Réf. : Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25.513, F-D N° Lexbase : A50357DT
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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine
le 25 Octobre 2022
Mots-clés : pacte Dutreil • holding animatrice • transmission • patrimoine • donations
Le fait pour une holding animatrice de cesser, postérieurement à la transmission de ses titres, d’exercer de manière prépondérante son activité éligible n’entraine pas la remise en cause du régime de faveur Dutreil.
Telle est la solution dégagée par la Chambre commerciale le 25 mai 2022.
1.- En cas de transmission à titre gratuit de titres de société, il est possible de bénéficier d’un avantage fiscal, celui-ci se traduisant par un abattement de 75 % sur l’assiette des droits de donation ou succession.
Ce dispositif visé à l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L5936LQW, également appelé pacte Dutreil, nécessite de remplir certaines conditions.
2.- Parmi les conditions à remplir, il est impératif que la société exerce une activité opérationnelle. Ainsi, seules les sociétés exerçant une activité de type artisanale, commerciale, industrielle, agricole ou libérale sont susceptibles de pouvoir être éligibles au pacte Dutreil.
Ainsi, les transmissions à titre gratuit de holdings passives, se contentant de gérer leur participation, ne peuvent pas bénéficier de l’abattement de 75 %.
3.- Les holdings animatrices de leur groupe peuvent en revanche faire l’objet d’un engagement collectif, unilatéral ou d’un pacte réputé acquis.
Nous ne reviendrons pas en détail sur les difficultés pratiques relatives à la qualification de holding animatrice et les arrêts de ces derniers mois.
4.- Il convient de rappeler que sont animatrice de leur groupe, les sociétés qui outre la gestion d’un portefeuille de participations ont pour activité principale, la participation active à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, et le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers [1].
5.- La charge de la preuve du caractère « animateur de groupe » pèse sur le redevable [2]. La jurisprudence a notamment apporté des précisions concernant le cas d’une société holding venant d’être constituée [3].
La chambre commerciale a pu refuser, à titre d’exemple, le caractère animateur à une société créée depuis moins de trois mois [4].
6. Il est intéressant de s’interroger sur la date à laquelle il convient d’apprécier le caractère animateur de groupe de la société holding. Un arrêt rendu récemment par la chambre commerciale de la Cour de cassation [5] traite cette question.
7.- Dans cette affaire, une société holding avait été constituée. Celle-ci détenait en 2010, date du décès de Madame JX, des participations dans plusieurs sociétés.
Deux mois après le décès de Madame JX, la société holding a cédé cinq des sept sociétés commerciales qui formaient le groupe de BTP. Une sixième société a été cédée en mars 2012. Dix-huit mois après le décès, la société holding détenait une participation majoritaire dans une société commerciale, et dans une société civile immobilière qu’elle contrôlait. Elle détenait également des participations minoritaires essentiellement dans des sociétés civiles.
8.- Les titres avaient été transmis avec l’application de l’article 787 B du Code général des impôts. L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’abattement de 75 % au motif que la société holding n’avait pas conservé son activité d’animatrice de groupe sur la période d’application de l’engagement de conservation.
9.- La cour d’appel de Rennes [6] suit la position de l’administration fiscale, considérant que l’article 787 B du CGI impose nécessairement que la société exerce une activité opérationnelle pendant toute la période de conservation des titres.
10.- C’est dans ce contexte que l’affaire arrive devant la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Celle-ci considère que le caractère de holding animatrice de groupe s’apprécie au jour du fait générateur de l’imposition. La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes au motif que celui-ci viole l’article 787 B du Code général des impôts, en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.
11.- Comment appréhender cet arrêt ? Tout d’abord il convient de relever que celui-ci prend le contre-pied de la doctrine administrative. En effet, les commentaires administratifs à jour au 21 décembre 2021 précisent : « La condition du caractère de holding animatrice d'une holding de groupe s'apprécie au moment de la conclusion du pacte « Dutreil » ou de la transmission en cas d'engagement réputé acquis (II-A-1-d § 230 et suivants), et doit être remplie jusqu'au terme des engagements collectif, le cas échéant unilatéral, et individuel de conservation » [7].
Ainsi, pour la doctrine administrative la holding doit conserver son rôle d’animation durant toute la phase des engagements collectifs/unilatéraux et individuel de conservation.
12.- L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation remet ainsi en cause le positionnement de l’administration fiscale sur ce sujet. Reste à voir comment l’administration fiscale adaptera sa doctrine. Il convient à ce titre de relever que l’administration fiscale en matière de pacte Dutreil n’a pas systématiquement adaptée sa doctrine. Cela n’a notamment pas été le cas, en ce qui concerne l’appréciation de la notion d’activité principale [8] et de poursuite de l’activité par les héritiers pour l’application de l’article 787 C du CGI pour les entreprises individuelles.
13.- Cette solution est susceptible d’interroger sur la réception pratique qui en sera faite. En effet, à la lecture de celui-ci, on comprend que si la société holding est bien animatrice au jour de la donation ou de la succession, et si celle-ci cesse de l’être quelques jours ou mois après, l’article 787 B du Code général des impôts ne serait pas remis en cause. Il ne faut cependant pas perdre de vue l’existence du mécanisme de l’abus de droit, qu’il s’agisse du mécanisme classique ou du mini-abus de droit.
Le contribuable ne serait-il pas en train de faire une application littérale de l’article 787 B du CGI afin de bénéficier d’un avantage fiscal ?
14.- L’une des questions posées par cet arrêt consiste à savoir si la portée de celui-ci s’étend à la condition d’activité dans son ensemble.
L’arrêt ne le précise pas de manière explicite. Cependant, la Cour de cassation casse sans renvoi. On peut en effet se demander, si l’absence de renvoi ne justifie pas l’extension de la portée de cet arrêt à l’ensemble de la condition d’activité. On peut penser que si la portée de celui-ci avait été limitée à la holding animatrice, il y aurait eu un renvoi, notamment afin de vérifier que si la holding exerçait une activité de nature commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.
15.- Il est vrai que la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts n’invite pas à respecter la condition d’activité durant la période d’engagement collectif/unilatéral et individuel de conservation des titres. Le premier alinéa se contente de faire référence à la notion d’activité sans la lier aux engagements de conservation. De plus, ce cas de sortie du dispositif n’apparaît pas aux alinéas dédiés aux hypothèses de remises en cause du régime de faveur visée au e à i de l’article 787 B du Code général des impôts. Une lecture littérale du texte est ainsi susceptible de militer pour une extension de la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation.
16.- On peut se demander si une telle approche se marie avec les autres conditions d’application de l’article 787 B du Code général des impôts. On pense notamment à l’exercice par les signataires de l’engagement collectif et/ou les bénéficiaires de la transmission de leur activité professionnelle principale pour les sociétés relevant de l’impôt sur le revenu. À l’heure actuelle, l’administration fiscale l’analyse à l’aune du régime des biens professionnels en matière d’impôt sur la fortune immobilière. Nous avons un peu de difficultés à imaginer comment il serait possible d’exercer son activité professionnelle à titre principal au sein d’une holding qui serait devenue passive.
17.- Une extension de la portée de cet arrêt aboutirait là encore à remettre en cause la position de l’administration fiscale sur la notion d’activité.
En effet, les commentaires administratifs [9] à jour au 21 décembre 2021 précisent :
« La société doit vérifier la condition d’activité précisée aux I-A § 15 et 20 pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation ».
Le cas échéant, la doctrine administrative serait également invalidée sur ce point.
18.- Si l’extension de l’arrêt de la chambre commerciale venait à être confirmée, il ne serait pas sans rappeler le positionnement du juge de l’impôt [10] concernant l’application de l’article 885-0 V bis du CGI.
Au final, les incertitudes entourant la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation sont de nature à créer une incertitude pour le contribuable et son conseil. Dans l’attente d’une confirmation d’une telle extension, la prudence et une interprétation téléologique de l’article, 787 B du CGI [11] devrait amener les praticiens à essayer de conserver une activité éligible durant la durée des engagements de conservation.
Nous ne sommes par ailleurs pas à l’abri d’une énième réécriture du texte afin de tenir compte de ce positionnement de la Cour de cassation et éviter la gestion d’éventuels contentieux.
Affaire à suivre…
[1] CE Plénière 13 juin 2018, n° 395495, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9347XQA : lire sur cet arrêt, les conclusions du Rapporteur public, Y. Bénard, Lexbase Fiscal, septembre 2018, n° 753 N° Lexbase : N5392BXY, F. Laffaille, À propos de la holding animatrice de groupe, Lexbase Fiscal, juillet 2018, n° 751 N° Lexbase : N5126BX7 ; Cass. com., 14 octobre 2020 n° 18-17.955, FS-P+B N° Lexbase : A95613XE : lire sur cet arrêt, O. Sube, Éligibilité des titres d’une holding mixte à un « Pacte Dutreil », Lexbase Fiscal, décembre 2020, n° 846 N° Lexbase : N5530BYH ; BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 55 à jour au 21 décembre 2021 N° Lexbase : X6754ALQ.
[2] Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-16.351, F-D N° Lexbase : A40864XM ; Revue fiscale du patrimoine n° 9, septembre 2021, 17.
[3] CA Dijon, 24 octobre 2017, n° 16/00993 N° Lexbase : A6577WWI : La Semaine juridique Entreprise et Affaires n° 28, 9 juillet 2020, 1283 ; Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-31.233, F-D N° Lexbase : A49123K7 : La semaine juridique Entreprise et Affaires n° 28, 9 juillet 2020, 1283.
[4] Cass. com. 21 juin 2011, n° 10-19.770, F-P+B N° Lexbase : A5153HUE.
[5] Cass. com., 25 mai 2022 n° 19-25.513, F-D.
[6] CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08339 N° Lexbase : A6128ZQZ.
[7] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 50, à jour au 21 décembre 2021.
[8] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 n° 90 à jour au 6 avril 2021 ; CA Pau, 10 janvier 2013 n° 11/03410 N° Lexbase : A9372IZ7 ; CA Grenoble, 8 septembre 2015, n° 13/00609 N° Lexbase : A6648NNK.
[9] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 25, à jour au 21 décembre 2021.
[10] Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.441, FS-P+B N° Lexbase : A3195PKK.
[11] François Fruleux, site CRIDON nord-est [en ligne].
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