Le Quotidien du 20 juin 2022 : Procédure pénale/Instruction

[Brèves] Refus du juge d’instruction de constater la prescription de l’action publique : inconstitutionnalité de l’impossibilité pour le témoin assisté d’interjeter appel

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-999 QPC, du 17 juin 2022 N° Lexbase : A500777L

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N1892BZ4

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par Adélaïde Léon

le 21 Juin 2022

► Il résulte de l’impossibilité pour le témoin assisté d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction de constater la prescription de l’action publique une distinction injustifiée entre les personnes mises en examen, selon qu’elles ont précédemment eu ou non le statut de témoin assisté.

Rappel de la procédure. Par un arrêt du 20 avril 2022 (Cass. crim., 20 avril 2022, n° 21-86.542, F-D N° Lexbase : A87597UX), la Chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution :

  • de l’article 113-3 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3174I3X, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-535 du 17 mai 2014, portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales N° Lexbase : L2680I3N ;
  • et du premier alinéa de l’article 186-1 du même code N° Lexbase : L8650HWB, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-291, du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8.

Motifs et portée de la QPC. L’établissement public requérant reprochait à ces dispositions de ne pas permettre au témoin assisté d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction de constater la prescription de l’action publique, alors qu’un tel droit est ouvert au mis en examen.

Selon, le requérant, il résulterait de cette différence une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif.

Il s’agissait donc, pour le Conseil, de déterminer si la différence de traitement entre le mis en examen et le témoin assisté pouvait constituer une distinction injustifiée au détriment du témoin assisté, lequel était privé du bénéfice du double degré de juridiction. La Chambre criminelle soulignait dans son renvoi que le constat de l’acquisition de la prescription de l’action publique entraînait la même conséquence favorable pour le témoin assisté et le mis en examen, soit la fin de tout risque de poursuite.

Le Conseil constitutionnel déduit de son analyse de la QPC que celle-ci porte sur les mots « et 82-3 » figurant au premier alinéa de l’article 186-1 du Code de procédure pénale.

Décision. Le Conseil déclare contraires à la Constitution les mots « et 82-3 » figurant au premier alinéa de l’article 186-1 du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-291, du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

Pour ce faire, le Conseil rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 82-3 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5033K8W, un mis en examen ou un témoin assisté peut saisir le juge d’instruction d’une demande tendant à voir constater l’acquisition de la prescription de l’action publique.

Les dispositions litigieuses prévoient quant à elle que les parties peuvent interjeter appel des ordonnances prises en application dudit article 82-3. Sur ce fondement, le mis en examen peut interjeter appel de l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction refuse de constater la prescription de l’action publique. La situation du témoin assisté est, à ce stade, différente. En effet, la Cour de cassation juge de manière constante qu’un tel droit d’appel n’est pas ouvert au témoin assisté.

Il existe donc une différence de traitement.

Le Conseil souligne ensuite qu’aux termes de l’article 113-5 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9458IEZ, le témoin assisté ne peut, à la différence du mis en examen, être placé sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire, ni faire l’objet d’une ordonnance de renvoi ou de mise en accusation devant une juridiction de jugement.

Il existe donc une différence de situation entre ces deux protagonistes, au regard de la prescription de l’action publique.

Au terme de ces deux constatations, le Conseil constitutionnel estimait que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité devant la justice, prévoir des règles procédurales différentes pour le mis en examen et le témoin assisté aux fins de constater la prescription de l’action publique.

Toutefois, la Haute juridiction rappelait également que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales. »

Or, en application de l’article 82-3 du Code de procédure pénale, la demande tendant à voir constater la prescription de l’action publique doit être présentée dans les six mois suivant la mise en examen ou la première audition comme témoin assisté. Le Conseil précise que cette forclusion demeure opposable à une personne initialement placée sous le statut de témoin assisté qui est ensuite mise en examen. Dès lors, une personne mise en examen, alors qu’elle avait été précédemment placée sous le statut de témoin assisté, peut être privée du droit d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction.

Les Sages jugent qu’il résulte des dispositions en cause une distinction injustifiée entre les personnes mises en examen, selon qu’elles ont précédemment eu, ou non, le statut de témoin assisté. Ces dispositions méconnaissent donc le principe d’égalité devant la justice.

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Estimant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées constitutionnelles aurait pour effet de priver les parties du droit d’interjeter appel des ordonnances rendues par le juge d’instruction sur le fondement de l’article 82-3 du Code de procédure pénale, et entrainerait ainsi des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel reporte leur abrogation au 31 mars 2023.

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