La lettre juridique n°900 du 31 mars 2022 : Entreprises en difficulté

[Brèves] Liquidation judiciaire : vente de gré à gré d’un immeuble et droit de préemption du locataire commercial

Réf. : Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174, F+B N° Lexbase : A12757RN

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par Vincent Téchené

le 30 Mars 2022

► La vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire étant une vente faite d'autorité de justice, les dispositions de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial ;

Le locataire du bien objet de la vente de gré à gré ne pouvant exercer de droit de préemption, ses droits et obligations ne sont pas affectés par la décision, de sorte qu’il est irrecevable à former un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente dans ces conditions.

Faits et procédure. Par une ordonnance du 7 mai 2019, un juge-commissaire a autorisé la vente de gré à gré d'un immeuble d’une société en liquidation judiciaire au profit d’un tiers. Aucun recours n'a été formé contre l'ordonnance. Le notaire, chargé de la rédaction de l'acte de cession, a notifié le projet de vente au locataire de locaux commerciaux situés dans l'immeuble, et l'a informé de l'existence à son profit d'un droit de préemption. Le locataire a confirmé, le 6 juin 2019, qu'il souhaitait exercer ce droit.

Le liquidateur, exposant les difficultés causées par cette notification tandis que le projet d'acte de vente préparé par le notaire stipulait une clause selon laquelle la vente portait sur un immeuble vendu dans sa globalité donné pour partie à bail commercial, ce qui constituait, selon le liquidateur, « une exemption au droit de préférence du preneur commercial », en a saisi le juge-commissaire.

Le 18 décembre 2019, le juge-commissaire a rétracté l'ordonnance du 7 mai 2019, ordonné l'ouverture d'un nouvel appel d'offres pour l'acquisition de l'immeuble, et ordonné la notification de l'ordonnance, notamment au locataire et au dirigeant de la société débitrice.

C’est dans ces conditions que le liquidateur a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel qui a retracté cette dernière ordonnance du 18 décembre 2019.  

Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 145-46-1 N° Lexbase : L4529MBD, L. 642-18 N° Lexbase : L7335IZP et R. 642-37-1 N° Lexbase : L0334INP du Code de commerce.

Elle rappelle que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice. Il en résulte que les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial.

En outre, le recours contre une ordonnance du juge-commissaire rendue en application de l’article L. 642-18 du Code de commerce N° Lexbase : L7335IZP, qui doit être formé devant la cour d'appel en application de l’article R. 642-37-1 du même code N° Lexbase : L0334INP, n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision.

Or, la Cour de cassation relève que pour annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019, l'arrêt d’appel a retenu que le juge-commissaire était dessaisi de son pouvoir dès le prononcé de sa décision du 7 mai 2019, à l'égard de laquelle aucun appel, aucune opposition, tierce-opposition ou recours en révision n'avait été effectué. Il a également retenu que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel et qu'en rétractant son ordonnance, le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir.

Dès lors, la Cour de cassation en conclut qu’en statuant ainsi, alors que, la vente de l'immeuble autorisée par le juge-commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire ne pouvant donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire, les droits et obligations de celui-ci n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle il n'était donc pas recevable à former un recours, la cour d'appel a violé les textes visés.

Observations. Les alinéas 1er et 3 de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD visent « le propriétaire » qui « envisage de vendre », ou « le propriétaire » qui « décide de vendre ».

Se posait donc la question de savoir si ce texte ne s’applique que si, et seulement si, c’est le propriétaire qui décide seul de la vente du local qu’il loue. La doctrine paraissait, pour l’essentiel, retenir que l’article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD ne s’appliquerait pas à la vente qui ne serait pas le fruit de la seule volonté du propriétaire louant le local (cf. B.-H. Dumortier, JCl Bail à Loyer, fasc. 1455, spéc. n° 69). C’est ce que confirme ici la Cour de cassation concernant une vente de gré à gré dans le cadre d’une liquidation judiciaire. A fortiori, il en sera ainsi en cas de vente dans le cadre d’une adjudication forcée. En somme, et comme la Cour le précise, sont concernées toutes les ventes faites d'autorité de justice.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait pour sa part déjà retenu que le droit de préemption du locataire commercial ne s’appliquait pas s’agissant de la vente de l'immeuble dans le cadre de la liquidation amiable d’une société qui est une vente judiciaire (v. CA Aix-en-Provence, 14 février 2017, n° 15/13116 N° Lexbase : A4552TCL). La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, avait alors approuvé la cour d’appel en ce qu'elle avait exclu le jeu de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD, au motif notamment que « la vente aux enchères publiques de l'immeuble, constituant l'actif de la SCI en liquidation, était une vente judiciaire » (Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-16.113, FS-P+B+I N° Lexbase : A9692XMW, Ch. Lebel, Lexbase Affaires, juin 2018, n° 557 N° Lexbase : N4658BXS).

Comme certains l'avaient déjà relevé, il en sera de même en cas de vente dans le cadre d’une succession vacante (F. Roussel et Ph. Viudès, La vente de locaux commerciaux : qui peut préempter ? (conditions), Lexbase Affaires, mai 2018, n° 552 N° Lexbase : N3969BXB).

Quant à la question du recours contre l’ordonnance du juge-commissaire, la Cour de cassation fait ici application d'une jurisprudence qui est la sienne depuis plus de vingt ans. Le tiers qui forme un recours devant la cour d'appel doit en effet être dans une situation spéciale : ses droits et obligations doivent être affectés par l'ordonnance du juge-commissaire, à défaut de quoi il ne sera pas recevable (par ex., Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-19.622, FS-P+B N° Lexbase : A0883RQR – Cass. com., 24 janvier 2018, n° 16-18.795, F-P+B N° Lexbase : A8571XB3).

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE :  Les obligations du bailleur du bail commercial, Le champ d'application du droit de préférence du locataire en cas de vente d'un local commercial, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E4282E7Q.
  • v. ÉTUDE : La réalisation des actifs, Les voies de recours contre l'ordonnance du juge-commissaire, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E4634EU8.

 

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