Le Quotidien du 5 octobre 2022 : Procédure civile

[Jurisprudence] Signification : à l’impossible, le commissaire de justice est-il tenu ?

Réf. : Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.352, F-B N° Lexbase : A24578HH

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par Arnaud Leon, Commissaire de Justice associé (Selarl Bonnamy-Vizoso & Leon), Chargé d’enseignement à l’INCJ (Institut National des Commissaires de Justice), IJA (Institut Juridique d’Aquitaine), intervenant EDA (École des Avocats de Bordeaux)

le 05 Octobre 2022

Mots-clés : commissaire de justice • signification • diligences • vérifications • boîte aux lettres • nullité

L’arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la Cour de cassation réaffirme sans nul détour la rigueur dont doit faire preuve l’officier public et ministériel qu’est le commissaire de justice (anciennement huissier de justice) lors de la signification de ses actes. Il s’assurera d’avoir accompli vérifications et diligences suffisantes afin de satisfaire aux dispositions de l’article 656 du Code de procédure civile.


 

À ce titre volontairement provocateur, la réponse ne peut être que positive : à l’impossible, le commissaire de justice est tenu.

En effet, la lecture de cet arrêt nous enseigne à nouveau que les difficultés que peut rencontrer le commissaire de justice sur le terrain ne le soustrait pas à ses obligations de diligences. L’arrêt de la Cour de cassation retient que :

« La seule mention dans l’acte d’huissier de justice que le nom du destinataire de l’acte figure sur la boîte aux lettres n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l’acte et, partant, ne satisfait pas aux exigences de l’article 656 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6825H7W. ».

Les faits de l’espèce sont les suivants : deux prêts immobiliers, garantis par un cautionnement, sont consentis par une banque à des époux. Une assignation en paiement est délivrée à l’un des époux codébiteur du prêt par l’huissier de justice [1] selon les modalités de l’article 656 du Code de procédure civile ; lequel considère la réalité du domicile par le nom du destinataire figurant sur la boîte aux lettres. Mais cette réalité est tout autre, les époux sont séparés et l’épouse, destinataire de l’acte, n’habite plus à l’adresse indiquée. Dès lors, un jugement réputé contradictoire est rendu à son encontre pour lequel appel est interjeté invoquant la nullité de l’assignation. Condamnée en appel (les juges retiennent la régularité de la délivrance de l’acte dès lors que l’huissier s’est rendu à l’adresse, a vérifié que le nom du destinataire figurait bien sur la boîte aux lettres et qu’il était peu important que son prénom y soit précisé), elle se pourvoit en cassation… dont nous connaissons la solution sus-évoquée. Et elle n’est pas nouvelle. La Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur les diligences nécessaires afin de s’assurer de la réalité du domicile [2].

Outre une solution fondée sur une lecture stricte de l’article 656 du Code de procédure civile, les circonstances factuelles invoquées en appel n’ont pas suffi à sauver l’acte : le domicile était le seul connu du créancier, aucun changement d’adresse n’avait été signalé au créancier, les plis recommandés avaient été retournés à l’expéditeur avec la mention « avisé et non réclamé » et le créancier n’avait pas été informé de la séparation de fait des époux… Il en résulte que l’huissier de justice est toujours tenu de signifier avec rigueur quelque soit les difficultés matérielles rencontrées. Néanmoins, si la décision peut paraître sévère pour le praticien de prime abord, elle n’est qu’une application rigoureuse des textes relatifs à la signification (I)… obligeant le professionnel à surmonter bien souvent de nombreux obstacles (II).

I. De l’exigence des textes relatifs à la signification civile…

A. Une hiérarchie textuelle « en escalier »

Rappelons que le commissaire de justice exerce un office dans le cadre de ses activités monopolistiques dont la signification fait partie. Il doit s’obliger à être rigoureux et diligent lors de la délivrance de ses actes. La lecture des textes est manifeste à cet égard puisque l’article 654 du Code de procédure civile dispose que « la signification doit être faite à personne ». L’emploi de l’impératif n’est pas étranger et montre à quel point le législateur a souhaité que le destinataire de l’acte soit informé de la procédure en cours. Et ce n’est seulement, qu’à défaut et lorsque l'huissier de justice aura relaté dans l'acte les diligences accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification, (CPC, art. 655 N° Lexbase : L6822H7S) qu’il pourra être procédé à un mode subsidiaire de signification.

Il est important de noter que les articles 655 et suivants du Code de procédure civile sont rédigés au pluriel. S’agissant de l’article 655 du Code de procédure civile, il est bien fait état de « diligences accomplies »  ainsi que des « circonstances rendant impossible une telle signification ». En effet, lors de son retour à l’étude et de la régularisation de l’acte au répertoire, le commissaire de justice rédige informatiquement le procès-verbal de signification qui est « l’histoire » détaillée des démarches accomplies. À sa lecture, le Juge doit être en capacité d’identifier clairement les circonstances de la délivrance de l’acte. Et l’article 656 du Code de procédure civile n’en est que la suite logique, il s’agit bien aussi de « vérifications faites »… au pluriel ! Une fois seulement celles-ci accomplies, la signification à domicile est possible accompagnée d’un avis de passage et d’une lettre simple (CPC, art. 658 N° Lexbase : L6829H73). Rien de surprenant dès lors que la jurisprudence rejette la validité de l’acte lorsqu’elle ne repose que sur la seule vérification du nom inscrit sur la boîte aux lettres… et sans prénom de surcroît. Il s’agit d’une application littérale du texte.

Quid alors de la négligence ou de la passivité du débiteur de ne pas avoir procédé à son changement d’adresse ; ou même encore, pourrait-on y voir une forme d’inertie stratégique afin de faire tomber une procédure ultérieurement ?

Que nenni selon la Cour de cassation ; elle rejette toutes argumentations relatives à ces considérations. Le commissaire de justice doit effectuer plusieurs vérifications. Un point c’est tout. D’ailleurs, ces jurisprudences sont largement relayées dans les tribunaux judiciaires. Pour exemple, le président du tribunal judiciaire de Bordeaux a adressé il y a quelques mois déjà une note informant les commissaires de justice du ressort que les assignations seraient rejetées si le procès-verbal de signification ne mentionnait qu’une seule vérification du domicile. Dont acte.

B. Une hiérarchie garantissant le droit des parties

Si le commissaire de justice dispose d’un monopole en la matière, c’est notamment pour assurer la sécurité juridique des parties. Son déplacement ne doit pas être comparé à celui de La Poste ou d’un livreur de colis lambda. Combien de fois, chacun de nous, avons eu à râler à constater la présence d’un avis de passage postal dans sa boîte aux lettres alors que nous étions chez nous ? Le commissaire de justice attend, longtemps souvent, afin d’être sûr que le destinataire ne tarde tout simplement pas à ouvrir la porte, par crainte, méconnaissance ou parce qu’il n’a pas entendu frapper à la porte. Le commissaire de justice essaie de ne pas précipiter la signification dont peut dépendre la qualification de la décision à venir ou encore l’exercice de voies de recours. Par exemple, nous connaissons tous le texte relatif au délai d’opposition en matière d’injonction de payer qui ne court qu’à compter de la signification à personne du destinataire (moyen visant à saisir le juge initial de sa demande).

En outre, la signification à personne permet au justiciable d’avoir une lecture plus intelligible de l’acte quand les textes des procédures civiles d’exécution ne prévoient tout simplement pas des rappels verbaux. Tel est le cas par exemple en matière de saisie-vente, où au visa de l’article R. 221-17 Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2262ITX, est rappelé la faculté ouverte au débiteur de procéder à la vente amiable des biens saisis. Cette rencontre permet aussi de négocier, expliquer, solutionner.

Cette pluralité de vérifications assure également la sécurité juridique des parties dans le déroulé des procédures civiles d’exécution. Nous avons évoqué plus haut la procédure de saisie-vente laquelle permet la pénétration au domicile du débiteur en son absence lorsque le commissaire de justice est assisté des personnes visées par l’article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5822IR3. Quelles seraient les conséquences d’une saisie-vente dans la décision commentée alors même qu’une seule vérification du domicile a été opérée (et que le débiteur n’habite plus à l’adresse indiquée…) ?

Comme nous venons de le voir, la décision commentée est louable compte tenu notamment de la nature des dispositions textuelles et de la sécurité juridique des parties attachée, mais ce n’est pas sans soulever des difficultés matérielles pratiques pour le commissaire de justice.

II. Aux difficultés pratiques rencontrées par le commissaire de justice

A. Les obstacles matériels

La réalité du terrain auquel est confronté le commissaire de justice rend bien souvent difficile le strict respect des exigences textuelles et jurisprudentielles.

En effet, l’emploi du pluriel comme sus-évoqué peut générer des difficultés pratiques considérables. Plusieurs réalités sont à évoquer :

- il est bien rare, qu’en plus du nom sur la boîte aux lettres, figure le nom sur une sonnette ou un interphone. Et ceci s’observe tant pour les maisons individuelles que pour les appartements. Et si le nom figure toujours sur la boîte aux lettres, rien ne permet de garantir que les occupants des lieux sont encore ceux de l’acte à délivrer (voir pour preuve l’arrêt commenté).

- souvent l’accès est difficile, voire impossible, dans les résidences, s’assimilant alors à un vrai parcours du combattant : portillon codé, puis porte codée de la résidence, interphone identifié uniquement avec le numéro d’appartement. Alors le commissaire de justice attend le temps nécessaire afin qu’une personne ouvre la porte. Il vérifie sur les boîtes aux lettres le nom du requis (et il n’y a bien souvent que le nom… quand il y est…). Arrivé enfin à la porte de l’appartement, il ne peut constater que seul figure le numéro d’appartement sur la porte sans autres identifications supplémentaires… Et comme notre société est emprunte d’une communication entre voisins quasi inexistante en ville, si la jurisprudence l’y autorise [3] pourtant, le commissaire de justice aura du mal à obtenir la confirmation du domicile par ledit voisinage.

B. Aux solutions proposées

Compte tenu de nos développements précédents, il est aisé de comprendre que le commissaire de justice ne peut pas faire l’économie de plusieurs vérifications lors de la signification de ses actes. Alors, compte tenu des difficultés rencontrées, quelles pistes peuvent être envisagées afin de parfaire la signification civile ?

Comme l’a proposé un confrère et auteur [4], « la signification électronique peut contribuer à apporter une solution, mais recevoir un courriel d’un commissaire de justice est moins marquant que de l’entendre toquer à la porte ». Effectivement, et au-delà d’être certain que le mail ait bien été reçu et lu (à moins d’imaginer une adresse mail administrative conférée à son titulaire à vie et dès la naissance),  l’une des plus-values de l’acte de commissaire de justice est la rencontre physique avec le débiteur pour les raisons évoquées plus haut. Cet échange lui permet de réaliser et d’acter qu’une procédure existe et qu’elle n’est pas virtuelle.

Afin de répondre aux exigences jurisprudentielles, peut-on imaginer que la confirmation du domicile soit possible par tous moyens ? Et envisager une confirmation lato sensu ? Confirmation par le bailleur (lorsqu’il existe un bail à l’origine du litige) ?  Investigations via les réseaux sociaux (Instagram, TikTok, LinkedIn) pour ne citer qu’eux ?

Aussi, il était naguère possible de signifier un acte par remise au voisin ou au gardien de l’immeuble. Cette possibilité a disparu sans raisons apparentes. S’il est vrai, comme nous l’avons écrit plus haut, que les voisins sont souvent anonymes, il n’en est pas de même dans les villages ou zones plus rurales. En effet, comment justifier de la possibilité pour le commissaire de justice  d’interroger un voisin sur la réalité du domicile de son propre voisin sans lui laisser le choix de lui remettre l’acte ? Et le raisonnement peut s’étendre au gardien ! Certains y verront sans doute une violation du secret professionnel, car le commissaire de justice doit décliner son identité avant de signifier l’acte. Mais c’est oublier que l’acte est remis sous pli fermé, ne comportant d’un côté que le nom et adresse du destinataire de l’acte et de l’autre le cachet apposé sur la fermeture du pli. Rien n’oblige le commissaire de justice à en dire davantage.

Et somme toute, si toutes les recherches possibles demeurent vaines, que le commissaire de justice n’a finalement que le nom sur la boîte aux lettres, comment doit-il signifier son acte ? Dans pareille hypothèse, l’unique possibilité selon nous est de régulariser l’acte selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile en visant notamment dans la rédaction de ses diligences l’ arrêt de la Cour de cassation ici commenté.

In fine, cet arrêt appelle les praticiens à la plus grande prudence et dont les conséquences peuvent amener à l’anéantissement de la procédure [5] avec toute la responsabilité qui en découle… S’il est vrai que le « terrain » est bien souvent complexe, il ne faut pas oublier l'office du commissaire de justice et ses obligations attachées.


[1] Terme maintenu puisque l’institution de la nouvelle profession des commissaires de justice n’est officiellement instituée que depuis le 1er juillet 2022 et « tant qu’ils ne remplissent pas les conditions de formation à la profession de commissaire de justice, les professionnels en exercice au 1er juillet 2022 conservent leur titre d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire (ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, art.25, V N° Lexbase : L4070K8A).

[2] Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.291, F-P N° Lexbase : A02114KZ, T. Goujon-Bethan, Office de l’huissier significateur et négligence du destinataire, Dalloz actualité 19 mars 2021.

[3] Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-12.727, F-P+B+I N° Lexbase : A05863NZ

[4] S. Dorol, JCP G, 26 septembre 2022.

[5] T. Goujon-Bethan, L’office de l’huissier de justice significateur à l’épreuve des boîtes aux lettres, Dalloz actualité, 26 septembre 2022.

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