La lettre juridique n°932 du 26 janvier 2023 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Outre-mer et report/imputation/restitution de réductions d’impôt

Réf. : CAA de Versailles, 1er décembre 2022, n° 20VE03157 N° Lexbase : A55378WY

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

le 25 Janvier 2023

Mots-clés : SNC • outre-mer • investissements productifs neufs • crédit-bail • réduction d’impôt 

Nous sommes en présence d’un requérant qui détient 50 % des parts sociales d’une SNC ; celle-ci exploite un bateau, propriété d’une banque qui le met à disposition de la SNC via un contrat de location avec option d’achat. Le requérant demande à l’administration fiscale l’imputation – sur l’IR - d’un solde de 34271 euros de réduction d’impôt relative à des investissements réalisés outre-mer (CGI, art. 199 undecies B, titre I N° Lexbase : L3584MGT). Devant le refus de l’administration, contentieux il y a. Le requérant se tourne vers le TA de Cergy-Pontoise. Il réitère sa demande initiale et, à titre subsidiaire, souhaite la restitution de ce solde, le report des réductions d’impôts, et l’annulation des avis de saisie administrative à tiers détenteurs. Le TA de Cergy-Pontoise rejette ses demandes.


 

Devant la CAA de Versailles, le requérant soutient qu’il est en droit de bénéficier de la réduction d’impôt prévue à l’article 199 undecies B du CGI. Le contrat de location du navire – loué par la SNC dont il est associé – est un contrat de crédit-bail (au sens de l’article 313-7 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7976HBZ) ; la SNC loue un navire qui lui sera ultérieurement vendu pour 10 % de sa valeur d’origine après cinq années de loyer. Selon le requérant, l’administration a réalisé une application inexacte de l’article 95 Q de l’annexe II au CGI N° Lexbase : L9615KC4 ; il rappelle que le bureau des agréments a validé avec fréquence les contrats de cette nature, y compris en présence d‘un prix supérieur à 250 000 euros. Quant au fait générateur de la réduction d’impôt, celui-ci se produit quand les investissements neufs productifs sont effectivement exploités en outre-mer. Si l’exploitation effective du bâtiment a été retardée, c’est en raison d’une collision advenue lors de son convoyage le 29 décembre 2011. C’est à mauvais droit que les juges de 1ère instance auraient considéré que l’exploitation effective pouvait commencer le 1er décembre 2011 et auraient retenu la date de l’acte de francisation. S’agissant de la compensation (au sens de l’article L. 257 B du LPF N° Lexbase : L4712ICI), le requérant estime que le TA de Cergy-Pontoise ne pouvait pas lui en refuser le bénéfice dès lors qu’il détenait une créance – liquide et exigible - sur le Trésor public. Il appert que le montant de la créance était précisément déterminé et que le délai – permettant l’imputation de la réduction d’impôt – n’était pas encore écoulé. Deux autres griefs sont par lui avancés : contrairement aux assertions des premiers juges, il a bien déposé à deux reprises des réclamations au service des impôts des particuliers, ce qui emporte recevabilité de ses conclusions (cf. LPF, art. L. 199 N° Lexbase : L0438LTE) … la procédure de recouvrement est viciée dans la mesure où les avis à tiers détenteurs n’ont pas été précédés d’un acte annonciateur de poursuites (en méconnaissance de l’article L. 257-0 du LPF N° Lexbase : L7186LZ8).

La CAA de Versailles cogite, en premier lieu, sur le report des réductions d’impôt. Il est fait lecture de l’article L. 281 du LPF N° Lexbase : L8564LHN. Quand contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires (et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics) il y a, elles doivent être adressées à l’administration dont dépend le comptable exerçant les poursuites. Des contestations visant un recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Ces contestations peuvent porter : soit sur la régularité en la forme de l’acte … soit sur l’obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués sur l’exigibilité de la somme réclamée. Les recours relatifs à la régularité en la forme de l’acte sont portés devant le juge de l’exécution ; les recours relatifs aux créances fiscales sont portés devant le juge de l’impôt. Dans le cas présent, le requérant a demandé à l’administration l’imputation de la réduction d’impôt acquise en 2012 sur l’IR réclamé au titre de l’année 2017. Devant le TA de Cergy-Pontoise, il demande que les réductions d’impôt - acquises au titre des années 2015 et 2016 – soient reportées. Les juges écartent ses conclusions en vertu de l’article 199 undecies B du CGI : le requérant n’a pas opéré de réclamation préalable auprès de l’administration en méconnaissance des articles L. 190 N° Lexbase : L1450MD3, L. 199 N° Lexbase : L0438LTE et R. 190-1 du LPF N° Lexbase : L6750ISS. Certes, il affirme qu’il voulait, par sa requête, contester l’exigibilité de la somme réclamée par le Trésor public. Cependant, constate la CAA de Versailles, il s’agit là de conclusions nouvelles, irrecevables (cf. les articles L. 281 N° Lexbase : L8564LHN et R. 281-1 N° Lexbase : L7998LM8 du LPF) ; elles n’ont pas été précédées d’une opposition à contrainte devant l’administration. Le requérant ne peut donc obtenir censure de la décision des premiers juges en ce que ces derniers ont rejeté ses conclusions tendant au report des réductions d’impôt constatées (au titre des années 2015 et 2016).

En second lieu, la CAA de Versailles cogite sur l’imputation – ou la restitution – de la réduction d’impôt de l’année 2011. Il est fait lecture de l’article 199 undecies B du CGI : les contribuables qui sont domiciliés en France (au sens de l’article 4 B du CGI N° Lexbase : L6146LU8) peuvent bénéficier d’une réduction d’IR s’ils réalisent des investissements productifs neufs dans les départements d’outre-mer. Ces investissements doivent être réalisés dans le cadre d’une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale. Quant à la réduction d’impôt, elle est de 45 % du montant – HT et hors frais de toute nature, notamment les commissions d’acquisition (à l’exception des frais de transport, d’installation et de mise en service amortissables) – des investissements productifs, diminués de la fraction de leur prix de revient financée par une subvention publique. Sont concernés les investissements réalisés par une société soumise au régime d’imposition visé à l’article 8 (à l’exclusion des sociétés en participation, ou un groupement mentionné aux articles 239 quater N° Lexbase : L4966HLI ou 239 quater C N° Lexbase : L4974HLS) ; les parts doivent être détenues - directement ou par l’intermédiaire d’une EURL – par des contribuables domiciliés en France.

Dans cette hypothèse, la réduction d’impôt est réalisée dans une proportion qui correspond aux droits des associés ou membres dans la société ou le groupement. Cette réduction d’impôt pratiquée l’est au titre de l’année au cours de laquelle il y a eu réalisation de l’investissement. Si le montant de la réduction d‘impôt excède l’impôt dû, il est possible de reporter le solde sur l’IR des années suivantes (et cela jusqu’à la 5ème année inclusivement). Il est encore fait lecture de l’article 95 K de l’annexe II du CGI N° Lexbase : L5767I7Q : ouvrent droit à réduction d’impôt (au sens du I de l’article 199 undecies B) les investissements productifs neufs réalisés dans les DOM quand il s’agit d’acquisitions ou de créations d’immobilisations corporelles, neuves et amortissables. Encore faut-il que celles-ci soient affectées aux activités relevant des secteurs éligibles. Enfin, en vertu de l’article 95 Q de la même annexe, il est spécifié que la réduction d’impôt visée est pratiquée au titre de l’année au cours de laquelle l’immobilisation est créée par l’entreprise, ou lui est livrée, ou est mise à sa disposition dans le cadre d’un contrat de crédit-bail. Dans ce dernier cas – quand l’immobilisation fait l’objet d’un contrat de crédit-bail – la réduction d’impôt est pratiquée par le contribuable crédit preneur (ou par les associés ou membres de l’entreprise qui est crédit-preneur). Au regard de l’ensemble de ces dispositions, la CAA de Versailles constate que le fait générateur de la réduction d’impôt (prévue à l’article 199 undecies B) est la date de la création de l’immobilisation : soit au titre de laquelle l’investissement productif a été réalisé, soit la date de sa livraison effective dans le DOM. Dans cette dernière configuration, la date qui mérite d’être retenue est celle à laquelle l’entreprise commence son exploitation effective. Puisqu’elle dispose matériellement de l’investissement productif, elle peut en effet en retirer des revenus. Dans notre espèce, la SNC prend en location le navire de plaisance - acquis par une banque - en 2011 ; le contrat de location liant la SNC et la banque propriétaire est, selon le requérant, un crédit-bail (au sens de l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier). Toutefois, la CAA de Versailles estime ne pas être en mesure de connaître, et comprendre, l’ensemble des stipulations dudit contrat. Cela vaut particulièrement pour ce qui concerne les modalités du transfert de propriété, l’option d’achat, la prise en compte des loyers dans le dispositif. Le juge d’appel regrette que le requérant se borne à produire, en défense de ses prétentions, une simple attestation de la banque ; or, cette attestation – si elle fait certes état de certaines caractéristiques – s’avère un document insuffisant et insatisfaisant. Selon la CAA de Versailles, la SNC n’est pas réputée posséder la qualité de crédit preneur (au sens de l’article 95 Q de l’année II au CGI N° Lexbase : L9615KC4). Que l’administration ait délivré des agréments – comme le rappelle le requérant – est sans incidence sur la qualification juridique du contrat au cœur du contentieux ; il s’agit là d’un élément étranger à l’objet du litige (et de surcroît non établi morigène le juge). Il y a plus. Il convient – déclare la CAA de Versailles – de s’appesantir sur la question des dates. Car quand bien même le contrat serait qualifié de crédit-bail et quand bien même l’investissement serait éligible à la réduction d’impôt, subsisterait une faille temporelle. Le contrat de location commence le 10 octobre 2011 ; le bateau est « importé » le 14 novembre 2011 et francisé le 1er décembre de la même année. Certes, une grave avarie est advenue le 29 décembre 2011 lors du convoyage du bateau. Néanmoins, l’attestation de l’assureur – qui prend en charge le sinistre – révèle que le sinistre survient au départ de Fort-de-France ; puisqu’il est déjà en Martinique – là même où est installée la SNC – cette dernière pouvait l’exploiter au cours de l’année 2011. Il s’ensuit que la réduction d’impôt relative à cet investissement ne peut pas être sur l’IR de l’année 2011 ; elle ne peut être imputée que jusqu’à la cinquième année d’imposition suivant l’année de l’investissement (ici, IR au titre de l’année 2016). La demande du requérant – en vertu de laquelle le solde de réduction d’impôt acquis en 2012 et non imputé doit être imputé sur l’IR dû au titre de l’année 2017 – est rejetée.

Troisième et dernier point : le requérant demande que soient annulés les avis de saisie administrative à tiers détenteurs et à être déchargé de l’obligation de payer la somme inscrite sur les actes de poursuite. Il estime qu’il revenait au comptable public de lui adresser un « acte annonciateur de poursuites » avant d’effectuer les saisies administratives à tiers détenteur. Cette demande – observe la CAA de Versailles – vise à contester la régularité en la forme de l’acte de poursuite. Or, en vertu de l’article L. 281 du LPF, il ne revient pas au juge administratif de statuer sur des conclusions visant à annuler de tels actes. Enfin, quant à la demande de compensation à laquelle devait procéder – selon le requérant - le comptable public (sur le fondement de l’article L. 257 B du LPF N° Lexbase : L4712ICI), il ne s’agit que d’une faculté ouverte par l’administration. Point d’obligation.

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