Réf. : Cass. com., 8 février 2023, n° 21-19.330, F-B N° Lexbase : A97139BD
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice
le 23 Février 2023
Mots-clés : déclaration de créance • présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier • mention de l'identité du créancier • mention du montant de la créance • mentions suffisantes (oui)
Les mentions de l’identité du créancier et du montant de la créance sont suffisantes pour permettre le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.
La déclaration de créance, classiquement considérée comme un acte équivalent à une demande en justice, ne peut être effectuée par n’importe qui. Elle peut l’être par le créancier lui-même, un préposé ou un mandataire de son choix. Mais, depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH), elle peut également émaner du débiteur, qui déclare ainsi une créance à son propre passif. Il s’est agi, par cet outil juridique, d’éviter aux créanciers la forclusion.
Cette bizarrerie juridique résulte de l’effet de la présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier, lorsque le premier informe de l’existence de la créance le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Cette information, résultera notamment, mais ce n’est pas le seul canal, de la liste que doit, en vertu de l’article L. 622-6 du Code de commerce N° Lexbase : L3680MBW, établir le débiteur et qu’il doit remettre au mandataire de justice dans les huit jours de l’ouverture de sa procédure collective (C. com., art. R. 622-5, al. 2 N° Lexbase : L5946KGC), liste que doit ensuite déposer au greffe le mandataire judiciaire.
Selon l’alinéa 2 de l’article L. 622-6, « Le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire, pour les besoins de l'exercice de leur mandat, la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie ». Ainsi, en vertu de la disposition légale, il suffit que la liste mentionne les créanciers, c’est-à-dire que l’on puisse les identifier, et indique le montant des sommes dues.
Le contenu de cette liste est davantage détaillé à l’article R. 622-5 du Code de commerce. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, « La liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Elle comporte l'objet des principaux contrats en cours ».
Pour sa part, l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4, qui institue le mécanisme de la présomption de déclaration de créance, prévoit sobrement que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ». Cependant, le décret est beaucoup plus prolixe et vient ainsi ajouter considérablement au texte légal, en indiquant que « Pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24, toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24 N° Lexbase : L6120I33, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 N° Lexbase : L9126L77 et, le cas échéant, ceux prévus par le 2° de l'article R. 622-23 N° Lexbase : L0670L8C ». En d’autres termes, et selon le décret, pour valoir présomption de déclaration de créance, la liste doit comporter l’indication des sommes échues et à échoir, les sûretés qui garantissent la créance, la mention de la continuation du cours des intérêts et la conversion en euros au jour du jugement d’ouverture de la créance libellée en monnaie étrangère.
Le législateur s’est-il une seconde mis à la place du débiteur classique, qui n’a pas fait d’études de droit, et encore moins suivi un cours de droit des entreprises en difficulté, pour savoir, par exemple, quelles sont les créances qui continuent après jugement d’ouverture à bénéficier de la continuation du cours des intérêts, cependant que le principe posé par le Code de commerce est celui de l’arrêt du cours des intérêts par l’effet du jugement d’ouverture ?
Quoi qu’il en soit, à la lecture de la partie réglementaire du Code de commerce, on comprend que le mécanisme de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier aura fort peu vocation à jouer, compte tenu des exigences très importantes requises du débiteur. Cela n’est pas sérieux, à moins de vouloir faire semblant de donner d’une main législative un secours aux créanciers – la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour son compte – et de lui retirer ce secours par une autre main réglementaire.
Face à cette situation, la jurisprudence a dû trancher entre la gentille loi et le méchant décret, et, logiquement, la norme supérieure l’a emporté sur la norme inférieure. C’est ce que nous allons pouvoir constater.
En l’espèce, un jugement du 28 mars 2017, publié au BODACC le 12 avril suivant, a mis en sauvegarde un GAEC. Conformément à l'article L. 622-6 du Code de commerce, le GAEC a remis au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, sur laquelle figurait la société Coopérative Bourgogne (la coopérative). La créance de la coopérative a été contestée par le GAEC, qui a fait valoir que le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du Code de commerce.
La coopérative n’a pas obtenu gain de cause devant les juges du fond. La cour d’appel [1] a considéré que la liste remise à ce mandataire par le GAEC ne vaut pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur car cette liste ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté. En d’autres termes, pour la cour d’appel, si toutes les mentions réglementaires ne figurent pas sur la liste, la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier n’a pas joué, et il en résulte l’absence de déclaration de créance de la part du créancier qui n’a pas, dans les délais, personnellement déclaré sa créance et, qui, en conséquence, encourt la forclusion.
Le créancier forme un pourvoi. La question posée à la Cour de cassation est toute simple : est-il exigé, pour que l’indication du créancier sur la liste, par le débiteur, soit considérée comme permettant le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier que les mentions de cette liste répondent en tous points aux exigences du décret ou suffit-il que figurent certaines mentions minimales ?
La Cour de cassation, accueillant le pourvoi, va opter pour la seconde branche de l’alternative :
« Vu l'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 : Il résulte de ce texte que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du Code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur. La liste des créanciers remise par le Gaec à son mandataire judiciaire comportait le nom de la Coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations ».
Ainsi, pour la Cour de cassation, il faut l’identité du créancier et l’indication du montant de sa créance. Il n’est même pas exigé que soit distingué le montant des sommes à échoir et celles échues, alors pourtant que, observons-le, cette exigence est posée par l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce.
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation a à statuer sur la question. Nous avions pu comprendre, d’un précédent arrêt [2], la solution posée aujourd’hui. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que « Mais attendu que, selon l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, les créances portées à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du même code font présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire ; qu'ayant constaté que la liste remise au mandataire judiciaire par le débiteur ne mentionnait que l'identité du créancier, sans indiquer aucun montant de créance et, dès lors qu'il n'était pas allégué que le débiteur avait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire, ce qui ne pouvait se déduire des mentions du jugement d'ouverture de la procédure, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter l'existence d'une déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier ; que le moyen n'est pas fondé ».
Ainsi, dans cet arrêt, parce que la liste ne mentionnait que l’identité du créancier et non le montant de la créance, la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier n’avait pu jouer. Interprétant la solution a contrario, nous en avions déduit que si la mention de l’identité du créancier et du montant de la créance figurait sur la liste, alors la présomption pouvait jouer. Mais, on le voit, il fallait interpréter les propos de la Cour de cassation. Le mérite du présent arrêt est de poser de manière claire et directe la solution, et c’est sans doute ce qui a conduit la Cour de cassation à décider de sa publication au Bulletin car certaines juridictions du fond ne semblaient pas avoir bien compris la portée de l’arrêt du 5 septembre 2018. La Cour de cassation préfère donc enfoncer le clou.
Il importe d’observer que la Cour de cassation n’a visé que l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce, texte qui se contente d’indiquer que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ». Elle se garde bien de viser l’article R. 622-5, alinéa 2, qui détaille les mentions que doit contenir la liste. C’est une façon de tenir pour lettre morte le décret, sans doute parce que, estime la Cour de cassation, il n’est pas conforme au texte de loi, en y ajoutant des restrictions non contenues dans la formule législative.
Au surplus, la Cour de cassation a parfaitement compris que si elle donnait plein effet à la lettre de l’alinéa 2 de l’article R. 622-5 du Code de commerce, alors elle condamnait à mort le mécanisme de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.
La Cour de cassation a mille fois raison d’écarter la lettre d’un décret trop exigeant venant apporter des contraintes non prévues par le texte de la loi, pour permettre au texte de loi de vivre sa vie.
Pour terminer, nous offrons aux lecteurs l’occasion d’une petite tempête dans leur cerveau, en posant deux questions, auxquelles on s’abstiendra de répondre.
Si la présomption de déclaration de créance joue, le créancier dont la créance sera réputée déclarée dans les limites des mentions portées sur la liste, pourra-t-il obtenir un relevé de forclusion, s’il ne déclare pas personnellement dans les délais, pour faire admettre au passif les éléments non déclarés par le débiteur ?
Si la présomption de déclaration de créance joue, le créancier, dont la créance sera réputée déclarée dans les limites des mentions de la liste, pourra-t-il prétendre que le délai de déclaration de créance n’a pas couru contre lui faute d’avoir été averti personnellement d’avoir à déclarer au passif en tant que créancier titulaire d’une sûreté publiée, si le débiteur mentionne sa créance sans indication de la sûreté ?
[1] CA Dijon, 10 juin 2021, n° 19/00841 N° Lexbase : A69044UA.
[2] Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-18.516, F-P+B+I N° Lexbase : A3706X3N, D., 2018, actu 1692, note A. Lienhard ; D., 2018, 2067, note Levy et de Ravel d’Esclapon et D. 2019, pan. comm. 1903 s., note P. Cagnoli ; Gaz. Pal., 15 janvier 2019, n° 2, p. 44, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2018/17, comm. 251, note J. Vallansan ; Rev. sociétés, 2018, 747, note L.-C. Henry ; JCP E, 2018, 1563, note Stefania ; JCP E, 2019, chron. 1000, n° 9, note Ph. Pétel ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2018, 432, note B. Jazottes ; Rev. proc. coll., septembre/octobre 2019, comm. 138, note Legrand ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, septembre 2018, n° 565 N° Lexbase : N5511BXE.
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