La lettre juridique n°928 du 15 décembre 2022 : Avocats/Champ de compétence

[Focus] L’avocat et la médiation

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par Valérie Lasserre, Professeur à l’Université du Mans

le 16 Décembre 2022

Mots-clés : avocat • médiation • MARD • protocole d’accord • conseil

Les avocats sont en première ligne dans les MARD pour aider leur client à construire une solution plus globale, plus originale, plus adaptée, plus créatrice de valeur ajoutée, mutuellement satisfaisante, et par suite plus satisfaisante pour le justiciable, et enfin mieux acceptée que la solution purement juridique obtenue dans le cadre d’une procédure à rallonge. Tous les nouveaux textes de la procédure civile engendrent donc une impérieuse réforme, une modernisation des processus des avocats, à la fois pour conserver leur rôle de défense des intérêts de leur client, mais aussi pour englober dans leurs compétences la gestion amiable des conflits en tant qu’accompagnateur.

Il s’agit de montrer comment les avocats peuvent se sentir à l’aise avec l’amiable, développer leurs compétences pour s’adapter aux différents modes de gestion des conflits et accroître leurs interventions et leur légitimité dans la gestion négociée des conflits, en s’interrogeant tour à tour sur les rôles et les vertus de l’avocat dans l’amiable.


 

Depuis la loi n° 95-125 du 8 février 1995 N° Lexbase : L1139ATD [1] , plusieurs réformes successives ont eu pour objectif d’affirmer et d’élargir la place des modes amiables dans la procédure. L’amiable est de moins en moins considéré comme un passager clandestin ou comme un concurrent déloyal de la justice. Il est de plus en plus considéré comme un véritable droit des justiciables, leur offrant une voie légitime de gestion de leur conflit.

L’avocat est donc nécessairement aux prises avec l’amiable, qu’il accueille cette évolution favorablement ou que ce soit à son corps défendant. Être un avocat aujourd’hui, c’est savoir maîtriser la procédure, mais c’est aussi connaître son alternative, la gestion négociée du conflit, et donc savoir participer à un mode amiable, en comprendre les enjeux, les conditions, les freins, en être à l’instigation si nécessaire, savoir le gérer et en gérer les risques, savoir accompagner.

Les enjeux pour l’avocat sont immenses, car l’avocat de l’amiable est et doit absolument rester avant tout le défenseur de son client mais en s’ajoutant une casquette supplémentaire par rapport à celle de l’avocat de la seule procédure. Ce qui est demandé à l’avocat, en quelque sorte, c’est d’être un avocat encore plus complet, de détenir une expertise et un savoir-faire encore plus sophistiqués que l’avocat du seul volet procédural, et en conséquence aussi d’être riche d’autres qualités.

L’intérêt de cette évolution, c’est d’élargir le métier et de l’enrichir. Il s’agit dans ces propos de montrer comment les avocats peuvent se sentir à l’aise avec l’amiable, développer leurs compétences pour s’adapter aux différents modes de gestion des conflits et accroître leurs interventions et leur légitimité dans la gestion négociée des conflits. Il sera plus précisément question de « l’avocat et la médiation », sans toutefois traiter de l’avocat médiateur [2], mais en se concentrant sur l’avocat accompagnateur en médiation et prescripteur de la médiation.

J’essaierai de proposer quelques éléments de réponse, en m’interrogeant tour à tour sur les rôles de l’avocat dans l’amiable (I.), puis sur les vertus de l’avocat dans l’amiable (II.).

I. Le rôle de l’avocat dans l’amiable : ICARE

Quel est le rôle de l’avocat dans l’amiable ? Mieux vaudrait dire : quels sont les rôles de l’avocat dans l’amiable ? Car il y en a plusieurs.

Pour répondre on peut utiliser un acronyme : ICARE. Informer ; Conseiller, Accompagner, Rédiger le protocole d’accord et enfin, contrôler l’Exécution du protocole. Leur rôle, en effet, est d’Informer, de Conseiller, d’Accompagner, de Rédiger le protocole d’accord, enfin de contrôler l’Exécution du protocole.

Informer. Informer signifie que l’avocat doit connaître les différentes voies de résolution des conflits et les rapporter, les expliquer à son client. C’est d’ailleurs ce que prévoit le règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat puisqu’une décision portant modification de ce règlement intérieur national du 18 décembre 2020 [3], intègre un nouvel alinéa à l’article 6.1 du RIN. Celui-ci dispose que « Lorsque la loi ne l’impose pas, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet ».  

Le règlement intérieur national envisage un examen des voies amiables, même lorsque la loi ne l’impose pas. Mais force est de constater qu’envisager l’amiable avant d’entrer dans la bataille judiciaire, est ce que le législateur préconise de plus en plus souvent aux professionnels du droit depuis 2015.

Il y a eu, d’abord, le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends N° Lexbase : L1333I8U. Ce décret a généralisé l’obligation pour les professionnels du droit d’envisager une solution amiable avant toute saisine d’un juge. En effet, toute assignation, requête ou déclaration devait « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public » préciser « également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » (C. proc. civ., art. 56 N° Lexbase : L8646LYU et 58 N° Lexbase : L9290LTA) ; à défaut, le juge peut proposer une mesure de conciliation ou de médiation (C. proc. civ., art. 127 N° Lexbase : L8650LYZ). Les dispositions précitées des articles 56 et 58 du Code de procédure civile ont été abrogées par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L8421LT3 [4]. Désormais l’article 54 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8645LYT énonce dans son cinquième alinéa que « à peine de nullité, la demande initiale mentionne… lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative ». Quant à l’article 127 du même code, il dispose que « Hors les cas prévus à l'article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation ».

Ensuite, dans cette même ligne, il y a eu la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3 [5] qui a constitué une autre étape importante, en imposant, à peine d’irrecevabilité de la déclaration au greffe du tribunal d’instance – désormais tribunal judiciaire (lorsque l’objet du litige est inférieur à 4 000 euros) – que le juge peut soulever d’office, une tentative de conciliation devant un conciliateur de justice et en introduisant l’expérimentation de la tentative de médiation obligatoire en matière de médiation familiale dans onze tribunaux judiciaires (à propos des demandes de modification des dispositions d’une convention de divorce homologuée, ou d’une décision relative à l’exercice de l’autorité parentale, à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant). Cette dernière expérimentation a été prorogée d’année en année jusqu’à aujourd’hui.

Puis, toujours dans ce sens, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC [6] a cherché à promouvoir les modes de résolution amiables des litiges en général et la médiation en particulier et à développer la « culture de l’amiable » de deux manières. Elle a, en premier lieu, autorisé le juge à enjoindre les parties à rencontrer un médiateur qu’il désigne et qui pourra les informer sur l’objet et le déroulement d’une procédure de médiation « en tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible » (Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, art. 3, I, 2° ; Loi n° 95-125, du 8 février 1995, art. 22-1, mod.). Cette règle a été intégrée dans l’article 127-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5938MBK par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation N° Lexbase : Z45987TY [7]. Elle a, en deuxième lieu, introduit de nouvelles tentatives obligatoires d’amiable préalable qui ont été précisées par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (lorsque l’objet de la demande est inférieur à 5 000 euros et pour certains conflits du voisinage relevant du droit des biens) [8].

Enfin, la dernière étape a été réalisée récemment. L’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5912MBL, qui prévoit des cas de recours obligatoires et préalables à des modes amiables de règlement des conflits, avant toute saisine du juge, a ensuite été étendu aux troubles anormaux du voisinage par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation. Dès lors qu’une personne envisage une action en justice fondée sur les troubles anormaux du voisinage, il faudra donc qu’elle tente préalablement la voie amiable avec son voisin. Mais, par un arrêt du 22 septembre 2022, le Conseil d’État vient d’annuler l’article 750-1 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 11 décembre 2021 [9], en ce qu’il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles l’indisponibilité des conciliateurs de justice doit être regardée comme établie (indisponibilité des conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif), permettant la dispense de recours en cas de motif légitime [10].

Ce parcours législatif est clair ; il ne s’agit de rien d’autre que d’une extension continue du périmètre de la tentative d’amiable préalable obligatoire, pour résumer : à tous les petits litiges (ou litiges du quotidien), ainsi qu’à nombre de litiges entre voisins (le voisinage étant naturellement le fief de la tentative de l’amiable préalable obligatoire). Il s’agit d’une tendance générale, en dépit des vicissitudes qui viennent d’être présentées. Cette extension notoire de l’amiable redessine le cheminement de la procédure. L’amiable préalable est désormais posé comme une règle procédurale, un principe de gestion de conflit promu par la procédure civile, un droit (presque naturel) du justiciable. Ce qui correspond aussi peut-être à une nouvelle attente de l’avocat : un « besoin plus profond de modifier le rapport au litige par le recours préalable au dialogue » [11]. À ce titre, l’amiable a probablement vocation à continuer de s’étendre.

De telles réformes de la procédure civile ne peuvent être sans incidence sur la profession d’avocat. Les changements dans leur pratique sont très importants. C’est un changement de logiciel qui implique l’élargissement de leur activité professionnelle à la gestion de conflit non contentieuse. Ce qui signifie pour eux : s’adapter à cette nouvelle phase, rester crédibles aux yeux de leurs clients, tout en continuant de défendre, en même temps, les intérêts de leurs clients.

Différents enjeux de l’information. L’information suppose que l’avocat se soit formé. Il existe des diplômes universitaires de médiation, comme par exemple à l’Université du Mans. Mais des formations plus courtes sont également envisageables. Ce qui est important, c’est d’accéder à une formation, même courte, pour incorporer les sous-jacents de l’amiable.

Quant au moment de l’information, c’est une question très intéressante. Il me semble que l’information doit être communiquée très tôt, dès que l’avocat a connaissance du dossier et rencontre son client. Mais cette information est aussi utile en cours de procédure et même lorsque le contentieux se poursuit en appel.

Comme toute obligation d’information, le contenu et le niveau de l’information dépendent du créancier de cette obligation, le client, de son propre niveau de connaissance et de sa sensibilisation aux modes amiables (par exemple les chefs d’entreprise en général savent ce qu’est la négociation ; certains clients sont immédiatement favorables, d’autres farouchement contre). Ce que l’avocat est seul en mesure d’évaluer ; ces éléments sont déterminants pour évaluer les informations et les arguments à développer à l’égard du client.

Il est évident que le développement des modes amiables de règlement des différends (MARD) a des conséquences inéluctables sur le métier, sur la manière de concevoir un dossier, de le monter, sur le développement des stratégies de défense du client, sur l’analyse temporelle du dossier et sur la diversité des solutions envisageables créatrices de valeur. On remarquera que l’avocat est amené à passer d’une stratégie de défense à une stratégie de gestion de conflit et qu’il est invité à gérer des temporalités multiples : le temps du procès et la parenthèse de la médiation, laquelle peut durer assez longtemps ou être contenue dans un temps court. L’information du client doit contenir des éléments de temporalité qui relèvent d’une grande complexité à cause de leurs natures différentes (temps judiciaire, temps de la médiation, temps de la situation contractuelle, temps du conflit, temps vécu), de leurs niveaux différents, des difficultés de leur articulation.

En ce qui concerne enfin la force juridique de l’obligation d’information, c’est un point délicat. La sanction d’une absence d’information par la responsabilité professionnelle fait peur de façon tout à fait légitime. Il me semble que pour ne pas la craindre, il n’est pas inutile d’intégrer dans la gestion du dossier une fiche d’information personnalisée sur les règlements amiables, qui devrait rentrer dans les coûts rémunérés de l’avocat.

Conseiller. Conseiller relève du devoir de conseil, ce qui est plus compliqué que le devoir d’informer car la communication d’information est brute en quelque sorte, tandis que le devoir de conseil relève du jugement de l’avocat, de l’intelligence de l’affaire, de la compréhension de la psychologie des parties et de leur conseil et aussi de la stratégie de gestion de conflit. Conseiller n’est jamais facile, d’autant plus que la réussite d’une négociation dépend des deux parties (l’avocat ne connaît pas personnellement l’autre partie et n’a qu’un son de cloche) et des qualités des deux avocats. Quels sont les avocats les plus enclins à conseiller la mise en place d’un mode amiable ? D’une façon générale, on peut dire qu’il y a des avocats favorables à l’amiable et d’autres qui sont farouchement contre. Il est cependant difficile de faire une sociologie des avocats pour ou contre. L’âge n’est pas décisif. C’est la personnalité de l’avocat qui le sera davantage et son inclination naturelle vers les modes amiables. Ensuite, son expérience de la négociation ou de la médiation sera un élément important. Les mauvaises expériences ne sont pas engageantes ; tandis qu’un avocat qui aura toujours favorisé l’amiable sera plus à l’aise avec la médiation. Enfin, il y a une autre réalité pragmatique, c’est la durée du litige. Les avocats défavorables à la médiation au début du litige peuvent y devenir absolument favorables après dix ans de procès, quand les clients en ont assez et qu’ils s’ennuient de la procédure et qu’ils commencent à avoir des difficultés pour assurer le paiement des honoraires et frais de procédure ou qu’ils n’ont plus envie de payer plus longtemps.

Il faut avoir à l’esprit que l’avocat devrait conseiller la médiation toutes les fois où il lui apparaît clairement que la médiation dans une affaire permet de poursuivre trois intérêts distincts. Premièrement, permettre une meilleure solution que celle du juge (plus efficace car consentie, plus rapide et sur-mesure) ; deuxièmement, dans de meilleures conditions (en évitant la guerre procédurale), et troisièmement, sans risque de compromettre sa position devant le juge (grâce au devoir de confidentialité).

Accompagner. Accompagner son client dans la médiation est une autre facette du rôle de l’avocat dans la médiation. Il faut ici distinguer en fonction des matières. Dans les affaires familiales, les réunions de médiation se faisaient souvent sans les avocats ; mais cela tend à changer, grâce au développement d’une culture de la médiation familiale sur la base d’une convention de médiation avec les avocats [12]. Dans d’autres domaines plus techniques, comme en matière économique ou de construction ou de copropriété, les avocats sont présents. L’activité d’accompagnement est subtile et complète : c’est tout à la fois rassurer les parties par sa présence et jouer le rôle d’écran pacificateur et apaisant [13], coacher et préparer « le client à l'esprit de la médiation et aux techniques de communication non violentes, même former son client aux techniques de communication », préparer « les réunions, les documents à transmettre », aider « son client à les interpréter, les comprendre », s'entretenir « avec lui avant et après les rendez-vous de médiation pour préparer, proposer des solutions, rappeler le droit », assurer une présence physique et morale », être « présent pour voir son client évoluer » et l'aider « à faire et accepter une solution équilibrée répondant aux besoins et intérêts de l'ensemble des parties », soutenir, rassurer, écouter, éviter le découragement et amener le client à l'accord, proposer « des options adaptées aux intérêts de chacun », enfin vérifier « la conformité juridique de la solution retenue » [14].

L’avocat défend son client et la médiation ne l’engage pas à abandonner ce rôle. Mais, de surcroît, du fait qu’il entre dans le cadre de la médiation, il est amené à modifier son action et défendre d’une autre manière son client, d’une manière plus collective, plus collaborative, plus constructive, en présence des autres parties, de son ou de ses confrères et du médiateur. La médiation modifie la relation de l’avocat avec son client, en ce qu’elle n’est plus seulement un tête-à-tête avec le client. La relation bilatérale se transforme en relation multilatérale, naturellement beaucoup plus complexe, protéiforme et aléatoire. L’accompagnement est primordial. Il lui permet de prendre contact avec ses confrères, de prendre connaissance de tous les éléments du dossier et même de certains qu’il a pu ignorer, enfin de réfléchir à des solutions nouvelles.

Rédiger le protocole d’accord. Rédiger le protocole d’accord relève de l’activité classique de l’avocat. Lors de cette étape, il reprend donc son activité naturelle de rédacteur d’acte (cela sous le contrôle et avec les conseils des autres parties). Dès lors il envisage les prises de garanties et les conditions d’efficacité de l’acte. La rédaction à deux mains se transforme en une rédaction à quatre, six ou huit mains. L’esprit collaboratif doit imprégner cette mission spécifique qui suppose là encore de vouloir avancer ensemble vers une solution commune.

Contrôler l’exécution du protocole d’accord. Enfin, contrôler l’exécution du protocole d’accord permet de savoir s’il est possible de refermer la parenthèse procédurale par un désistement d’instance et d’action sans risque pour le client. Il s’agit là encore du rôle classique de l’avocat négociateur de faire homologuer le contrat auprès de la juridiction compétente et de s’assurer de son exécution. Cela suppose également que les avocats des différentes parties restent en contact étroit. À cet égard, le décret du 25 février 2022 donne une plus haute valeur aux transactions et actes constatant un accord issu d'une médiation, d'une conciliation ou d'une procédure participative, lorsqu'ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties, puisqu’ils peuvent être revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente, sans passer par le juge.

L’ICARE permet de bien comprendre quels sont les rôles de l’avocat dans l’amiable [15]. Mais bien jouer ce rôle suppose un certain nombre de vertus de l’avocat, ce qui illustre la très grande difficulté attachée à cette mission.

II. Les vertus de l’avocat dans l’amiable

Qualités cardinales. Pour comprendre les vertus de l’avocat dans l’amiable, il n’est pas inutile de s’interroger sur les vertus de l’avocat dans sa mission classique d’avocat plaidant ou conseil. Quelles sont-elles ? La pugnacité, le courage, premièrement, la finesse de l’analyse juridique, et la connaissance de la stratégie contentieuse, deuxièmement, le sens de la justice troisièmement et la rhétorique enfin, c’est-à-dire l’art de convaincre par les écritures et dans les plaidoiries.

Ces qualités cardinales doivent être présentes dans la médiation ; mais d’autres doivent impérativement s’y ajouter. En effet, la médiation suppose des qualités spécifiques qui peuvent sembler radicalement différentes de celles qui doivent se trouver dans l’ADN de l’avocat mais que les avocats peuvent tout à fait cumuler.

Quelles sont les qualités essentielles de l’avocat dans la médiation ? Premièrement, la capacité d’écoute. Deuxièmement, la sérénité. Troisièmement, la pédagogie. Quatrièmement, l’intelligence du compromis. Ces quatre qualités supplémentaires ne sont pas du tout évidentes et peuvent sembler remettre en question les qualités classiques de l’avocat.

Il est essentiel de comprendre que le logiciel de l’amiable est différent de celui de l’avocat plaidant ou de l’avocat conseil. Le multilatéralisme qui est l’essence de l’amiable s’oppose frontalement à la relation ex-cathedra entre l’avocat et son client, qui est une relation à la fois d’autorité légitime de sachant et de protection. 

Capacité d’écoute. Premièrement, la capacité d’écoute est indispensable du fait que la médiation favorise et permet l’expression des différents points de vue sur le conflit, au-delà du seul aspect juridique du litige et que l’avocat, comme son client, est amené à entendre le point de vue de l’autre partie. Cet aspect est très éloigné de sa mission classique de défenseur et de juriste confronté principalement au seul point de vue de son client, et de surcroît s’exprimant principalement à travers des écritures. Le premier écueil pour l’avocat est l’envie de rabrouer l’autre partie pour des raisons qui sont tout à fait claires et recevables : parce que celle-ci présente le conflit de façon irrationnelle à ses yeux ou parce qu’elle a du mal à s’exprimer ou parce qu’elle lui semble malhonnête à l’égard de son client. Savoir dépasser ce sentiment est parfois un acte d’héroïsme pour l’avocat qui a tendance à épouser totalement le point de vue de son client et à prendre pour argent comptant l’histoire du conflit telle qu’il lui raconte. Pourtant la médiation impose de s’écouter.

Sérénité. Deuxièmement la sérénité de l’avocat est essentielle dans la médiation. C’est la sérénité qui va permettre le débat, la discussion et la réflexion sur d’éventuelles solutions amiables. Même si elle prend appui sur une identification légitime de l’avocat aux intérêts de son client, l’agressivité est l’un des freins les plus puissants à la médiation en ce qu’elle traduit soit une incompréhension de l’espace discursif de la médiation et de son objectif, soit un rejet de la médiation comme un espace insécurisant. On rencontre plusieurs catégories d’avocats. Les avocats les plus sereins sont ceux qui y croient, ceux qui sont les plus sensibles aux avantages de l’amiable (qui ont la foi), ceux qui ont de bonnes expériences passées en matière de médiation, ceux qui ont intégré la négociation dans leurs pratiques bien antérieurement au développement de la politique de médiation, enfin les avocats au tempérament placide. Ce sont les avocats les plus à l’aise dans une médiation. L’une des grandes difficultés pour le médiateur sera de gérer l’agressivité de l’avocat qui peut se cumuler ou non d’ailleurs avec celle des parties qui peuvent montrer de la hargne tant à l’égard de l’avocat ou de l’autre partie, voire à l’égard du médiateur et souvent les trois à la fois. Force est, en effet, de constater que les parties utilisent volontiers des déviations de leur agressivité. Sachant que l’agressivité contre l’autre partie pourrait leur être reprochée, elles peuvent s’acharner contre son conseil. Concernant le devoir de l’avocat, il faut se rappeler que son agressivité à l’égard de l’autre partie est une violation de ses obligations déontologiques d’avocat ; en effet ce que lui interdit sa déontologie d’avocat, la médiation ne peut lui permettre. 

Si la sérénité est indispensable c’est parce que, dans la médiation, « le travail s'y fait en équipe et en coopération, même en cas de tensions. La déontologie et la confraternité peuvent se déployer : la médiation permet aux avocats de lâcher leur posture d'hostilité, de surenchère ou d'identification à la position de leur client » [16]. Seule la sérénité permet l’écoute, le respect mutuel, le respect des règles de courtoisie, la reprise du dialogue, la coopération et la collaboration.

Pédagogie [17]. Troisièmement, l’avocat doit être pédagogue, parce qu’il lui faudra parfois convaincre le client qui souhaite en découdre de l’intérêt pour lui de s’engager dans un processus de médiation. C’est peut-être ce qui est le plus difficile pour l’avocat parce que la pédagogie peut être chronophage.

Intelligence du compromis. Quatrièmement, enfin, l’intelligence du compromis est indispensable. Cela implique, premièrement, de grandes qualités juridiques pour savoir analyser les risques juridiques et économiques de son client, ainsi que ceux assumés par l’autre partie. Deuxièmement aussi une forme de pondération dans le jugement des choses. Troisièmement, également l’honnêteté de l’avocat à l’égard de son client sur ses chances de réussite ou d’échec et le risque d’une procédure longue et coûteuse. Cela implique, enfin, qu’une liberté de communication et un lien de confiance se soient préalablement instaurés avec son client.

Pour conclure, les avocats sont en première ligne dans les MARD pour aider leur client à construire une solution plus globale, plus originale, plus adaptée, plus créatrice de valeur ajoutée, mutuellement satisfaisante, et par suite plus satisfaisante pour le justiciable, et enfin mieux acceptée que la solution purement juridique obtenue dans le cadre d’une procédure à rallonge.

Tous les nouveaux textes de la procédure civile engendrent donc une impérieuse réforme, une modernisation des processus des avocats, à la fois pour conserver leur rôle de défense des intérêts de leur client, mais aussi pour englober dans leurs compétences la gestion amiable des conflits en tant qu’accompagnateur.

 

[1] Loi n° 95-125, du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative N° Lexbase : L1139ATD.

[2] Tout avocat peut être médiateur, même sans être inscrit au centre national de médiation des avocats (CNMA), en application de l’article 115 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID. En effet, par une décision du 25 octobre 2018, le Conseil d’État a jugé illégales les dispositions modifiées de l’article 6.3.1 du RIN prévoyant désormais que l’avocat peut, outre ses missions traditionnelles, « être investi d’une mission de professionnel qualifié, d’arbitre, d’expert, de médiateur (qualité dont il peut faire état dès lors qu’il est référencé auprès du Centre national de médiation des avocats -CNMA), de praticien du droit collaboratif, de liquidateur amiable ou d’exécuteur testamentaire ». Il devenait dès lors interdit à un avocat non référencé de se prévaloir de sa qualité d’avocat-médiateur, y compris lors de consultations orales, ce qui a été jugé illégal (CE, 25 octobre 2018, n° 411373, Féd. Fr. des centres de médiation et a. N° Lexbase : A0709YI4 : S. Grayot-Dirx, obs., JCP G, 2018, 1196).

[3] Conseil national des barreaux, Décision du 18 décembre 2020 portant modification du règlement intérieur national de la profession d'avocat N° Lexbase : Z947691A.

[4] Décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3.

[5] Loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle N° Lexbase : L1605LB3.

[6] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[7] « À défaut d'avoir recueilli l'accord des parties prévu à l'article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu'il détermine, un médiateur chargé de les informer de l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire ».

[8] L’article 750-1 Code de procédure civile : « À peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.

Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
2° Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ;
3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4° Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l'article L. 125-1 du code des procédures civiles d'exécution ».

[9] Décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3.

[10] CE 5/6 ch.-r., 22 septembre 2022, n° 436939 N° Lexbase : A16328KN.

[11] R. Carayol, 3 questions à romain Carayol, président de la FFCM, JCP G, Actualités, 2021, 1113.

[12] A.-M. De Cayeux et C. Denoit-Benteux, La pratique de l’accompagnement en médiation : modèles de convention avec avocats, Droit de la famille, dossier 31 : « Les avocats sont invités à intervenir à la table de médiation pour ajouter ou reformuler, en laissant toujours le médiateur mener les échanges.
Les avocats doivent impérativement s’abstenir d’argumenter ou plaider comme ils pourraient le faire dans une salle d’audience. La réussite du processus est inévitablement liée à la formation des avocats et à leur connaissance du processus de médiation : que ce soit son esprit, ses règles ou son déroulé ainsi que la maîtrise des outils de communication » ; N. Assuied Hodara, D. Ganancia et I. Copé Bessis, Pour une nouvelle approche des modes amiables : le partenariat entre avocats et médiateurs, AJ Famille, 2022 p. 128 ; B. Régent, Conflits familiaux : développons l'avocat de la paix, AJ Famille, 2022, p. 118 ; A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation avec avocats en matière familiale : guide pratique et clés de réussite, AJ Famille 2017, p. 580 ; A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation en matière familiale : pas sans mon avocat !, AJ Famille 2017 p. 570.

[13] A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation avec avocats en matière familiale : guide pratique et clés de réussite, AJ Famille, 2017, p. 580. 

[14] A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation en matière familiale : pas sans mon avocat !, AJ Famille, 2017, p. 570.

[15] Quel est le rôle des avocats dans la médiation ? « Leur rôle est essentiel. Pour moi, les avocats sont devenus des acteurs de solutions. Ils ont une obligation déontologique d’intégrer la médiation, et les MARD en général, dans l’analyse de tous leurs dossiers pour conseiller au mieux leurs clients dans la stratégie et les objectifs à atteindre. Dans les médiations, le rôle des avocats est précieux, en soutien de leurs clients. Ils ont une place très importante pour identifier les besoins de leurs clients et les accompagner dans la recherche de solutions. Il y a une évolution notable. Les avocats se forment de plus en plus à la médiation. Pas nécessairement pour devenir médiateurs, mais pour avoir les outils leur permettant d’accompagner utilement leurs clients. Les centres adhérents de la FFCM participent, sur tout le territoire, à la promotion de la médiation auprès des avocats et des magistrats. Il y a encore du travail d’information à mener. Mais, nos centres adhérents sentent l’intérêt pour la médiation. Je dois aussi ajouter qu’une nouvelle génération de médiateurs arrive, avocats ou pas, qui a envie de développer la médiation en activité professionnelle principale. C’est un signal fort du temps qui s’ouvre à nous. La FFCM est sensible à ce mouvement. Nous allons y consacrer une partie de nos travaux avec nos adhérents » : R. Carayol, préc., JCP G Actualités, 2021, 1113.

[16] A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation en matière familiale : pas sans mon avocat !, AJ Famille, 2017, p. 570.

[17] A. M. de Cayeux, C. Denoit-Benteux et C. Emmanuel, La médiation avec avocats en matière familiale : guide pratique et clés de réussite, AJ Famille, 2017, p. 580 : expliquer : la pérennité du lien familial, le rôle du tiers neutre, la place de l'avocat, la confidentialité, la rapidité, l'efficacité, la pérennité de la solution négociée, la liberté, la globalité, la sécurité, la rentabilité, l'ouverture.

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