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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef
le 27 Juin 2013
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter l'Union internationale des avocats ? Quelles sont ses missions ? Qui rassemble-t-elle ?
Jean-Marie Burguburu : L'Union Internationale des Avocats (UIA) est la plus ancienne association internationale d'avocats. En 1927, à l'époque de sa création, elle s'était fixée pour mission notamment de contribuer à l'établissement d'un ordre juridique international basé sur les principes des droits de l'Homme et de la justice entre nations par la loi et pour la paix.
Aujourd'hui, c'est une association ouverte à tous les avocats du monde, généralistes ou spécialistes, qui défend la profession d'avocat, stimule les contacts internationaux, la coopération et l'échange de connaissances. Pour ce faire, elle organise de nombreux séminaires thématiques internationaux partout dans le monde. L'UIA était à Prague il y a quelques jours pour un forum de Centres de médiation, elle sera très prochainement à Ljubljana où je me rendrai personnellement pour un séminaire sur la négociation et la gestion des contrats de distribution, et dans quelques mois elle organisera à Macao, en Chine, son congrès annuel.
Afin d'assurer le caractère vraiment international de l'UIA, la présidence ne dure qu'un an. Pendant cette année, le Président est mobilisé pour agir dans le monde entier au nom de l'UIA. Ainsi, je reviens de plusieurs voyages à Pékin, Montréal, Tokyo, Séoul, Hong Kong et Macao, pour préparer notre congrès.
Dans tous les pays dans lesquels elle se rend, l'UIA est attentive au respect de l'exercice de la profession : elle suit de près les évolutions liées à la pratique du métier (par exemple la mise en place des Alternative Business Structures dans les pays de Common law) et les libertés qui entourent l'avocat. C'est l'une des raisons pour lesquelles, en ma qualité de Président, je me suis rendu à Istanbul soutenir le Bâtonnier Ümit Kocasakal. La situation en Turquie est très tendue ces derniers temps, ce qui se passe au niveau de la profession d'avocat en est la triste illustration.
Lexbase : Comment est perçue la profession d'avocat en Turquie ? Pourquoi le pouvoir en place ne défend-il pas l'intégrité de ses membres ?
Jean-Marie Burguburu : La profession d'avocat en Turquie est bien perçue par la société civile. Ce sont ses relations avec le Gouvernement qui posent problème. Le barreau d'Istanbul compte à peu près 25 000 membres, comme celui de Paris.
En Turquie, les avocats participent aux mouvements d'opinion. Le 11 juin dernier, 45 avocats ont encore été mis en détention car ils protestaient contre les interventions de police et contre l'attitude du Gouvernement vis-à-vis des protestations populaires.
Ce n'est pas tout. De nombreux autres avocats turcs poursuivis ces derniers temps l'ont été car ils sont injustement confondus avec les clients qu'ils défendent, notamment les opposants politiques. Le pouvoir turc a une fâcheuse propension à confondre l'avocat des opposants politiques avec les opposants politiques eux-mêmes. C'est ce que j'ai dénoncé lorsque je me suis exprimé devant l'Assemblée générale extraordinaire du barreau d'Istanbul, le 17 mars dernier, en rappelant qu'on ne confondait pas l'avocat d'un criminel avec un criminel, et en soulignant que la liberté d'exercice doit être respectée.
Le Bâtonnier d'Istanbul, Ümit Kocasakal, a refusé de désigner des avocats commis d'office lorsque des opposants kurdes ont décidé de demander à leurs avocats de ne pas comparaître. C'est la cause initiale des poursuites et, malheureusement, rien n'est encore réglé.
Lexbase : Quelles sont les actions que peut mettre en place l'Union internationale des avocats ?
Jean-Marie Burguburu : L'Union Internationale des Avocats participe, avec un nombre considérable d'organisations nationales et internationales, de toute l'Europe et du monde entier, à des missions d'observation, notamment dans ce procès où le Bâtonnier Ümit Kocasakal est poursuivi. La présence d'observateurs étrangers est essentielle et la presse s'en fait le relai pour autant qu'elle veuille bien ne pas suivre le diktat du pouvoir. L'UIA, par sa position prééminente, est leader dans la défense des avocats poursuivis : c'est ce que nous appelons la "défense de la défense". Cette défense de la défense nous amène dans tous les pays du monde où les avocats sont empêchés d'exercer leur profession.
Lexbase : Le harcèlement des avocats est-il une pratique courante ? Quels sont les Etats les plus concernés ?
Jean-Marie Burguburu : On ne peut pas dire que ce soit une pratique courante ; elle est rare dans les pays véritablement démocratiques ; elle est plus fréquente dans des pays politiquement moins développés. Ces derniers temps, l'UIA a apporté son soutien dans des dossiers d'atteinte à l'exercice de la profession d'avocat en Inde, en Guinée équatoriale, en République démocratique du Congo, au Zimbabwe, mais aussi en Colombie ou en Iran.
A chaque fois, il s'agit d'avocats menacés ou harcelés par rapport aux dossiers qu'ils défendent : ce sont souvent des dossiers politiques sensibles ou concernant des opposants politiques.
Lexbase : Pensez-vous qu'une "charte" mondiale, signée par l'ONU par exemple, pourrait être signée pour protéger la profession à travers le monde ?
Jean-Marie Burguburu : Une telle charte existe déjà. Il s'agit des Principes de base relatifs au rôle du Barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, et auquel la plupart des pays du monde était représentée. En cela, c'est un texte essentiel pour la défense de la profession. Ces principes sont formulés pour aider les Etats à veiller au respect des droits des avocats à exercer librement leur profession dans le cadre de leur législation et de leur pratique nationales.
Je pense également à la recommandation 2000/21 du Conseil de l'Europe sur la liberté d'exercice de la profession d'avocat (adoptée par le Comité des ministres le 25 octobre 2000). C'est un texte particulièrement pertinent au sujet de la Turquie, puisque cette dernière est membre du Conseil de l'Europe.
Enfin, je peux encore vous citer en exemple les directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l'Homme. Ces textes démontrent le caractère universel des garanties et protections dont doivent bénéficier les avocats et ont une valeur contraignante au titre de la coutume internationale.
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