La lettre juridique n°911 du 23 juin 2022 : Voies d'exécution

[Pratique professionnelle] La mise à prix : le cas de la licitation

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N1894BZ8

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par Denis Talon, avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien membre du Conseil de l’Ordre et du Conseil national des Barreaux, ancien Président de Droit & Procédure, et Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

le 22 Juin 2022

Mots-clés : licitation • indivision • vente forcée • mise à prix • vente aux enchères • bien indivis

La licitation, c’est la vente aux enchères d’un bien indivis pour permettre le partage de son prix et la fin de l’indivision. Comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix est le point de départ des enchères, mais ce n’en est pas le point d’arrivée. Le risque en matière de licitation est qu’il n’y ait aucun enchérisseur, empêchant de mettre fin à l’indivision. C’est pourquoi, comme en matière de saisie immobilière, les auteurs des présentes lignes proposent une fourchette basse pour le montant de la mise à prix, de l’ordre de 30 % de la valeur vénale raisonnablement prévisible du bien. Cela a pour but d’attirer les amateurs, mais peut aussi permettre à un indivisaire de garantir que la vente se fasse, en prévoyant de se porter adjudicataire du bien pour un prix qu’il peut payer.


 

Cet article est le second d’une série sur la mise à prix. Il traite de la mise à prix en matière de licitation. Le premier traitait de la mise à prix en matière de saisie immobilière (D.Talon, Ch. Simon, La mise à prix : le cas de la saisie immobilière, Lexbase Droit privé, n° 908 N° Lexbase : N1589BZU). Nous ferons, tout d’abord, un rappel sur la notion de licitation (I), puis nous développerons la question spécifique de la fixation de la mise à prix et des risques associés (II). Enfin, nous conclurons en formulant des recommandations quant à la fixation de son montant (III).

I. Rappel sur la notion de licitation

A. Définition de la licitation

Si la notion de saisie immobilière est largement connue et s’explique d’elle-même (c’est la saisie d’un immeuble), ce n’est pas le cas de la licitation. Son régime général est fixé aux articles 1686 N° Lexbase : L1796AB7 à 1688 N° Lexbase : L1798AB9 du Code civil. Ces articles se trouvent au Livre III (« Des différentes manières dont on acquiert la propriété ») ; Titre IV (« De la vente ») ; Chapitre VII (« De la licitation »).

L’article 1686 du Code civil délimite à la fois le cadre dans lequel la licitation intervient et la façon dont elle se résout :

« Si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ;

Ou si, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s'en trouve quelques-uns qu'aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre,

La vente s'en fait aux enchères, et le prix en est partagé entre les copropriétaires. »

Trois éléments fondamentaux se dégagent de cet article :

  • la licitation concerne le cas où un bien qui n’est pas aisément divisible est juridiquement en indivision entre plusieurs personnes. Ce peut être un bien meuble non fongible, par exemple un tableau. C’est cependant bien souvent un immeuble, cas qui nous intéresse ici ;
  • pour partager ce bien et donc sortir de l’indivision, il faut liquider le bien, c’est-à-dire le transformer en argent qui est un bien fongible et indéfiniment divisible ;
  • l’opération de liquidation passe par la vente du bien aux enchères.

L’article 1688 du Code civil précise les conditions de la vente aux enchères :

« Le mode et les formalités à observer pour la licitation sont expliqués au titre " Des successions " et au code de procédure. » On avouera que ce double renvoi ne nous avance guère sur le régime de la licitation, tant il est général.

B. Domaines de la licitation

Le renvoi au titre « Des successions » du Code civil indique toutefois l’un des terrains d’élection de la licitation : les indivisions successorales. L’autre type d’indivisions où la licitation se rencontre fréquemment est l’indivision à la suite de la séparation du couple. Se pose alors fréquemment la question du devenir du domicile familial qui a été, tout aussi fréquemment, acheté en commun, quel que soit l’habillage juridique adopté par le couple pour l’organisation de la vie commune avant la séparation (concubinage ; pacte civil de solidarité avec ou sans contrat ; mariage et régime matrimonial choisi dans ce cas).

L’idée fondamentale, exprimée à l’article 815 du Code civil N° Lexbase : L9929HN3 concernant les successions, est que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention ». L’objectif est bien la dissolution de l’indivision afin que chacun puisse reprendre sa liberté.

De façon originale, la licitation se rencontre également fréquemment dans un cas où les indivisaires ne veulent pas sortir de l’indivision. C’est l’action oblique du créancier qui ne peut pas procéder à la vente du bien par la voie de la saisie immobilière. Cette situation se rencontre quand le créancier ne dispose pas d’une créance commune à l’ensemble des indivisaires ou quand le bien en indivision n’est pas un bien commun au sens des régimes matrimoniaux. En effet, dans ce dernier cas, le créancier d’un seul des époux peut toujours réaliser le bien commun par la voie d’une saisie immobilière, en application de l’article 1413 du Code civil N° Lexbase : L1544ABS (Cass. civ. 2, 16 mai 2012, n° 11-18.278, F-D N° Lexbase : A7063IL8). La saisie est alors poursuivie contre les deux époux, aux termes de l’article L. 311-7 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5871IRU, quand bien même un seul serait débiteur.

C. Acteurs de la licitation

À l’issue de ce rappel, deux types d’acteurs paraissent donc intéressés à poursuivre une procédure de licitation :

  • les indivisaires qui ne veulent pas rester en indivision ;
  • les créanciers d’un ou de plusieurs indivisaires qui ne peuvent pas procéder directement par la voie de la saisie immobilière. Ils doivent alors provoquer, par la voie oblique, le partage pour pouvoir se payer sur la part revenant à leur(s) débiteur(s).

II. Fixation de la mise à prix et risques associés

A. Qu’est-ce que la mise à prix ?

Comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix n’est définie nulle part dans les textes réglementant « le mode et les formalités à observer pour la licitation », que ce soit dans le Code civil ou dans le Code de procédure civile. Nous renvoyons donc, sur ce point, à notre premier article sur la mise à prix en matière de saisie immobilière (D. Talon, Ch. Simon, La mise à prix : le cas de la saisie immobilière, Lexbase Droit privé, n° 908 N° Lexbase : N1589BZU).

Il suffit de rappeler que la mise à prix est le point de départ des enchères lorsque la vente forcée d’un bien intervient. Ce n’est cependant pas le point d’arrivée des enchères, sauf en cas de défaut d’enchère.

Pas plus qu’en matière de saisie immobilière, la mise à prix en matière de licitation ne présage de ce que le prix d’adjudication sera.

B. Textes encadrant la mise à prix

Comme en matière de saisie immobilière, les textes régissant la licitation sont allusifs quant à la fixation du montant de la mise à prix. Le titre « Des successions » du Code civil n’en dit pas un mot. Quant au Code de procédure civile, il organise un jeu de piste.

Il contient un paragraphe de deux articles (CPC, art. 1377 N° Lexbase : L1631IUX et 1378 N° Lexbase : L6332H7N) consacré à la licitation. Celui-ci se trouve au Livre III (« Dispositions particulières à certaines matières »), Titre III (« Les régimes matrimoniaux – Les successions et les libéralités »), Chapitre II (« Les successions et les libéralités »), Section IV (« Le Partage »), Sous-section II (« Le partage judiciaire »), Paragraphe 3 (« La licitation »). Mais ces articles indiquent uniquement :

« Le tribunal ordonne, dans les conditions qu'il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués.

La vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 N° Lexbase : L2150H4E à 1281 N° Lexbase : L2177H4E. »

Il faut donc se reporter aux articles 1271 à 1281 du Code de procédure civile qui concernent « La vente des immeubles et des fonds de commerce appartenant à des mineurs en tutelle ou à des majeurs en tutelle ». En pratique, pour ce qui nous intéresse, le texte pertinent est l’article 1273 N° Lexbase : L2153H4I. Il dispose :

« Le tribunal détermine la mise à prix de chacun des biens à vendre et les conditions essentielles de la vente. Il peut préciser qu'à défaut d'enchères atteignant cette mise à prix, la vente pourra se faire sur une mise à prix inférieure qu'il fixe.

Le tribunal peut, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, faire procéder à leur estimation totale ou partielle. »

À nouveau, ce texte ne nous avance guère, même s’il fait apparaître deux différences avec le mécanisme de fixation de la mise à prix en matière de saisie immobilière déjà étudié.

C. Personnes fixant la mise à prix

La première différence concerne la personne qui fixe la mise à prix.

En matière de saisie immobilière, c’est le créancier poursuivant et lui seul qui fixe la mise à prix, sous réserve de la possibilité pour le débiteur de demander au juge de l’augmenter en cas d’insuffisance manifeste. Nous en avons vu les raisons dans notre premier article.

En matière de licitation, c’est le tribunal qui détermine la mise à prix. La Cour de cassation lui reconnaît un pouvoir discrétionnaire ici. Il n’a même pas à exprimer les motifs de sa décision (Cass. civ. 1, 14 mai 1996, n° 94-14.895 N° Lexbase : A1063CTK).

Mais le tribunal est extérieur à la situation. De plus, si les textes lui en donnent la possibilité, il n’a pas l’obligation de faire procéder à une estimation et on imagine bien que, dans tous les cas, ce n’est pas lui qui va la payer. En pratique, il est donc évident que, si « le tribunal détermine la mise à prix », c’est sur la base de la ou des propositions des parties et des estimations de la valeur du bien qu’elles ont éventuellement versées aux débats.

Le tribunal a ainsi un pouvoir plus grand qu’en matière de saisie immobilière mais ce pouvoir est largement de façade. La principale différence est donc, au final, que toutes les parties peuvent proposer une mise à prix et non une seule, comme en saisie immobilière, à raison de sa qualité (créancier poursuivant). Le tribunal, quant à lui, tranchera.

D. Possibilité de baisse de la mise à prix

La deuxième différence est que les textes prévoient expressément une possibilité de baisse de la mise à prix à défaut d’enchères.

Cela se pratique aussi en saisie immobilière, malgré l’absence de texte (par exemple, CA Besançon, 1er septembre 2009, n° 09/01511 N° Lexbase : A1476UBB ; CA Agen, 2 mars 2016, n° 15/00901N° Lexbase : A9353QDR). Cela ne nous semble cependant pas dans l’esprit de cette procédure, alors que la baisse de la mise à prix est naturelle en matière de licitation.

Cette différence s’explique par les risques attachés à la fixation de la mise à prix dans ces deux procédures qui ne sont pas les mêmes.

E. Risques associés à la mise à prix

Nous avons vu dans notre premier article que, en matière de saisie immobilière, c’est le créancier poursuivant qui court le risque lié à la fixation de la mise à prix. À défaut d’enchère, il est déclaré adjudicataire pour le montant de celle-ci, en application de l’article L. 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5884IRD. Accepter qu’il puisse baisser ce montant à défaut d’enchères n’est cependant pas satisfaisant. Car, si c’est dans son intérêt pour permettre à un éventuel amateur de se découvrir après la remise en vente du bien sur baisse de sa mise à prix ou pour diminuer le prix qu’il devra payer à défaut d’enchère, une autre personne est intéressée au montant de la mise à prix : le débiteur saisi. Accepter de la baisser, c’est accepter de porter atteinte aux intérêts de celui-ci, son bien pouvant partir pour un prix plus faible que le prix minimum initialement escompté. Or, c’est bien le débiteur saisi plus que le créancier poursuivant qui a le plus à perdre à une mauvaise vente.

Il n’y a rien de tel en matière de licitation. À défaut d’enchère, personne n’est déclaré adjudicataire. Cela signifie cependant que le bien indivis n’est pas liquidé et que l’indivision se poursuit. Or, la licitation est la procédure visant à mettre fin à l’indivision en permettant la liquidation du bien et le partage du prix. Un défaut d’enchère est donc un constat d’échec. Du temps, de l’argent et de l’énergie ont été dépensés en vain.

Dans ces conditions, permettre une baisse de la mise à prix semble se justifie à nos yeux. Certes, le bien va, potentiellement, se vendre à un prix inférieur au prix minimum initialement escompté mais cette décote est le prix de la liberté pour les indivisaires. Pour sortir de l’indivision, ils doivent potentiellement accepter de « brader » le bien.

III. Recommandations concernant la fixation de la mise à prix

A. Fourchette proposée

Ce risque présent à l’esprit, nous sommes d’avis que, comme en matière de saisie immobilière, une fourchette comprise entre un quart et un tiers du prix du marché peut être retenue. Ici encore, comme en matière de saisie immobilière, cette fourchette peut être justifiée par la nécessaire « attractivité » de la mise à prix, mise en avant aussi bien par la doctrine (S. Guinchard, M. Moussa, Dalloz Action Droit et pratique des voies d’exécution 2022|2023, Dalloz, 10e éd., 2022, 1422.121) que par la jurisprudence (CA Nîmes, 8 janvier 2015, n° 13/03861 N° Lexbase : A9438M83 ; CA Riom, 1er avril 2014, n°13/01442 N° Lexbase : A3404MIW).

Pour les créanciers agissant par le biais de l’action oblique, la voie de la saisie immobilière leur étant bloquée, les mêmes raisons qui nous amènent à proposer cette fourchette dans notre premier article s’appliquent ici mutatis mutandis.

Pour les indivisaires qui souhaitent mettre fin à l’indivision, cette fourchette basse permet d’espérer atteindre effectivement le but poursuivi, potentiellement en acceptant une décote. Nous ne sommes pas favorables à la solution intermédiaire consistant à prévoir une mise à prix plus haute, en se laissant la possibilité d’une baisse à défaut d’enchère. En effet, l’expérience montre que, dans ce cas, les amateurs ont tendance à ne se découvrir qu’après baisse de la mise à prix, quitte à ce que le prix d’adjudication final soit supérieur au montant de la mise à prix initiale avant baisse. Autant donc partir de plus bas, plutôt que de descendre pour remonter.

B. Réflexions finales

Deux autres raisons nous amènent à proposer une mise à prix basse en matière de licitation.

Tout d’abord, il existe un moyen simple d’éviter un défaut d’enchère et la survie de l’indivision : qu’un indivisaire se porte adjudicataire du bien. Pour parer tout reproche à la suite d'un défaut d’enchère, l’avocat chargé de mettre en place une licitation a d’ailleurs tout intérêt à informer systématiquement son ou ses clients de cette possibilité, en leur proposant de fixer la mise à prix à un montant qu’ils peuvent acquitter. Ce d’autant que son ou ses clients pourront compenser une partie du prix avec leur créance sur l’indivision, résultant de la part leur revenant à la suite de la liquidation du bien. S’il n’y a pas d’amateur, un ou plusieurs indivisaires pourraient donc faire une bonne affaire et, s’il y en a, ils contribueront à faire monter le prix, au moins jusqu’au niveau qu’ils sont prêts à payer.

Ensuite, hors le cas de la licitation par voie oblique, succédanée à une saisie immobilière impossible, la licitation a habituellement lieu dans un cadre conflictuel au sein de l’indivision. Un ou plusieurs indivisaires empêchent le partage amiable et la sortie de l’indivision. Une mise à prix basse, associée à la mauvaise réputation des ventes aux enchères dans le public, peut être de nature à ramener les récalcitrants à de meilleurs sentiments vis-à-vis des autres indivisaires.

Ces deux dernières raisons ne doivent cependant pas laisser penser qu’une mise à prix basse serait un subterfuge en matière de licitation.

D’abord, comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix n’est qu’un point de départ, pour autant qu’il y ait des amateurs en salle des ventes. Notre première réflexion tend à assurer qu’il y en ait au moins un.

Ensuite, dans la vaste majorité des cas, la licitation remplit son office en se concluant par la vente à un tiers, à un prix parfois même supérieur au prix du marché en cas de marché immobilier tendu. Même en cas de retour à meilleur sentiment du réfractaire, il peut donc y avoir un intérêt à poursuivre la licitation qui permet d’organiser la vente sans intermédiaire et en coupant court aux marchandages.

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