La lettre juridique n°936 du 23 février 2023 : Éditorial

[Point de vue...] Distinguer le vrai du faux

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par Matthieu Hy, Avocat au Barreau de Paris

le 22 Février 2023

En essayant de faire juger que la complicité de tentative d’escroquerie au jugement par production d’un faux en écriture peut être commise de manière non intentionnelle, par imprudence ou inattention, quelques magistrats ont fait preuve d’une stupéfiante audace dont la raison demeurera un mystère, étant précisé par ailleurs que les mis en cause ont la qualité d’avocat.

En premier lieu, il est acquis que la complicité implique, au titre de l’élément matériel, un acte positif, antérieur ou concomitant et causal. L’inaction ou la passivité ne remplit pas la première condition [1]. Laisser se commettre un meurtre n’en rend pas l’agent complice. Existent toutefois des délits spécifiques d’abstention [2] tel que le non-empêchement de crime. À titre exceptionnel, la jurisprudence a reconnu qu’une abstention pouvait être assimilée à un acte positif lorsque l’agent, notamment en raison de sa qualité professionnelle, avait une obligation d’agir [3]. Ne faisant pas le travail qui lui incombe, il aide l’auteur à commettre l’infraction.

Toutefois, dans ce cas, le devoir d’agir affecte uniquement l’élément matériel en assimilant l’abstention à un acte positif. Il ne dispense nullement de caractériser une intention dont le contenu demeure intact [4]. Il n’a pas pour effet de rendre la complicité non intentionnelle.

En d’autres termes, celui qui s’abstient alors qu’il avait le devoir d’agir n’est pas coupable par négligence [5]. Il le sera uniquement s’il a sciemment laissé se commettre l’infraction qu’il devait empêcher, démontrant alors son intention d’y participer.

Ainsi, inventer, à la charge de l’avocat, une obligation positive d’authentifier les pièces qu’il communique [6] n’est d’aucune utilité dès lors qu’est reconnu, dans le même temps, que ledit avocat ignorait que le document produit était un faux [7].

Travestir l’élément matériel de la complicité n’a pas pour effet de modifier l’élément moral.

En second lieu, il est étonnant de prétendre caractériser aussi aisément une complicité de tentative d’escroquerie par production d’un faux alors qu’une analyse attentive de la jurisprudence permet de constater que, lorsque les faits sont commis dans un contexte judiciaire, le délit de faux en écriture est lui-même impossible à caractériser [8].

En effet, au titre de l’élément matériel, il a par exemple été jugé qu’une ordonnance de désignation d’un juge d’instruction [9] ou un soit-transmis [10] n’a pas la moindre portée juridique et ne peut donc jamais faire l’objet d’un faux [11]. Peu importe donc l’antidatage [12], le caractère erroné de certaines indications [13] ou même des « mentions mensongères » [14].

Le préjudice qu’auraient pu causer de telles falsifications ? En théorie, il peut certes n’être qu’éventuel ou même possible [15]. En pratique, il est toujours introuvable [16].

Au titre de l’élément moral, reconnaître avoir antidaté un acte de procédure est évidemment insuffisant pour conduire ne serait-ce qu’à une mise en examen [17]. Une « altération volontaire » ne caractérise aucune infraction pénale [18].

Contrairement à ce que pensent les mauvais juristes et la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l’intention ne réside absolument pas dans la « seule conscience de l'altération de la vérité » [19].

Elle se définit comme « la volonté de dissimuler la fausseté d’un acte » [20]. Ainsi ne suffit-il pas d’avoir voulu falsifier, encore faut-il avoir voulu dissimuler sa falsification, de la même manière qu’il ne peut y avoir meurtre sans réunion d’une intention de tuer et d’une intention de dissimuler le cadavre [21].

Par ailleurs, l’erreur de droit est, comme chacun sait, une cause d’irresponsabilité facilement admise [22].

En tout état de cause, l’intention n’est jamais caractérisée [23], le mis en cause étant toujours considéré, et c’est heureux, de bonne foi [24].

La loi est la même pour tous. La jurisprudence un peu moins.

 

[1] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 75 : « La complicité suppose l'accomplissement d'un acte positif et ne peut s'induire d'une simple abstention, tel est le principe général affirmé par maintes décisions » ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 23 s.

[2] J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 24.

[3] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 80 ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 25.

[4] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 114 : « La complicité nécessite, afin d'être punissable, une intention coupable chez le complice. Cette intention coupable, c'est non seulement le caractère volontaire de l'acte de participation, mais encore la conscience et le désir de concourir ainsi à l'infraction principale. » ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 57 : « Les conditions subjectives de la responsabilité pénale sont appréciées distinctement chez chacun des deux comparses : ce sont le discernement, la liberté et, quand elle est requise, l’intention délictueuse de l’auteur principal (celle du complice l’est toujours) ».

[5] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 116 : « Parce qu'il faut la volonté de s'associer consciemment à l'acte principal, on ne saurait retenir la complicité de celui qui, par imprudence ou par négligence, a facilité la commission de l'infraction (Crim. 6 déc. 1989, Dr. pénal 1990. 117) ».

[6] Cette obligation n’existe pas.

[7] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 117 : « De même ne peut-il y avoir complicité lorsque l'agent n'a pas connaissance de l'infraction qui va s'accomplir ».

[8] Pour des illustrations s’agissant de magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], 18 novembre 2004 ; T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, Le Parisien, 8 janvier 2021 [en ligne] ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, 7 mai 2018 ; J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 [en ligne] ; AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc.

[9] Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 19-87.422, F-D N° Lexbase : A89444BU.

[10] Pour un exemple concernant un magistrat : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc.

[11] Contrairement par exemple à une lettre de candidature à un emploi : Cass. crim., 25 février 2009, n° 08-82.797.

[12] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, Le Parisien, préc.

[13] Pour des exemples concernant des magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ; AFP, Francs-maçons : l'ex-juge niçois JP R[...] condamné à 5.000 euros d'amende, 13 janvier 2006.

[14] Pour un exemple s’agissant d’un magistrat : AFP, Francs-maçons : l'ex-juge niçois JP R[...] condamné à 5.000 euros d'amende, préc.

[15] JCl. Pénal Code, art. 441-1 à 441-12, Fasc. 20 : Faux, § 41.

[16] Pour des illustrations concernant des magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019 [en ligne].

[17] Pour un exemple s’agissant d’un magistrat : T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, préc. ; M. Leplongeon, Le faux qui embarrasse la justice, Le Point, 28 novembre 2017 [en ligne] ; Maladroite mais pas coupable ?, Aujourd'hui en France, 5 novembre 2017 ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019.

[18] « L'altération volontaire n'est pas contestable en l'espèce », rappelle l'avocat général, qui estime qu'« il aurait été plus rigoureux de laisser la désignation incomplète subsister en l'état au dossier ». Mais, développe-t-il, cet « oubli » serait sans conséquence judiciaire » (Source : T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019).

[19] Cass. crim., 7 décembre 2022, n° 21-82.374, F-D N° Lexbase : A42378YL.

[20] Position du parquet : Maladroite mais pas coupable ?, Aujourd'hui en France, 5 novembre 2017 : « La mise en forme de l'ordonnance de désignation à une date ultérieure à celle que mentionne l'acte ne répond pas à la définition du faux en écriture publique, qui suppose la volonté de dissimuler la fausseté d'un acte ou d'une décision derrière une date ne correspondant pas à la réalité », analyse le parquet, qui se contente d'une simple remontrance : « Cette façon de procéder, si elle n'est pas formellement irréprochable, n'apparaît ainsi pas constitutive des crimes objets de la présente information ».

[21] Pour un texte affirmant le contraire : C. pén., art. 221-1 N° Lexbase : L2260AMN.

[22] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 [en ligne] ; E. Nicolas, Suicide d’un détenu : relaxe requise pour deux magistrates, 22 septembre 2022, Le Progrès, 21 septembre 2022 [en ligne] ; S. Dechet, Jugée pour faux en écriture publique, au tribunal de Lyon, L'écho républicain, 27 octobre 2022.

[23] Pour des exemples concernant des magistrats : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 ; E. Nicolas, Suicide d’un détenu : relaxe requise pour deux magistrates, Le Progrès, préc. ; S. Dechet, Jugée pour faux en écriture publique, au tribunal de Lyon, L'écho républicain, préc. ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ;

[24] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, préc.

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