Réf. : Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant diverses dispositions N° Lexbase : L5564MBP ; Arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du code de procédure civile N° Lexbase : L5665MBG
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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & Associés), Intervenant à l’ENM, l’EFB, HEDAC et à l’INCJ, Doctorant en droit, Legal Logion Officier
le 09 Mars 2022
Mots-clés : ordonnance d’injonction de payer • formule exécutoire • huissier
L’injonction de payer, forte de son succès, a achevé sa mutation entamée par le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 et terminée par l’arrêté du 24 février 2022. Ces réformes n’entament pas son efficacité, mais soulèvent néanmoins des interrogations conduisant à regretter un manque d’ambition du législateur et explorer des pistes de réflexion pour améliorer encore cette procédure très prisée. Parmi ces axes d’amélioration, il est notamment opportun d’envisager la réduction du délai d’opposition en cas de signification à personne, et de faciliter la délivrance du certificat de non-opposition à l’ordonnance d’injonction de payer.
La procédure d’injonction de payer a bien évolué depuis son introduction en droit français par un décret-loi du 25 août 1937 et se distingue à bien des égards de sa grande sœur allemande « Mahnverfahren » [1]. Bien qu’une frontière et une langue les séparent, l’injonction de payer et la « Mahnverfahren » conservent en commun, outre un esprit d’efficacité, une informatisation grandissante facilitée par la possible automatisation de la procédure.
Sur ce point, il faut admettre que la « Mahnverfahren » est bien plus avancée que l’injonction de payer française. En effet, en plus du fait que l’ordonnance est exécutable à défaut d’opposition quinze jours après la signification de l’ordonnance simple (contre un mois concernant la procédure française), elle peut être réalisée de manière dématérialisée via un site internet accessible à tous [2].
Le droit français aurait pu aller beaucoup plus loin que son état actuel depuis l’arrêté du 24 février 2022 N° Lexbase : L5665MBG pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5420L8A pour dématérialiser la procédure d’injonction de payer. En effet, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC prévoyait le traitement dématérialisé des requêtes en injonction de payer devant un tribunal judiciaire unique à compétence nationale spécialement désigné par décret. Ce projet avait été très bien accueilli par les professionnels, et plusieurs pays scrutaient son développement. Ainsi avait-il été question de l’exposer lors du congrès de l’Union Internationale des Huissiers de Justice de 2021, puisque la « JUNIP » devait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2021. Cependant, dès la rentrée 2020, une dépêche de la direction des services judiciaires avait pour objet d’informer de la décision du garde des Sceaux de ne pas donner suite à ce projet dans sa forme initiale puisqu’était désormais privilégié le maintien du traitement des injonctions de payer au sein des juridictions, au plus près des justiciables. L’objectif de garantir un traitement rapide et efficace des requêtes en injonction de payer, tout en allégeant la charge de travail des greffiers et des magistrats, restait cependant la préoccupation du ministère de la Justice, ce qui explique le développement de la dématérialisation des injonctions de payer et l’arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile.
Pour mémoire, cet arrêté s'applique à la mise à disposition par voie électronique des documents justificatifs produits à l'appui de la requête en injonction de payer, réalisée par les huissiers de justice conformément aux dispositions de l'article 1411 du Code de procédure civile. Dans sa version issue du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 N° Lexbase : L4794L83, cet article prévoyait que les pièces produites à l’appui de la requête étaient signifiées en même temps que l’ordonnance, donc sur support papier, ce qui allait accroître considérablement le coût de cet acte. Grâce à cet arrêté, ces pièces ne seront pas signifiées, mais mise à disposition sous forme électronique, solution peu onéreuse pour le créancier (1,50 euros HT) [3] et qui semble satisfaire le plus grand nombre.
Si l’arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile vient régler les difficultés nées du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, est-il possible d’en conclure que la procédure d’injonction de payer version 2022 a atteint sa maturité ?
Comme il sera exposé, une réponse négative s’impose car, bien que parée de vertus juridiques (I), la procédure d’injonction de payer 2022 n’en présente pas moins certains vices pratiques (II) qui laissent en souffrance de désagréables interrogations.
I. L’injonction de payer 2022 : vices et vertus juridiques
La réforme de la procédure d’injonction de payer présente des vertus certaines. Elle modifie plusieurs aspects de la procédure, permettant un léger gain de temps (A), et clôt un sempiternel débat qui opposait huissiers de justice et juges de l’exécution (B).
A. Les vertus juridiques
D’un point de vue strictement procédural, il faut admettre que l’injonction de payer 2022 est un succès, et ce, des points de vue du créancier, du greffe et du débiteur.
Du point de vue du créancier, l’injonction de payer 2022 est un succès car elle présente un gain de temps non négligeable.
En effet, sous l’empire des anciens textes, l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance nécessitait le visa du juge. Puis l’obligation de visa a disparu, l’apposition de la formule exécutoire relevant uniquement du greffier. La demande était formée, par le demandeur ou son mandataire, par lettre simple ou par déclaration auprès du greffe et était accompagnée d’une copie de l’ace de signification. L’article 1422 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6364H7T (ancienne rédaction) prévoyait que le créancier pouvait en faire la demande en l’absence d’opposition dans le mois suivant la signification de l’ordonnance d’injonction de payer, quelles qu’en soient les modalités, ou en cas de désistement du débiteur qui a formé opposition. Une demande d’apposition de la formule par anticipation n’était cependant pas illégale : il n’existait aucune disposition interdisant au créancier de saisir à l’avance le greffier d’une demande tendant à ce que, en l’absence d’opposition dans le délai, il appose la formule sur l’ordonnance [4]. La Cour de cassation avait cependant récemment censuré une décision des juges du fond ayant admis l’apposition de la formule exécutoire effectuée le même jour que la signification de l’ordonnance [5].
C’est ainsi avec une certaine ironie que la procédure d’injonction de payer 2022 coupe court à tous ces débats et délais en prévoyant qu’ « En cas d'acceptation de la requête, le greffe remet au requérant une copie certifiée conforme de la requête et de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire et lui restitue les documents produits » [6]. L’article 1411 du Code de procédure civile prévoit lui que c’est bien une copie certifiée conforme de la requête et de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire qui est signifiée au débiteur. Le débat est donc clos sur ce point, et le créancier peut être soulagé de ne plus souffrir des navettes huissier/greffe.
Il donc aisé de comprendre que, du point de vue du greffe, l’injonction de payer 2022 est également un succès.
Il est vrai que le législateur a tenu ses promesses en allégeant le travail des greffes. Préservés des demandes d’apposition de la formule exécutoire, les greffes s’épargnent ainsi d’avoir à retraiter des ordonnances uniquement pour y apposer la formule exécutoire.
Plus encore, et c’est là une nouveauté impactant grandement les huissiers de justice comme en témoignent plusieurs circulaires de la Chambre nationale des commissaires de justice, les documents produits à l'appui de la requête ne sont plus conservés provisoirement au secrétariat-greffe ou au greffe [7]. C’est sur l’huissier de justice que pèse in fine cette obligation, que l’arrêté du 24 février 2022 vient éclaircir. Les documents produits à l'appui de la requête seront donc placés par l’huissier de justice en charge de la signification dans un coffre-fort, que la requête soit déposée par lui ou par un tiers, pour la modique somme de 1,50 euros HT que la Chambre nationale des commissaires de justice qualifie dans sa circulaire du 5 mars 2022 de « débours » au sens de l’article R. 444-13 du Code de commerce N° Lexbase : L8430K4Y.
Notamment grâce à ce point, l’injonction de payer 2022 est également un succès du point de vue du débiteur puisque son droit à la contradiction n’est pas atteint, mais son exercice est facilité.
L’accès aux documents produits à l’appui de la requête lui est facilité puisqu’il n’a plus à se déplacer au greffe de la juridiction, pouvant en prendre connaissance gratuitement et facilement [8] depuis son smartphone et avec les identifiants de connexion qui sont communiqués dans l’acte de signification de l’ordonnance d’injonction de payer comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 3 de l’arrêté du 24 février 2022. Cette mise à disposition est garantie durant tout le délai d’opposition puisque l’article 5 de l’arrêté prévoit que « la durée de mise à disposition des documents est de dix-huit mois à compter de leur dépôt sur la plate-forme. L'huissier de justice s'assure que les pièces demeurent disponibles au minimum un mois après la signification faite en application de l'article 1411 du Code de procédure civile ».
Fort heureusement, l’article 1er du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 N° Lexbase : L5564MBP, prévoit que « Si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère à l'huissier de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée ».
Plus encore, l’injonction de payer 2022 renforce l’information du débiteur grâce au formalisme de l’acte de signification. Si le rappel verbal de la possibilité de former opposition demeure en cas de signification à personne comme le prévoit l’article 1413 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5418L88, la nouvelle rédaction impose cependant que le délai d’opposition doit être indiqué de manière « très apparente » (note : le texte ne précisait pas avant qu’il fallait que cette mention apparaisse de manière très apparente). Pour saisir ce que signifie cette expression « très apparente », il faut se reporter à un arrêt rendu par la cour d’appel de Besançon le 24 juin 2020 [9] : les juges y retiennent que la mention est considérée comme « très apparente » si la police est suffisamment grande pour être lisible, structurée en paragraphes et sous la mention « très important » écrite en capitales et en gras.
Seul petit bémol, mais non des moindres : pour former opposition, le débiteur devra dorénavant préciser son adresse dans son opposition. La nouvelle rédaction de l’article 1415 du Code de procédure civile
L’injonction de payer 2022 est donc promise à un succès pratique, qui ne doit cependant pas faire oublier qu’elle peut susciter d’importants débats doctrinaux.
B. Les vices juridiques
L’injonction de payer 2022 présente l’avantage de clore un débat, mais en ouvre un autre.
La question tranchée par la nouvelle mouture de l’injonction de payer est relative à la nécessité de signifier ou non l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire.
Sous l’empire des anciennes rédactions des textes (rendu de l’ordonnance, puis signification, puis apposition de la formule exécutoire), il était fréquent que, au cours d’une audience en saisie des rémunérations, le magistrat de l’exécution et l’huissier de justice s’opposent sur une question : le débiteur devait-il supporter le coût de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer exécutoire ?
Pour les huissiers de justice et les avocats du créancier poursuivant, le débiteur devait supporter le coût de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer exécutoire. Cette position se fondait sur l’article 503 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6620H7C combiné à la nécessité de signifier un titre exécutoire revêtu de la formule exécutoire avant d’exécuter sous peine de nullité de l’acte de saisie. La crainte est en effet grande de voir des actes de poursuite annulés au motif que le titre exécutoire avait été signifié sans sa formule exécutoire, comme cela a été le cas récemment [11].
Pour les magistrats, il n’y avait pas lieu de signifier l’ordonnance d’injonction de payer exécutoire car « aucun texte n’exige expressément la signification de l’ordonnance d’injonction de payer exécutoire et qu’aux termes des dispositions de l'article 1422 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5423L8D, l'ordonnance d'injonction de payer qui n'a pas été frappée d'opposition dans le mois suivant la signification de l'ordonnance produit les effets d'un jugement contradictoire (quel que soit le mode de signification), ce indépendamment de l'apposition de la formule exécutoire qui n'est exigée que pour la mise en œuvre des poursuites, aucun recours n'étant plus recevable à ce stade » [12].
En supprimant la navette greffe/huissier/greffe par l’apposition immédiate de la formule exécutoire sur l’ordonnance dès son rendu (CPC, art. 1410), le débat est donc clos puisque les dispositions de l’article 503 du Code de procédure civile, qui prévoient une signification du titre exécutoire avant toute exécution, seront respectées de fait. Les débats en audience de saisie des rémunérations seront donc pacifiés sur ce point.
Pour autant, c’est cette apposition de la formule exécutoire qui est source de questionnements théoriques.
En effet, et comme le soulignent fort opportunément Monsieur le Professeur Laher et Maître Simon dans un article au titre aussi irrévérencieux que facétieux, « si cette innovation peut se comprendre d’un point de vue gestionnaire, elle a de quoi surprendre d’un point de vue plus théorique. En effet, ainsi que l’écrivait Hébraud, la formule exécutoire est moins une condition d’obtention de la force exécutoire qu’un « signe » ; un « indice » permettant aux praticiens de contrôler son existence d’un simple coup d’œil pour mieux obéir aux ordres de la « République française ». Ce nouveau mécanisme est donc pour le moins étrange et nous semble remettre en cause la solennité symbolique de la formule autant que sa vocation pratique. Il existait des titres exécutoires par principe malgré l’absence de la formule exécutoire ; il existera désormais des titres inexécutables par principe (du moins, temporairement) malgré la présence de la formule exécutoire » [13], position apparemment partagée par Madame le Professeur Bléry également [14].
Il est possible de rejoindre ces avis en s’interrogeant sur le sens de l’apposition d’une formule exécutoire aussi précaire, voire éphémère. Sans diminuer l’efficacité de la nouvelle mouture de l’injonction de payer, une solution aurait été que ce soit l’huissier de justice significateur qui appose la formule exécutoire sur l’ordonnance à défaut d’opposition dans le mois de la signification, ce qui aurait présenté l’avantage de mettre en relation le débiteur, l’huissier et le créancier dès la volonté d’opposition et entamer ainsi un règlement amiable du litige.
Vient alors le temps d’évoquer la question de la place de l’huissier de justice dans la procédure d’injonction de payer 2022, et examiner ainsi ses vices et vertus pratiques.
II. L’injonction de payer 2022 : vices et vertus pratiques
L’injonction de payer 2022 constitue une avancée comme il a été précédemment exposé. Mais, pour le praticien de l’exécution qu’est l’huissier de justice, force est de constater qu’elle présente davantage de vices (B) que de vertus (A) puisqu’elle crée de nouvelles obligations, mais aucune nouvelle prérogative.
A. Les rares vertus pratiques
Pour l’huissier de justice, l’injonction de payer 2022 présente deux vertus : économique et sociologique.
Économiquement, et de manière étonnante par ailleurs, l’injonction de payer 2022 présente une vertu pour l’officier public et ministériel. Bien qu’un acte disparaisse (v. supra), la Chambre nationale des commissaires de justice a adopté à l’unanimité du bureau [15] qu’en cas de signification à plusieurs codébiteurs, le principe selon lequel chaque destinataire devra recevoir un acte individuel et séparé présentant uniquement les identifiants qui lui sont propres. Elle précise que « bien évidemment, l’obligation de signifier un acte par destinataire ne concerne que la signification de l’ordonnance d’injonction de payer et non pas tous les autres actes de la procédure ». Ce point de vue est motivé par l’impérieuse nécessité de respecter le RGPD qui interdit de communiquer au codébiteur les identifiants d’un autre, ainsi que par l’article 3 de l’arrêté du 24 février 2012 qui prévoit que « Le système mis en œuvre doit garantir, par des modalités d'identification des accédants conforme aux recommandations de l'autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information, que chaque destinataire n'a accès qu'aux seuls documents et informations qui le concernent » . L’injonction de payer 2022 ne signifie donc pas baisse du coût de la procédure en cas de pluralité de débiteurs, mais stabilisation.
Sociologiquement, il faut se féliciter du fait que l’huissier de justice voit son rôle grandir au sein de la procédure. Plus que l’agent significateur qu’il était jusque lors, l’huissier de justice garantit aujourd’hui par la mise en place du coffre-fort numérique le possible rétablissement du principe du contradictoire. L’huissier de justice n’est donc plus uniquement perçu comme l’instrument du créancier, mais également l’interlocuteur du débiteur par le prisme de la plateforme dénommée « Mes Pièces » (www.mespieces.fr), mise en œuvre sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice, et intégrée au réseau privé sécurisé huissiers (RPSH).
Ce rôle aurait néanmoins pu être accentué s’il avait été prévu, de la même manière qu’en matière de contestation de saisie-attribution, que le débiteur informe l’huissier de justice de son opposition. Cette simple formalité aurait permis de sécuriser l’action de l’officier public et ministériel tout en évitant la sollicitation d’un certificat de non-opposition auprès du greffe et de la réserve de temps qui siège en toute demande…
B. Les vices pratiques
Le principal reproche qui peut être adressé à la procédure d’injonction de payer 2022 est qu’elle est le fruit d’une réforme purement administrative, ce qui explique qu’elle crée de nouvelles obligations mais aucun nouveaux droits ou prérogatives pour les huissiers de justice, ce qui laisse matière à cinq réflexions.
La première réflexion est qu’une réforme de fond de la procédure d’injonction de payer, inspirée de la Mahnverfahren évoquée précédemment, aurait été la bienvenue.
Il aurait été en effet opportun de prévoir que, en cas de signification à personne, l’exécution puisse se réaliser à l’issue d’un délai de quinze jours de ladite signification, comme le droit allemand le prévoit (§ 692 alinéa 1 n° 3 ZPO). Puisque l’huissier de justice se voit imposer une obligation d’information renforcée en cas de signification à personne (l’article 1414 du Code de procédure civile prévoit qu’il doit effectuer un rappel verbal et le mentionner dans l’acte), il aurait été compréhensible que cette obligation renforcée du débiteur soit le corolaire d’un délai d’opposition spécialement aménagé pour tenir compte du degré d’information du débiteur. Le délai d’opposition serait demeuré inchangé en cas de non-signification à personne, afin de préserver les droits du débiteur. En cas de signification à personne, et donc de rappel verbal de ses droits, le justiciable deviendrait un « débiteur averti » grâce à l’obligation d’information renforcée de l’huissier de justice.
Il serait possible de s’émouvoir à la lecture de cette proposition et y objecter que la réduction du délai d’opposition en cas de signification à personne constituerait une atteinte aux droits de la défense du débiteur, même « averti », puisque le délai actuel d’un mois lui serait nécessaire pour préparer sa défense. L’argument de la préparation de la défense n’est cependant pas valable car l’opposition n’a pas à être motivée. N’ayant pas besoin d’être motivée, l’opposition du débiteur à l’injonction de payer peut en plus être formée sans avocat ou mandataire, simplement par déclaration au greffe contre récépissé ou lettre recommandée comme le prévoit l’article 1415 du Code de procédure civile.
Il faut ajouter à ce qui précède que le « débiteur averti » peut dorénavant, grâce au coffre-fort numérique mis à sa disposition, prendre connaissance des pièces produites à l’appui de la requête en injonction de payer immédiatement après la signification de l’ordonnance, et ainsi exercer son opposition. Le débiteur ne serait plus seulement « averti » par la signification et le rappel verbal de l’huissier, mais également « éclairé » grâce au coffre-fort numérique.
Ainsi, la réduction du délai d’opposition de un mois à quinze jours du débiteur « averti et éclairé » pour s’aligner sur la procédure allemande créerait une véritable et ambitieuse réforme de la procédure d’injonction de payer, renforçant sa philosophie et son efficacité, tout en préservant la possibilité d’ouvrir un débat contradictoire dans un délai raisonnable. Hélas, le souhait de la réforme n’est pas d’accélérer l’exécution de l’ordonnance d’injonction de payer, mais uniquement de simplifier son obtention.
La deuxième réflexion est que l’huissier de justice aurait pu se voir confier un rôle encore plus important dans la procédure d’injonction de payer. Comme il a en effet été précédemment exposé, son rôle aurait pu être accentué s’il avait été prévu, de la même manière qu’en matière de contestation de saisie-attribution, que le débiteur informe l’huissier de justice de son opposition. Cette simple formalité permettrait de sécuriser l’action de l’officier public et ministériel tout en évitant la sollicitation d’un certificat de non-opposition auprès du greffe et de la réserve de temps qui siège en toute demande…
Allant plus loin encore, il aurait été possible d’imaginer que l’opposition (évènement qui concerne seulement 4,2 % de la matière selon les statistiques du ministère de la justice en 2019) soit faite directement auprès de l’huissier de justice par lettre recommandée. Le greffe serait par la suite avisé par l’huissier puisque l’opposition a pour effet de saisir le tribunal de la demande initiale du créancier et de l'ensemble du litige (CPC, art. 1413). Par symétrie, en l’absence d’opposition dans le mois de la signification de l’ordonnance, l’huissier significateur et le greffe auraient été concurremment à même de délivrer le certificat de non opposition, comme c’est aujourd’hui le cas concernant le certificat de non contestation à une saisie-attribution.
Cette simple modification des articles 1413 et 1415 du Code de procédure civile permettrait, outre un gain de temps, d’alléger considérablement la tâche des greffes en les soulageant de la question du certificat de non opposition, tout en accentuant la présence de l’huissier de justice auprès du justiciable.
La troisième réflexion est qu’il est possible de regretter que, à l’heure où le FICOBA conservatoire vient d’être ouvert au créancier de droit interne [16], la nouvelle ordonnance d’injonction de payer, revêtue de la formule exécutoire dès son rendu [17], ne permette pas de consulter ce sacro-saint fichier avant l’expiration du délai d’un mois suivant sa signification. En effet, cette possibilité est écartée par les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 1422 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5423L8D qui dispose que « l'ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d'un tel titre ou d'une décision de justice qu'à l'expiration des causes suspensives d'exécution [l’opposition] ».
La perspective d’une « saisie-conservatoire prématurée » est également interdite par ce même texte, ce qui constitue la quatrième réflexion qu’inspire la réforme. Il serait aventureux, voire contra legem, d’affirmer que l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance autorise une saisie conservatoire dans le délai d’un mois suivant sa signification. En effet, l’article 1422 du Code de procédure civile prend soin de préciser que « l'ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d'un tel titre ou d'une décision de justice (…) ». Cette précaution de rédaction distingue le titre exécutoire de la décision de justice non exécutoire, dans une formule faisant autant écho à l’expression employée par l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5914IRH qu’à l’attendu de principe de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 13 septembre 2007 [18]. Cette précision est la loin d’être un style de plume du législateur, qui exprime ainsi son attachement à la jurisprudence de la Cour de cassation. À aucun moment le législateur n’a souhaité au cours de l’adoption de ces textes modifié le droit prétorien des mesures conservatoires, et cela confirme donc que la réforme de la procédure d’injonction de payer n’est qu’administrative, et non une réforme de fond puisque la philosophie intrinsèque de la procédure demeure : encore plus qu’avant, cette procédure est une inversion du contentieux[19].
L’argument selon lequel c’est l’apposition de la formule exécutoire qui fait de l’ordonnance d’injonction de payer une décision de justice au sens de l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5914IRH méconnaît l’esprit du juge. En effet, c’est l’unique écoulement du délai d’un mois suivant la signification qui permet le passage de l’ordonnance d’injonction de payer, fût-elle revêtue de la formule exécutoire, à une décision de justice permettant la mise en place d’une saisie conservatoire [20].
Enfin, la cinquième et dernière réflexion est relative à la question du coffre-fort numérique qui soulève deux intéressantes problématiques.
La première consiste à évoquer la situation où le justiciable n’a pas matériellement accès à Internet pour accéder aux pièces produites à l’appui de la requête. À la lecture du texte, il est évident que l’huissier de justice ne puisse pas lui refuser de consulter ces pièces en son étude, et ce de manière gratuite. L’arrêté du 24 février 2022 pris en application de l'article 1411 du Code de procédure civile prévoit en effet expressément en son article 2 que « la consultation des documents déposés est gratuite ». Pour autant, si le débiteur souhaite une version papier de ces documents auprès de l’huissier de justice, cela dépasse la simple consultation et cette prestation sera donc facturable, certainement au tarif habituel des copies de pièces jointes à une assignation.
La deuxième question concerne la situation, certainement exceptionnelle mais pas inenvisageable puisque la Chambre Nationale des commissaires de justice regrette « l’absence de phase de test pour la mise en œuvre de cette nouvelle procédure d’injonction de payer », où la consultation en ligne des documents est impossible (bug informatique, incendie des serveurs…). En pareil cas, il est vraisemblable que le délai d’opposition du débiteur soit prorogé de la durée d’indisponibilité des documents. La solution semble évidente, mais sa réalisation, moins, puisqu’il est légitime de s’interroger sur la manière dont sera informée la partie débitrice de la prorogation de son délai d’opposition, sachant qu’une absence d’information lui causera forcément un grief.
Ce dernier défaut ne saurait occulter que l’injonction de payer 2022 constitue une avancée pour les acteurs de la procédure, quand bien même il aurait été apprécié une réforme plus ambitieuse pour les justiciables comme il a été exposé, ce pourquoi il est possible d'espérer une « injonction de payer 2023 ».
[1] « Mahnverfahren », article 688 et ZPO.
[3] La Chambre nationale des commissaires de justice précise dans sa circulaire du 5 mars 2022 que pour mémoire, ce coût de 1,50 euros HT couvre la totalité du service injonction de payer net, à savoir : le dépôt dématérialisé de l’injonction de payer ; le téléversement des pièces dans le coffre-fort ; la création et l’émission du log/mot de passe ; la conservation dans le coffre-fort pendant la durée légale ; la gestion du retour de l’injonction de payer dématérialisée ; la demande de certificat de non-opposition ; le retour du certificat de non-opposition.
[4] Cass. civ. 2, 23 janvier 1991, n° 89-18747 N° Lexbase : A4633ACL.
[5] Cass. civ. 2, 2 juillet 2009, n° 08-15.620, F-P+B N° Lexbase : A5849EIH.
[6] CPC, art.1410 N° Lexbase : L5419L89.
[7] CPC, art. 1410 ancienne rédaction N° Lexbase : L5419L89.
[8] L’arrêté du 24 février 2022 pris en application de l'article 1411 du Code de procédure civile prévoit expressément en son article 2 que « La consultation des documents déposés est gratuite. Le format des documents ne doit pas occasionner, pour le destinataire, un effort déraisonnable de consultation ».
[9] CA Besançon, 24 juin 2020, n°19/02512 N° Lexbase : A66313PB, in Bull. Inf. Vénézia et ass., 2020, n° 14, p. 3 [en ligne].
[10] CPC, art. 1416 N° Lexbase : L6356H7K.
[11] TJ Paris, JEX, 28 janvier 2021, n° 20/81710 N° Lexbase : A07684IB - in Bull. Inf. Vénézia & Ass., 2021, n° 17, p. 1 [en ligne].
[12] CA Toulouse, 1er février 2021, n° 20/00450 N° Lexbase : A21704E4 - in Bull. Inf. Vénézia & Ass., 2021, n° 17, p. 1 [en ligne].
[13] R. Laher et C. Simon, Décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 : la réforme de la réforme de la réforme de la procédure civile, Lexbase Droit privé, octobre 2021, n° 882 N° Lexbase : N9209BYQ.
[14] C. Bléry, Décret du 11 octobre 2021 : la procédure civile à (tout) petits pas, Dalloz Actualité, octobtre 2021
[16] A. Martinez-Ohayon, Une marche supplémentaire vers le FICOBA conservatoire!, Lexbase Droit privé, octobre 2021, n°880 N° Lexbase : N9033BY9.
[17] CPC, art. 1411.
[18] Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, n° 06-14.730 , FS-P+B N° Lexbase : A2162DYQ.
[19] R. Perrot, L’inversion du contentieux, Mélanges Normand, p.387.
[20] En effet, passé le délai d’un mois suivant sa signification, l’ordonnance deviendra d’abord une décision de justice, puis un titre exécutoire exécutable à réception du certificat de non-opposition.
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