanges électroniques à connotation amoureuse, exclusif de connotation sexuelle ou sexiste, relevant de l’expression d’une admiration confinant à la fascination et à l’obnubilation du mis en cause à l’égard de la salariée victime, qu’il trouve belle et séduisante, avec l’expression de sentiments hésitants entre l’amour romantique et l’amour parental, sans exercice d’une quelconque pression, ni même d’évocation ou d’insinuation, dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, ni caractérisation d’une atteinte ou d’une situation hostile ou offensante ; - la relation de séduction platonique réciproque à laquelle la salariée a, de façon claire, volontairement participé sur un ton hésitant constamment entre le romantisme et l’affection filiale, voire le lyrisme. | Non | N/A | CA Riom, 28 juin 2022, n° 20/00220 N° Lexbase : A2708798 |
L’attitude ambiguë d’une salariée qui a volontairement participé à un jeu de séduction réciproque, ou a expressément consenti à des relations de familiarités réciproques, exclut que les faits reprochés puissent être qualifié de harcèlement sexuel, à condition que l’ambiguïté soit caractérisée. | Non | N/A | CA Nîmes, 17 janvier 2023, n° 20/02123 N° Lexbase : A420989R | |
Les éléments produits par l’employeur démontrent qu’au cours de la période pendant laquelle il a employé la salariée, une relation sentimentale s’est établie entre eux. Ainsi, si la matérialité de relations sexuelles entre la salariée et son employeur est établie, les éléments produits par la salariée, notamment médicaux, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de laisser présumer l’existence d’un ou plusieurs faits de harcèlement sexuel. | Non | N/A | CA Nancy, 30 juin 2022, n° 20/02266 N° Lexbase : A508679A | |
Pression grave et fait isolé | Le harcèlement sexuel est constitué lorsqu’il consiste en une pression grave même non répétée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle. Au cas d'espèce, est caractérisée cette pression grave exercée sur la salariée, alors qu’elle était placée sous l’autorité du mis en cause, celui-ci ayant décidé, en représailles de l’ignorer et cessé de lui donner toute instruction, peu important que les propos ou comportements n’aient pas été répétés. | Oui | N/A | CA Aix-en-Provence, 28 avril 2022, n° 19/14742 N° Lexbase : A69207UT |
II. Obligations de l’employeur
Faits | Dommages et intérêts | Décision | |
Manquement à l’obligation de sécurité - Défaut de prévention | S’il a eu connaissance de faits laissant présumer des actes de harcèlement sexuel, l’employeur doit immédiatement procéder à une enquête et engager une procédure disciplinaire dans les deux mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance des reproches de la salariée harcelée. Or, l’employeur avisé de l’existence d’une situation délicate établie la salariée et son supérieur hiérarchique, sans immédiatement chercher à recueillir plus d’information en particulier dans le cadre d’une enquête, manque à son obligation de prévention. | 2 000 € | CA Douai, 17 février 2023, n° 20/01444 N° Lexbase : A94719GU |
Cumul - Dommages et intérêts au titre du harcèlement sexuel et dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement sexuel | Le manquement à l’obligation de prévention du harcèlement sexuel a causé un préjudice distinct à la salariée, accru du fait de sa mise à l’écart pendant quelques jours avant qu’elle ne soit en arrêt de travail, son isolement ayant été générateur d’une souffrance au travail. | 3 000 € au titre du harcèlement sexuel + 2 000 € au titre du manquement à l’obligation de prévention du harcèlement sexuel (ancienneté : 1 an) | CA Rouen, 10 mars 2022, n° 19/02448 N° Lexbase : A10807Q3 |
III. Effets de la rupture et harcèlement sexuel
Faits | Rupture produisant les effets d’un licenciement nul | Décision | |
Licenciement pour inaptitude | Les faits de harcèlement sexuel imputés au supérieur hiérarchique direct de la salariée, auxquels s’ajoutent le traitement à charge par l’employeur contre la salariée victime après la dénonciation des faits ainsi que l’avertissement injustifié prononcé, sont à l’origine de l’arrêt de travail prolongé de la salariée et de son inaptitude. Le licenciement pour inaptitude est ainsi nul. | Oui | CA Rennes, 17 mars 2022, n° 19/02691 N° Lexbase : A75857QY |
Prise d’acte de la rupture | La prise d’acte de la rupture fondée sur des faits de harcèlement sexuel, lesquels sont caractérisés, produit les effets d’un licenciement nul en application de l’article L. 1153-2 du Code du travail. | Oui | CA Pau, 9 juin 2022, n° 19/03953 N° Lexbase : A1973779 |
IV. Irrecevabilité des demandes et incompétence du juge prud’homal
Faits | Irrecevabilité de l’action devant le juge prud’homal / Incompétence | Décision | |
Incompétence du juge prud’homal | Le juge prud’homal est incompétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel, devant s’analyser comme une demande d’indemnisation des souffrances subies par la salariée dont elle a d’ores et déjà sollicité l’évaluation dans le cadre de l’expertise ordonnée par la juridiction de la sécurité sociale saisie pour reconnaître le caractère professionnel de la maladie déclarée par la salariée. | Oui | CA Rennes, 17 mars 2022, n° 19/02691 N° Lexbase : A75857QY |
Absence de cumul de dommages et intérêts au pénal et au civil - Autorité de la chose jugée | Le juge pénal ayant condamné le gérant du salon de coiffure employant la salariée à 10 000 € de dommages et intérêts en raison des actes de harcèlement sexuel et moral qu’elle a subis, l’action de la salariée devant le juge prud’homal fondée sur la même cause et contre la même personne, est irrecevable en ce qu’elle se heurte à l’autorité de chose jugée de l’arrêt pénal dès lors que la salariée a été indemnisée du préjudice résultant du comportement fautif de son employeur. | Oui | CA Caen, 2 juin 2022, n° 21/00831 N° Lexbase : A25148G9 |
V. Preuve
Faits | Licéité / Recevabilité | Décision | |
Condamnation pénale | Le juge prud’homal n’a pas à examiner si les faits présentés par la salariée laissent supposer un harcèlement sexuel dès lors que la matérialité d’un harcèlement sexuel de la salariée par l’employeur est admise du fait des agressions sexuelles judiciairement reconnues et sanctionnées. | N/A | CA Paris, 1er décembre 2022, n° 17/08844 N° Lexbase : A58198XS |
Absence d’éléments probants précis | La matérialité de faits précis et concordants laissant supposer un harcèlement sexuel n’est pas démontrée : - aucune pièce produite n’évoque objectivement la réalité d’attitudes ou propos à connotation sexuelle subis par cette dernière dans un cadre professionnel ; - les pièces produites évoquent principalement ses conditions de travail. | N/A | CA Paris, 11 mai 2022, n° 17/14332 N° Lexbase : A71177WI |
Témoignages identiques | Les témoignages, rédigés dans les mêmes termes, doivent être abordés avec circonspection et ne permettent pas de se convaincre de l’existence des faits de harcèlement sexuel allégués. | Non | CA Aix-en-Provence, 30 novembre 2022, n° 18/19899 N° Lexbase : A37158PB |
[1] D. Duchet, Harcèlement sexuel : panorama de décisions de cours d’appel (2021-2022), Lexbase Social, mars 2022, n° 896 N° Lexbase : N0573BZA.
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