La lettre juridique n°932 du 26 janvier 2023 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] L'action en requalification d'un contrat en bail commercial est soumise à la prescription biennale

Réf. : Cass. civ. 3, 7 décembre 2022, n° 21-23.103, FS-B N° Lexbase : A85338XC

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N4077BZZ

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

le 25 Janvier 2023

Mots-clés : bail commercial • action en requalification • convention de location d’un terrain nu d’une durée de 7 ans • caractère non écrit de la durée du contrat (non) • clauses réputées non écrites • application de l’article L. 145-15 du Code de commerce (non) • imprescriptibilité de l’action en requalification (non) • application de l’article L. 145-60 du Code de commerce (oui) • prescription biennale (oui) • délai de prescription commençant à courir à compter de la conclusion de la convention

La Cour de cassation a déjà été amenée à trancher la question de la prescription applicable à la requalification d’un contrat en bail commercial sous l’empire de la loi ancienne, avant que le statut des baux commerciaux ne soit réformé. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, on a pu se demander si la position adoptée précédemment serait reconduite, eu égard à l’article L. 145-15, venu substituer la sanction de la nullité des clauses faisant échec aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux, par celle du réputé non écrit, dont l’action y afférente n'est soumise à aucune prescription et peut être exercée à tout moment. La troisième chambre civile apporte la réponse à cette interrogation. Elle déclare que l'article L. 145-15 du Code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial, de sorte que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.


 

1. Bien que la question de la prescription applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial ait déjà été posée à la Cour de cassation, la décision est intéressante, car elle est rendue sous l’empire de la loi nouvelle, après que le statut des baux commerciaux ait été réformé.

2. Dans l’espèce en question, une société titulaire d'un contrat de crédit-bail sur un ensemble immobilier à usage de supermarché, a consenti par acte sous seing privé du 19 juillet 1994, à une autre société la sous-location d'une parcelle de terrain, pour l'installation de son activité de station de lavage, jusqu'à l'expiration du contrat de crédit-bail prévu le 30 juin 2009. Par acte authentique du 29 avril 2005, la société locataire a cédé son activité à une autre société. Suivant acte authentique du 15 juillet 2009, la société bailleresse a acquis l'ensemble immobilier objet du contrat de crédit-bail. Par contrat de bail du 16 juillet 2009, la société bailleresse a loué à la dernière société locataire la parcelle de terrain précédemment objet de la sous-location, pour une durée de sept années à compter du 1er juillet 2009, soit jusqu'au 30 juin 2016. Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 novembre 2015, la société bailleresse a donné congé à sa locataire pour le 30 juin 2016. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 janvier 2016, la société preneuse a contesté le congé délivré et a indiqué revendiquer le bénéfice de la propriété commerciale. Par ordonnance du 4 janvier 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Pau a débouté la société bailleresse de sa demande d'expulsion en raison de l'existence d'une contestation sérieuse. Par acte d'huissier du 27 juin 2017, la société bailleresse a fait assigner sa locataire sur le fondement de l'article L. 145-60 du Code de commerce N° Lexbase : L8519AID et des articles 1134 et suivants du Code civil N° Lexbase : L1234ABC.

3. Par jugement en date du 10 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Pau a débouté la bailleresse de sa demande de libération des lieux et paiement d'une indemnité d'occupation. En effet, il considère que l'exception soulevée par la locataire est recevable et que le contrat du 16 juillet 2009 est bien un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux. Selon lui, le congé délivré est donc nul, si bien que le bail conclu entre les parties s'est tacitement prolongé depuis le 1er juillet 2018. Selon déclaration du 7 novembre 2019, la société venant aux droits de la société bailleresse a interjeté appel à l'encontre de cette décision. À ce titre, elle demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions. Elle soutient que les actions relevant du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans et que la société locataire a exercé une action en reconnaissance du statut des baux commerciaux au-delà du délai imparti. En conséquence, elle prétend à la prescription et l'irrecevabilité des demandes de l'intimée. À titre principal, elle demande que l'exception de nullité soit jugée irrecevable puisque la convention de location du 16 juillet 2009 a été exécutée et n'est pas un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux. Ce faisant, elle sollicite la condamnation de la société preneuse à payer une indemnité d'occupation. La société locataire rétorque que la durée contractuelle de sept ans du bail initial en date du 19 juillet 1994, étant une clause d'ordre public, est réputée non écrite et de ce fait imprescriptible en application de l'article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R. La SARL preneuse est déboutée de toutes ses demandes et son expulsion est prononcée par les juges du fond [1]. Tout d’abord, ils estiment que l’exception soulevée par la SARL est prescrite. Les actions en requalification d’un contrat de bail commercial se prescrivent par deux ans, ce délai commençant à courir à compter de la conclusion du contrat. Le contrat ayant été signé le 16 juillet 2009, elle est donc prescrite depuis le 16 juillet 2011. Concernant la prescription de l’exception de nullité de la clause, elle est également soumise à la prescription biennale sauf application de l'article 1185 du Code civil N° Lexbase : L0893KZ4, aux termes duquel l’exception est perpétuelle lorsqu’elle a pour objet de faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique si le contrat n’a reçu aucune exécution. En l’occurrence, le contrat a reçu exécution puisqu’il y a eu mise à disposition, occupation des lieux et paiement des loyers. Il est indifférent que la clause litigieuse n’ait fait l’objet d’aucune exécution et que l’exécution du contrat ait porté sur d’autres obligations que cette clause. Par ailleurs, la clause du bail prévoyant sa durée n’est pas inopposable au preneur dans la mesure où, s'agissant d'un bail conclu le 16 juillet 2009 et pour lequel l'action en requalification est nécessairement prescrite avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, cette modification législative n'a pu avoir pour effet de faire revivre un droit déjà éteint par la prescription le 16 juillet 2011. Enfin, l’appelante ne peut arguer la suspension de la prescription pour fraude du bailleur issue d’une précaution rédactionnelle sur la durée du bail et l’absence de droit à indemnisation tendant à occulter l’étendue exacte de ses droits. Elle ne démontre pas l’utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement, indispensable à la caractérisation d’une telle fraude. La location ayant pris fin le 30 juin 2016 en application du contrat, la preneuse est donc occupante sans droit ni titre depuis cette date. Cette occupation constitue une juste cause pour que soit ordonnée son expulsion. En revanche, la clause pénale forfaitaire s’établissant sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de 50 % n’a pas vocation à s’appliquer puisque la présente décision n’intervient pas au titre d’une résiliation. De plus, étant une clause pénale, celle-ci peut être modérée et l’appelante ne justifie pas d’un préjudice supérieur qui ne soit pas indemnisé par le paiement d’une indemnité d’occupation équivalente au dernier loyer acquitté. Insatisfaite de cette solution, la société locataire se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes, alors que l'article L. 145-15 du Code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), est applicable aux baux en cours, quelle que soit la date de leur conclusion, l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'étant pas soumise à prescription. Elle prétend également qu’en estimant que l'article L. 145-15 nouveau ne pouvait s'appliquer au bail conclu le 16 juillet 2009, dès lors qu'il aurait pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription depuis le 16 juillet 2011, la cour d'appel aurait violé, par refus d'application, l'article L. 145-15 du Code de commerce. En réponse à cet argumentaire, la Cour de cassation affirme que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que l'article L. 145-15 du Code de commerce réputant non écrites certaines clauses d'un bail, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial, de sorte qu’elle a exactement retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.

4. La Haute Cour ne se prononce pas sur la requalification du contrat litigieux, mais statue seulement sur la prescription applicable à l’action y afférente. Ainsi, après avoir écarté l’application de la règle de l’imprescriptibilité issue du nouvel article L. 145-15 du Code de commerce (I), la troisième chambre civile ne pouvait qu’en déduire l’application de la prescription biennale (II).

I. Le rejet de la règle de l’imprescriptibilité issue de l’article L. 145-15 du Code de commerce

5. Après la promulgation de la loi dite « Pinel » du 18 juin 2014, la doctrine n’était pas certaine que la jurisprudence rendue au sujet de la prescription applicable à une action en requalification d’un contrat en bail commercial soit reconduite. Effectivement, depuis cette loi, les clauses faisant échec aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux ne sont plus sanctionnées par la nullité, mais par le réputé non écrit [2]. Or, l'action tendant à faire réputer non écrite une clause litigieuse n'est pas soumise à prescription et peut donc être exercée à tout moment [3]. C’est précisément à cette interrogation que la solution commentée répond en premier lieu.

6. Sous l’égide de la loi ancienne, la Cour de cassation avait arrêté deux solutions en distinguant l'action qui tend à voir reconnaître au bénéfice du preneur l'application de plein droit du statut des baux commerciaux, notamment dans le cadre des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce N° Lexbase : L2320IBK, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juin 2014 [4], de l’action en requalification qui peut intervenir à la suite de la conclusion d’un contrat, quel qu’il soit (bail emphytéotique, professionnel ou saisonnier, location-gérance). Lorsqu’il était question d’une action tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, il avait été jugé qu’elle échappait à la courte prescription biennale [5]. À propos de l'action tendant à la requalification d'un bail saisonnier en bail commercial statutaire, elle relevait, quant à elle, de la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce [6]. Pour justifier la solution, la doctrine expliquait que les circonstances de l’action « tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial soumis au statut », dont le fondement « résulte uniquement de l'article L. 145-5 du Code de commerce qui est dérogatoire au statut des baux commerciaux et se suffit à lui-même » [7], sont bien différentes de celles de l’action en requalification. Concrètement, pour l’action née du maintien en possession, la prescription biennale ne peut s'appliquer, car ladite action « n'est pas "exercée en vertu du statut" mais d'une disposition dérogatoire au statut ». En revanche, l’autre action est exercée en vertu du statut. Avec l’entrée en vigueur du nouvel article L. 145-15 du Code de commerce, si la doctrine supposait que la première solution serait maintenue, dès lors que toute convention portant atteinte au droit de renouvellement institué notamment par l'article L. 145-5 s'avère réputée non écrite [8], elle se prononçait avec beaucoup moins de certitudes pour la seconde. En outre, le maintien de la rédaction de l’article L. 145-60 du Code de commerce par le législateur de 2014, alors que celui-ci avait pour objectif d'écarter l'application de la prescription biennale pour protéger le locataire [9], ne facilite pas la réponse [10]. Partant, certains trouvaient légitime de penser que l'action en requalification d'un bail saisonnier en bail commercial échapperait à la prescription biennale, si l'on considère que la qualification de « bail saisonnier » ne vise qu'à faire échec au droit au renouvellement du bail commercial et aux dispositions statutaires, alors que d’autres pensaient le contraire [11]. Il restait donc à savoir si l'on pouvait assimiler une action en requalification à une action visant à faire réputer non écrite une clause contraire à l'ordre public statutaire [12]. C’est chose faite et la réponse est négative.

7. Les Hauts conseillers affirment, sans remettre en question l’application de l’article L. 145-15 aux baux en cours, la solution étant désormais acquise [13], que « l'article L. 145-15 du Code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail commercial, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial ». La solution antérieure semble donc maintenue. On comprend alors qu’une action en requalification ne peut pas être assimilée à une action visant à faire réputer non écrite une clause contraire à l'ordre public statutaire. Une telle solution peut être perçue sévèrement par le demandeur à la requalification qui peut se retrouver lié par un « faux » contrat [14]. Qui plus est, le fait de pouvoir, grâce à cette prescription de courte durée, échapper aux contraintes du statut des baux commerciaux alors qu’il aurait dû s'appliquer, crée une certaine insécurité juridique [15]. C’est surtout, eu égard à l’objectif poursuivi par le statut des baux commerciaux qui tend à assurer la stabilité du fonds de commerce et par là même à pérenniser l’activité économique, que la solution nous paraît dure. Bien que l’effet – à savoir l’imprescriptibilité – attaché à la sanction du réputé non écrit [16] soit critiqué par certains juristes [17], il est permis de lui trouver un intérêt et une cohérence si l’on suit une logique de pérennisation de l’activité économique, puisque pour préserver cette activité économique, il semble juste qu’une clause qui contrevient à l’exercice de ladite activité puisse être éradiquée à tout moment [18]. Probablement, le « législateur Pinel » a-t-il voulu « apurer rapidement le contentieux des baux commerciaux » [19]. Pour autant, la formule de l’article L. 145-15 vise une contrariété à des éléments essentiels du statut (renouvellement, charges, etc.), en l’absence desquels l’activité économique est mise à mal. Le fait de priver un bail commercial de sa véritable qualification ne revient-il pas à faire échec à des éléments fondamentaux du statut et empêcher la pérennisation de l’activité économique ? Il ne paraît pas illégitime de le penser. Finalement, on peut se demander si la distinction entre les actions tendant à faire admettre l’existence d’un bail commercial soumis au statut et les véritables actions en requalification est bien justifiée.

Cela étant admis, il ne restait qu’à appliquer la prescription biennale dont le point de départ est fixé au jour de la conclusion du contrat.

II. L’admission de la prescription biennale issue de l’article L. 145-60 du Code de commerce

8. De toute évidence, pour engager une action en justice, il est nécessaire que le délai pour agir ne soit pas prescrit et on sait que les actions judiciaires exercées dans le cadre des baux commerciaux sont encadrées par trois délais de prescription [20]. Certaines d’entre elles sont gouvernées par la règle de l’imprescriptibilité. À côté de cette règle qui a été écartée, il reste la prescription biennale issue de l’article L. 145-60 du Code de commerce invocable pour toutes les actions exercées en vertu du statut et la prescription quinquennale de droit commun. C’est en faveur de cette seconde prescription que la solution analysée se positionne, comme elle l’avait déjà fait avant la réforme du statut.

9. Elle déclare que « la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention ». Étant donné qu’elle a rejeté l’application de l’article L. 145-15 du Code de commerce, elle ne pouvait qu’approuver l’application de la prescription biennale de l’article L. 145-60 du même code. Il paraît évident que la prescription quinquennale de droit commun n’avait pas lieu d’être ici puisque l’action était spécialement liée au statut. Or, la prescription quinquennale n’est destinée qu’aux actions non fondées sur les dispositions du chapitre V du titre IV du livre 1er du Code de commerce, inhérentes au droit commun ou aux stipulations du bail lui-même [21]. Quant au point de départ du délai de prescription, la jurisprudence antérieure a déjà eu l’occasion de préciser que la computation du délai de la prescription biennale se faisait au jour de la conclusion du contrat, peu important qu'il ait été renouvelé ou reconduit [22], ce qui peut être critiquable dans le sens où un bailleur qui fraude, une deuxième fois (bail renouvelé), devient intouchable [23]. De la sorte, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription d'une action en requalification de plusieurs conventions successives d'occupation saisonnière n'est pas la date de la dernière convention, mais la date à partir de laquelle le statut des baux commerciaux pouvait être revendiqué [24]. À ce titre, la solution analysée apparaît conforme. Cependant, la doctrine relève que l’article L. 145-60 est silencieux quant au point de départ à prendre en compte pour calculer le délai de prescription, et il a été suggéré de retenir le même point de départ qu’en droit commun : le jour de la connaissance des faits permettant d’agir [25]. Il n’est pas certain que l’appréciation du jour de la connaissance des faits permettant d’agir [26] laisse forcément davantage de temps au locataire pour agir en requalification d'un bail et sauver son activité, mais ça pourrait être le cas parfois [27]. Ce n’est pas la solution retenue. On sait que la question de la requalification se pose rarement dans les deux années suivant la conclusion du contrat litigieux, mais plutôt à l'expiration de celui-ci. Le preneur devra donc faire preuve d'une grande réactivité s’il veut demander la requalification de son contrat en bail commercial [28], à moins de recourir à une clause aménageant la prescription si tant est qu’elle soit valable (ce qui n’est pas évident du tout) [29] ou que ne soit établie la fraude du bailleur, qui peut être une cause de suspension de la prescription.

10. À partir du moment où la requalification du contrat en bail commercial intervient à la suite d’une fraude destinée à priver le locataire du bénéfice du statut des baux commerciaux [30], la prescription est suspendue en application de l'adage « fraus omnia corrumpit », dont la Cour de cassation a déjà fait usage dans le domaine des baux commerciaux [31]. Tel est le cas lorsque le paiement des charges est réalisé selon un décompte annuel et que le loyer, même modique, fait l'objet de révisions correspondant à la révision triennale des baux commerciaux [32]. Cela permet au locataire d’exercer l'action en requalification du contrat plus de deux ans après sa signature [33]. Malheureusement, la fraude sera difficile à démontrer la plupart du temps, car il faut caractériser des manœuvres déloyales et une intention frauduleuse. Ici, la fraude a été soulevée sur la base d’une précaution rédactionnelle sur la durée du bail et l’absence de droit à indemnisation tendant à occulter l’étendue exacte de ses droits, mais la cour d’appel l’a rejetée, faute d’avoir démontré l’utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement. Moralité, comme l’indique très justement un auteur, le locataire qui n’a pas été suffisamment rapide pour demander la requalification, aura tout intérêt à ne pas engager d’action judiciaire, mais plutôt se maintenir dans les lieux et attendre que l'autre partie introduise une action en expulsion pour invoquer, par voie d'exception, l'application du statut des baux commerciaux [34]. Une dernière parade pourrait résulter d’une demande qualifiée de défense au fond [35], mais elle est assez incertaine [36].


[1] CA Pau, 29 juillet 2021, n° 19/03523 N° Lexbase : A53664ZR.

[2] C. com., art. L. 145-15, modifié par la loi  n° 2014-626, du 18 juin 2014.

[3] V. en ce sens : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347, Loyers et copr., 2021, comm. 10, note E. Marcet ; JCP G, 2021, 240, n° 2, obs. D. Houtcieff ; JCP E, 2021, 1168, n° 8, obs. J. Monéger ; Dalloz Actualité, 4 janvier 2021, obs. A. Cayol ; LEDC, janvier 2021, p. 2, obs. N. Leblond.

[4] « Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre [...] ».

[5] Cass. civ. 3, 1er octobre 2014, n° 13-16.806, FS-P+B+I N° Lexbase : A8014MX4, Loyers et copr., 2014, comm. 272, note Ph.-H. Brault ; JCP G, 2014, 1146, note Ch. Lebel ; D., 2014, p. 1997, obs. Y. Rouquet ; RTD com., 2014, p. 773, obs. F. Kendérian ; JCP E, 2015, 1130, obs. H. Kenfack – Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-23.321, FS-D N° Lexbase : A8619NHP, Ann. loyers 2015, p. 139, obs. A. Cerati-Gauthier.

[6] CA Aix-en-Provence, 4 mars 2014, n° 11/12514 N° Lexbase : A1634MGM, Loyers et copr., 2014, comm. 148, note E. Chavance – Cass. civ. 3, 17 septembre 2020, n° 19-18.435, F-P+B+I N° Lexbase : A88413TM, LEDC, octobre 2020, p. 2, obs. M. Latina ; Rev. loyers, 2020, p. 472, obs. Ch. Lebel ; JCP N, 2021, 1133, note A. Mbotaingar ; JCP E, 2021, 1168, n°  5, obs. B. Brignon – Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, F-D N° Lexbase : A5487NXI, J. Prigent, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 450 N° Lexbase : N0882BWL – Cass. civ. 3, 3 décembre 2015, n° 14-19.146, FS-P+B N° Lexbase : A6863NYT, D., 2015, p. 2559, obs. Y. Rouquet ; B. Brignon, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 450 N° Lexbase : N0888BWS – CA Aix-en-Provence, 20 octobre 2015, n° 14/04383 N° Lexbase : A6443NTS, Loyers et copr., 2015, comm. 250, note E. Chavance. V. aussi pour une analyse de tous ces arrêts : F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, RTD com., 2016, p.  47, spéc. p. 53.

[7] H. Kenfack, Baux commerciaux, JCP E, mars 2015, n° 11, chron. 1130, spéc. n° 20.

[8] Ph.-H. Brault, Application de la prescription biennale à l'action tendant à faire constater en raison du maintien dans les lieux du preneur après expiration du bail dérogatoire l'existence d'un bail commercial assujetti au statut des baux commerciaux selon l'article L. 145-5 du Code de commerce, Loyers et copr., n° 11, novembre 2014, comm. 272 ; H. Kenfack, Baux commerciaux, art. cit., spéc. n° 22.

[9] F. Verdier, rapport AN n° 1739 (1338) : rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, p. 53 [en ligne].

[10] V. sur ce débat : J. Monéger, Prescription biennale et clauses réputées non écrites : une fausse bonne question ?, Loyers et copr., 2014, repère 6 ; J.-P. Dumur, Le « bêtisier » de la loi Pinel en dix stations, AJDI, 2014, p. 821.

[11] F. Kendérian, Bail commercial. - Champ d'application du statut. - Convention d'occupation précaire. - Baux dérogatoires : bail d'une durée au plus égale à trois ans. Location à caractère saisonnier, Jcl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1255, août 2022, n° 107 ; v. contra : H. Kenfack, Baux commerciaux, art. cit. ; M.-P. Dumont-Lefrand, Baux commerciaux, D., 2016, p. 1613.

[12] V. sur la question : F. Kendérian, in Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, préc., spéc. p. 53.

[13] V. en sens : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, Dalloz Actualité 4 janvier 2021, obs. A. Cayol – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP+B N° Lexbase : A20224YK, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685  N° Lexbase : N8425BYP – Cass. civ. 3, 21 avril 2022, n° 21-10.375, F-D N° Lexbase : A48737UZ, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, mai 2022, n° N° Lexbase : N1491BZA.

[14] V. pour cet argument : F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.

[15] V. pour cet argument : B. Brignon, Prescription de l'action en requalification d'une location-gérance en bail commercial, obs. sous Cass. civ., 3 décembre 2015, n° 14-19.146, préc..

[16] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A. M. Luciani, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021, p. 610, n° 660 ; S. Gaudement, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006, pp. 127 et s., n° 239 et s. ; T. Douville (dir.) et alii, La réforme du Droit des contrats - Commentaire article par article - Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Gualino, Lextenso, 2016, p. 138 ; J.-P. Blatter et W. Blatter‑Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6ème éd., op. cit., p. 857, n° 1814 ; D. Houtcieff,  Clauses réputées non écrites et baux commerciaux, Loyers et copr., 2018, n° 10, doss. 14, p. 33 ; v. contra : H. Barbier,  L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, RTD civ., juillet 2019, n° 2, p. 334.

[17] H. Barbier, L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, art. cit.

[18] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 610, n° 661.

[19] V. sur cette idée : J. Lafond, B. Vial-Pedroletti, F. Kendérian, E. Chavance et C. Coutant-Lapalus (part.), Code des baux, 14ème éd., LexisNexis, 2015, obs. sous C. com., art. L. 145-60, p. 751, n° 1, in F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.

[20] Délai quinquennal de droit commun, prescription biennale spécifique au statut (C. com., art. L. 145-60) et imprescriptibilité des actions en réputé non écrit ; v. en ce sens : J.-P. Blatter et W. Blatter-Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6ème éd., Le Moniteur, 2018, p. 839, n° 1770 ; M.‑P. Dumont-Lefrand, Bail commercial, Rép. civ. Dalloz, septembre 2009, n° 503 ; A. Chatty, Les baux commerciaux, 4ème éd., Légis-France, 2015, p. 138, n° 327 ; M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, coll. Logiques juridiques, L’Harmattan, 2021, p. 607, n° 655.

[21] J.-D. Barbier, Bail commercial. - Prescription, Jcl. Civil Code, Fasc. n° 1304, novembre 2020, n° 3-5. V. aussi : Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-23.134, F-D N° Lexbase : A9537N3M – Cass. civ. 3, 10 mars 2015, n° 12-27.139, F-D N° Lexbase : A3228NDW, Gaz. pal., avril 2015, pan., p. 30, note R. Conseil ; Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-20.369, FS-D N° Lexbase : A5379NM8, Gaz. pal., août 2015, pan., p. 37, note R. Conseil ; Cass. civ. 3, 5 octobre 1994, n° 92-14.354 N° Lexbase : A6943ABR, Administrer, janvier 1995, p. 34, note J.-D. Barbier – Cass. civ. 3, 15 septembre 2010, n° 09-15.924, FS-D N° Lexbase : A5806E9W, Gaz. pal., mars 2011, pan., p. 45 – Cass. civ. 3, 24 mai 2017, n° 16-16.541, F-D N° Lexbase : A1041WEB, Gaz. pal., juillet 2017, p. 70, note J.-D. Barbier.

[22] V. en ce sens : Cass. civ. 3, 22 janvier 2013, n° 11-22.984, F-D N° Lexbase : A8768I37, AJDI, 2013, 609, obs. R. Hallard ; Administrer, mars 2013. 34, obs. D. Lipman-W. Boccara. V. aussi pour un contrat tacitement reconduit : Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16.103, F-P+B N° Lexbase : A5785KGD, D., 2013. 1543, obs. Y. Rouquet ; AJDI, 2014, 32, obs. J.-P. Blatter ; RTD com., 2013, 467, obs. F. Kendérian ; JCP E, 2013, n° 1430, § 12, obs. J. Monéger ; Loyers et copr., 2013, comm. 241, note E. Chavance ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Affaires, juillet 2013, n° 345 N° Lexbase : N7930BTU.

[23]  A. Cerati-Gauthier, Chronique des contrats d'affaire, note sous Cass. civ. 3, 3 décembre 2015, Journal des sociétés, février 2016.

[24] CA Aix-en-Provence, 4 mars 2014, n° 11/12514 N° Lexbase : A1634MGM, Loyers et copr., 2014, comm. 148, note E. Chavance.

[25] B. Brignon, Prescription de l'action en requalification d'une location-gérance en bail commercial, art. cit. ; Du réputé non écrit et de l'application dans le temps de la loi Pinel », Cah. dr. entr., mai 2015, dossier 17, spéc. 1-B.

[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., pp. 607-609, n° 656-658.

[27] V. en ce sens un arrêt admettant que l’action en fixation du loyer d’un bail statutaire faisant suite à un bail dérogatoire est enfermée dans le délai de prescription de deux ans de l’article L. 145-60 du Code de commerce et court à compter de la date à laquelle le statut a été revendiqué par l’une des parties et non à la date où le bail est né : Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 15-19.485, FS-P+B+I, N° Lexbase : A9962RWU, Rev. loyers, octobre 2016, n° 970, obs. B. de Lacger ; Dr. & patr., août 2016, n° 1066, obs. C. L. G. ; RDC, décembre 2016, n° 4, p. 676, obs. R. Boffa ; Gaz. pal., novembre 2016, n° 40, p. 69

[28] F. Kendérian, Bail commercial. - Champ d'application du statut. - Convention d'occupation précaire. - Baux dérogatoires : bail d'une durée au plus égale à trois ans. Location à caractère saisonnier, op. cit., n° 107.

[29] V. la question en débat du caractère d’ordre public de l’article L. 145-60 du Code de commerce et sur la faculté de prévoir un délai de prescription plus long et de fixer son point de départ : A. Levi et alii, Le Lamy Droit commercial, 2022, n° 892 et 1618 ; C. Mutelet et alii, Le Lamy Baux commerciaux, 2022, n° 550-40.

[30] J.-Cl. Berthault, Les locations commerciales saisonnières, Rev. loyers 1988, p.  200, spéc. p. 202.

[31] V. Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, FS-P+B N° Lexbase : A5821EU7, D., 2010. 1017, obs. Y. Rouquet ; ibid., 2011, 1786, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI, 201, 719, obs. J.-P. Blatter ; Loyers et copr., 2010, comm. 164, note E. Chavance ; JCP E, 2010, n° 1656, § 4, obs. J.-B. Seube ; Rev. loyers, 2010, 259, obs. B. Raclet ; Ann. Loyers, 2010, 1949, obs. A. Cerati-Gauthier ; Gaz. pal., 14-17 juillet 2010. 32, note Ch.-E. Brault ; Administrer, juin 2010, 38, obs. D. Lipman-W. Boccara ; RTD com., 2010, 521, obs. F. Kendérian – Cass. civ. 3, 23 septembre 2021, n° 20-10.812, F-D N° Lexbase : A448947E, Loyers et copr., 2021, n° 12, comm. 182, E. Chavance.

[32] Cass. civ. 3, 10 novembre 1987, Rev. loyers, 1988, p.  222 ; Administrer, juin 1988, p. 56, n° 10, note J. Lafond.

[33] Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, préc., J. Prigent, Lexbase Affaires, préc.

[34] F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.

[35] Cass. civ. 3, 22 octobre 2020, n° 18-25.111, F-D N° Lexbase : A87603Y4, AJDI, 2021, p. 142.

[36] P. Gaiardo, Prescription de la demande en requalification en bail commercial : confirmation, obs. sous Cass. civ. 3, 7 décembre 2022, n° 21-23.103, Dalloz Actualité, 17 janvier 2023.

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