La lettre juridique n°932 du 26 janvier 2023 : Contrat de travail

[Pratique professionnelle] Agissements concurrentiels d’un salarié quittant une entreprise : les moyens à la disposition de l’employeur pour se protéger

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par Victor Roisin, Avocat associé et Eva Costantini, Avocat, cabinet Factorhy Avocats

le 26 Janvier 2023

Mots-clés : concurrence déloyale • salarié • agissements fautifs • clause de non-concurrence • débauchage • dénigrement • clientèle • démarchage • données confidentielles • C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 • responsabilité délictuelle • moyens de preuve • huissier de justice • CPC, art. 145 N° Lexbase : L1497H49.

Tout salarié a, pendant toute la durée de son contrat de travail, une obligation de loyauté envers son employeur, laquelle se traduit notamment par l’interdiction d’exercer une activité concurrente.


Après la rupture du contrat de travail, l’employeur a tout intérêt à encadrer, au moyen de stipulations contractuelles, l’exercice pour son ancien salarié d’une quelconque activité concurrente à la sienne.

Et pour cause, la jurisprudence regorge d’affaires dans lesquelles un ancien salarié tenter de tirer profit du fichier clients ou fournisseurs de son ancien employeur ou d’un savoir-faire spécifique dont qu’il a pu prendre connaissance au cours de la relation de travail.

Naturellement, le départ de cet ancien salarié vers une société concurrente (I.), à la création de laquelle ce dernier participe parfois, représente un risque contre lequel l’ancien employeur peut vouloir se prémunir (II.).

I. Les règles de non-concurrence applicables à un salarié quittant une entreprise

Schématiquement, la présentation des règles encadrant les agissements de concurrence applicables à un salarié sur le départ suppose de distinguer clairement la période régie par un contrat de travail (A.) de celle postérieure à la rupture dudit contrat (B.).

A. Les différents moyens juridiques pour appréhender les actes de concurrence d’un salarié encore en poste

S’il est en principe soumis à une obligation de loyauté pendant la durée de son contrat de travail, le salarié peut être tenté de concurrencer son employeur avant même le terme dudit contrat.

Au regard du droit du travail, le salarié commet un manquement à son obligation de loyauté, dès lors qu’il commet des actes de concurrence à l’encontre de son employeur pour le compte d’une société en création ou d’une société déjà établie.

Tout manquement à l’obligation de loyauté, et plus spécifiquement à l’obligation de non-concurrence qui en découle, peut être sanctionné d’un licenciement pour faute simple ou pour faute grave selon les circonstances.

Dans de rares circonstances, l’employeur aura la possibilité de notifier un licenciement pour faute lourde, ce qui lui permettra ensuite de solliciter, le cas échéant, auprès du salarié des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

À titre d’illustration, assez récemment, la Haute juridiction a pu confirmer le bien-fondé d’un licenciement pour faute lourde notifié à un salarié qui avait démarché des clients et fournisseurs travaillant avec la société qui l’employait, détourné des affaires en cours à son profit avec la complicité de fournisseurs, et perçu des commissions ayant appauvri son employeur [1].

En tout état de cause, dans l’hypothèse d’une faute grave ou lourde, il sera immédiatement mis un terme à la relation de travail et le salarié sera privé de toute indemnité de rupture.

À toutes fins utiles, il sera rappelé qu’il est possible pour un employeur de mettre un terme au préavis en cours d’un salarié ayant, par exemple, démissionné, lorsqu’il découvre des agissements justifiant la notification d’une faute grave ou d’une faute lourde.

Au-delà de l’angle contractuel, il est possible pour l’employeur d’appréhender les agissements du salarié sur le départ sous le prisme de l’action en concurrence déloyale vis-à-vis de l’entreprise profitant desdits agissements.

Avant de qualifier l’acte commis par le salarié selon ce prisme, les juges du fond attachent logiquement une importance première à la date de début de l’activité concurrentielle, en la comparant avec la date d’expiration des relations contractuelles.

À ce titre, la Cour a pu rappeler dans un arrêt récent que « constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d'une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci » [2].

À la lecture de cet attendu de principe, il est clair que la temporalité des actes reprochés au salarié sur le départ par rapport au terme de la relation de travail salariée a toute son importance, pour caractériser l’existence ou non d’une concurrence déloyale.

En tout état de cause, que cela soit sous l’angle du manquement contractuel fautif ou celui de la concurrence déloyale, force est malheureusement de constater que de nombreux agissements commis par des salariés sur le départ sont sanctionnés par les Juges du fond.

À titre d’illustration, constituent des agissements de concurrence fautifs :

  • le fait de salariés démissionnant simultanément et utilisant le préavis pour retarder les commandes et les reporter ensuite au profit de la société qu'ils ont créée [3] ;
  • le fait pour un salarié démissionnaire de créer une société concurrente de celle de son employeur, d’inciter au cours de son préavis ses anciens collègues à démissionner pour les embaucher et de commettre un détournement de clientèle [4] ;
  • le fait pour un directeur d'agence de contribuer à la mise en œuvre d’une entreprise concurrente dans les mois précédant sa démission, concomitante et concertée avec celles d’autres cadres de l'agence, ces démissions ayant entraîné une désorganisation préjudiciable à la société [5] ;
  • le fait pour un salarié de mettre en œuvre, avant la rupture de son contrat de travail, son projet de création d'une société concurrente de celle de son employeur avec la participation et le débauchage de salariés de l'entreprise [6] ;
  • le fait pour un salarié de tenter de débaucher la responsable commerciale de son employeur, dans le but de créer sa propre société concurrente [7] ;
  • le fait pour un salarié de donner son adresse personnelle aux clients de son employeur, leur faire des offres de collaboration et leur adresser des modèles de lettre de transfert à son profit des contrats antérieurs, avant de quitter son employeur pour créer immédiatement après son propre cabinet [8] ;
  • le fait pour un salarié démissionnaire de s’inscrire au registre des métiers seulement quelques jours après avoir été dispensé de préavis pour exercer une même activité, prospecter la même clientèle et ayant conservé à son domicile des dossiers démarchés pour le compte de son ancien employeur pour finalement exécuter les travaux après son départ [9] ;
  • le fait pour des salariés démissionnaires de recevoir, au cours de leur préavis, des clients dans les locaux de l'ancien employeur, de remettre aux clients des cartes commerciales au nom du futur employeur et d’effectuer des travaux pour ce dernier avec le matériel de l'ancien employeur [10].

Au contraire, ont pu être considérés comme de simples actes préparatoires, non constitutifs d’une faute :

  • le fait pour un salarié de remplir les formalités nécessaires à la constitution d'une société concurrente alors qu'il est encore au service de leur employeur sans exercer pendant cette période aucune activité concurrente [11] ;
  • le fait pour un salarié démissionnaire, autorisé à bloquer en fin de préavis ses heures de recherche d'emploi, acceptant pendant cette fin de préavis la présidence d'une société et négociant des contrats pour cette dernière qui n'a débuté son activité que postérieurement à l'exécution du contrat de travail [12] ;
  • le fait pour un cadre d'organiser pendant l'exécution de son contrat la création d'une entreprise dont l'activité n'a commencé à s'exercer qu'après son licenciement [13] ;
  • le fait pour un salarié démissionnaire d’informer un client de son employeur de son départ pour créer sa propre entreprise sans que cette information soit accompagnée d'offres de service ou de dénigrement de l'employeur [14].

Ainsi, l’employeur, pris de soupçons vis-à-vis d’un salarié sur le départ, devra se montrer attentif à la chronologie des agissements identifiés et s’interroger sur le point de savoir s’il s’agit de simples actes préparant une future activité concurrentielle non fautifs ou au contraire d’agissements de concurrence effectifs, pouvant tout aussi bien constituer un manquement contractuel justifiant un licenciement pour faute que fonder une action délictuelle en concurrence déloyale.

B. Les moyens juridiques pour appréhender les actes de concurrence d’un ancien salarié

En l’absence de toute clause contractuelle de non-concurrence, le principe de liberté du travail et de libre établissement permet au salarié d'occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même une telle entreprise [15] après l'expiration de son contrat de travail.

Et pour cause, le salarié n’est dès lors plus tenu par aucune obligation contractuelle de loyauté à l’égard de son employeur. Dès lors, le simple fait pour un salarié ayant démissionné et n’étant nullement tenu par une clause de non-concurrence, de se mettre après sa démission au service d'une entreprise concurrente n'est que la manifestation normale du principe de la liberté du travail et ne constitue pas une faute [16].

S’il est tout à fait légitime pour la société de chercher à se prémunir contre des comportements concurrentiels de la part de ses anciens salariés, « la sauvegarde de la liberté d’exercice d’une activité professionnelle doit l’emporter sur la protection des intérêts de l’entreprise » [17] que « seule la stipulation d’une clause de non-concurrence pourra, éventuellement, venir limiter » [18].

La liberté d’exercer toute activité, y compris concurrente de laquelle jouit le salarié non tenu par une clause de non-concurrence trouve néanmoins sa limite dans l’exercice de sa nouvelle activité dans des conditions loyales, c'est-à-dire, sans se rendre coupable d'agissements fautifs caractéristiques de concurrence déloyale.

La jurisprudence considère l’ancien salarié d’une entreprise comme un « concurrent privilégié dont la déloyauté de la concurrence sera parfois reconnue plus facilement qu’elle le serait à l’égard d’un concurrent ordinaire » [19], au regard de nombreux indices comme « l’ancienne appartenance du salarié à l'entreprise, la connaissance qu’il a de son organisation, de ses projets et de son savoir-faire ainsi que les relations nouées avec la clientèle » [20].

À ce stade, pour rappel, les actes de concurrence déloyale peuvent prendre différentes formes, mais que la jurisprudence les rattache classiquement à l’une des quatre catégories suivantes, à savoir les actes visant à dénigrer un concurrent ou ses produits, à entraîner la confusion dans l’esprit de la clientèle [21], à entraîner la désorganisation d’une entreprise concurrente [22] et à parasiter un concurrent.

À ce titre, il est tenu compte des circonstances entourant la rupture des relations contractuelles, notamment de la mobilité habituelle des professionnels du secteur en cause, de la facilité pour l'ancien employeur de remplacer ses anciens salariés, du caractère volatile de la clientèle dans le secteur considéré [23].

S’il est par exemple admis que le départ d’un salarié puisse entraîner un déplacement de clientèle qui lui était fidèle, il y a concurrence déloyale lorsqu’une manœuvre tendant à détourner les clients de son ancien employeur est imputable à un salarié [24].

De même, les manœuvres sont déloyales lorsqu’elles entraînent la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise concurrente, une simple perturbation ou un déplacement de clientèle n’étant pas suffisant à caractériser une concurrence déloyale [25].

À titre d’illustration, voici une liste d’agissements ayant été considérés comme déloyaux en jurisprudence :

  • le fait pour une gérante et une salariée de créer une entreprise concurrente dont le chiffre d'affaires a été dans les premiers mois uniquement réalisé avec les clients détournés de l'ancien employeur, et de recruter 18 des 20 employés de la société quittée, salariés dont le débauchage a été organisé par la gérante avant son départ [26] ;
  • le fait pour un salarié de quitter son employeur en emportant la liste de clients avec les adresses et les références de prix pour installer sa société dans les mêmes locaux que ceux où l'ancien employeur avait antérieurement son siège social avec conservation du numéro de téléphone, laquelle société vend des objets qui sont la copie servile de ceux fabriqués par l'ancien employeur et procède au démarchage de « gros » clients [27] ;
  • le fait pour d’anciens salariés d’avoir constitué une société concurrente se présentant comme tels dans une lettre adressée aux clients de leur ancien employeur, et seulement à eux, pour les inviter à s'adresser désormais à la nouvelle société en se prévalant de ce que « le service, le sérieux, la compétence et la déontologie disparaissent des grandes structures » [28] ;
  • le fait pour un salarié de dénigrer les produits de l’ancien employeur [29] ;
  • le fait d’entretenir volontairement la confusion entre la société de l’ancien employeur et l’entreprise nouvellement créée [30] ;
  • le fait pour un salarié ayant emporté avec lui le fichier clients de détourner la clientèle de son ancien employeur [31] ;
  • le débauchage d’une partie des salariés par des offres de salaire exceptionnellement élevées désorganisant l’entreprise [32] ou l’embauche simultanée de plusieurs salariés d’une entreprise concurrente [33] ;
  • le fait pour un ancien salarié d’apporter à son nouvel employeur, concurrent, plusieurs milliers de fiches contenant des données sur les types de matériels acquis par les clients de son ancien employeur, les besoins et moyens de ceux-ci et que ce fichier avait servi à les prospecter [34].

Par ailleurs, la Haute juridiction a, dans un arrêt récent, considéré que « le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale » [35].

À l’aune de cet arrêt, il semble que la jurisprudence se montre plus intransigeante vis-à-vis d’une société à la création de laquelle un ancien salarié a participé, que vis-à-vis d’une société s’étant contentée de recruter un ancien salarié d’une société concurrente.

Une fois les manquements identifiés, l’ancien employeur victime d’agissements fautifs pourra tenter d’agir à la fois contre son ancien salarié et/ou contre le nouvel employeur au titre d’une action en concurrence déloyale, laquelle obéit aux dispositions applicables en matière de responsabilité civile délictuelle [36].

II. Les moyens pratiques à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser les manquements d’un salarié sur départ

Lorsqu’il se trouve lié au salarié, que ce soit pendant le contrat de travail au titre de l’obligation de loyauté, ou bien à la suite de la rupture du contrat de travail s’il existe une clause de non-concurrence, l’employeur n’aura, tout au plus, qu’à s’aménager la preuve de l’existence d’actes de concurrence pour faire valoir ses droits (A.). Au contraire, en dehors de toute obligation contractuelle à faire valoir, l’ancien employeur devra user de procédés probatoires, parfois audacieux, pour établir l’existence d’agissements déloyaux et préserver ses droits (B.).

A. Les moyens à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser un manquement aux obligations contractuelles liant le salarié sur le départ

À titre liminaire, il conviendra de rappeler que l’une des solutions les plus efficaces pour se protéger contre tout acte de concurrence de la part d’un ancien salarié reste la mise en place d’une clause de non-concurrence.

En présence d’une telle clause, il appartient, tout au plus, à l’employeur de démontrer une méconnaissance par l’intéressé de son obligation de non-concurrence pour faire cesser les agissements de son salarié.

Pour ce faire, l’employeur peut :

  • tenter de confondre son ancien salarié au travers de courriels que le salarié aurait maladroitement envoyés ou omis de supprimer de sa boîte mail professionnelle ;
  • réunir des courriers, courriels ou témoignages de partenaires commerciaux ou de clients ;
  • procéder à une capture écran d’un changement de statut sur les réseaux professionnels, si le salarié commet l’imprudence d’effectuer un tel changement.

À la différence d’une action en concurrence déloyale qui suppose la démonstration d’une faute délictuelle, d’un préjudice, et d’un lien de causalité, le simple manquement à une obligation de non-concurrence est, en soi, fautif et peut donner lieu à une injonction sous astreinte de cesser l’exercice de l’activité concurrente, outre le versement d’éventuels dommages et intérêts en cas de préjudice.

Toutefois, elle représente un coût financier non négligeable pour l’employeur, d’autant que la contrepartie financière est socialement considérée comme du salaire, ce qui implique le versement des cotisations sociales y afférentes.

Indépendamment de l’existence ou non d’une clause de non-concurrence, en cas de départ annoncé du salarié susceptible de représenter un risque concurrentiel, il reviendra à l’employeur d’être particulièrement vigilant quant aux faits et gestes de l’intéressé, notamment dans le cadre du préavis.

À titre d’exemple, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur pourra librement consulter les correspondances reçues ou envoyées sur le lieu de travail du salarié ou les fichiers créés sur son ordinateur ou téléphone professionnels, hors la présence du salarié, ces documents étant présumés avoir un caractère professionnel [37].

Toutefois, si le salarié a expressément identifié les documents comme étant « personnels », l’employeur ne pourra les consulter en son absence et sans son accord [38].

En tout état de cause, il est impossible pour l’employeur d’utiliser des moyens de preuve obtenus frauduleusement ou de façon déloyale, tant devant un conseil de prud’hommes que devant le tribunal de commerce.

Tel est le cas notamment de la filature d’un salarié par un détective privé [39] ou de l’enregistrement du salarié à son insu, même si un infléchissement de la jurisprudence sur la recevabilité des enregistrements clandestins semble s’amorcer depuis peu, dans certaines circonstances [40].

Dans l’hypothèse où l’employeur viendrait à identifier des actes de concurrence de la part d’un salarié encore en poste, il pourra :

  • d’une part, engager une procédure de licenciement à l’encontre de l’intéressé ou mettre un terme au préavis ayant déjà débuté si les circonstances justifient une faute grave, voire, à titre exceptionnel, une faute lourde. Du reste, en cas de faute lourde, l’employeur pourra solliciter des dommages et intérêts à l’encontre du salarié devant le conseil de prud’hommes ;
  • d’autre part, engager une action en référé et/ou au fond à l’encontre de l’entreprise en création ou déjà créée profitant des agissements fautifs du salarié sur le départ.

B. Les moyens à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser un manquement délictuel de la part d’un ancien salarié

Au terme de la relation de travail salariée, et à défaut de toute obligation de non-concurrence opposable à un ancien salarié, l’employeur a pour unique moyen de défense la possibilité d’engager une action en concurrence déloyale.

Toutefois, le succès d’une telle action sera conditionné à la démonstration non plus simplement d’un acte de concurrence en présence d’une obligation contractuelle de loyauté ou de non-concurrence, mais bien d’actes de concurrence déloyaux.

Surtout, si l’entreprise peut valablement intenter une action en concurrence déloyale contre un ancien salarié et/ou une entreprise concurrente, c’est à la condition d’être en mesure d’en apporter la preuve [41], par tout moyen et, pour rappel, sans user de manœuvres déloyales [42].

Ainsi, se pose la question de la manière pour l’employeur de caractériser divers actes déloyaux de concurrence pouvant être perpétrés par un ancien salarié.

Outre les moyens précédemment évoqués susceptibles d’être mobilisés pour confondre les agissements fautifs d’un salarié toujours lié par un engagement contractuel, d’autres moyens sont fréquemment utilisés par l’employeur pour démontrer l’existence d’agissements de concurrence déloyale imputables à un ancien salarié.

En premier lieu, il conviendra de rappeler la possibilité pour l’employeur de requérir du juge qu’il ordonne, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, une mesure d’instruction permettant d’établir que certains salariés et/ou certaines entreprises commettent des actes de concurrence déloyale à son encontre.

Le président du tribunal pourra notamment confier à un huissier de justice la mission de prendre copie, en présence du salarié, des messages échangés avec des personnes identifiées comme étant susceptibles d’être concernées par les faits de concurrence soupçonnée [43].

À cet égard, le respect de la vie personnelle du salarié ne saurait être opposé pour mettre en cause les mesures ordonnées sur requête dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile [44].

Plus rarement, certains employeurs préfèreront la voie d’une sommation interpellative, laquelle vise à interroger ledit salarié ou le nouvel employeur sur les agissements qui lui sont reprochés, en espérant confondre ceux-ci au travers de leurs réponses.

La sommation à des fins probatoires, en ce qu’elle a vocation à « interpeller » le destinataire de l’acte [45], doit, par nature, être signifiée à personne.

Cette solution, si elle n’est nullement prévue par les textes et ressort uniquement de la pratique, présente plusieurs avantages.

Tout d’abord, ce mode de preuve est largement admis par les juges du fond, à condition qu’elle ne porte pas atteinte à la vie privée de tiers au procès [46].

Ensuite, la doctrine reconnaît à la sommation interpellative de nombreux effets psychologiques non négligeables dans le cadre d’un contentieux, puisqu’elle a pour vocation de « favoriser la collaboration du destinataire » et de « renouer un dialogue devenu impossible » [47].

Toutefois, la force probante réduite d’un tel mode de preuve le rend peu attirant pour les employeurs cherchant à faire constater des actes de concurrence déloyale, les poussant à lui préférer un constat d’huissier classique.

Et pour cause, les huissiers « peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire » [48].

Aussi, un employeur concurrencé pourra dépêcher un huissier de justice, aux fins de constater l’étendue des actes concurrentiels perpétrés par un ancien salarié.

En conclusion, la jurisprudence semble se limiter à des circonstances bien particulières, d’aucun diraient grossières, pour condamner un salarié auteur d’actes de concurrence déloyale.

Néanmoins, si l’action devant les juges du fond afin de faire reconnaître les agissements déloyaux peut sembler être un chemin tortueux, la pratique démontre qu’il existe de nombreuses possibilités pour un employeur de démontrer le bien-fondé de ses allégations.

Et pour cause, le droit français regorge de moyens procéduraux permettant de confondre un salarié et/ou une entreprise concurrente dans leur faute.

Afin de limiter l’ampleur du préjudice subi, il ne pourra qu’être recommandé à tout employeur soupçonneux de mettre en place les différents moyens de contrôle très en amont du départ du salarié à des fins préventives, et de renforcer graduellement ces moyens de contrôle, si besoin est, selon les circonstances rencontrées.


[1] Cass. soc., 21 avril 2022, n° 20-22.773, F-D N° Lexbase : A48997UY.

[2] Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-19.860, F-B N° Lexbase : A85188XR.

[3] Cass. com., 2 mars 1982, n° 80-12.232, publié N° Lexbase : A9753AZA.

[4] Cass. soc., 16 mars 1994, n° 92-44.181, inédit N° Lexbase : A1075CUD.

[5] Ass. plén., 14 mars 1984, n° 81-42.539 N° Lexbase : A0114AAH.

[6] Cass. soc., 12 juillet 1999, n° 97-41.981, inédit N° Lexbase : A3105AG4.

[7] CA Reims, 6 juillet 2005, n° 03/1995.

[8] Cass. com., 18 janvier 1972, n° 70-13.202, publié N° Lexbase : A4115AAN.

[9] CA Dijon, 19 février 1986, n° 84/2193.

[10] CA Paris, 1er février 1984, n° 765, 4e ch. A, H. c/ Sté Bravin Frères

[11] CA Paris, 22 avril 1982, n° 1626, 4e ch. B, Sté Bardot c/ A.

[12] CA Paris, 23 mars 1982, n° 6992, 4e ch. A, Sté CAP Sogeti logiciel c/ Sté Itrec.

[13] CA Versailles, 13 janvier 1995, n° 93/10035, 15e ch., S. c/ Sté CIM.

[14] CA Reims, 6 juillet 2005, n° 03/1995, ch. soc., B. c/ Sté France accessoires moto.

[15] Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-25.694, F-D N° Lexbase : A4361I8Z.

[16] Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-40.910, inédit N° Lexbase : A0993CR9.

[17] Y. Picod, Y. Auguet et S. Robinne, Concurrence : obligation de non-concurrence, Rép. trav. Dalloz, octobre 2018, point 24.

[18] Idem.

[19] Y. Picod, Y. Auguet et S. Robinne, Concurrence : obligation de non-concurrence, Rép. trav. Dalloz, octobre 2018, point 25.

[20] Idem.

[21] Cass. com., 28 avril 1980, n° 78-15.051, publié N° Lexbase : A9755AZC.

[22] Cass. com., 18 février 1997, n° 94-18.367, inédit N° Lexbase : A9407AXP.

[23] CA Toulouse, 8 janvier 1998, n° 95/04410 N° Lexbase : A06879AP.

[24] CA Paris, 29 janvier 2003, n° 2001/13946 N° Lexbase : A0363A7L, D. affaires 2004, p. 1157, obs. Y. Picod.

[25] Cass. com., 20 septembre 2016, n° 15-13.263, F-D N° Lexbase : A9906R3B.

[26] Cass. com., 7 mai 1980, n° 78-14.831, publié N° Lexbase : A3407AGB.

[27] Cass. com., 24 juin 1974, n° 73-11.972, publié N° Lexbase : A8423CIS.

[28] Cass. com., 12 mai 2004, n° 02-19.199, publié N° Lexbase : A1970DCX.

[29] Cass. com., 23 octobre 1984, n° 83-11.506, publié N° Lexbase : A0196AHQ.

[30] Cass. com., 4 juin 1973, n° 72-11.737, publié N° Lexbase : A9756AZD.

[31] Cass. com., 21 février 1995, n° 93-10.754, inédit N° Lexbase : A0081AYN.

[32] Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-17.926, inédit N° Lexbase : A2797CYA.

[33] Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89-13.506, inédit N° Lexbase : A1803CN4.

[34] Cass. com., 18 février 1997, n° 94-18.367, inédit N° Lexbase : A9407AXP.

[35] Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-19.860, F-B N° Lexbase : A85188XR.

[36] C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9.

[37] Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 07-43.877, FS-P+B N° Lexbase : A2618EMW.

[38] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-22.972, F-D N° Lexbase : A8304IQM ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-13.884, F-P+B N° Lexbase : A1376ILK.

[39] Cass. civ. 2, 17 mars 2016, n° 15-11.412, F-P+B N° Lexbase : A3461Q8P.

[40] Cass. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597, FS-P+I N° Lexbase : A89224LZ.

[41] C. civ., art. 1353 N° Lexbase : L1013KZK.

[42] C. civ., art. 1358 N° Lexbase : L1008KZD. Cass. com., 18 novembre 2008, n° 07-13.365, F-D N° Lexbase : A3394EBC.

[43] Cass. soc., 19 décembre 2012, n° 10-20.526, FS-P+B N° Lexbase : A1590IZW ; Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-19.229, FS-P+B N° Lexbase : A0524D9B.

[44] Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, FS-P+B+I N° Lexbase : A3964DWQ.

[45] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 49.

[46] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 52.

[47] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 51.

[48] Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers, art. 1 N° Lexbase : Z26669PC.

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