La lettre juridique n°911 du 23 juin 2022 : Procédure pénale

[Le point sur...] Numériser la procédure pénale : présent et perspectives de la procédure pénale numérique

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par Vincent Pénard, Avocat au Barreau d’Aix en Provence, Ancien membre du Conseil national des barreaux

le 22 Juin 2022

Mots-clés : procédure pénale numérique • PPN • PLEX • procédure nativement numérique • communication électronique pénale • CEP • e-Barreau

 Lancé en 2018 conjointement par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, le projet de Procédure Pénale Numérique (PPN) tire la conclusion qu’à l’instar du monde économique, le monde juridique est indiscutablement en train de basculer dans l’ère du numérique. Cette contribution se propose de présenter deux composantes fondamentales de ce projet ambitieux – la procédure nativement numérique et la communication électronique pénale – et d’évoquer les questions qu’elles soulèvent. 


 

Le ministère de la Justice s’est engagé dans un plan de transformation numérique, qui a pour ambition d’offrir la possibilité d’une dématérialisation totale des procédures civiles et pénales.

Parallèlement les magistrats et personnels de la Justice devaient disposer d’outils performants, les échanges avec les professionnels du droit devaient être facilités, les justiciables devaient avoir la possibilité de suivre leurs affaires en ligne, l’orientation des détenus devait être facilitée, ils devaient bénéficier de services en ligne (cantine, formations), leurs proches devaient pouvoir effectuer des démarches en ligne (demande de visite au parloir, envoi d’argent). Les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse devaient être suivis plus efficacement.

Cette transformation numérique de la Justice et de la société pose diverses questions juridiques et sociétales, qu’il s’agisse du droit applicable aux outils numériques, de la protection des droits fondamentaux (liberté d’expression, liberté d’entreprendre, droit à la vie privée, droit à l’oubli, propriété et exploitation des données, droit d’auteur, etc.), mais aussi de la redéfinition de la fonction du juge.

Haffide Boulakras, directeur du projet PPN, s’est félicité dès 2020 de l’avancée majeure des discussions entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux [1].

Interrogé le 2 décembre 2020 par le service communication du ministère de la Justice [2], Flavien Fouquet, Magistrat en détachement à la DACG rappelait que :

« Dorénavant, la version papier n’est plus la seule à avoir une valeur juridique, comme cela a été le cas pendant des centaines d’années.

La procédure pénale peut être entièrement numérique, de bout en bout, c’est-à-dire depuis la plainte de la victime jusqu’au jugement.

C’est un gain pour les professionnels du droit, notamment pour les avocats, qui pourront disposer plus rapidement des procédures nécessaires à la défense des intérêts de leurs clients.

C’est aussi un allégement certain des formalités diverses qui pèsent au quotidien sur les policiers et gendarmes car la procédure pénale numérique permet de simplifier les enquêtes.

C’est également un gain pour les agents du ministère de la Justice qui ont des missions d’archivage, de manutention et de reprographie. Ils pourront gagner du temps et se recentrer sur le cœur de leurs missions.

Passer d’un monde papier à un monde numérique ne peut pas se faire du jour au lendemain. Cela nécessite le développement de nouvelles applications informatiques, l’adaptation des méthodes de travail et un accompagnement fort des professionnels du droit et des personnels du ministère de la Justice.

Deux tribunaux, celui d’Amiens et de Blois, expérimentaient depuis un an cette nouvelle manière de travailler. Le premier bilan de l’expérimentation de la dématérialisation des procédures pénales dans ces tribunaux est très positif. Dans ces deux juridictions, plusieurs milliers d’affaires ont déjà été traitées de manière numérique.

En d’autres termes, ce qui paraissait impossible il y a quelques années devient une réalité. »

Il faut rappeler que PPN est un projet très ambitieux composé de multiples briques dont nous retiendrons en l’état deux éléments nous apparaissant fondamentaux : la procédure nativement numérique d’une part et la communication électronique pénale d’autre part.

La procédure nativement numérique, en phase de test depuis 2020, est juridiquement devenue la règle depuis le 14 janvier 2022.

Cette révolution consiste en définitive, à procédure pénale constante, à faire disparaître le papier au profit d’une procédure nativement numérique depuis le début de l’enquête jusqu’à la décision définitive, voire jusqu’au post-sentenciel.

Le défi technique n’est pas anodin dans la mesure où les questionnements suivants sont apparus très tôt :

  • comment stocker les données ? Sous quel format ? Quelles possibilités de réversibilité ou d’évolution du format ?
  • si la procédure pénale n’est pas modifiée du fait de la procédure nativement numérique (droit constant), comment le juge peut-il contrôler la régularité de la procédure ?
  • comment les auxiliaires de justice auront-ils accès à la procédure ? Pourront-ils intervenir numériquement également ?
  • les services d’enquête sont-ils dotés de systèmes informatiques compatibles et dimensionnés pour accepter ce nouveau mode de construction d’une procédure pénale ?

Autant de questions qui trouvent, parfois de manière empirique, des réponses au fur et à mesure du déploiement de PPN sur le territoire national.

Retenons, par souci de simplicité, et du fait de notre point de vue, que la procédure nativement numérique, à condition d’être intégrale pour une procédure donnée, comporte des avantages certains, mais aussi des inconvénients :

  • rapidité d’accès aux données à tous les stades de la procédure, fluidité de la communication entre les différents enquêteurs et avec l’autorité judiciaire décisionnaire, ce qui permet, notamment pour les magistrats du parquet, de prendre des décisions avec une connaissance quasi complète de la procédure ;
  • indépendamment de la possibilité pour le juge de contrôler la régularité de la procédure nativement numérique, le développement induit par PPN ne résout pas l’absence d’accès par les parties ou leurs avocats au contenu de la procédure avant les différentes phases contradictoires de la procédure pénale actuelle (déferrement, audience de jugement, mise ne examen et instruction préparatoire).

Gageons que les conclusions prochainement publiques du rapport Sauvé des États généraux de la justice offriront au Garde des Sceaux différentes propositions à mettre en œuvre, notamment pour un meilleur contradictoire de la procédure pénale dématérialisée dans un premier temps, nativement numérique dans un second.

Gageons aussi qu’à l’horizon 2024-2025, le système informatique abritant PPN permettra, durant la phase d’instruction préparatoire, une consultation de la procédure en temps réel.

La communication électronique pénale (CEP) permet les échanges entre les juridictions et les avocats.

À titre de bref rappel chronologique, il faut se souvenir que la lecture combinée des articles 803-1 N° Lexbase : L1638MAW, D. 591 N° Lexbase : L3966MCU et suivants et R. 165 N° Lexbase : L0076H39 du Code de procédure pénale permettait, sous réserve de la conclusion de conventions préalables entre les juridictions et les barreaux, de communiquer électroniquement en matière pénale.

Dès avant la crise sanitaire, la Chancellerie a lancé la mise en place de la plateforme PLEX (Plateforme d’échanges externes), dont la mise en service a vu le jour le 24 avril 2020 pour se développer jusqu’à sa pérennisation au mois de mai 2021.

L’idée de principe est d’utiliser la messagerie d’e-Barreau (plateforme d’échanges sécurisée entre les avocats et les juridictions) pour communiquer avec les juridictions et échanger des liens hypertextes ce qui permettait d’envoyer des volumes importants.

Indépendamment des blocages politiques et techniques, le CNB et la chancellerie ont pris conscience des besoins des juridictions et des avocats au cours de la crise sanitaire et de l’état d’urgence.

C’est ainsi que deux conventions ont été régularisées entre la chancellerie et le CNB. Une première le 24 avril 2020, relative à la communication électronique pénale, et une seconde le 12 mai 2020, pour l’utilisation du logiciel PLEX, dont l’application a été prorogée par avenant jusqu’au 10 décembre 2020.

Plus précisément, la plateforme PLEX (plateforme de communication du ministère de la Justice) est accessible aux magistrats et greffiers d’une part et aux avocats d’autre part. À date, PLEX est exclusivement utilisé pour les notifications émises par les juridictions et les délivrances des copies de procédure.

La mise en œuvre de PLEX fut un vrai succès avec 7 000 avocats inscrits à fin octobre 2021 depuis la mise en œuvre et une appropriation de l’outil assez rapide qui a permis notamment plus de 900 000 délivrances de procédures par voie dématérialisée en période de reprise d’activité à ce jour.

Parallèlement, les évènements depuis le 16 mars 2020 ont conduit le CNB à réinvestir le champ de la communication électronique pour permettre, en temps de crise comme en temps normal, d’opérer franchement un virage numérique de la communication entre les avocats et les juridictions.

C’est ainsi que la rédaction d’une convention de communication électronique pénale a été entreprise et signée le 5 février 2021 entre le Garde des Sceaux et le président du CNB.

Cette convention est nationale du fait de l’absence de territorialité de l’exercice de l’avocat et de la nécessité absolue que les modalités d’exercice de la CEP soient identiques sous tout le territoire.

L’objectif de fond est de permettre à terme aux avocats de pouvoir effectuer par la CEP toute demande, tout acte, tout dépôt de document, depuis le dépôt de plainte entre les mains du procureur de la République jusqu’à la requête en aménagement de peine afin de couvrir l’intégralité de la procédure pénale, en ce compris l’inscription de recours et les demandes et échanges en matière de contentieux de la liberté.

La signature d’une telle convention nécessitait des prérequis techniques, organisationnels et juridiques a minima, notamment des modifications textuelles décrétales (D. 590 N° Lexbase : L4542IYU et suivants du Code de procédure pénale) dans un premier temps, sans doute législatives par la suite.

Les intervenants de la chancellerie (direction PPN, DSJ et DACG notamment) et les membres du groupe de travail côté CNB se sont accordés sur le fond de la convention et sur les modifications textuelles pré requises.

Dans un premier temps, le périmètre de la convention recouvre la rédaction actuelle de l’article D. 591 du Code de procédure pénale en excluant toute territorialité.

Afin d’éviter d’avoir à modifier le texte de la convention, les rédacteurs, côté ministère comme côté CNB, ont privilégié des renvois aux textes applicables.

L’évolution probable, au cours des trois prochaines années, de l’article D. 591 du Code de procédure pénale devrait permettre d’élargir le périmètre des actes soumis à la CEP, notamment pour inclure dans le périmètre de la convention le contentieux de la liberté, les voies de recours et le post sentenciel.

Sur ces trois derniers points, l’état des discussions est encourageant.

À terme, l’ambition des parties est de permettre à l’avocat comme à la juridiction de pouvoir échanger par voie électronique dans tous les domaines du droit pénal.

Une phase transitoire faisant coexister les deux types de communication (actuelle d’une part et électronique d’autre part) est prévue sur une période qui devra être la plus brève possible pour accélérer le changement de culture des acteurs. Un délai de deux années doit permettre à minima un investissement des acteurs dans la numérisation de la communication, soit un basculement numérique à la fin de l’année 2023.

 

[1] Gazette du Palais, 2 juin 2020, p. 5

[2] Interview réalisée par le ministère de la Justice – SG – DICOM – D. Arnaud, Dématérialisation de la procédure pénale, 2 décembre 2020 [en ligne].

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