La lettre juridique n°928 du 15 décembre 2022 : Droit pénal spécial

[Questions à...] Jean-François Bonhert, procureur national financier : « Dire que le PNF est un organe politique est un reproche injuste... »

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par Rédaction Lexbase

le 15 Décembre 2022

Des locutions latines et une belle formule italienne. Voilà comment Jean-François Bonhert répond aux critiques dont ses équipes font l’objet dès qu’elles ouvrent une enquête sur un homme politique. Récemment, le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, le nouveau patron des LR, Éric Ciotti et Emmanuel Macron lui-même sont venus allonger la liste des responsables politiques de premier plan auquel le parquet national financier (PNF) s’intéresse. Mais pas de quoi inquiéter le haut magistrat qui, du vingtième étage du tribunal judiciaire de Paris, gère sereinement près de 700 dossiers. Il s’est confié à Lexbase sur son état d’esprit actuel...

Lexbase. Le parquet national financier (PNF) existe depuis huit ans désormais. Avez-vous le sentiment de disposer des effectifs suffisants pour gérer la masse de dossiers en stock ?

Quand j’ai pris mes fonctions il y a trois ans, en octobre 2019, nous étions dix-sept magistrats. Aujourd’hui, le ministère de la Justice s’est engagé à nous doter d’un effectif de vingt magistrats. C’est une augmentation qui s’est faite progressivement, de façon positive. Elle est justifiée et exigée par l’état de nos affaires.

Nous en sommes aujourd’hui à 675 affaires en cours : 84 % d’enquêtes préliminaires et 16 % d’informations judiciaires. Pour ces dernières, ce sont les juges d’instruction qui dirigent les investigations, mais nous alimentons aussi leurs dossiers par des réquisitions ou des avis donnés en procédure.

Lorsque le PNF a été créé, par une loi de décembre 2013 [1], le Parlement avait procédé à une étude d’impact qui évoquait un effectif nécessaire de vingt-deux magistrats pour le démarrage du PNF. Pour ma part, j’observe qu’il y a au ministère une volonté de faire bouger les lignes et de continuer à nous doter d’effectifs complémentaires.

Lexbase. On le voit, la majorité de vos dossiers sont traités sous la forme d’enquêtes préliminaires. Craignez-vous que la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire votée le 22 décembre 2021 et qui limite désormais à trois ans (deux ans + un an sous certaines conditions) la durée maximale de ce type d’enquêtes ne constitue un frein à votre activité ?

C’est une inquiétude, au sens étymologique du terme, je dirais. Inquietas. En latin, cela qualifie le fait de ne pas avoir l’esprit au repos. L’inquiétude est saine parce qu’elle signifie vigilance. C’est donc quelque chose de positif.

Au vu de la complexité des contentieux que nous traitons, il va être difficile, tant pour les enquêteurs que pour nous, de nous adapter à ces nouveaux délais contraints. Cette réforme ne concerne cependant que les enquêtes ouvertes à compter de l’entrée en vigueur de la loi, le 24 décembre 2021. Une dérogation est également prévue le temps de l’exécution des demandes d’entraide pénale internationale, qui concernent une part substantielle de nos procédures.

Lexbase. Justement, n’êtes-vous pas tenté désormais d’ouvrir des informations judiciaires plutôt que de conserver les dossiers en enquêtes préliminaires ?

Notre réflexion est en cours sur ce point. En premier lieu, j’observe que les effectifs des magistrats instructeurs n’ont pas été réévalués pour prendre en compte les effets de la loi, l’ouverture d’une information judiciaire demeurant la seule possibilité offerte au parquet si, au terme des deux ou trois ans, des actes d’investigation sont encore nécessaires. J’observe également que les juges d’instruction saisissent les mêmes services d’enquête que nous et que, compte-tenu de leur charge actuelle, ils rencontrent des difficultés analogues aux nôtres pour faire aboutir rapidement les enquêtes.

Lexbase. L’activité principale du PNF concerne des dossiers de probité (corruption, prise illégale d’intérêts, etc.) Est-ce toujours votre priorité ? Ou bien comptez-vous mettre désormais l’accent sur d’autres dossiers tels que ceux de fraude fiscale aggravée, par exemple ?

Parmi les priorités, s’il y en a une qui doit être clairement mise en exergue, c’est la lutte contre les atteintes à la probité. Aujourd’hui, le PNF est identifié comme le parquet anti-corruption français. Cette mission, nous la portons au quotidien, haut et fort.

Dans cette lutte, nous accordons une attention toute particulière aux faits de corruption d’agents publics étrangers. Il en va de l’image de la France dans le monde. Telle est, au demeurant, la priorité que nous assigne la circulaire du garde des Sceaux du 2 juin 2020 [2]. Elle présente le PNF comme chef de file dans ce domaine. Et de fait, l’ensemble des parquets territoriaux se tournent facilement vers nous pour proposer de se dessaisir à notre profit. À notre tour, nous nous appuyons sur l’expérience accumulée en plus de huit ans d’existence et sur les réseaux de coopération que nous nous sommes créés.

S’agissant du contentieux fiscal, il fait partie de nos priorités. Il représente 43 % de nos procédures. Nous ciblons particulièrement la fraude des grandes entreprises, ainsi que l’action des intermédiaires qui conçoivent la fraude fiscale d’envergure. Nos résultats sont plutôt intéressants. En dernière date, la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée cette année avec la société Mc Donald’s. [Le 16 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris a validé une convention judiciaire d’intérêt public [3] fixant à 1,245 milliard d’euros le montant cumulé de l’amende d’intérêt public et des droits et pénalités fiscales dus par trois sociétés du groupe Mac Donald’s au titre de la convention pour des faits de fraude fiscale aggravée]. On le sait, il y a une attente bien compréhensible de la part de nos concitoyens quant à la répression de la fraude fiscale.

Lexbase. Justement, en 2020, une seule convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été validée. En 2021, elles étaient au nombre de trois. Et cette année, trois autres rien que pour le premier semestre. Comptez-vous multiplier ce type de règlement à l’avenir ?

Nominalement, il y a une progression. Mais il faut la mettre en relation avec la maturation des dossiers du PNF. En 2014, 2015 ou 2016, les affaires ne pouvaient pas encore sortir : nous venions d’être créés. Aujourd’hui, les dossiers sont mûrs pour être traités. Un signe ? La difficulté pour notre service d’audiencement de trouver des dates pour juger nos affaires. Il y a maintenant plus d’affaires qui sortent. Et donc aussi plus d’affaires qui sont éligibles à la CJIP. C’est ce qui explique l’augmentation que vous relevez.

Pour nous, la CJIP n’est qu’un mode d’orientation parmi d’autres. On ne considère pas ces conventions comme « l’alpha et l’oméga » de notre traitement pénal. Non, le PNF ne peut pas se résumer à la justice négociée. À l’heure actuelle, nous avons treize CJIP signées et validées. Rapportées à la masse de nos 675 procédures, ce n’est pas énorme. En aucun cas la CJIP n’a vocation à éclipser la comparution classique devant le tribunal correctionnel.

Lexbase. N’est-ce pas frustrant, finalement, pour un parquet tel que le vôtre de finir par “négocier” une peine avec une entreprise mise en cause, via les CJIP ?

Non, les collègues ne sont absolument pas frustrés. Je rappelle que la sanction prononcée à l’encontre des personnes morales dans le cadre d’une CJIP est souvent bien plus lourde que la peine encourue par elle devant le tribunal correctionnel. Un exemple ? La banque JP Morgan a accepté, via une CJIP [4], 133 fois le montant de l’amende encourue lors d’une audience correctionnelle...

Notre but n’est pas de nous transformer en collecteur d’argent public. Mais typiquement, pour prendre l’exemple Mc Donald’s, l’entreprise a accepté de payer une amende de 508 millions d’euros dans le cadre de la CJIP, montant auquel il faut ajouter les pénalités fiscales, comme je l’ai indiqué tout à l’heure. Si cette convention n’avait pas été conclue, nous serions toujours en train de débattre du juste taux de redevance de licence de Mc Donald’s en France.

Lexbase. À ce sujet, pouvez-vous dresser le bilan de ce que le PNF a fait entrer dans les caisses de l’État depuis sa création ?

Si l’on retient les seules amendes d’intérêt public, leur montant total s’élève à 3,7 milliards d’euros, grâce à treize CJIP. Si on y ajoute les transactions fiscales conclues parallèlement aux CJIP, on parvient à un montant total de 5,190 milliards d’euros. Au total, depuis que le PNF existe, nous avons fait rentrer un peu plus de 11 milliards d’euros dans les caisses de l’État.

Lexbase. Justement, la justice manque cruellement de moyens. Ne serait-il pas envisageable qu’une partie des fonds récupérés par vos services viennent abonder directement le budget de la Justice, comme c’est le cas, sous certaines conditions, en Grande-Bretagne, par exemple ?

Lorsque l’on met en regard, d’un côté les montants que je viens de citer et, de l’autre, notre besoin en magistrats ou l’état immobilier de certaines juridictions, on peut légitimement se poser la question. Si, en France, la règle de l’unicité budgétaire ne permet pas en l’état d’envisager un abondement direct des sommes versées au titre des CJIP au budget de la justice, il existe effectivement, dans d’autres pays tels que le Royaume-Uni, un système de frais de justice (fees) qui joue ce rôle.

Dans notre pays, nous pourrions peut-être réfléchir à la création d’un fonds de concours, qui permet de déroger à la règle de l’unicité budgétaire. Le législateur l’a encore récemment utilisé pour permettre l’affectation des sommes saisies au titre des procédures dites de « biens mal acquis » au profit des populations spoliées. Les juristes ont des esprits féconds. Mais là, c’est avant tout une question de volonté politique.

Lexbase. Le PNF est régulièrement attaqué et critiqué. Ses détracteurs l’accusent d’être un « organe politique ». Que répondez-vous à cela ?

Ce reproche me paraît très injuste. Il est tentant pour les personnes poursuivies de vouloir transformer leur procès en procès du PNF. La nature même de notre contentieux fait que nous enquêtons sur des décideurs publics qui sont, pour certains d’entre eux, des personnalités politiques. Plus le temps passe, plus nous avons mis en cause des personnalités de bords politiques différents, suscitant à chaque fois des accusations de politisation de notre action.

Lexbase. Vous le vivez mal ?

Je ne pourrai jamais accepter cette critique tant elle est éloignée de la réalité de notre fonctionnement et de nos méthodes de travail. Aucun des dix-huit magistrats du PNF ne fait de politique au seul motif qu’il engage des poursuites ou qu’il classe une procédure sans suite contre telle ou telle personnalité. Au quotidien, notre seule grille d’analyse est l’application de la loi. La loi, c’est notre boussole. Pour moi, ce qui l’emporte, c’est la belle formule que l’on trouve dans les salles d’audience italiennes : La legge e uguale per tutti : la loi est la même pour tous.

Lexbase. Il y a quand même un sentiment d’impuissance face à ces critiques dans ce que vous décrivez...

Comme le prophète, vox clamantis in deserto... j’ai parfois l’impression de prêcher dans le désert. S’il restera toujours difficile de convaincre les esprits chagrins, c’est d’abord et avant tout devant le tribunal correctionnel que nous acquérons, jour après jour, notre légitimité.

Lexbase. Mais, sur un plan plus personnel, vous vous sentez bien à la tête du PNF ?

Je suis heureux ici, oui. Je considère que ce n’est pas une fonction comme les autres mais c’est une mission porteuse de sens. C’est aussi une grande responsabilité dans une démocratie. Cette responsabilité, je la partage au quotidien avec toute une équipe, dont je suis fier. La charge de travail de chacun des magistrats est importante et leur engagement au quotidien est à la hauteur des enjeux du PNF.

 

[1] Ndlr : Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW.

[2] Ndlr : Garde des sceaux, ministre de la Justice, Circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale, 2 juin 2020 [en ligne].

[3] Ndlr : PNF, Communiqué de presse du procureur de la République financier, 16 juin 2022 [en ligne].

[4] Ndlr : Convention judiciaire d'intérêt public entre le procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris et la société JPMorgan Chase Bank National Association, 26 août 2021 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 72365630, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Convention judiciaire d'int\u00e9r\u00eat public entre le Procureur de la R\u00e9publique financier pr\u00e8s le tribunal judiciaire de Paris et la SOCIETE JPMORGAN CHASE BANK, NATIONAL ASSOCIATION, Paris 26-08-2021", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L9621L7H"}}.

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