Réf. : CAA Marseille, 7ème ch., 7 mai 2013, n° 10MA03605, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6139KDQ)
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
le 27 Juin 2013
En vertu de 3° de l'article 261-7 du CGI (N° Lexbase : L0402IWS), sont exonérées de TVA "les ventes portant sur les articles fabriqués par des groupements d'aveugles ou de travailleurs handicapés, agréés dans les conditions prévues par la loi n° 72-616 du 5 juillet 1972, ainsi que les réparations effectuées par ces groupements. Ils peuvent toutefois, sur leur demande, renoncer à l'exonération [...]".
Les ESAT peuvent donc renoncer à l'exonération et choisir de soumettre volontairement à la TVA les recettes qui proviennent des activités de production et de commercialisation effectuées par les personnes handicapées. Dans ce cas, les établissements réalisent à la fois des opérations soumises à la TVA (ventes d'objets fabriqués ou services rendus par les personnes handicapées) et des opérations exonérées de taxe (opérations à caractère socio-éducatif), regroupées au sein de deux secteurs distincts d'activité, dans les conditions prévues à l'article 209 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L4429IQ4).
Au cours de l'année 2003, l'association a procédé à une opération de construction d'un immeuble abritant une partie d'un établissement ou service d'aide par le travail (ESAT) et d'une entreprise adaptée (EA). Les activités réalisées dans ces établissements étant soumises à la TVA, l'association aurait dû pouvoir procéder à la déduction de la TVA grevant les travaux de construction de l'immeuble concerné. Mais, cette déduction n'a pas pu être opérée au motif que la construction de cet immeuble avait été financée par des emprunts dont le remboursement était assuré grâce à des subventions perçues par l'association.
Cette théorie de l'administration est réfutée par le juge administratif. En effet, par un jugement du 2 juin 2010, le tribunal administratif de Toulon décide que l'association est fondée à demander la restitution de la TVA non imputée, l'administration ne pouvant lui refuser le bénéfice du délai spécial prévu par l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L0307IWB) (TA Toulon, n° 0704744, N° Lexbase : A9998KDN). Selon le tribunal, les subventions perçues par l'association ne s'analysent pas comme des subventions d'exploitation mais d'équipement, et donc sa réclamation n'est pas tardive, au regard des dispositions de l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX). Par un arrêt rendu le 7 mai 2013, la cour administrative d'appel de Marseille confirme le jugement.
La question des conditions de déduction de la TVA par les assujettis qui était à l'origine du litige entre l'association et l'administration fiscale n'a pas constitué le coeur du litige. En effet, la question essentielle soumise aux juges était celle de savoir si la réclamation de l'association devait être frappée de forclusion ou non.
I - La non-déductibilité de la TVA en cas d'obtention de subventions publiques sanctionnée par la CJUE
A - Sur la question de la déductibilité de la TVA
En principe, la TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération. Pour qu'une opération soit imposable à la TVA, elle doit non seulement se trouver dans le champ d'application de la TVA, mais encore ne pas être expressément exonérée. Par exemple, les activités de service public sont, en principe, hors du champ d'application de la TVA. En revanche, les activités des ESAT sont dans le champ d'application de la TVA, mais exonérées par les dispositions du 3° de l'article 261-7 du CGI, étant précisé que ce même article autorise ces établissements à opter pour leur assujettissement à la TVA. L'association, ayant procédé à cette option, était donc assujettie à la TVA pour les activités de l'ESAT et de l'EA.
Mais, pour autant, la TVA grevant les travaux, facturations et paiements intervenus pour l'essentiel en 2003, dans le cadre d'une opération de construction d'un immeuble abritant une partie d'un ESAT et d'une EA, n'a fait l'objet d'aucune déduction, dès lors que le financement avait été assuré par des emprunts dont le remboursement s'est opéré au moyen de subventions perçues par l'association. En effet, la doctrine administrative prévoyait, à cette période, que : "[...] la taxe afférente aux investissements financés par la subvention peut être en effet déduite dans les conditions habituelles lorsque le redevable intègre dans le prix de ses opérations les dotations aux amortissements des biens financés en totalité ou partiellement par cette subvention. S'il s'avère que la condition de répercussion des amortissements de ces biens dans les prix n'est pas respectée, la TVA afférente à ces mêmes biens ne pourrait pas être déduite pour la quote-part du montant financée par la subvention d'équipement [...]" (instruction du 8 septembre 1994, 3 CA-94 N° Lexbase : X0377AA9).
Cette doctrine a été sanctionnée par la le juge de l'Union européenne (CJCE, 6 octobre 2005, n° C-243/03 N° Lexbase : A6729DKG), qui a jugé que la France avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire en instaurant une règle particulière limitant la déductibilité de la TVA afférente à l'achat de biens d'équipement en raison du fait qu'ils ont été financés au moyen de subventions.
A la suite de cette décision, l'administration fiscale, par une instruction du 27 janvier 2006 (BOI 3 D-1-06 N° Lexbase : X5689AD3), a modifié sa doctrine antérieure et indiqué que : "[...] La déduction de la TVA afférente aux dépenses supportées par un assujetti n'est plus subordonnée à la preuve de la répercussion de leur coût dans le prix de ses opérations ouvrant droit à déduction. L'exercice du droit à déduction n'est désormais subordonné qu'au seul respect cumulatif des conditions issues des dispositions de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L0385IW8), selon lesquelles les dépenses doivent :
- être utilisées pour les besoins d'une opération économique réalisée à titre onéreux (opération imposable) ouvrant droit à déduction ;
- être justifiées par une facture comportant l'ensemble des mentions visées à l'article 242 nonies A de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L6875IWK).
La TVA déductible doit être mentionnée sur la déclaration déposée au titre du mois au cours duquel la taxe est devenue exigible chez le fournisseur ou, en cas d'omission, sur les déclarations déposées jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission (CGI, ann. II, art. 224-1, [plus en vigueur] N° Lexbase : L0878HNT) [...]".
B - Conséquences de cette décision de la CJCE pour l'association
La question de la déductibilité de la TVA grevant la construction de l'immeuble devant abriter l'ESAT et l'EA ayant été réglée dans un sens favorable à l'association par la Cour de l'Union, il était encore temps pour l'association de faire figurer la TVA déductible au titre de l'année 2003 sur la déclaration de chiffre d'affaires de novembre ou décembre 2005.
En effet, selon la doctrine administrative, les entreprises doivent mentionner le montant de la taxe déductible sur les déclarations qu'elles déposent pour le paiement de la TVA. Cette mention doit figurer sur la déclaration souscrite au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance, c'est-à-dire au titre du mois pendant lequel la taxe est devenue exigible chez le fournisseur ou le prestataire de service. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur la déclaration idoine peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission (CGI, annexe II, art. 208 N° Lexbase : L3742HZM). Il est probable que le délai était trop court entre la décision de la CJCE, le 6 octobre 2005, et le 31 décembre de la même année pour opérer cette régularisation. En tout état de cause, cette possibilité ne lui aurait pas permis d'obtenir la restitution de la TVA non déduite au titre des années 2001 et 2002, ainsi que la taxe sur les salaires indûment acquittée au titre de la période en litige.
Il restait donc à l'association la voie de la réclamation contentieuse.
II - La réouverture du délai de réclamation provoquée par la décision de la CJUE
A - Les délais de réclamation contentieuse
En principe, le délai de réclamation, prévu notamment en matière de TVA, expire le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est contestée.
En effet, l'article R. 196 du LPF dispose que "pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :
a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ;
b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ;
c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation [...]".
Peut constituer un événement qui motive une réclamation, la révélation par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux qu'une imposition était fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure.
Dans un tel cas, le délai de recours est décompté à partir de l'événement motivant la demande, en l'occurrence, la première décision juridictionnelle révélant la non-conformité. Selon la Cour de cassation, ce délai court du prononcé de l'arrêt considéré comme un événement et non de la date à laquelle le contribuable a pu en avoir connaissance certaine (Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-20.625 N° Lexbase : A4249CTK).
Mais ce nouveau délai de réclamation est limité par un autre délai, qui est celui de la période répétible. En effet, en vertu des dispositions de l'article L. 190 du LPF, applicable au titre des années en litige, les actions en restitution ou en paiement d'une somme ne peuvent porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. A partir du 1er janvier 2005, ce délai a été réduit à trois ans et a, de nouveau, été modifié par la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ). Désormais, l'article L. 190 A du LPF prévoit que l'action en réparation du préjudice subi fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l'existence de la créance a été révélée au demandeur. Autrement dit, la période répétible est passée de quatre ans à partir du 1er janvier 1990 à trois ans à compter du 1er janvier 2006 et enfin à deux ans depuis le 1er janvier 2013.
Au cas d'espèce, la décision de la CJCE étant intervenue en 2005, la période répétible applicable était celle de quatre ans, ce qui a permis à l'association de comprendre dans sa réclamation l'année 2001.
B - Appréciation différente de la portée de la décision de la CJCE
A la suite de l'arrêt de la CJCE du 6 octobre 2005, condamnant la doctrine de l'administration fiscale française limitant la déductibilité de la TVA afférente à l'achat de biens d'équipement en raison du fait qu'ils ont été financés au moyen de subventions, l'association a introduit une réclamation le 19 décembre 2006, c'est-à-dire avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (au cas d'espèce, la décision de la CJCE date du 6 octobre 2005).
L'administration a rejeté cette réclamation, en ce qu'elle concernait les années 2001 à 2003, au motif que l'association ne pouvait pas bénéficier du délai spécial prévu par l'article L. 190 du LPF, dès lors que les subventions perçues par l'association s'analysant comme des subventions d'exploitation et non d'équipement, sa réclamation serait tardive au regard des dispositions de l'article R. 196-1 du LPF. Autrement dit, la décision de la CJCE ne constituait pas, pour l'association concernée, un élément nouveau susceptible de lui ouvrir le délai de réclamation applicable en ce cas. L'association aurait donc dû, selon l'administration, présenter sa réclamation dans le délai de droit commun, c'est-à-dire avant le 31 décembre 2005 s'agissant des impositions litigieuses de l'année 2003, étant précisé que les années précédentes étaient frappées de forclusion.
La motivation de la décision de rejet de la réclamation présentée par l'association, telle qu'elle est rapportée par le tribunal administratif de Toulon et la cour administrative d'appel de Marseille, apparaît peu convaincante. En effet, dire que la décision de la CJCE du 6 octobre 2005 ne pouvait pas être considérée comme un événement au sens de l'article L. 190 au motif que cette décision ne concernerait que les subventions d'équipement et non les subventions de fonctionnement n'est pas fondé. D'ailleurs, selon le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en considérant qu'en jugeant que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 octobre 2005 qui condamnent, à titre général, tout mécanisme, direct ou indirect, de limitation des droits à déduction non prévus par la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9), ne pouvaient être regardés comme des décisions juridictionnelles de nature à révéler la non-conformité du dispositif français litigieux de taxation des subventions à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du LPF, et comme constituant un événement nouveau au sens du c de l'article R. 196-1 du même livre (CE 3° s-s., 12 mars 2012, n° 342966, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0593IG3 ; lire N° Lexbase : A0593IG3). Autrement dit, la décision de la CJCE doit être interprétée comme l'affirmation que les dérogations au droit à déduction de la TVA ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la 6ème Directive-TVA. Il est contraire au droit de rechercher si cette décision vise tel ou tel type de subvention et s'il est possible d'échapper à ses conséquences sur le traitement du contentieux en faisant appel à des distinctions sémantiques.
On ajoute que, dans son instruction du 21 janvier 2006, ayant pour objet de prendre acte de la décision de la CJCE du 6 octobre 2005, l'administration précise que : "[...] est sans incidence sur son droit à déduction la circonstance qu'un assujetti qui ne réalise que des opérations ouvrant droit à déduction finance tout ou partie de ses dépenses grevées de TVA par voie de subventions, dès lors que celles-ci ne constituent ni la contrepartie d'une opération imposable, ni le complément du prix d'une telle opération (subventions d'équipement, de fonctionnement, d'équilibre...) [...]". Et donc, après une telle prise position, comment expliquer le rejet de la réclamation de l'association ?
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