La lettre juridique n°911 du 23 juin 2022 : Collectivités territoriales

[Focus] Les documents utiles à l’accès aux délibérations des collectivités territoriales

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par Edwin Matutano, Avocat à la cour, docteur en droit, enseignant à l’Université de Lille

le 22 Juin 2022

Mots clés : collectivités territoriales • délibérations • procès-verbaux • registre • assemblée délibérante • simplification

À partir du 1er juillet 2022, les comptes rendus des séances des assemblées délibérantes de plusieurs collectivités territoriales, dont les communes, seront supprimés et cette suppression répond à un objectif de simplification des procédures d'adoption de leurs délibérations. Demeureront en vigueur les registres des délibérations, ainsi que les procès-verbaux de séance. Les premiers de ces supports servent à vérifier les conditions de déroulement du scrutin, cependant que les seconds oeuvrent à la restitution de la teneur des questions soumises à l'ordre du jour des assemblées.


 

Le 1er juillet 2022, les comptes rendus des séances des conseils municipaux seront supprimés de par l’effet conjugué de deux textes abrogatifs.

Le premier est l’article 4 de l’ordonnance n° 2021-1310 du 7 octobre 2021, portant réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements N° Lexbase : L4636L89, qui a abrogé, à partir du 1er juillet 2022, les dispositions de l’article L. 2121-5 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8555AA4.

Le second est l’article 3 du décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2011, portant réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements N° Lexbase : L4587L8E, lequel a abrogé, à compter de cette même date, l’article R. 2121-11 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L1299KZ7.

Et par cohérence, l’article 15 dudit décret du 7 octobre 2021 a abrogé, d’une part, l’article D. 6221-4 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L5220H99 qui prévoyait un compte rendu des séances du conseil territorial de Saint-Barthélemy et, d’autre part, l’article D. 6321-4 de ce code N° Lexbase : L5111H98, qui imposait la tenue d’un document analogue s’agissant des séances du conseil territorial de Saint-Martin.

Ces abrogations ont simplifié le régime juridique des supports des délibérations de cette série de conseils délibérants de collectivités territoriales, étant observé que la question d’une abrogation d’une portée plus étendue ne se posait pas, puisque les comptes rendus des séances n’étaient expressément prévus que pour les collectivités territoriales précitées (communes, Saint-Barthélemy, Saint-Martin [1]).

Aussi, ces abrogations récentes invitent-elles à présenter l’état du droit applicable aux supports des délibérations des collectivités territoriales, car, après même le 1er juillet 2022, il ne sera pas uniforme selon les catégories de collectivités.

Nous distinguerons ainsi les registres des délibérations des procès-verbaux de séance des organes délibérants des collectivités territoriales françaises, avant de nous intéresser à leur raison d’être respective.

I. Les registres des délibérations et les procès-verbaux de séance : un champ d’application distinct selon les textes en vigueur

Ces deux catégories de supports, qui subsistent, après la réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1310 et le décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2021 précités, ne sont pas uniformément requises par le Code général des collectivités territoriales, pour chaque catégorie de collectivités.

En effet, si le procès-verbal de séance est prévu de manière homogène et exhaustive, il n’en n’est pas de même du registre des délibérations.

A. Le registre des délibérations : un document propre aux conseils municipaux ?

À la seule lecture des dispositions du Code général des collectivités territoriales, l’inscription des délibérations sur un registre est une procédure exclusivement réservée à celles des conseils municipaux.

Cette inscription est mentionnée par l’article L. 2121-10 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4836LUN et elle fait l’objet, à titre d’obligation pour les conseils municipaux, de l’article L. 2121-23 de ce même code N° Lexbase : L8572AAQ. Ce dernier article prévoit, ainsi, une inscription, selon l’ordre de date, de leurs délibérations, dans des conditions auxquelles il est renvoyé par décret en Conseil d’État.

Il convient de souligner que cette version de l’article L. 2121-23 est issue de l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-1310 du 7 octobre 2021. Autrement dit, elle est applicable à compter du 1er juillet 2022.

Et par coordination, l’article 2 de l’ordonnance du 7 octobre 2021 a modifié l’article L. 2121-21 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4837LUP, lequel était quelque peu redondant avec l’article L. 2121-23. Ce dernier se contentait, en effet, de prévoir la manière dont les délibérations des conseils municipaux étaient inscrites, l’obligation principale de leur inscription figurant à l’article L. 2121-21.

À partir du 1er juillet 2022, l’article L. 2121-23 sera l’article prévoyant cette inscription.

En outre, l’article 1er du décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2021 a modifié l’article R. 2121-9 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7364IMP constituant la disposition réglementaire d’application dont il s’agit.

En toute hypothèse, il y a lieu d’indiquer que l’ordonnance et le décret du 7 octobre 2021 ont laissé subsister une singularité qui leur préexistait, à savoir, l’absence de disposition du Code général des collectivités territoriales ayant prévu, de manière analogue, l’inscription des délibérations des organes délibérants des autres collectivités territoriales françaises (départements, Département de Mayotte, Métropole de Lyon, régions, collectivité de Corse, collectivités territoriales de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Guyane et de Martinique). 

Pourtant, ces collectivités territoriales et notamment les départements, tiennent traditionnellement un registre des délibérations.

Il est à relever que cette tenue est d’origine coutumière et qu’elle n’est pas prévue par le Code général des collectivités territoriales.

Cette distorsion persistante dans la construction de ce code n’est pas sans évoquer ce qui avait été souligné supra à propos des comptes rendus de séances supprimés à compter du 1er juillet 2022 : leur existence n’était pas uniformément prévue par le droit des collectivités territoriales.

Tel n’est pas le cas des procès-verbaux de séances.

B. Les procès-verbaux des séances : des documents prévus expressément pour chaque collectivité territoriale

À l’inverse de ce qui a pu être analysé au sujet des comptes rendus des séances et des registres des délibérations, il apparaît que les procès-verbaux des séances des organes délibérants des collectivités territoriales sont généralisés [2].

Prévus par l’article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4211KYM pour les conseils municipaux, ils le sont par les articles L. 3121-13 N° Lexbase : L9305AAU et L. 4132-12 N° Lexbase : L9462AAP, pour, respectivement, les conseils départementaux et les conseils régionaux.

Si l’alignement du régime juridique applicable aux séances du conseil départemental du Département de Mayotte, sur celui prévu par l’article L. 3121-13, peut être déduit de l’article L. 3511-2 N° Lexbase : L9377INM, dont la rédaction n’est toutefois pas des plus explicites, un tel alignement transparaît plus clairement et de manière plus intelligible de l’article L. 3611-3 N° Lexbase : L9657IZP s’agissant du conseil de la Métropole de Lyon, qui rend applicable à cette dernière les dispositions du titre II du Livre Ier de la troisième partie de la partie législative du Code général des collectivités territoriales à cette collectivité territoriale.

De surcroît, des dispositions spéciales prévoient un procès-verbal des séances des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy (CGCT, art. L. 6221-14 N° Lexbase : L8039HWN), de Saint-Martin (CGCT, art. L. 6321-14 N° Lexbase : L8061HWH), de Saint-Pierre-et-Miquelon (CGCT, art. L. 6431-13 N° Lexbase : L8083HWB), ainsi que des assemblées des collectivités territoriales de Guyane (CGCT, art. L. 7122-13 N° Lexbase : L9224KTS) et de Martinique (CGCT, art. L. 7222-14 N° Lexbase : L9358KTR).

Afin d’être exhaustif, il convient de préciser que dans les îles Wallis-et-Futuna, l’article 14 alinéa 2 de la délibération de l’assemblée territoriale n° 04/AT/99 du 18 janvier 1999 prévoit que les secrétaires de séance de cette assemblée, « reproduisent les délibérations et vœux » et « veillent à la rédaction des procès-verbaux des séances » de l’assemblée territoriale, dot l’existence résulte de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer.

En Polynésie française, les procès-verbaux de séances résultent de l’article 125 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d’autonomie de la Polynésie française N° Lexbase : L1574DPY.

II. La coexistence des registres des délibérations et des procès-verbaux de séances

La dualité de supports soulève la question de leur nécessité respective.

Et si elle ne se pose expressément qu’à propos des délibérations des conseils municipaux, l’interrogation qu’elle revêt est de plus large portée, puisque, nous l’avons rappelé, les registres des délibérations existent, sans que des dispositions textuelles en aient prévu la tenue, dans d’autres collectivités territoriales que les communes.

A. Le registre des délibérations : un mode de vérification des conditions du scrutin

En pratique, il convient d’indiquer que le registre des délibérations est établi à partir des éléments portés au procès-verbal de la séance.

Et il n'est pas non plus certain que le Code général des collectivités territoriales - et avant lui, le Code des communes [3] - ait entendu établir une distinction entre le procès-verbal des séances et le registre des délibérations. Ainsi, dans la pratique, les communes peuvent ou non pratiquer la dissociation, formelle ou matérielle, du procès-verbal de séance et du registre des délibérations.

Le contenu du registre des délibérations diffère donc selon que la commune a établi un procès-verbal proprement distinct du registre des délibérations, ou seulement un registre.

Au surplus, si on a égard à leur régime juridique, l'inscription à leur date, au registre, des délibérations n'est pas prescrite à peine de nullité de ces délibérations.

L'omission de cette formalité n'a donc pas pour effet d'entacher d'irrégularité la décision ou l'acte [4].

Le défaut d'inscription au registre n'entraîne donc en lui-même aucune conséquence directe. La décision est exécutable malgré cette omission, dès lors que les autres conditions sont réunies. De la même manière, le délai du recours pour excès de pouvoir n'est pas affecté par l'absence d'inscription au registre.

Mais, sur un plan pratique, cette absence d'inscription au registre peut déboucher sur des difficultés contentieuses au cas où la teneur exacte de la délibération, voire son existence, sont discutées.

La transcription d’une délibération au registre des délibérations constitue, au même titre que les mentions figurant au procès-verbal de séance, le mode normal de preuve de l’existence de la majorité [5].

Il convient de souligner qu’il suffit qu'ait été mentionné que la majorité a été atteinte, sans que soit exigée l'indication précise du nombre de voix ayant constitué cette majorité [6].

En pratique, il est recommandé d’y mentionner le détail des chiffres des scrutins, ainsi que le vote des conseillers municipaux. Il n’est pas nécessaire de transcrire sur le registre des documents préparatoires qui ont servi de base aux délibérations, ni de mentionner les interventions des conseillers en cours de séance [7].

La date à laquelle est effectuée la transcription d’une délibération sur le registre est sans incidence directe sur la validité [8].

Les délibérations portées au registre doivent être signées par tous les membres présents à la séance et par eux seuls. En cas de défaut de signature de l’un des membres présents pendant la séance, le registre doit mentionner la cause qui l’a empêché de signer. 

Le Conseil d’État a jugé que, s’agissant de l’accomplissement de la signature des membres d’un conseil municipal sur une délibération, les dispositions du Code général des collectivités territoriales s’appliquent à l’exclusion de celles prévues par le Code des relations entre le public et l’administration [9].

B. Le procès-verbal de la séance : l’instrument de la restitution de la teneur de l’ordre du jour

S’agissant du procès-verbal de séance, il avait été admis par la jurisprudence que qu’un même document tienne lieu de compte rendu et de procès-verbal [10], ainsi que l’a confirmé une réponse ministérielle à la question écrite d’un sénateur [11].

Quant au contenu du procès-verbal, une grande souplesse est laissée aux assemblées délibérantes, qui ont toute liberté à cet égard [12]. Dans une réponse à une question écrite d’un député, le ministre de l’Intérieur a précisé qu’en l’absence de dispositions régissant le contenu des procès-verbaux, une grande latitude est laissée aux conseils municipaux, ce qui explique les différences qu’il est loisible de constater entre les communes [13]. Aucune mention n’est prescrite par la loi à peine de nullité. Il suffit que le procès-verbal fasse apparaître la nature de l’ensemble des questions abordées au cours de cette séance [14].

Et aucune disposition ne prévoit ni n’impose que, en cas de scrutin public, le nom des votants avec désignation de leurs votes doive être porté au procès-verbal, alors qu’une telle mention doit figurer au registre des délibérations.

Dans le même ordre d’idées, l’absence de mentions au procès-verbal des éléments procéduraux de la séance ou des décisions intervenues, ou les erreurs dans ces mentions, sont sans influence sur la régularité des actes [15], même s’il doit être relevé que les absences ou les insuffisances sont de nature à engendrer des contestations.

Il convient, sur un plan pratique, de mentionner les délibérations du conseil sur le procès-verbal ; à défaut, il serait difficile de les transcrire ensuite correctement sur le registre des délibérations.

En droit, les mentions figurant sur le procès-verbal font foi par elles-mêmes [16]. Au cas de contradiction entre les énonciations du registre des délibérations et celles du procès-verbal, un extrait du registre ne peut prévaloir sur les mentions portées à un procès-verbal approuvé à l’unanimité [17]. Néanmoins, le procès-verbal n’a pas valeur d’acte authentique [18]. Il ne fait donc foi que jusqu’à preuve contraire [19].

En conclusion, la suppression des comptes rendus de séances des conseils municipaux et des conseils territoriaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, a laissé subsister une dualité dans des supports, dont l’utilité, en droit, se vérifie lors de l’administration de la preuve de ce qu’une délibération a été régulièrement adoptée.

En tout état de cause, avant leur suppression, les comptes rendus de séances se distinguaient mal, en pratique, des procès-verbaux de séances, dont l’existence avait été généralisée par l’ensemble des textes, codifiés ou non, relatifs aux collectivités territoriales.

 

[1] Il n’est pas indifférent de rappeler que Saint-Barthélemy et Saint-Martin furent des communes, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer N° Lexbase : L5251HUZ, qui les érigea en collectivités territoriales régies par l’article 74 de la Constitution N° Lexbase : L1344A9N.  

[2] Cette évolution est remarquable, car si la loi sur l’administration municipale de 1884 prévoyait l’existence des comptes rendus de séance, en son article 56, elle n’avait pas envisagé celle des procès-verbaux de séance.

[3] Dont l’article L. 121-10, dans sa version d’origine issue du décret n° 77-90 du 27 janvier 1977, faisait mention du  registre des délibérations, comme ses devanciers, tant le Code de l’administration communale, que, déjà, l’article 57 de la loi du 5 avril 1884, sur l’organisation municipale (JO n° 96, 6 avril 1884).

[4] CE, 29 décembre 1926, Desgouilles, Rec. p. 1185 ; CE 29 octobre 1969, n° 72791 N° Lexbase : A0042B9G, Rec. p. 459 ; CE, 3 octobre 1990, n° 90679 N° Lexbase : A8263AQ4.

[5] CE, 18 novembre 1931, Leclert et Lepage, Rec. p. 992 ; CE, 20 janvier 1937, Crochet, Rec. p. 72 ; CE, 22 novembre 1939, Tournan, Rec. p. 566 ; TA Dijon, 10 décembre 1991, J.-E. Barbance et autres.

[6] CE, 25 juillet 1933, Delaunay, Rec. p. 869.

[7] CE, 18 novembre 1987, n° 75312 N° Lexbase : A3499APB, Rec. p. 371.

[8] CE, 13 juin 1986, n° 59578 N° Lexbase : A4768AMK, Rec. p. 161.

[9] CE, 22 juillet 2016, n° 389056 N° Lexbase : A1147RY7.

[10] CE, 5 décembre 2007, n° 277087 N° Lexbase : A0197D3P.

[11] Rép. min. n° 1623, JO Sénat, Q. 31 octobre 2013, Rec. p. 1366.

[12] CE, 3 mars 1905, Papot, Rec. p. 218.

[13] Rép.min. n° 66385, JOAN, Q. 27 avril 2010.

[14] CE, 27 avril 1994, n° 145597 N° Lexbase : A0672ASP.

[15] CE, 25 juillet 1986, n° 67767 N° Lexbase : A4797AMM, Rec. p. 216.

[16] CE, 26 novembre 1948, Ourliac, Rec. p. 443.

[17] TA Paris, 5 février 1986, Bodin.

[18] CE, 19 juin 1959, Binet.

[19] CE, 24 octobre 1934, Menjou, Rec. p. 949.

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