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par Vincent Vantighem
le 24 Mars 2022
Ils sont âgés de 61 à 78 ans. Restaurateur, assistante sociale, psychothérapeute ou éducatrice spécialisée. À la retraite pour la plupart. Installés en France depuis trois ou quatre décennies. Mais aujourd’hui menacés d’être renvoyés en Italie pour purger une peine de prison. Dix anciens militants de l’extrême-gauche italienne sont aujourd’hui suspendus à la décision de la cour d’appel de Paris de les renvoyer dans leur pays d’origine. Tout simplement parce qu’ils ont été condamnés pour des actes de terrorisme perpétrés dans les années 1970 - 1980.
La chambre de la cour d’appel spécialisée dans les extraditions a commencé, mercredi 23 mars, à examiner les dossiers de ces anciens militants politiques et doit poursuivre ce travail jusqu’à la fin du mois d’avril. Au printemps 2021, après des mois de tractations avec Rome, Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d’extradition renouvelées, régulièrement, par l’Italie pour quatre anciens militants d’extrême-gauche et six anciens membres des Brigades Rouges. Rompant ainsi avec ce que l’on a appelé la « doctrine Mitterrand » qui, dans les années 1990, avait accordé un asile bienveillant à ces anciens extrémistes politiques menacés d’une peine de prison.
Les autorités italiennes les réclament, en effet, en vertu de condamnations, que plusieurs contestent, pour des actes de terrorisme commis en Italie durant « les années de plomb ». Il y a par exemple Marina Petrella, ex-dirigeante de la « colonne romaine », condamnée à perpétuité pour la complicité du meurtre d’un commissaire de police, en 1981, à Rome. Ou encore Sergio Tornaghi accusé d’avoir joué un rôle dans l’assassinat d’un dirigeant de son usine de Milan. Ou bien Narciso Manenti, membre des « Noyaux armés pour le contre-pouvoir territorial », condamné pour le meurtre d’un gendarme et qui avait revendiqué deux attentats sur le sol transalpin.
Interpellés au Printemps 2021, tous avaient alors refusé leur remise à l’Italie et avaient été placés sous contrôle judiciaire dans l’attente des audiences au fond concernant leur extradition, qui ont donc débuté mercredi 23 mars et doivent se poursuivre jusqu’au 20 avril. « Réclamer plus de trente ans après l’asile, quarante ans après les faits, leur extradition pose des problèmes de droit infranchissables sur la chose jugée, la sécurité juridique, des prescriptions trafiquées, la vie privée et familiale », a estimé Irène Terrel, avocate de sept d’entre eux.
« C’est anachronique », selon l’avocat d’un des mis en cause
Jean-Louis Chalanset est sur la même ligne. Avocat d’Enzo Calvitti, c’est lui qui a ouvert le bal devant la cour d’appel de Paris, mercredi. Son client, né à Mafalda en 1955, a été condamné, par contumace, à une peine de 18 ans de réclusion pour des délits « d’association à finalité terroriste » et « participation à une bande armée ».
« Il est évidemment soucieux de tout ce qui se passe, indique l’avocat. Il est marié. Il vit en France depuis des années. Il a pris sa retraite l’an dernier. Il travaillait comme psychothérapeute dans les Ehpad… C’est anachronique ! » Car, c’est bien le timing qui aujourd’hui pose question. Jean-Louis Chalanset en sait quelque chose. Il y a 35 ans, il avait déjà plaidé devant la même cour d’appel de Paris pour éviter à son client de retourner en Italie pour finir en prison. La même chose, donc. « J’ai réussi à remettre la main sur mon mémoire de l’époque. Il était tapé à la machine à écrire ! Les réclamer aujourd’hui n’a aucun sens... ».
« D’un point de vue du droit, je suis confiante quant au refus des juges de les remettre à l’Italie. Mais je suis méfiante sur la raison d’État », poursuit Irène Terrel, dénonçant une « pure instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique qui fait des dégâts intolérables sur les aspects humains ». Cette menace d’extradition, à rebours des promesses de la France durant des années, constitue « un non-sens, un châtiment vain et cruel » qui risque d’envoyer « mourir en prison ces dix personnes » ont dénoncé leurs familles, début mars, lors d’une conférence de presse organisée par la Ligue des droits de l’Homme (LDH).
Des papys tranquilles ou d’ex-terroristes ?
« Cela fait presque un an que nous vivons dans l’angoisse de perdre nos êtres chers, que nous sommes déphasés, perdus du fait de cet anachronisme qui nous tombe dessus », a témoigné, sous couvert d’anonymat, la femme d’un des mis en cause. « Pourquoi un tel revirement alors que la pleine et entière réussite du pari de la réinsertion ne peut être contestée par personne ? »
Sans doute parce que l’on voit ce dossier uniquement du point de vue français. En Italie, les attentats commis durant les « années de plomb » sont toujours aussi douloureux dans l’imaginaire collectif, en dépit du temps passé. Et, à intervalles réguliers, les journaux ne manquent pas de rappeler, photos des anciens extrémistes à l’appui, les dégâts qu’ils ont été condamnés d’avoir causé il y a quarante ou cinquante ans. « Les dépeindre comme des personnes tranquilles et sans danger est une insulte à la mémoire collective », témoigne ainsi une source diplomatique en Italie.
L’épineux dossier est donc désormais entre les mains de la cour d’appel de Paris. À elle seule de trancher et de décider si les dix sexagénaires ou septuagénaires sont aujourd’hui des papys et mamies qu’il faut laisser tranquilles ou d’ex-terroristes qu’il faut punir. La première décision sur le dossier d’Enzo Calvitti devrait être connue dans les prochaines semaines.
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