La lettre juridique n°911 du 23 juin 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Obligation de délivrance du bailleur et règles d’urbanisme

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2022, n° 21-11.602, FS+B N° Lexbase : A58527YE

Lecture: 25 min

N1924BZB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Obligation de délivrance du bailleur et règles d’urbanisme. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/85852520-jurisprudence-obligation-de-delivrance-du-bailleur-et-regles-durbanisme
Copier

par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

le 21 Septembre 2022

Mots-clés : bail commercial • local édifié sans permis de construire • destination de commerce de pizzas à emporter • obligation de délivrance • exploitation du local conformément à sa destination (non) • défaut de conformité (oui) • manquement du bailleur à son obligation de délivrance (oui) • résolution du bail aux torts du bailleur (oui).

L’obligation de délivrance, qui prend une coloration particulière dans le cadre du bail commercial en raison de la finalité spécifique de ce contrat spécial ayant vocation à permettre l’exercice d’une activité économique, fait l’objet d’un contentieux abondant tant s’agissant de son contenu que de son étendue. La présente décision offre une nouvelle occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur les contours de l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur de locaux commerciaux. Elle rappelle d’abord, au visa de l’article 1719 du Code civil, que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

Elle retient ensuite qu’en rejetant la demande en résolution du bail, aux motifs que le locataire exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers alors qu’elle relève que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte précité.


 

1. Cet arrêt vient s’ajouter aux décisions déjà rendues par la Haute juridiction à propos des contours de l’obligation de délivrance dont est tenu le bailleur vis-à-vis de son locataire, s’agissant spécifiquement de la conformité des locaux aux règles d’urbanisme. La solution n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la droite ligne jurisprudentielle établie en la matière.

2. Dans l’affaire litigieuse, des consorts ont consenti un bail commercial, le 1er juillet 2009, à une société portant sur un local édifié sans permis de construire, à destination de commerce de pizzas à emporter. La conclusion dudit bail s’est faite à la suite de l’acquisition du fonds de commerce. À la requête de la société locataire, une expertise judiciaire a été diligentée afin d'établir la situation administrative de toute la construction au regard des permis et certificat de conformité. En l'état de ce rapport, l’entreprise locataire a attrait les bailleurs devant le tribunal de première instance de Papeete, par requête enregistrée le 30 juillet 2012 et assignations des 25, 26 et 30 juillet 2012, en sollicitant principalement la résiliation du bail commercial aux torts exclusifs des bailleurs, avec effet rétroactif, ainsi que leur condamnation au paiement de différentes sommes au titre de l'indemnité d'éviction et du remboursement des loyers indûment versés.

3. Par jugement du 10 septembre 2018, le tribunal civil de Papeete a prononcé la résiliation judiciaire du bail commercial signé le 1er juillet 2009 à compter de la date du jugement et condamné les consorts bailleurs à payer la somme de 614 600 FCP à la société locataire. Suivant requête enregistrée au greffe le 1er février 2019, cette dernière a relevé appel de la décision de première instance. À l’appui de son appel, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de se prononcer sur la résiliation du bail aux torts exclusifs des bailleurs, mais à l'effet rétroactif à compter de cette date et en visant, tout à la fois, la condition résolutoire toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques par application de l'article 1184 du Code civil N° Lexbase : L1286ABA et l'existence d'un dol, sanctionné par la nullité du contrat conformément aux dispositions de l'article 1116 du même code N° Lexbase : L1204AB9, et de condamner les bailleurs à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts liés au manque à gagner et à la perte éprouvée en ce que le fonds de commerce est invendable, au remboursement des loyers ainsi qu’au chiffre d'affaires pondéré. La cour d’appel [1] rejette la demande de l’appelante en résolution du bail, puisqu’il n'est pas établi que les bailleurs ont commis des manœuvres telles sans lesquelles la société preneuse n'aurait pas contracté, alors que les clauses du bail permettaient l'exploitation paisible du commerce envisagé.

S’agissant ensuite de la résiliation, la cour d’appel rejette également la demande aux motifs que l’entreprise locataire exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers, après avoir relevé, de façon assez paradoxale, que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

En revanche, elle considère qu’il s'évince des dispositions combinées des articles 1721, alinéa 2 N° Lexbase : L1843ABU, et 1147 N° Lexbase : L1248ABT du Code civil, applicables en Polynésie française, que le bailleur est tenu d'indemniser le preneur des pertes causées par le défaut de la chose louée, en particulier lorsque ce défaut résulte de sa faute, de sorte que les bailleurs ont commis une faute, à l'origine du défaut de conformité de la chose louée, ayant causé à l'appelante des préjudices qu'il leur incombe de réparer.

Insatisfaite de cette décision, la société locataire se pourvoit en cassation.

Selon un premier moyen, elle reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de résolution du bail aux torts des bailleurs et en réparation de ses préjudices, alors « que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que pour juger que la société locataire ne démontre pas que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'elle exploitait le local litigieux conformément à sa destination, qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996, qu'elle ne produisait pas de courrier de l'administration lui enjoignant de quitter les lieux et que selon l'expert, l'absence de régularité de la situation administrative du local n'avait pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire "consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1719 du Code civil N° Lexbase : L8079IDL ».

Cet argumentaire emporte la conviction des Hauts conseillers qui cassent et annulent l’arrêt d’appel, en toutes ses dispositions, et remettent l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoient devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée. À ce titre, ils rappellent d’abord, au visa de l’article 1719 du Code civil, que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Ils en déduisent ensuite que la cour d’appel, en rejetant la demande de la société preneuse en résolution du bail, aux motifs qu'elle exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers, alors qu’elle relève que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé.

4. Cette solution apparaît pleinement cohérente et justifiée. Il est évident qu’un défaut de conformité des locaux aux règles d’urbanisme caractérise bien un manquement du bailleur à son obligation de délivrance (I). Quant à la sanction d’un tel manquement, s’il en existe plusieurs, celle de la résolution semble justifiée (II).

I. La caractérisation d’un manquement à l’obligation de délivrance

5. Dans le silence du statut des baux commerciaux, celui-ci ne définissant pas les obligations des parties dans les articles L. 145-1 N° Lexbase : L2327IBS à L. 145-60 du Code de commerce, il faut s’en remettre au droit commun du bail régi par les articles 1714 N° Lexbase : L1775IEH et suivants du Code civil [2]. Concernant précisément l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur, ce sont les articles 1719, 1° et 1720, alinéa 1er N° Lexbase : L1842ABT, qui s’appliquent. Ce n’est qu’à la marge que le statut des baux commerciaux a eu une incidence sur l’obligation de délivrance dans ses articles L. 145-40-2 N° Lexbase : L4976I3P et R. 145-35 N° Lexbase : L7051I4W [3]. Le législateur ne définit pas l’obligation de délivrance et se contente d’instituer l’obligation sans la définir. L’article 1719, 1° dispose que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée ». Et l’article 1720, alinéa 1er, ajoute que « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce ». La notion d’obligation de délivrance s’est donc construite au gré des décisions jurisprudentielles et des interprétations doctrinales. Au-delà de la question centrale relative à la marge de liberté contractuelle, cette obligation a soulevé d’autres questionnements, notamment ceux de son contenu exact, de son autonomie par rapport à ses obligations voisines ou encore de sa conception temporelle. C’est justement sur un de ces derniers points que l’arrêt soumis à notre analyse revient.

6. De façon analytique, l’obligation de délivrance correspond à une double prestation : une prestation de mise à disposition et une prestation de mise en état conforme de la chose louée [4]. Ces deux prestations, qui ancrent le contenu de l’obligation de délivrance, comprennent l’ensemble des actions qui assurent la mise à disposition de la chose et qui tendent à mettre cette chose dans un certain état matériel, fonctionnel ou juridique. D’un point de vue fonctionnel, cette même obligation a pu être définie comme une mise en capacité d’exercice de l’activité économique du preneur, justifiant ainsi son caractère essentiel [5] et paralysant toute clause qui porterait atteinte à sa substance [6]. Obligation première du bailleur, elle permet la réalisation de la finalité du bail commercial qui n’est autre que l’exercice du droit de jouissance et donc le retrait des utilités du bien loué. L’obligation de délivrance trouve ses prolongements dans d’autres obligations dont elle se distingue : obligations d’entretien, de jouissance paisible, de réparation et de garantie des vices cachés [7]. Aussi, la délivrance est une obligation continue qui perdure pendant toute la durée du bail [8]. Cette obligation à la structure duale affiche un contenu particulièrement vaste. En effet, celle-ci implique de mettre à la disposition du locataire une chose dans un état conforme non seulement au regard du contrat (volonté des parties), mais également de la loi, des règlements et du juge [9]. On assiste à une standardisation de la conformité de la chose à délivrer notamment eu égard aux règles d’urbanisme. Ce faisant, compte tenu de ces caractéristiques, la troisième chambre civile ne pouvait que caractériser un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance en présence d’un local donné à bail alors que celui-ci a été édifié en infraction aux règles d’urbanisme.

7. Effectivement, pour censurer la solution de la cour d’appel, la Cour de cassation vise précisément l’article 1719 du Code civil et en rappelle la teneur en indiquant que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Cela lui permet d’en déduire que les juges du fond auraient dû reconnaître un manquement du bailleur à son obligation de délivrance dans la mesure où ils avaient bien pris acte que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir et ce, même si dans les faits, les locaux ont pu être exploités conformément à leur destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et si l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas eu d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce. Il est évident que la location d’un bien immobilier édifié sans permis de construire constitue un défaut de conformité justifiant un manquement du bailleur à son obligation de délivrance : « pour satisfaire son obligation de délivrance, le bailleur doit délivrer un local ayant une destination contractuelle conforme aux règles d’urbanisme en vigueur, conforme à la destination et l’usage que le bien peut effectivement recevoir au regard des règles d’urbanisme » [10]. La Cour de cassation l’a déjà affirmé à propos d’un bail rural consenti pour un parc de chasse dont les terres ne pouvaient être utilisées conformément à cette destination [11]. Il en va de même pour le bailleur qui ne vérifie pas si la chose louée pouvait être affectée à l'usage prévu au bail, alors qu’une disposition du POS empêchait l’exercice de l’activité prévue [12], qui ne délivre pas des locaux susceptibles d'être affectés à un usage commercial au regard de la loi [13] ou qui loue un local pour l'exploitation d'un centre équestre, avec une clause de destination « tous commerces » alors que le maire de la commune rejette une demande de permis de construire pour l'édification d'un restaurant [14]. Dans cette logique, l'autorisation administrative prévue par la loi doit être obtenue par le propriétaire bailleur préalablement à la signature du bail initial [15]. A minima, celui-ci doit au moins s’assurer qu’il est possible de l’obtenir, d’autant plus qu’une régularisation postérieure est sans effet [16]. Aussi, dans la mesure où l’obligation de délivrance doit mettre en capacité le preneur d’exercer son activité économique, il semble logique que le droit de l’urbanisme, dont le but est de prescrire des contraintes d’intérêt général [17] participant ainsi à la protection de l’activité économique, voit ses règles intégrer le champ de l’obligation de délivrance [18].

Un tel manquement étant établi, il pouvait dès lors être sanctionné.

II. La sanction d’un manquement à l’obligation de délivrance

8. Les manquements à l’obligation de délivrance peuvent être sanctionnés de diverses manières, notamment par la résolution du bail [19]. Si le droit positif prévoit plusieurs mécanismes pour sanctionner le bailleur d’un manquement à son obligation de délivrance, les règles d’attribution ou de choix de ces sanctions sont très sommaires. Au-delà du choix discrétionnaire du preneur de demander telle ou telle sanction et de la hiérarchie découlant du nouvel article 1217 du Code civil N° Lexbase : L1986LKR [20], de la mise en demeure préalable [21], de la gravité de l’inexécution, du coût déraisonnable ainsi que de l’appréciation du juge [22], aucune autre règle ne gouverne l’attribution et la combinaison des sanctions. C’est la raison pour laquelle une sanction peut tout à fait être adaptée dans sa nature, par l’objectif qu’elle poursuit, mais se révéler inefficace parce qu’elle a été préférée à une autre sanction et appliquée dans un contexte qui ne s’y prêtait pas [23]. S’agissant spécifiquement de la résolution du contrat, celle-ci doit remplir certaines conditions. C’est sur ce point que la solution commentée invite à réfléchir en second lieu.

9. En matière de contrats à exécution successive, dont le bail est l’exemple topique, c’est l’arrêt du 30 avril 2003, qui marque la possibilité de demander la résolution [24], bien que celle-ci ait déjà été prononcée auparavant lorsque les locaux commerciaux, devant être délivrés à usage de commerce, étaient impropres à leur destination et alors que le bailleur ne prouvait pas qu'il avait avisé le preneur de la situation administrative du terrain [25]. Depuis la réforme des contrats, l’article 1226, nouveau, du Code civil N° Lexbase : L0937KZQ offre la possibilité au créancier, outre le jeu d’une clause résolutoire formulée au profit du locataire [26] et réglementée par l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE, de résoudre le contrat par voie de notification, à ses risques et périls et à condition qu’il ait préalablement mis en demeure, sauf urgence, le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable [27]. L’article ajoute que la mise en demeure doit mentionner expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat, ce qui signifie que la sanction n’est pas automatique [28]. La résolution devra être motivée, sachant que le débiteur pourra, à tout moment, saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier devra alors prouver la gravité de l'inexécution. En principe, la résolution du bail, en ce qu’elle ne produit pas d’effet pour le passé et n’entraîne des restitutions qu’à partir du moment où le contrat a commencé à ne plus être exécuté correctement par le débiteur bailleur, donne lieu à la restitution des loyers perçus uniquement après l’inexécution [29]. Aussi, le preneur ne sera pas tenu au versement des loyers, mais seulement à celui d’une indemnité d’occupation correspondant à la valeur locative du bien [30]. Toutefois, par un arrêt inédit du 15 octobre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a censuré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, un arrêt d’appel ayant prononcé la résolution d’un bail commercial pour manquement du bailleur à son obligation de délivrance et condamné le locataire à verser une indemnité d’occupation au bailleur, au motif que ce dernier n’avait tiré aucun avantage de la mise à disposition des lieux [31]. Dans ces conditions, le défaut de délivrance pouvait donner lieu à la résolution du contrat de bail.

10. Justement, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande en résolution du bail pour manquement à l’obligation de délivrance. De plus, en application de l'article 624 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7853I4M, il s’en infère que la cassation à intervenir sur le pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées par le moyen du pourvoi incident fixant le montant des préjudices subis par la société locataire, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

En l’occurrence, puisqu’un défaut de délivrance conforme était caractérisé et que la gravité de celui-ci ne faisait a priori pas de doute, la régularisation du permis étant manifestement impossible, la cour d’appel aurait dû accueillir la demande en résolution du bail. En effet, le refus de permis de construire a déjà été considéré comme suffisamment grave pour justifier la résolution d’un bail commercial [32]. En conséquence, la résolution devrait donner lieu au versement d’une indemnité d’occupation puisque dans les faits, le local a vraisemblablement pu être exploité. Quant à l’allocation d’une indemnisation sur le fondement du défaut d'exécution de l'obligation de délivrance du bailleur, sanction qui peut se cumuler avec la résolution, encore faut-il que le locataire démontre l'existence de son préjudice [33]. Ceux-ci peuvent être de natures diverses : préjudice de jouissance, perte financière, préjudice matériel, préjudice moral ou corporel, perte de chance [34]. Dans l’espèce litigieuse, le préjudice invoqué se matérialise par des troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, et pourrait en principe occasionner l’allocation de dommages et intérêts.

11. Par ailleurs, les rédacteurs de baux commerciaux, qui sont en première ligne en ce qu’ils sont tenus d’assurer la validité et l’efficacité des actes qu’ils rédigent ainsi que d’un devoir de conseil, devront faire preuve de rigueur et vigilance à propos de la destination administrative et l’usage des lieux loués [35] dans la mesure où ils peuvent engager leur responsabilité. Une telle responsabilité peut être reconnue tant vis-à-vis du bailleur qui manque à son obligation de délivrance qu’à l’égard du preneur qui n’a pas été correctement informé au moment de la conclusion du bail ou de la cession du droit au bail accompagnant la cession du fonds de commerce [36]. En pratique, la réalisation d’un audit juridique de l’immeuble objet du bail est donc conseillée.

 

[1] CA Papeete, 30 janvier 2020, n° 19/00028 N° Lexbase : A14723EA.

[2] F. Auque, Les baux commerciaux. Théorie et pratique, LGD., 1996, p. 6, n° 6 ; C. Denizot, Droit civil et bail commercial, th. Paris XI, 2003, p. 214 et s., n° 251 et s.

[3] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A. M. Luciani, L’Harmattant, 2021, p. 49, n° 20, p. 155, n° 126, p. 285-287, n° 281 et s.

[4] Ibid., p. 67 et s., n° 41 et s.

[5] Ibid., p. 243 et s., n° 217 et s., p. 291 et s., n° 285 et s.

[6] Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P, JCP E, septembre 2008, n° 38, pan. 2131, p. 25 ; JCP N, juillet 2009, n° 29, chron. 1241, p. 24, obs. H. Kenfack ; AJDI, novembre 2008, n° 11, p. 841, obs. V. Zalewski ; Dalloz Actualité, 15 juillet 2008, obs. Y. Rouquet ; D., septembre 2008, n° 29, p. 1999, obs. Y. Rouquet ; RLDA, novembre 2008, n° 32, act. 1922, p. 19, note H. Kenfack ; RLDA, octobre 2008, n° 31, act. 1870, p. 43, obs. M. Filiol de Raimond ; Rev. loyers, octobre 2008, n° 890, jur. 821, p. 432, note B. Humblot-Gignoux ; RLDC, octobre 2008, n° 53, act. 3140, p. 16, obs. V. Maugeri  – Cass. civ. 3, 2 juillet 2013, n° 11-28.496, F-D N° Lexbase : A5551KIG, Loyers et copr., octobre 2013, n° 10, comm. 280, p. 27, obs. E. Chavance ; AJDI, mai 2014, n° 5, p. 376, obs. C. Dreveau – Cass. civ. 3, 6 mars 2012, n° 11-14.156, F-D N° Lexbase : A3889IER, AJDI, mai 2012, n° 5, p. 348 – Cass. civ. 1, 11 octobre 1989, n° 88-14.439 N° Lexbase : A8594AHR – CA Paris, 5-3, 1er juin 2011, n° 10/03286 N° Lexbase : A1727HT7, AJDI, juin 2012, n° 6, p. 427 – CA Paris, 5-3, 16 janvier 2013, n° 10/23656 N° Lexbase : A3787I3N, AJDI, septembre 2013, n° 9, p. 612 ; AJDI, décembre 2014, n° 12, p. 898, chron. J.-P. Blatter.

[7] V. sur la distinction de l’obligation de délivrance par rapport à se sobligations voisines : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 208 et s., n° 184 et s.

[8] V. pour la démonstration du caractère continu de l’obligation de délivrance : ibid., p. 329 et s., n° 335 et s.

[9] Ibid., p. 83 et s., n° 57 et s., p. 106 et s., n° 85 et s.

[10] Ibid., p. 110, n° 87.

[11] Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-28.170, FS-P+B N° Lexbase : A1513IZ3.

[12] Cass. civ. 3, 2 juillet 1997, n° 95-14.151, publié N° Lexbase : A1836ACY, JCP G, septembre 1997, n° 39, somm. 1865, p. 292 ; JCP E, septembre 1997, n° 39, act. 973, p. 331 ; AJDI, juin 1994, n° 6, p. 455, obs. J.‑P. Blatter.

[13] Cass. civ. 1, 20 février 2001, n° 99-13.848, inédit N° Lexbase : A3266ARE.

[14] Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n° 08-16.734, FS-D N° Lexbase : A1541EPR, RJDA, février 2010, n° 2/10, obs. 123, p. 130.

[15] Cass. civ. 3, 29 avril 2002, n° 00-20.213, F-D N° Lexbase : A5569AYW, Rev. loyers, juillet 2002, n° 829, p. 410, an. M.‑O. Vaissié.

[16] En matière de changement d’usage, la jurisprudence refuse toute régularisation ultérieure : E. Briand, Bail et changement d’usage, Rev. loyers, avril 2012, n° 926, doctr. 1432, p. 146 ; Cass. civ. 3, 14 février 2012, n° 11-10.559, F-D N° Lexbase : A8604ICN, AJDI, avril 2012, n° 4, p. 269 ; AJDI, décembre 2013, n° 12, p. 882, chron. J.-P. Blatter ; Cass. civ. 3, 29 avril 2002, n° 00-20.213, F-D N° Lexbase : A5569AYW, Rev. loyers, juillet 2002, n° 829, p. 410, an. M.-O. Vaissié ; Cass. civ. 3, 7 avril 2004, n° 02-19.062, FS-D N° Lexbase : A8348DBS, AJDI, décembre 2004, n° 12, somm. p. 882, obs. S. Porcheron.

[17] J. Morand-Deviller et S. Ferrari, Droit de l’urbanisme, op. cit., p. 1.

[18] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 283-284, n° 276.

[19] V. sur les sanctions d’un manquement à l’obligation de délivrance : ibid., p. 520 et s., n° 588 et s., spéc. p. 557, n° 605.

[20] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, in R. Schulze (dir.), G. Wicker (dir.), G. Mäsch (dir.), D. Mazeaud (dir.) et alii, La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, Société de législation comparée, 2015, p. 153 ; M. Faure-Abbad, Un nouveau système pour l’inexécution du contrat, in G. Pignarre (dir.) et alii, Le droit des obligations d’un siècle à l’autre, Dialogues autour de la réfrome du titre III du livre III du Code civil, LGDJ, 2016, p. 197.

[21] Cass. civ. 3, 14 juin 2018, n° 17-15.426, F-D N° Lexbase : A3175XRZ, AJDI, septembre 2018, n° 9, p. 607.

[22] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, art. cit. ; M. Faure-Abbad, Un nouveau système pour l’inexécution du contrat, art. cit.

[23] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 519, n° 557, p. 627-629, n° 675-676.

[24] Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-14.890, FP P+B+R+I N° Lexbase : A7549BSE, Loyers et copr., octobre 2003, n° 10, comm. 196, p. 10, note B. Vial-Pedroletti ; JCP G, mars 2004, n° 10, comm. II 10031, p. 402, note Ch. Jamin ; D., juin 2003, n° 21, p. 1408 ; Ann. Loyers, mai 2003, n° 5, p. 750, note Ch. Atias ; Rev. loyers, 2003, n° 839, p. 407, note B. Humblot-Gignoux.

[25] CA Versailles, 12ème ch., 14 décembre 1989, D., septembre 1990, n° 31, p. 259, obs. L. Rozès.

[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 559-560, n° 607.

[27] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, art. cit.

[28] O. Gout, La montée de la place de l’unilatéralisme dans les sanctions de l’inexécution du contrat, art. cit..

[29] A. Pinna, La mesure du préjudice contractuel, op. cit., p. 368, n° 395.

[30] Ibid., loc. cit. et p. 395, n° 421.

[31] Cass. civ. 3, 15 octobre 2014, n° 13-24.285, FS-D N° Lexbase : A6558MYK, AJDI, janvier 2015, n° 1, p. 43.

[32] Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n°  08-16.734, préc.

[33] CA Paris, 1ère ch., sect. G, 19 mai 1999

[34] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 548-550, n° 593.

[35] J. Monéger, Articulation entre destination des lieux au sens des baux commerciaux et affectation des locaux au sens de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, JCP E, février 2000, n° 6, p. 224.

[36] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 574-594, n° 630-634 ; Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-17.518, F-P+B N° Lexbase : A5235NUG, Resp. civ. et assur., janvier 2016, n° 1, comm. 17, p. 12 ; JCP N, novembre 2015, n° 46, act. 1076, p. 5 ; Defrénois, janvier 2016, n° 2, p. 78, note L. Ruet ; CA Paris, 16ème ch., sect. A, 22 février 1994, n° 91/17773 N° Lexbase : A9993DET – CA Paris, 1ème ch., sect. G, 3 janvier 1999 et CA Paris, 16ème ch., sect. A, 3 février 1999, n° 1996/86915 N° Lexbase : A5937A4N, JCP E, février 2000, n° 6, p. 224, obs. J. Monéger.

newsid:481924

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.