Le Quotidien du 20 juin 2022 : Fiscalité internationale

[Brèves] Principe de subsidiarité des conventions fiscales et application de la règle du butoir : illustration dans le cas de la convention franco-chinoise

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 31 mai 2022, n° 461519, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A62107YN

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par Marie-Claire Sgarra

le 17 Juin 2022

Le Conseil d’État a été saisi d’une affaire portant sur l’application de la convention fiscale franco-chinoise et de la « règle du butoir ».

Les faits :

  • une société de droit anglais dispose d'un établissement stable en France qui s'est constitué seul redevable de l'impôt sur les sociétés dû en France par les entités membres d'un groupe fiscalement intégré au sens des dispositions de l'article 223 A du CGI ;
  • elle a bénéficié, en vue d'éliminer une double imposition, à raison de la perception par la société membre de ce groupe en France, d'intérêts rémunérant des prêts accordés à des sociétés chinoises au titre des exercices clos en 2013 et 2014, de crédits d'impôt dont la convention fiscale, conclu entre la France et la Chine prévoit qu'ils sont calculés forfaitairement à un taux de 10 % ;
  • lors de la liquidation de l’IS dû par le groupe au titre de ces exercices, ces crédits d'impôt étrangers ont été imputés, pour tenir compte de leur inclusion dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France, à hauteur de deux tiers de 10 % des intérêts perçus ;
  • la société de droit anglais a demandé que le montant des crédits d'impôts imputés soit porté, pour chacun de ces deux exercices, à 11 % des intérêts reçus, ce dernier taux étant justifié par un calcul « en dehors », c'est-à-dire incluant l'impôt réputé prélevé en Chine dans l'assiette sur laquelle est appliqué le taux forfaitaire de 10 % prévu par la convention franco-chinoise ; l'administration a partiellement fait droit à cette réclamation, admettant que le crédit d'impôt n'avait pas à être inclus dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés mais persistant à estimer que celui-ci ne devait pas être calculé « en dehors » ;
  • la société a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant, notamment, à ce que celui-ci prononce la réduction des cotisations d’IS en litige à concurrence de la différence entre le montant sollicité dans sa réclamation et le dégrèvement prononcé ;
  • le TA a rejeté cette demande ; la CAA de Versailles a annulé le jugement et fait droit à la demande de la société (CAA Versailles, 20 décembre 2021, n° 19VE03903 N° Lexbase : A27027HK).

Sur les dispositions de la convention fiscale conclue entre la France et la Chine le 30 mai 1984 N° Lexbase : E0508EUD :

  • les intérêts provenant d'un État contractant et payés à un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État ; toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l'État contractant d'où ils proviennent et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les intérêts en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 % du montant brut des intérêts (art. 10) ;
  • la double imposition est évitée de la manière suivante pour les deux États contractants, en ce qui concerne la France :
    • les revenus visés aux articles 9, 10, 11, 12, 15 et 16 provenant de Chine sont imposables en France, conformément aux dispositions de ces articles, pour leur montant brut,
    • il est accordé aux résidents de France un crédit d'impôt français correspondant au montant de l'impôt chinois perçu sur ces revenus mais qui ne peut excéder le montant de l'impôt français afférent à ces revenus,
    • le montant de l'impôt chinois perçu est considéré comme étant égal à 10 % sur les intérêts, du montant brut de ces éléments de revenu (art. 22).

En appel, la CAA de Versailles juge si ces stipulations conventionnelles confèrent un droit à un crédit d'impôt forfaitaire qui, par hypothèse, ne correspond pas à une imposition prélevée dans l'État de source, aucune autre disposition législative de droit interne n'a pour objet ou pour effet d'inclure un tel crédit d'impôt, qui ne constitue pas un revenu taxable, dans la base imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Par suite, seul le montant du revenu perçu, hors crédit d'impôt, est imposable en France.

Solution du Conseil d’État :

  • une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition et, par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale ;
  • il appartient néanmoins au juge, pour la mise en œuvre des stipulations d’une convention qui sont relatives, non à la répartition du pouvoir d’imposer entre les deux États parties, mais aux modalités d’élimination des doubles impositions, de faire application des stipulations claires subordonnant l’imputation du crédit d’impôt forfaitaire qu’elles prévoient à raison de l’impôt réputé perçu dans l’État où les revenus en cause trouvent leur source à l’inclusion dans l’assiette de l’impôt sur les bénéfices dû en France du revenu en cause augmenté de cet impôt.

► L'article 10 et l'article 22 de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine prévoient, pour l’élimination de la double imposition née de la possibilité reconnue concurremment à la France et à la Chine de taxer les intérêts de source chinoise perçus par une entreprise établie en France, que cette entreprise est imposable en France sur ces revenus, retenus pour leur montant brut, c’est-à-dire incluant le montant de l’impôt chinois tel que défini à l’article 22, pour pouvoir bénéficier d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur les sociétés dû en France, égal à 10 % du même montant brut de ces revenus, dans la limite du montant de l’impôt français dû à raison de ceux-ci.

► Par suite, alors que ces stipulations claires subordonnent l’imputation du crédit d’impôt forfaitaire qu’elles prévoient à raison de l’impôt réputé prélevé en Chine sur les intérêts y trouvant leur source à l’inclusion dans l’assiette de l’impôt sur les bénéfices dû en France de ces intérêts augmentés de cet impôt, et alors même qu’aucune disposition législative de droit interne ne prévoit l’inclusion de cet impôt forfaitaire dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés dû en France, une société n’est pas en droit d’imputer sur cet impôt, calculé, en ce qui concerne les opérations en cause, sur le seul montant des intérêts de source chinoise perçus par elle, un crédit d’impôt égal au montant total de l’impôt réputé prélevé à la source sur ces intérêts.

Le pourvoi de la société est rejeté.

Rappels.

► Sur la naissance du principe de subsidiarité des conventions fiscales, le Conseil d’État a jugé dans un arrêt du 28 juin 2002 que « si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; [...] par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer -en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ». Par cette décision, le Conseil d'État consacra pleinement le principe dit de subsidiarité des conventions fiscales (CE Contentieux, 8 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0219AZ7).

► S’agissant des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre État d'un bénéfice imposable en France, le Conseil d’État a jugé qu’une convention fiscale qui interdisait expressément la déductibilité des impôts étrangers s’y opposait y compris lorsque le contribuable ne pouvait pas bénéficier du crédit d’impôt (CE, 9°-10° ssr., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6800MGX).

Lire en ce sens, T. Massart, Principe de subsidiarité : une évolution sans retenue (à la source) - À  propos de l'arrêt « Céline » du 12 mars 2014, Lexbase Fiscal, mai 2014, n° 570 N° Lexbase : N2194BUS.

► Sur les modalités d’application de la règle du butoir dans le cadre d’intérêts reçus par un siège français au titre des sommes mises à disposition de sa succursale chinoise (CE 3°-8° ch. réunies, 10 décembre 2021, n° 449637, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83327EC), lire les conclusions du rapporteur public, K. Ciavaldini, Lexbase Fiscal, février 2022, n° 895 N° Lexbase : N0442BZE.

 

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