La lettre juridique n°928 du 15 décembre 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Précisions sur la question des biens échus sur succession après liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 23 novembre 2022, n° 21-15.497, F-D N° Lexbase : A96308U9

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N3621BZ7

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 14 Décembre 2022

Mots-clés : liquidation judiciaire • réalisation des biens échus au débiteur sur succession après sa liquidation judiciaire • soustraction de ces biens aux opérations de réalisation des actifs • application dans le temps de cette soustraction • procédure collective ouverte à compter du 1er juillet 2014

Un liquidateur peut faire désigner un technicien pour évaluer les immeubles d’un débiteur échus sur succession après sa liquidation judiciaire, dès lors que la procédure collective est ouverte avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014. En effet, l’article L. 641-9, IV en résultant et prévoyant que le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision, n’est pas applicable à une procédure collective ouverte avant le 1er juillet 2014.


 

Le principe classique qui était posé par le Code de commerce à l’article L. 641-9, I du Code de commerce N° Lexbase : L3951HBX était que le dessaisissement résultant de la liquidation judiciaire atteignait les biens présents, mais aussi ceux à échoir après la liquidation judiciaire. La question pouvait se poser de savoir si ce principe avait été tenu en échec par une disposition introduite par l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH), l’article L. 641-9,IV du Code de commerce N° Lexbase : L7329IZH, selon lequel le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter. C’est cette disposition qui est au cœur de l’arrêt commenté, le premier de la Cour de cassation à porter sur cette disposition.

En l’espèce, le 9 mai 2006, M. C. a été mis en liquidation judiciaire. Par une ordonnance du 28 juin 2019, le juge-commissaire a désigné, à la demande du liquidateur, un technicien pour évaluer des immeubles dépendant de la succession du père de M. C., décédé en 2013, en vue de leur réalisation. M. C. a formé un recours contre cette ordonnance, qui a prospéré.

Le liquidateur a interjeté appel, se fondant sur les dispositions transitoires de l’ordonnance du 12 mars 2014, ayant créé le IV de l'article L. 641-9 du Code de commerce, duquel il résulte que le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter. En effet, cette disposition issue de l’ordonnance du 12 mars 2014 est, selon le liquidateur, inapplicable aux faits de l’espèce.

La Cour de cassation, s’appuyant sur l’article L. 641-9, IV du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 et sur l’article 116 de cette ordonnance précisant les conditions de son entrée en vigueur, retient que « Il résulte du second de ces textes [ordonnance du 12 mars 2014, art. 116] que les dispositions du paragraphe IV de l'article L. 641-9 du Code de commerce, selon lesquelles le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter, ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur ». Elle en déduit que la cour d’appel [1], en refusant de faire droit à la demande de désignation du technicien pour évaluer les immeubles dépendant de la succession du père du débiteur, a violé par fausse application l’article L. 641-9, IV du Code de commerce.

La solution ne peut qu’être approuvée. L’article L. 641-9,IV du Code de commerce introduit par l’ordonnance du 12 mars 2014 n’est pas au rang des dispositions dont l’application dans le temps déroge au principe posé par l’article 116 de ladite ordonnance, principe classique selon lequel les dispositions nouvelles d’un texte modifiant le droit de entreprises en difficulté ne s’appliquent qu’aux procédures collectives ouvertes après son entrée en vigueur. Le texte de l’article L. 641-9, IV ne pouvait donc trouver application que si la procédure collective avait été ouverte à compter du 1er juillet 2014. Or tel n’avait pas été le cas, la procédure ayant été ouverte en 2006.

L’intérêt de l’arrêt ne se situe cependant pas tant sur le terrain de l’application de la loi dans le temps que sur celui de la portée du mécanisme institué en 2014 par le législateur.

Le pourvoi soutenait que « depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, de tels immeubles [ceux échus sur succession après la liquidation judiciaire] ne font plus partie de l'actif de la liquidation judiciaire par l'effet du dessaisissement et en sont exclus formellement par l'article L. 641-9 du Code de commerce, sauf accord du débiteur ».  L’affirmation n’est pas rectifiée par la Cour de cassation qui aurait pu, en cas de fausseté de l’affirmation, procéder par une substitution de motifs. Or elle ne l’a pas fait. Cela accrédite donc l’idée que, pour la Cour de cassation, les biens échus au débiteur sur succession après l’ouverture de sa procédure collective, non seulement ne peuvent, sauf accord du débiteur, être réalisés par le liquidateur, ce que dit l’article L. 641-9, IV, mais encore, allant plus loin que la lettre-même du texte, considère que les biens en question ne font pas partie de l’actif de la liquidation, parce que le dessaisissement ne les atteint pas. Cela permet ainsi d’affirmer que ces biens ne sont pas soumis à l’effet réel de la procédure collective et que le dessaisissement ne s’applique pas à eux [2].

Cela n’est pas sans conséquence lorsque l’on raisonne sur des immeubles, comme cela était le cas en l’espèce. En effet, puisque le bien n’est pas soumis à l’effet réel de la procédure collective, le liquidateur n’a pas à en s’en préoccuper. Il n’a donc pas à souscrire des assurances pour assurer la conservation du bien. Économiquement, la solution est tout à fait logique. Pourquoi imposer au liquidateur d’exposer la collectivité des créanciers qu’il représente à des coûts qui ne profiteront pas à cette collectivité ? Pourquoi, en d’autres termes, diminuer le gage commun qui ne pourra être enrichi par la vente de l’immeuble ?

Faut-il aller plus loin et considérer que, puisque le dessaisissement ne frappe pas l’immeuble en question, le débiteur aurait le droit de le céder pendant sa liquidation judiciaire ?

Cette question n’est pas traitée par les textes. Rien ne nous semble interdire la vente de tels biens par le débiteur, dès lors que l’on admet que les biens ne sont pas soumis au dessaisissement. Mais la question se déplace alors : que devient le prix de leur vente pendant la durée de la liquidation judiciaire ? Il nous semble que le mécanisme de la subrogation réelle doit trouver application et qu’il y a lieu de considérer que si l’immeuble n’est pas un élément du gage commun des créanciers, en ce qu’il n’est pas un actif de la liquidation judiciaire, son prix de vente ne devient pas davantage un élément du gage commun. Il doit rester entre les mains du débiteur, sous réserve cependant que l’immeuble ne soit pas grevé de sûreté. En effet, si l’immeuble est hypothéqué, il est exclu de remettre le prix au débiteur sans se préoccuper des droits de l’hypothécaire.

Mais le créancier hypothécaire, peut-il, pour sa part, prétendre appréhender le prix de vente à concurrence de son hypothèque ? Il nous semble qu’un obstacle s’élève contre cette possibilité.

Il apparaît que les créanciers ne pourront, pendant la liquidation judiciaire, exercer leur droit de poursuites individuelles sur ces biens [3]. Cette position se recommande incontestablement d’un argument de texte. Le législateur a créé une nouvelle exception à l’interdiction du droit de reprendre ses poursuites individuelles après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, au profit des créanciers pour les biens échus sur succession pendant la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 643-11, I, 1° N° Lexbase : L3698MBL). Or, d’évidence, pour être autorisé à reprendre ses poursuites individuelles, il faut d’abord que ce droit soit confisqué. De même, le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 12 mars 2014 reconnaît que ce texte ne fait pas exception à l’arrêt des poursuites individuelles ou à l’interdiction des paiements [4].

Par conséquent, pour respecter le texte qui prévoit que le créancier ne pourra exercer ses droits qu’à la clôture de la liquidation judiciaire, tout en ne préjudiciant pas au droit des créanciers, la seule solution nous semble être, pour le notaire, de reconsigner le prix de vente de l’immeuble, à concurrence de la créance garantie par l’hypothèque, jusqu’à la clôture de la procédure collective.

Ces solutions issues de l’article L. 641-9, IV du Code de commerce ont peu trouvé application. Que deviennent-elles avec la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, qui a posé le statut de l’entrepreneur individuel ? Le I de l’article L. 641-9 du Code de commerce N° Lexbase : L3693MBE dispose désormais que « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l'activité professionnelle, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ».

La question des biens échus sur succession a été déplacée à l’article L. 642-22, I du Code de commerce N° Lexbase : L3695MBH. Le texte prévoit que « Le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter ». Ainsi, alors que le texte initial était positionné au rang des règles du dessaisissement, il figure désormais au rang des dispositions intéressant les règles communes aux réalisations d’actifs du débiteur en liquidation judiciaire.

L’extraction de cette disposition de l’article relatif au dessaisissement est la bienvenue, car elle pouvait faussement laisser croire qu’il s’agissait d’une exception au dessaisissement, alors qu’il n’était question que d’une réduction des « pouvoirs » du liquidateur sur l’actif soumis à l’effet réel de la procédure, puisqu’il était par principe dans l’impossibilité de vendre les biens en question.

Mais, en réalité, le texte de l’article L. 642-22, I du Code de commerce aura fort peu vocation à s’appliquer. En effet, la loi du 14 février 2022 a modifié l’article L. 641-9, I du Code de commerce, en l’adaptant au statut de l’entrepreneur individuel. Désormais seuls les biens « composant le patrimoine professionnel » de l’entrepreneur sont concernés par le dessaisissement. Ainsi, le dessaisissement épouse-t-il les contours de la procédure collective elle-même, qui ne frappe que les biens professionnels. Par conséquent, la question des biens échus sur succession ne devrait plus se poser, au moins dans une procédure collective unipatrimoniale, qui ne porte que sur les biens professionnels. Cette dernière est obligatoire, en l’absence de surendettement des particuliers, au titre du patrimoine personnel.  Il y a également place à une procédure collective unipatrimoniale même en cas de surendettement, dès lors que la procédure de surendettement peut être ouverte, ce qui présuppose que le débiteur ait, d’une part, respecté strictement la dissociation de ses patrimoines et, d’autre part, qu’il n’ait aucun créancier professionnel ayant le droit de se faire payer sur le patrimoine personnel. En revanche, en cas de procédure bipatrimoniale, portant à la fois sur le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel, la question des biens échus sur succession peut se poser dans la liquidation judiciaire du débiteur personne physique. C’est alors tout l’intérêt de l’article L. 642-22, I du Code de commerce.


[1] CA Agen, 24 février 2021, n° 20/00106 N° Lexbase : A16374IH

[2] F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite,  Droit fondamental, PUF, 2ème éd., 2018, n° 345 ; D. Sahel, Les biens qui échappent à la procédure collective, BDED, t. 27, LGDJ, 2022, n° 135, n° 276.

[3] D. Voinot, Les modifications intéressant la liquidation judiciaire issues de l’ordonnance du 12 mars 2014, Gaz. Pal., 6 avril 2014, n° 96, p. 23 et s., spéc. p. 30 ; H. Lecuyer, préc., spéc. p. 15. Adde implicitement : J. Vallansan, La situation de la personne physique en liquidation judiciaire s’améliore, Act. proc. coll., 2014/6, comm. 123 ; Ph. Roussel Galle, La réforme du droit des entreprises en difficulté par l’ordonnance du 12 mars 2014, Rev. sociétés, 2014, 360, n° 36.

[4] Rapport au président de la République sur l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, p. 12 N° Lexbase : Z19984ZY.

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