Réf. : Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.031, FS-B N° Lexbase : A12998SW
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par Jérôme Lasserre-Capdeville
le 16 Novembre 2022
► S’il résulte de la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile et 1315, alinéa 2, (devenu 1353, alinéa 2), du Code civil que s’il incombe à l’émetteur d’un chèque d’établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l’original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n’ait été restitué au tireur.
Le chèque falsifié est un titre qui a bien été signé par le tireur (à la différence du chèque contrefait), et constitue à ce titre un véritable ordre de paiement. En revanche, certaines de ses mentions, et plus particulièrement le montant du chèque et/ou le nom de son bénéficiaire, ont été frauduleusement rajoutées ou modifiées par un tiers. Mais sur qui pèse le paiement d’un tel chèque ? De longue date, la jurisprudence considère que si la falsification est apparente, et que la banque n’a pas été en mesure de la détecter, elle verra sa responsabilité retenue. Cette solution vaut tant pour la banque présentatrice que pour la banque tirée.
Une telle anomalie apparente sera retenue, par exemple, en présence d’un chèque falsifié présentant des traces de grattage, d’effacement ou de maquillage du nom inscrit dans un premier temps sur le titre (Cass. com., 10 décembre 2003, n° 00-18.653, FS-P+B N° Lexbase : A4195DAM ; Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-18.251, F-P+B N° Lexbase : A7464EIB), d’adjonction évidente du nom d’une personne physique à côté de celui d’une société (Cass. com., 3 décembre 2002, n° 00-20.566, FS-P N° Lexbase : A2033A43 ; Cass. com., 17 juin 2020, n° 18-18.629, F-D N° Lexbase : A07953P7), ou d’un montant manifestement disproportionné par rapport au solde du compte concerné (Cass. com., 4 mars 2008, n° 06-14.409, F-D N° Lexbase : A3225D7L). Citons encore le fait, pour un mandataire judiciaire, d’encaisser des chèques sur son compte personnel alors que les titres ont été établis à son ordre en qualité de mandataire judiciaire (Cass. com., 25 septembre 2019, n° 18-15.965 et 18-16.421, F-D N° Lexbase : A0447ZQM, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, octobre 2019, n° 611 N° Lexbase : N0858BYG).
En revanche, à défaut d’anomalie apparente, le principe de non-ingérence du banquier doit à nouveau prévaloir (Cass. com., 1er décembre 2015, n° 14-22.703, F-D N° Lexbase : A6919NYW ; Cass. com., 22 mars 2017, n° 15-24.129, FS-D N° Lexbase : A7857ULL ; Cass. com., 27 novembre 2019, n° 18-11.439 et 18-12.427, FS-P+B N° Lexbase : A3449Z4I). Ce sera alors le tireur, qui a « mis en circulation » le chèque, qui devra normalement assumer les risques de sa falsification postérieure.
Or, pour la jurisprudence, c’est à celui qui invoque le caractère falsifié du chèque, logiquement le tireur, de le démontrer. Concrètement, il ne lui suffira pas de prétendre que le chèque a été falsifié ; il devra le prouver, mais aussi établir que la falsification en question était décelable par le banquier (Cass. com., 6 janv. 2021, n° 19-10.763, F-D N° Lexbase : A72804CM). La décision sélectionnée vient nous donner une précision utile sur ce point.
Faits et procédure. En l’espèce, le 12 février 2015, la société F. avait émis un chèque à l'ordre de « LPB immobilier conseil », lequel avait été débité de son compte ouvert dans les livres de la banque Z. au profit de la société B., titulaire d'un compte à la banque X., à la suite d’une falsification du nom du bénéficiaire. Soutenant alors que la banque Z. avait manqué à son obligation de vigilance lors de l'encaissement de ce chèque, la société F. l’avait assignée en réparation. Cette dernière avait appelé en garantie la banque X.
La cour d’appel de Paris n’ayant pas donné raison aux établissements de crédit concernés par sa décision du 20 mai 2020, ceux-ci ont formé un pourvoi en cassation.
Pourvoi. La banque X. faisait notamment grief à l'arrêt d’avoir condamné la banque Z. à payer à la société F. la somme de 39 513,60 euros, alors qu’en exécution de leur obligation générale de vigilance, une banque tirée et une banque présentatrice, chargées chacune de contrôler la régularité formelle d'un chèque, sont tenues de détecter les seules anomalies apparentes affectant le titre, aucune anomalie n'étant présumée apparent. Or, pour accueillir partiellement l'action récursoire de la banque tirée (Z.) à l'égard de la banque présentatrice (X.), l’arrêt avait retenu que l’anomalie consistant, comme en l'espèce, à faire disparaître le nom du bénéficiaire initial par grattage et à y substituer un autre nom devait être présumée au regard du constat selon lequel rares sont des falsifications parfaites. Dès lors, en statuant ainsi, la cour d’appel aurait violé les anciens articles 1315 N° Lexbase : L1426ABG et 1382 N° Lexbase : L1488ABQ du Code civil.
Décision. La Cour de cassation considère, pour sa part, que la décision de la cour d’appel de Paris est ici justifiée.
Elle commence par indiquer qu’il résulte de la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D et 1315, alinéa 2, (devenu 1353, alinéa 2 N° Lexbase : L1013KZK), du Code civil que s’il incombe à l’émetteur d’un chèque d’établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l’original de ce chèque, de prouver que celui-ci n’était pas affecté d’une anomalie apparente, à moins que le chèque n’ait été restitué au tireur.
Elle observe ensuite que la cour d’appel a relevé qu’un nom avait été substitué par grattage à celui du bénéficiaire initial sur le chèque litigieux, que l'original de ce chèque avait été détruit par la banque tirée et que la photocopie du chèque produite était en noir et blanc et de mauvaise qualité, et que cette photocopie ne permettait pas de constater l’absence d’anomalie matérielle.
Il en résulte dès lors, pour la Haute juridiction, que la banque Z. (la banque tirée) ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, que le chèque n’était pas affecté d’une anomalie apparente et, par suite, qu’elle avait satisfait à son obligation de vigilance.
En conséquence, par ce motif de pur droit, substitué à ceux justement critiqués, la décision se trouve légalement justifiée.
On précisera, cependant, que la Haute juridiction casse et annule la décision des juges du fond en ce qu’elle a condamné la banque X. à garantir la banque Z. du montant de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière au profit de la société F. à hauteur de 9 878,40 euros.
En effet, il résulte de l’article 16 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1133H4Q que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Or, pour accueillir l’appel en garantie de la banque X. formé par la banque Z., l'arrêt de la cour d’appel a retenu que la première n’apportait aucun élément sur les conditions dans lesquelles elle avait pu ouvrir un compte à son client à l'origine de malversations. Dès lors, en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d’office, la cour d’appel a violé l’article précité.
Pour aller plus loin : v. commentaire de l’arrêt par J. Lasserre Capdeville in Lexbase Affaires n° 736 à paraître le 24 novembre 2022 |
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