Lexbase Fiscal n°526 du 1 mai 2013 : Fiscalité financière

[Projet, proposition, rapport législatif] Eléments de réflexion sur le rapport "Berger-Lefebvre"

Réf. : Rapport "Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité"

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[Projet, proposition, rapport législatif] Eléments de réflexion sur le rapport "Berger-Lefebvre". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8203266-projet-proposition-rapport-legislatif-elements-de-reflexion-sur-le-rapport-bergerlefebvre
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par Olivier Ramond, Professeur à l'Université Paris-Est Créteil et avocat à la cour

le 01 Mai 2013

Dans la lignée du rapport du commissaire général à l'investissement, dit rapport "Gallois" (1), rendu au Premier ministre le 5 novembre 2012, le rapport établi, en date du 2 avril 2013, par les députés Karine Berger et Dominique Lefebvre et intitulé, de manière ambitieuse, "Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité" (ci-après "le rapport sur l'épargne financière") (2), se pose pour principal objectif : "[...] d'examiner dans quelles conditions et sous quelles formes une réforme de l'épargne financière pourrait utilement contribuer à un meilleur financement de l'économie en favorisant une épargne longue pour financer en dette et en fonds propres les acteurs économiques et en priorité les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME)" (3).
Les attentes vis-à-vis de ce document sont fortes, en raison de la communication faite autour de sa publication (4), et l'enjeu implicite de taille : préparer les principaux leviers d'actions pour le projet de loi de finances 2014.
A travers un jeu de dix recommandations et quinze mesures, ce rapport établit des lignes directrices en matière de préconisation de dispositifs fiscaux et sociaux visant à drainer une partie des flux financiers des épargnants, estimés à quelques 3 600 milliards d'euros (5), vers les besoins de financement du tissu économique constitué par les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). La démarche défendue par le rapport, bien peu canonique dans son format (6), s'articule, de manière synthétique, autour de trois pierres angulaires que sont :

1) le soutien au développement de l'épargne populaire et réglementée ;
2) le développement de l'assurance-vie à travers des mécanismes d'incitation à l'investissement long terme en faveur des entreprises ;
3) l'incitation des ménages français à l'investissement en fonds propres dans les PME et les ETI en réorientant et en ciblant mieux les dispositifs fiscaux existants.

Ces trois blocs de propositions sont discutés ci-après.

I - Le soutien au développement de l'épargne populaire et réglementée

En préambule, il convient de rappeler que l'épargne est considérée comme "réglementée" lorsque le taux de sa rémunération est défini par l'Etat ou est fonction d'un taux de référence arrêté comme tel. Selon le rapport annuel de l'Observatoire de l'épargne réglementée (7), la répartition de cette épargne s'établissait, fin 2011, telle que présentée dans le tableau ci-dessous et vient, une fois de plus, souligner les fortes fluctuations annuelles de la collecte de livrets A :

Répartition de l'épargne réglementée par type de produit, tous agents

en %, encours en milliards d'euros 31 décembre 2010 31 décembre 2011 Pourcentage de l'encours Taux de croissance annuel
Livret A 193,5 214,7 36,4 + 10,5
LDD 68 69,4 11,8 + 2
LEP 54,4 52,4 8,9 - 3,6
Livrets réglementés hors livret A 122,4 121,8 20,6 - 0,5
Total livrets réglementés 315,9 336,5 57 /
CEL 36,1 36,1 6,1 - 0,2
PEL 182,3 186,6 31,6 + 2,4
Total épargne logement 218,4 222,7 37,7 + 2,4
Livret jeune 7,1 7 1,2 - 0,7
Plan d'épargne populaire 26,6 24,4 4,1 - 6,4

Source : Banque de France

Sur le plan fiscal et réglementaire, chacun de ces produits d'épargne présente les caractéristiques suivantes au 1er février 2013 :

Livrets Dépôt minimum Plafond Taux d'intérêt Régime fiscal
Livret A 1,50 euro 22 950 euros 1,75 % net exonération
Livret de développement durable (LDD) 15 euros 12 000 euros 1,75 % net exonération
Livret d'épargne populaire (LEP) 30 euros 7 700 euros 2,25 % exonération - le taux du LEP est le taux du livret A majoré de 0,50 %
Livret B (Caisse d'épargne) 15 euros illimité libre IR ou prélèvement libératoire
Livret bleu 15 euros 22 950 euros 1,75 % net exonération
Compte épargne logement (CEL) 15 euros 15 300 euros 1,25 % exonération
Plan d'épargne logement (PEL) 45 euros / mois 61 200 euros 2,50 % exonération
Livret jeune aucun 1 600 euros libre (1,75 % min) exonération

Source : Rapport annuel 2011 de l'Observatoire de l'épargne réglementée

Concernant l'épargne réglementée, le rapport conclut que "le traitement fiscal et social très favorable de l'épargne réglementée reste conforme à sa nature d'épargne populaire et permet le financement par la puissance publique des priorités d'intérêt général. La dépense fiscale et sociale qui en résulte, de l'ordre de 1,3 milliard d'euros en 2012, a été au demeurant, jusqu'en 2011, couverte en grande partie par le reversement à l'Etat du résultat net du fonds d'épargne" (8).

Partant de ce constat, le rapport se contente de conforter la situation actuelle en soutenant qu'"il paraît souhaitable de maintenir et de renforcer la confiance des ménages dans l'épargne populaire en maintenant les avantages fiscaux et sociaux qui lui sont associés" (9).

Son unique recommandation réside dans le relèvement des plafonds des livrets défiscalisés, et notamment celui du livret A, que les auteurs proposent de porter à 30 000 euros (10), et ce, dans une perspective de soutien de l'effort de construction de logement et de grands programmes d'infrastructures ou encore des interventions de la Banque publique d'investissement par des prêts de refinancement.

Concernant l'autre pan de l'épargne populaire, celle relative à l'épargne salariale, l'analyse fournie ne s'avère pas tellement plus aboutie, le rapport préconisant, de manière surprenante, un statu quo : "s'il ne doit pas être envisagé une remise en cause de l'épargne salariale qui est au demeurant dans le champ de la négociation sociale, il ne semble pas opportun de la renforcer" (11). L'épargne retraite bénéficie des mêmes conclusions : "une évolution et une simplification souhaitable [des] dispositifs [de l'épargne retraite] comme ceux qui pourraient être proposés pour financer la dépendance ne pourraient en tout état de cause que résulter des négociations à venir entre les partenaires sociaux" (12), alors même que les auteurs reconnaissent volontiers la multitude de traitements fiscaux et sociaux. Sans doute est-ce dû au faible engouement pour cette épargne, ne recouvrant que 160 milliards d'euros d'encours fin 2010.

Au final, le lecteur peut, tout de même, s'étonner du décalage flagrant entre les développements analytiques et les préconisations formulées, somme toute, passives, relatives à la "dynamisation" de l'épargne réglementée au sein de ce rapport, alors même que, dans sa partie liminaire, trois des quinze mesures lui étaient destinées, pour mémoire :

"1) maintenir les avantages fiscaux et sociaux de l'épargne réglementée, conduire à terme le relèvement du plafond du livret A et orienter une partie de la collecte supplémentaire vers le financement des entreprises et des infrastructures.
2) Maintenir les avantages fiscaux et sociaux de l'épargne salariale et de l'épargne retraite à leur niveau actuel et confirmer leur participation au financement de la protection sociale.
3) Assurer un engagement de stabilité des règles fiscales et sociales applicables à l'épargne financière pour la durée du quinquennat
" (13).

II - L'assurance-vie et l'organisation des flux vers des investissements PME-ETI

L'assurance-vie, qui reste le produit d'épargne privilégié des ménages (des 3 600 milliards d'euros de patrimoine financier des ménages, 1 450 milliards d'euros sont placés en contrats d'assurance-vie), cristallise quasiment toutes les attentions du rapport sur l'épargne financière. Les auteurs du rapport souhaitent notamment inciter, par le biais d'ajustements limités du régime fiscal spécifique de l'assurance-vie, les épargnants les plus fortunés à une détention plus longue et davantage orientée vers le risque de leurs placements sur ces supports d'épargne.

Pour ce faire, deux propositions concrètes sont avancées : (1) le lancement d'un nouveau produit dit "euro croissance" et (2) l'obligation pour les contrats d'assurance-vie présentant un encours supérieur à 500 000 euros (représentant environ 1 % des contrats actuellement) d'investir une part minimum de risque, c'est-à-dire dans d'autres supports que les fonds en euros, pour permettre aux détenteurs de ces contrats de continuer à bénéficier du régime de faveur de l'assurance-vie.

III - Le contrat "euro croissance" : un contrat en "euro diversifié" innommé ?

A l'instar des nombreuses plumes critiques du rapport (14), les auteurs reconnaissent que leur proposition n'est, en soi, pas novatrice, le principe des contrats "euro croissance" étant peu ou prou identique à celui des contrats "euro diversifiés" (15). Lors de leur lancement, il y a quelques années, ces derniers contrats avaient rencontré un succès plus que mitigé, et ce, pour trois principales raisons :

  • en premier lieu, l'assureur-vie pouvait rencontrer des difficultés pratiques quant à la gestion de ce type de contrats ; les dates d'échéance à gérer sont proportionnelles à celles des versements de l'assuré, rendant très vite les coûts administratifs et de gestion significatifs ;
  • en deuxième lieu, les particuliers n'avaient manifesté que peu d'intérêt pour ces contrats, en raison de l'"effet tunnel" qu'ils impliquaient ; la garantie du capital est uniquement à terme, clause plus que rébarbative pour toute personne aspirant à un minimum de liquidité sur son capital investi ;
  • en dernier lieu, investir dans une PME n'est ni facile pour l'assuré, ni pour l'assureur. Du point de vue de l'assuré, ce type d'investissement implique une absence de liquidités peu compatible avec les flux attendus traditionnellement en assurance-vie. Du point de vue de l'assureur, on peut comprendre sa réticence à conseiller à son client l'investissement dans de telles structures qui, pour certaines d'entre elles, bénéficient de bien peu d'antériorité et potentiellement encore moins de visibilité. Passer de l'univers côté, aux standards bien formalisés, au monde du private equity nécessite, à n'en pas douter, un changement culturel des méthodes de commercialisation et des techniques maîtrisés par l'assureur, afin qu'ils ne fassent pas défaut dans son obligation de conseil envers l'assuré. Par ailleurs, certains profils de clients, notamment les plus âgés, sont peu adaptés à cette nouvelle offre de produits dont les fruits se feront connaître à des horizons moyen ou long terme.

Enfin, il est intéressant de rappeler qu'il existe déjà des contrats de fonds en euros, type "euro dynamique", qui permettent d'investir une partie des fonds dans des actifs à risque. Ainsi, "de nombreux lancements d'offres ont eu lieu au cours de ces derniers semestres. Pourquoi ne laisse-t-on pas tout simplement ces supports monter en puissance et apporter une alternative tant à la baisse de rendement des fonds en euros classiques qu'à une part trop élevée des obligations dans les portefeuilles des assureurs-vie ?" (16). Une nouvelle fois, le rapport semble montrer ses limites.

IV - L'investissement en fonds propres dans les PME et les ETI en réorientant et en ciblant mieux les dispositifs fiscaux existants

Reste la partie des recommandations dédiée à l'investissement per se en fonds propres dans les PME et les ETI. La notification de la raréfaction de ces sources de financement n'est également pas innovante. Déjà, à la fin de l'année 2012, le rapport "Gallois" faisait le constat du manque de fluidité des réseaux de financement ver les PME et ETI, en soutenant que "la principale préoccupation pour l'avenir concerne l'évolution du financement en fonds propres". Les auteurs dudit rapport soulignaient, de manière inquiète, la décroissance de la collecte de capital investissement : "elle reste de moitié inférieure à ce qu'elle était avant la crise (6,4 milliards d'euros levés en 2011 contre 12,7 milliards d'euros en 2008), freinant la croissance des PME, notamment chez les acteurs innovants".

Le rapport sur l'épargne financière part de ce même constat mais semble passer à côté des deux grands sujets à l'ordre du jour dans ce domaine. Le premier est la fiscalisation des moins-values sur l'investissement. Autrement dit, la symétrie fiscale des plus-values et des moins-values en matière d'investissement en fonds propres dans les PME. De manière surprenante, les auteurs n'en touchent mot alors même que leur discours est très orienté sur les enjeux de la fiscalité. Le deuxième sujet, d'importance notoire, est celui ayant trait au financement participatif (en anglais, "crowfunding"). Ce financement participatif, bloqué en France pour des raisons de réglementation des marchés financiers et de monopole du prêt par les établissements de crédit, pourrait contribuer, de manière considérable, à l'essor du financement en fonds propres ("peer-to-peer equity") ou en dettes ("peer-to-peer lending") des PME et ETI. Les pays anglo-saxons ont déjà fait de grandes avancées en la matière, avec l'aide aux développements de plateforme de levée de fonds à l'attention des PME et ETI. On estime à 1,5 milliard de dollars le montant des levées de fonds réalisées en 2011 sur le territoire américain, soit le double des montants pour 2010. Comment souhaite se positionner la politique gouvernementale sur ce sujet ? Il est difficile de se prononcer au vu du rapport qui n'effleure même pas la thématique.

Conclusions

Au vu des préconisations timorées de ce document, on est en droit de se demander quelle est la place à conférer à ces rapports au Premier ministre qui, en théorie, se veulent ambitieux, comme le rappellent la lettre de mission signée par Jean-Marc Ayrault, le 9 octobre 2012, mais, en pratique, restent, soit lettre morte, soit trop généralistes pour être efficaces.

Parmi les constats les plus saisissants, on peut s'interroger sur le fait qu'aucun comparatif international ne soit proposé dans l'analyse. De même, le panel d'experts auditionnés ne compte aucun représentant étranger. Certes, bien que cette représentativité ne soit pas gage de qualité, elle en constitue, pour le moins, un d'ouverture. A l'heure où la Grande-Bretagne vient d'annoncer l'investissement de plus de 100 millions de British sterlings dans le secteur du financement participatif et que les Etats-Unis ont fait voter en avril 2012 le "JOBS Act" (17) pour faciliter la levée des fonds des PME, comment se fait-il que le tant attendu rapport sur l'épargne financière n'effleure même pas le sujet ? On peut donc aisément reprendre à bon compte l'expression récemment utilisée par un journaliste : "Tout ça pour ça !"


(1) Rapport rendu au Premier ministre "Pacte pour la compétitivité de l'industrie française" par le Commissaire général à l'investissement, Monsieur Louis Gallois et les rapports adjoints, Messieurs Clément Tubin et Pierre-Emmanuel Thiard, 5 novembre 2012, 74 p.
(2) Rapport rendu au Premier ministre "Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité", Madame la députée Karine Berger et Monsieur le député Dominique Lefebvre, 2 avril 2013, 78 p.
(3) Ibid., p. 3.
(4) Le rapport Berger-Lefebvre réinvente l'eurodiversifié, L'Agefi Actifs, n° 584, Nicolas Ducros, p. 4.
(5) Ibid., p. 11.
(6) Sur le plan formel, le rapport est en soi peu orthodoxe : un sommaire inexistant, une articulation des parties trop faiblement intuitive, des graphiques peu explicites (ex. graphiques 10 et 11) ou présentables (ex. graphique 4). Par ailleurs, le lecteur ne pourra que s'étonner de l'absence ou de l'imprécision des définitions terminologiques clefs (ex. ETI, PME) sous-tendant l'analyse avancée par les auteurs.
(7) Rapport annuel 2011 adressé par Monsieur Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de l'Observatoire de l'épargne réglementée à Monsieur le ministre de l'Economie et des Finances, Pierre Moscovici, Monsieur le président du Sénat, Jean-Pierre Bel et Monsieur le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, 104 p.
(8) Ibid., p. 27.
(9) Ibid., p. 27.
(10) Rappelons que le plafond du livret A est actuellement à 22 950 euros, après avoir été rehaussé de 50 % le 1er janvier dernier.
(11) Ibid., p. 29.
(12) Ibid., p. 31.
(13) Ibid., p. 9.
(14) Rapport Berger-Lefebvre sur l'épargne : "Tout ça pour ça !", Le Nouvel Observateur, Donald Hebert, 3 avril 2013 ; Assurance-vie : les avantages fiscaux de gros contrats pourraient être mis sous condition, Le Figaro, 3 avril 2013.
(15) Le rapport Berger-Lefebvre réinvente l'eurodiversifié, L'Agefi Actifs, n° 584, Nicolas Ducros, p. 4.
(16) Rapport Berger-Lefebvre sur l'épargne : "Tout ça pour ça !", Le Nouvel Observateur, Donald Hebert, 3 avril 2013.
(17) Jumpstart Our Business Startups Act, 5 avril 2012.

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