La lettre juridique n°897 du 10 mars 2022 : Électoral

[Focus] Une élection présidentielle française fortement perturbée du fait de la guerre en Ukraine, mais non reportable

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par Jean-Pierre Camby, Professeur de droit public, Université Versailles Saint-Quentin Paris Saclay, et Jean-Eric Schoettl, conseiller d'État honoraire

le 10 Mars 2022

Mots clés : élection présidentielle • Ukraine • report • campagne électorale • calendrier

Le drame ukrainien perturbe profondément – plus encore que l’affaire Fillon en 2017 -  la campagne présidentielle de 2022. La campagne est doublement déstabilisée : d’une part, en raison du raccourcissement de la durée effective des échanges contradictoires entre candidats, d’autre part, par la place prise par les relations internationales dans le débat national. La situation conduit chaque candidat à revoir ses positions antérieures, parfois fermement ancrées, sur les relations avec la Russie, la défense nationale ou l’accueil des réfugiés. Elle réduit à la portion congrue des thèmes porteurs pour tel ou tel candidat. La position institutionnelle du Président sortant lui confère incontestablement un avantage compétitif.


 

Autant dire que le constat de conditions « invraisemblables » [1] de la campagne  et celui d’un danger « d’omission du débat démocratique » [2] peuvent être partagés.

Dans ces conditions, le drame ukrainien doit-il conduire à reporter le scrutin présidentiel ?

En opportunité, la question peut être débattue. Les arguments seraient forts en faveur d’un report : l’invasion de l’Ukraine écrase la campagne électorale ; les questions autres que de politique étrangère et de défense (économie, social, santé, sécurité publique, environnement, immigration, justice, citoyenneté …) s’en trouvent éclipsées ; le président-candidat est trop absorbé par la situation internationale pour se livrer, avec les autres candidats, à la confrontation des projets ;  l’ « effet drapeau » (« rally round the flag ») biaise la compétition en sa faveur ; le favori des sondages, s’il est élu, ne pourra s’appuyer sur un programme dûment exposé aux électeurs et clairement approuvé par ceux-ci lorsqu’il s’agira, demain, de mener des réformes qui pourront être impopulaires (et d’autant plus impopulaires que les sanctions auront des répercussions sur les niveaux de vie)… Et que dire du débat sur le bilan du quinquennat, escamoté par l’offensive russe ? Inversement, on peut faire valoir qu’une démocratie est d’autant plus forte, face à l’adversité, que ses calendriers ne sont pas remis en cause au gré des évènements. La continuité de la vie parlementaire n’a-t-elle pas été respectée pendant la Première Guerre mondiale ? On peut aussi objecter à un report que le conflit peut durer et qu’aucun des candidats ne réclame ce report…

En droit, la question se pose de façon plus abrupte : peut-on légalement repousser le scrutin présidentiel ? Notons, sans plus attendre, qu’une réponse positive à cette question en soulèverait d’autres, car, sauf à rompre nos équilibres institutionnels, le report du scrutin présidentiel commanderait de prolonger le mandat en cours du chef de l’État, de repousser la date des élections législatives et de prolonger les mandats des récents députés. Chacune de ces mesures devrait être justifiée par un impérieux et indiscutable motif d’intérêt général. Une réponse positive obligerait également à statuer sur les étapes déjà parcourues par la procédure électorale en cours (parrainages, comptes de campagne…) : les actes afférents doivent-ils être « gelés » ou tenus pour nuls et non avenus ?

Mais la question principale, celle de la faisabilité constitutionnelle du report de l’élection présidentielle, nous paraît appeler une réponse négative. Voici pourquoi.

Même si, comme le montrent les évènements actuels, toute campagne électorale comporte sa part d’incertitude, les textes organisant l’élection présidentielle ne laissent guère de place à l’aléa. En matière électorale comme dans d’autres domaines, les circonstances défient souvent les règles et peuvent entraîner, à terme, leur réforme. Mais celle-ci ne peut intervenir à chaud. Dans le moment présent, le respect des règles conditionnant la validité juridique des procédures démocratiques est inhérent à la solidité de la démocratie.

I. Le calendrier est contraint

Le « non possumus » est d’abord constitutionnel.  Le calendrier électoral est dicté par les articles 6 N° Lexbase : L1325A9X et 7 N° Lexbase : L1339A9H de la Constitution. Or ces articles, comme les textes qui en font application, verrouillent les échéances.

En vertu de l’article 7, l'élection du nouveau Président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du Président en exercice. C’est la date « au moins » qui a été retenue pour fixer au 24 avril le second tour.

La durée de ces pouvoirs est fixée ne varietur à cinq ans par l’article 6, sauf décès, vacance ou empêchement définitif. Au-delà de la date d’expiration du mandat en cours, qui est le 13 mai 2022, l’article 7 de la Constitution, la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel N° Lexbase : L5341AGW, et le décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 en portant application N° Lexbase : L1198AS8 (qui précisent le calendrier) ne permettent de report qu’en cas de décès ou d’empêchement d’un candidat. Ces éventualités ont été prises en compte par la loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976, modifiant l’article 7 de la Constitution.

En pareils cas, la Constitution confie un rôle clé au Conseil constitutionnel. Celui-ci peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’une des assemblées, soixante députés ou sénateurs, ou encore par une personne ayant fait l’objet d’au moins une présentation (ce qui est la condition requise pour contester la liste des candidats du premier tour). Le Conseil constitutionnel peut donc être saisi, en particulier, par les candidats eux-mêmes, ainsi que par toute personne ayant reçu au moins un soutien validé. Il se prononce alors sur la nouvelle date du scrutin, qu’il doit fixer dans les 35 jours suivant le jour de sa décision. 

Tels sont les cas de report prévus par notre Constitution et ses textes d’application. Il n’y en a pas d’autres. N’est pas envisagée, notamment, l’éventualité d’une campagne électorale perturbée par des faits étrangers aux candidats.

Les possibilités de prorogation prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 7, outre qu'elles sont conditionnées par des circonstances particulières, n'autorisent donc pas un report de l’élection de l’ampleur évoquée dans les débats actuels (six mois par exemple).

Cet obstacle constitutionnel au report en raison de la crise ukrainienne est considérable, mais il n’est pas le seul. Le compte à rebours qui se termine avec l’expiration du mandat présidentiel en cours détermine non seulement le calendrier des opérations (date limite de retour des formulaires de présentation le 4 mars à 18 heures, deux tours séparés de quatorze jours), mais aussi deux autres calendriers auxquels on pense moins immédiatement : celui qui s’applique aux opérations de financement de la campagne et celui des temps de parole.

Le premier débute un an avant l’élection, selon le droit commun. Ce délai était initialement harmonisé avec celui de toutes les autres élections. Les lois, organique n° 2016-506 N° Lexbase : L8263K78 et ordinaire n° 2016-508 N° Lexbase : L8264K79, du 25 avril 2016 ont réduit, pour celles-ci, le délai à six mois (C. élect., art. L. 52-4 N° Lexbase : L7432LGD), mais n’ont pas modifié le délai d’un an prévu pour l’élection présidentielle. C’est donc délibérément que la période de comptabilisation des ressources et dépenses de campagne a été maintenue pour une durée plus longue que celle de droit commun par le II de l’article 3 de la loi organique modifiée du 6 novembre 1962.

La désignation d’un mandataire financier est une condition nécessaire à la candidature, mais elle n’est pas une condition suffisante. Elle est nécessaire notamment pour la collecte de dons, puis, si la candidature se confirme, pour l’obtention d’une avance de 200 000 euros et le remboursement forfaitaire des dépenses du candidat. Elle n’est pas suffisante puisque, s’agissant des campagnes électorales présidentielles, il n’y a pas, au sens juridique, de déclaration de candidature. La qualité de candidat est subordonnée, d’une part, à l’obtention de cinq cents signatures de présentation valides provenant d’au moins 30 départements ou collectivités  et, d’autre part, au fait que le Conseil constitutionnel «  doit s’assurer du consentement des personnes » ainsi  présentées, par la remise, par chacune d’entre elles, d’une déclaration de patrimoine et d’une déclaration d’intérêts. Cette nuance échappe le plus souvent aux commentateurs : politiquement, les candidats à la présidentielle « se déclarent », alors que, juridiquement, ils « acceptent » d’être candidats.

Les règles applicables aux campagnes audiovisuelles prennent acte de cette circonstance : l’ARCOM (ex CSA) retient comme critère les déclarations publiques, comme les soutiens incitant à la candidature, pour reconnaître les qualités de candidat « présumé » ou « déclaré » [3]. L’obtention des 500 signatures, pour les 12 candidats en lice en 2022, a été, comme il arrive souvent, une quête ardue, fortement médiatisée, pour certains candidats, mais au final, comme cela a toujours été le cas jusqu’ici, aucun courant d’opinion significatif, ni aucun des candidats crédités d’un nombre conséquent de voix dans les sondages, n’a été rejeté de la compétition par le « filtre » des présentations.

Il n’y a pas de date limite de dépôt de candidature, puisqu’il n’y a pas de dépôt de candidature. À la date limite de retour postal des formulaires de présentation, soit le 7 mars, on connaît la liste de ceux qui remplissent les conditions pour être candidats. C’est entre le moment où ils sont assurés d’avoir obtenu 500 présentations valides et la publication de la liste des candidats du premier tour, au plus tard le quatrième vendredi précédent celui-ci, soit le 18 mars, que la remise des déclarations de patrimoine et d’intérêts est requise. C’est la seule date butoir à l’accès au premier tour. Signalons que le Conseil constitutionnel a publié le 7 mars la liste des douze candidats du premier tour (Décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022 N° Lexbase : A84467PI) et que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a publié le 8 mars les déclarations de patrimoine et les déclarations d’intérêts et d’activité de tous les candidats à l’élection présidentielle, sans, ajoute-t-elle « que ces déclarations ne puissent faire l’objet d’un contrôle de sa part ».

Avant ou pendant cette phase, l’entrée effective en campagne est affaire de stratégie. Elle est évidemment dictée, pour certains candidats, par l’existence de primaires ou de congrès d’investiture. 

Qu’en est-il du Président sortant ? Son intérêt est de différer l’annonce pour plusieurs raisons, les unes tactiques, une autre éminente.

Une première raison tactique de retarder la déclaration de candidature est de limiter le risque de dépassement du plafond des dépenses de campagne [4]. Il faut en effet tirer les leçons du précédent du 4 juillet 2013, qui a conduit le Conseil constitutionnel à confirmer le rejet d’un compte de campagne pour motif de dépassement du plafond [5], pour la première fois pour une élection présidentielle [6]. La deuxième raison tactique est de laisser les adversaires déclarés débattre entre eux, ce qui permet de faire émerger des sujets clivants, mais aussi d’obtenir, en tant que candidat, une visibilité médiatique plus grande pendant la période du 7 au 28 mars où l’équité s’applique « dans des conditions de programmation comparables ». La dernière raison tactique de retarder l’entrée en lice du président est d’échapper à des débats trop longs ou trop risqués sur la teneur du programme.

Une raison éminente s’ajoute ici à ces motifs tactiques : c’est évidemment l’invasion de l’Ukraine. Sur cette scène, le Président de la République joue un rôle transcendant les débats politiques ordinaires. L’intérêt national lui-même impose de limiter autant que possible les interférences médiatiques entre cette fonction régalienne et les joutes électorales.

À ce dernier égard, le Président est doublement légitime à intervenir. D’abord parce que, constitutionnellement, il est le chef des armées [7] et de la diplomatie française. Ensuite parce que la présidence du Conseil européen lui confère une responsabilité particulière. Cette circonstance renforce cependant les effets du déséquilibre de la campagne, non seulement en termes d’image personnelle, mais aussi par ce qu’elle a contribué à retarder l’entrée en campagne effective d’Emmanuel Macron : le 28 février, il annule un premier meeting, prévu le 5 mars à Marseille.

Ouvrons ici une parenthèse : à quelle date Emmanuel Macron est-il entré effectivement en campagne ? Est-ce à la date de sa lettre de déclaration de candidature du 4 mars ? À celle de son premier meeting de la campagne ? À celle de la désignation de son mandataire financier ? À celle de ses premières velléités de candidature, dont l’interview remarquée accordée au Parisien le 4 janvier ? La part n’est pas facile à faire entre l’intention de candidature, d’une part, et, d’autre part, les propos institutionnels et l’usage des moyens publics qui les accompagne.

Ses adversaires ne manquent donc pas de dénoncer le mélange des genres résultant, pour partie de cette tactique, pour partie de la situation, inédite sous la Ve République, créée par le déclenchement d’un conflit sur le territoire européen moins de deux mois avant le premier tour et alors que le pays s’extirpe à peine de la crise sanitaire.

II. Une aggravation du conflit ukrainien ferait peser sur la campagne une incertitude sans solution constitutionnelle

On doit en conclure que le report de l’élection est légalement impossible. Mais, comme toujours en droit, il faut réserver les circonstances exceptionnelles. Elles doivent être alors vraiment exceptionnelles. Quelles seraient-elles ? La France peut entrer guerre ou être gravement affectée par le conflit. Celui-ci peut atteindre, d’une manière ou d’une autre, le territoire national, soit militairement, soit par les impacts d’une « guerre hybride » : interruption durable des liaisons de télécommunication, panne informatique générale, accident nucléaire, crise économique majeure, etc. En l’état des choses, tel n’est heureusement pas le cas.

Comment des circonstances exceptionnelles, si elles survenaient, pourraient-elles conduire à modifier le calendrier électoral ? La crise sanitaire nous fournit un précédent : il s’agit des élections municipales de 2020. Le processus électoral était en cours. Le premier tour passé, est intervenue une décision de report. Elle a été validée par le législateur [8], puis par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a alors reconnu qu’un motif d’intérêt général justifiait le report [9] et admis que la date du second tour soit  fonction de la situation sanitaire en France et dans le monde.

Ce précédent n’est cependant pas transposable au scrutin présidentiel, car, comme il a été dit, une loi ordinaire ne suffirait pas à opérer le report d’une élection présidentielle. Si le trouble causé par la situation ukrainienne devait s’intensifier au point de rendre impossible la campagne électorale ou la tenue du scrutin, la réponse ne pourrait être fournie que par une loi constitutionnelle. Est-ce concevable ?

Pour différer le scrutin de plusieurs mois, il faudrait réviser la Constitution en catastrophe, selon la procédure de l’article 89 de la Constitution. Le texte actant ce report devrait être voté en termes identiques par chaque assemblée parlementaire.

Puis il devrait être adopté par le Congrès à une majorité des trois cinquièmes des votants (l’organisation d’un référendum paraissant hautement improbable dans une situation d’urgence...). D’autres mesures, de caractère législatif et réglementaire, devraient ensuite être prises pour caler les échéances (s’agissant notamment des élections législatives et de la prolongation des mandats des députés) en conséquence du report du scrutin présidentiel.  Il est illusoire de croire que tout cela pourrait se faire avant le 10 avril 2022, c’est-à-dire dans un mois.

Que penser alors de l’usage de l’article 16 de la Constitution N° Lexbase : L1273A9Z ? Celui-ci permet certes de prendre les « mesures exigées » par les circonstances, qui « doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ».  Toutefois, la modification de délais prévus par la Constitution serait contraire à l’article 16, car ce dernier exclut que, pendant sa durée d’application, la Constitution soit révisée. En tout état de cause, les conditions de déclenchement de l’article 16 ne seraient remplies qu’en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire ou à l’indépendance nationale, cumulée avec une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Nous n’en sommes pas là.

Nous ne sommes pas davantage en état de siège. Quant à l’état d’urgence, il pourrait, certes, être proclamé si, sans compromettre le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, la dégradation de la situation en Europe soulevait en France de graves problème d’ordre public ou de sécurité civile. Ce serait le troisième état d’urgence en sept ans (après l’état d’urgence antiterroriste et l’état d’urgence sanitaire). Mais le régime de l’état d’urgence, qui est de niveau législatif et non constitutionnel, ne permettrait pas davantage de repousser la date d’une élection présidentielle.

Et si, par extraordinaire, tous ces obstacles constitutionnels étaient aplanis, que faire de la campagne en cours, des dons collectés par les candidats, de la clôture de la phase de présentations (qui ne peuvent être retirées), de la liste des candidats publiée, des temps d’antenne et de parole ?  

Dès lors qu’un processus aussi complexe qu’une élection présidentielle est enclenché, il est difficile de « remettre les compteurs à zéro ».

Autre question : l’exceptionnalité du contexte actuel vicie-t-elle la sincérité du scrutin des 10 et 24 avril 2022 ? Comme on a dit en introduction, le conflit perturbe lourdement la campagne. Un des candidats joue un rôle majeur dans cette crise diplomatico-militaire et dans le pays, en tant que président en exercice.  L’impact de la crise ukrainienne sur la campagne est encore plus fort que celui de l’ « affaire Fillon » en 2017. Pour autant, on voit mal le Conseil constitutionnel remettre en cause la sincérité du scrutin, que ce soit ex ante [10] ou ex post [11]. En 2017, l’incidence sur le scrutin présidentiel de la procédure pénale visant François Fillon a été dénoncée sur le plan politique, mais personne n’a soutenu, au plan contentieux, que l’élection s’en trouvait viciée. Ici, un usage abusif des moyens publics ou une manifeste « confusion des genres » pourraient être critiqués au plan juridique.

Deux remarques en guise de conclusion.

Si la campagne passe ainsi au second rang, c’est aussi, en partie, en raison d’un désintérêt médiatique. Ce n'est pas la première fois.  Nous n'avons pas eu de vraie campagne du premier tour des municipales de 2020, pour cause de Covid. Nous n'avons pas eu non plus de campagne pour les élections départementales et régionales de 2021, car les médias étaient accaparés par la crise sanitaire. C'est désormais sur l'Ukraine que les médias sont concentrés. Il semble que les échéances électorales soient devenues, aux yeux des commentateurs, voire d’acteurs politiques, un enjeu secondaire. La demande de report n’est-elle pas un réflexe depuis quelques années ? Dès que les cieux sont troublés, il est question de repousser les élections au motif que l’électorat, déjà porté à l’abstentionnisme en temps ordinaire, participera moins encore dans des temps agités. Cercle vicieux et prophétie auto-réalisatrice : on sait en effet que la participation est corrélée à l'importance du traitement médiatique. Repousser les élections à chaque fois que les médias, incapables de couvrir deux sujets en même temps, décident de ne pas en rendre correctement compte, ou ne peuvent le faire compte tenu des priorités de l’actualité, c’est accentuer le désenchantement démocratique. Repousser les élections alors qu’aucun élément matériel n’en empêche la tenue, risque de faire croître le scepticisme et l’abstention, c’est-à-dire aboutir au résultat inverse de celui recherché. 

Seconde remarque : si la crise ukrainienne se réglait avant juin, le débat omis, bâclé ou inabouti lors de l’élection présidentielle s’inviterait aux législatives suivantes. Depuis 2002, celles-ci ont tout à la fois confirmé l’élection présidentielle et suscité l’indifférence croissante d’une partie du corps électoral qui considère que tout est joué lors de l’élection précédente. Le calendrier choisi depuis la loi organique du 15 mai 2001 tend à assurer la coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire, ce qui correspond à la logique du quinquennat et rythme depuis lors la succession des échéances électorales. Mais comment « confirmer » un débat qui n’aura pas eu lieu de manière satisfaisante, tronqué qu’il aura été dans son déroulement comme dans son contenu ? 

 


[1] M.-A. Jamet, cité in l’Express, en ligne, 1er mars 2022.

[2] G. Larcher, même référence.

[3] Décision CSA n° 2021-03, 6 octobre 2021, du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux services de communication audiovisuelle en vue de l'élection du Président de la République N° Lexbase : X9962CMW.

[4] 16, 85 millions d’euros pour le premier tour et 22,5 millions d’euros pour le second tour.

[5] Il existe deux autres cas de rejets pour d’autres motifs : Cons. const., décision n° 95-88 PDR 11 octobre 1995 N° Lexbase : A91317PU, décision n° 2002-113 PDR du 25 septembre 2002 N° Lexbase : A91237PL ; V. Maligner, AJDA 2002. 1173 ; Massat, Rev. rech. jur., 2003-3, p. 2085 ; J.-E. Schoettl, LPA, 25 oct. 2002, n° 214, p. 4.

[6] CNCCFP, décision du 19 décembre 2012, relative au compte de campagne de M. François Hollande, candidat à l'élection du Président de la République des 22 avril et 6 mai 2012 N° Lexbase : Z04715ZD, confirmée par Cons. const., décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 N° Lexbase : A5181KIQ ; V. Maligner, AJDA,  23 septembre 2013, n° 31, p. 1810-1815 ; Hamon, LPA, 21 octobre 2013, n° 210, p. 4-8.

[7] V. J Massot, Le Chef de l’État, chef des armées, LGDJ, 2011.

[8] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L5506LWT.

[9] Cons . const., décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 N° Lexbase : A71123NQ : « les dispositions contestées suspendent les opérations électorales postérieurement à la tenue du premier tour et reportent l'organisation du second tour. Si elles remettent en cause l'unité de déroulement des opérations électorales, elles permettent, contrairement à une annulation du premier tour, de préserver l'expression du suffrage lors de celui-ci. Toutefois, le législateur ne saurait, sans méconnaître les exigences résultant de l'article 3 de la Constitution, autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu'à la condition qu'elle soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général et que, par les modalités qu'il a retenues, il n'en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l'égalité devant le suffrage » ; Cons. const., décision n° 2001-95 PDR du 14 mars 2001 N° Lexbase : A99167PX, note Desgrées du Lou, AJDA, 2001. 964, Jan, Dalloz, 2001, n° 23, p. 1828-1830 ; S. Lamouroux, Annuaire international de justice constitutionnelle, 2001, n° XVII-2001, p. 597.

[11]  Les circonstances exceptionnelles n’ont justifié jusqu’ici que la validation de la décision prise par le préfet de reporter la date du second tour de scrutin en raison de conditions météorologiques exceptionnelles, à défaut de disposition législative prévoyant une telle hypothèse (Cons. const., décision n° 73-603/741, AN du 27 juin 1973 N° Lexbase : A7832AHK), ou l’annulation d’une élection qui prive les deux tiers des électeurs de pouvoir se rendre aux urnes du fait de la décision de l’ambassadeur du Congo de ne pas ouvrir certains des bureaux de vote à cause de troubles armés. Les résultats des autres bureaux ne peuvent suffire à établir l’élection avec certitude (CE, 16 janvier 1998, n° 188926 N° Lexbase : A6205ASM). Mais, souvent, elles ne le justifient pas (chutes de neige dans le Cantal en 1981, tremblement de terre à Wallis en 1993).

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