Réf. : Cass. soc., 13 février 2013, n° 12-18.098, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7707I7L)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 28 Février 2013
Résumé
La représentativité des organisations syndicales, dans un périmètre donné, est établie pour toute la durée du cycle électoral. |
Observations
I - L'alternative offerte
La problématique. En application de l'article L. 2122-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3823IB9), "dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants".
Si ce texte trouve aisément à s'appliquer dans l'entreprise à structure unitaire, sa mise en oeuvre fait difficultés lorsque celle-ci est divisée en établissements distincts. Dans ce cas, en effet, la représentativité au niveau de l'entreprise dépend des résultats obtenus aux élections qui se déroulent dans chaque établissement, à tout le moins lorsque ces derniers sont dotés de comités d'établissement (1). Plus précisément, la représentativité dans l'entreprise toute entière découle de l'addition de l'ensemble des suffrages obtenus dans les établissements concernés. Le problème naît lorsque les élections dans ce périmètre se succèdent dans le temps (2). Dans ce cas, deux voies peuvent être empruntées pour apprécier la représentativité ou, plus exactement, l'audience électorale.
L'alternative. Ainsi qu'il est précisé dans le communiqué relatif à l'arrêt rapporté, la mesure de l'audience électorale dans les entreprises à structure complexe peut s'effectuer selon un calcul par cycle électoral ou tenir compte de toutes les élections intermédiaires ou partielles et s'effectuer "au fil de l'eau". Ce même communiqué révèle "qu'au regard de l'importance des données sociales et des choix des partenaires sociaux sur ce sujet, la Chambre sociale de la Cour de cassation, comme elle a pris l'habitude de le faire pour ce type de contentieux, a questionné les organisations syndicales et patronales pour recueillir leur avis. Tout en insistant sur l'importance d'une représentativité réellement en phase avec le choix des salariés, les partenaires sociaux ont, en grande majorité, souligné la nécessité pour la représentation en entreprise et pour la négociation collective de donner aux organisations syndicales représentatives une stabilité dans leur mission".
On l'aura compris, les partenaires sociaux ont, dans leur majorité, signifié à la Chambre sociale qu'ils souhaitaient privilégier le calcul par cycle électoral qui, seul, est de nature à offrir la stabilité recherchée. En effet, définie en fin de cycle (i.e. lorsque les élections ont eu lieu dans tous les établissements concernés), la représentativité perdure pendant quatre ans. Plus exactement, et nous y reviendrons, c'est la mesure de l'audience électorale qui est figée pendant quatre ans (3).
Ainsi, pendant cette même période, les mandats des représentants syndicaux, au sens large, conservent une certaine pérennité, tandis que l'employeur est assuré d'avoir face à lui les mêmes syndicats pour mener à bien des négociations. L'inconvénient majeur de la règle du cycle électoral est de générer un certain décalage entre la représentativité affichée et la réalité (4) ; inconvénient que ne présente à l'évidence pas la règle de l'appréciation au fil de l'eau. Dans ce cas, en effet, la représentativité au niveau de l'entreprise exige d'être revue à chaque fois qu'a lieu une élection dans un établissement distinct. Mais il faut alors admettre qu'un syndicat qui était représentatif peut, subséquemment, ne plus l'être, pour, éventuellement, le redevenir en fonction des résultats obtenus lors des élections dans un autre établissement...
II - Le choix opéré
La solution retenue. En l'espèce, les élections des membres des quatre comités d'établissement que comporte la société M. se sont déroulées entre 2009 et 2011. La Fédération générale des mines de la métallurgie CFDT a obtenu, au terme des quatre élections, un pourcentage de suffrages de 9,25 %. Le 17 novembre 2011, à la suite de la démission d'un représentant du collège cadre dans l'un des comités d'établissement de la société, une élection partielle a été organisée. Le 2 décembre suivant, estimant être devenu représentatif en tenant compte des résultats de l'élection partielle, le syndicat CFDT a désigné un délégué syndical central. La fédération Force ouvrière de la Métallurgie a contesté cette désignation devant le tribunal d'instance.
Pour valider la désignation du délégué syndical central, le jugement attaqué a retenu que c'est au jour de la désignation du délégué syndical que doit s'apprécier la représentativité du syndicat dans l'entreprise et qu'en l'occurrence le syndicat CFDT est devenu représentatif à la suite des élections partielles organisées le 17 novembre 2011.
Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa des articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-5 (N° Lexbase : L6223ISB) du Code du travail. Après avoir affirmé que "la représentativité des organisations syndicales, dans un périmètre donné, est établie pour toute la durée du cycle électoral", la Chambre sociale relève "qu'en statuant comme il l'a fait, alors que les résultats obtenus lors d'élections partielles ne pouvaient avoir pour effet de modifier la mesure de la représentativité calculée lors des dernières élections générales, le tribunal a violé les textes susvisés".
La portée de la solution. La Cour de cassation a ainsi opté pour la règle du "cycle électoral", dans le souci, nous dit le communiqué accompagnant l'arrêt, de "privilégier la stabilité et la sécurité des négociations collectives". Par suite, et à compter des élections intervenues dans le dernier établissement de l'entreprise, la représentativité est établie à ce dernier niveau pendant une durée de quatre ans, ou une durée moindre si une convention ou un accord collectif de travail a fixé la durée des mandats entre deux et quatre ans. La solution vaut également, et à l'évidence, pour la représentativité au niveau du groupe de sociétés. Peu importe, en conséquence, que durant la durée du cycle électoral interviennent des élections intermédiaires, qu'il s'agisse, comme en l'espèce, d'élections partielles ou d'élections conduisant au renouvellement d'un comité d'établissement ou d'un comité d'entreprise dont le mandat serait arrivé à échéance. Le résultat de ces élections n'a pas à être pris en compte pour la mesure de l'audience électorale. Pour être plus précis, il convient de souligner que, tandis que le résultat des élections partielles ne pourra servir à autre chose qu'à investir un salarié d'un mandat de représentant du personnel pour le reste du cycle électoral, le résultat des secondes élections devra être réservé, pour être additionné aux autres en fin de cycle.
Ce faisant, et pour reprendre les propos d'un auteur, "on recrée [...] une sorte de présomption de représentativité à durée déterminée" (5). C'est ce que tend à confirmer l'arrêt rapporté, la Cour de cassation y affirmant, rappelons-le, que "la représentativité des organisations syndicales, dans un périmètre donné, est établie pour toute la durée du cycle électoral" (6). Si le choix du "cycle électoral" peut se comprendre, cette affirmation n'emporte pas la conviction. Ce qui est établi, pour la durée du cycle, c'est l'audience électorale et non la représentativité. Il n'est, en effet, guère besoin de rappeler que la représentativité ne dépend pas uniquement de ce critère. Or, à suivre la Cour de cassation, la représentativité ne pourrait être remise en cause pendant toute la durée du cycle, alors même que, par exemple, le syndicat viendrait à perdre la quasi-totalité de ses membres ou, plus grave, ne respecterait plus les valeurs républicaines ou ne ferait plus preuve d'indépendance à l'égard de l'employeur. Si cette solution était admise, elle aurait effectivement pour effet de rétablir la présomption irréfragable de représentativité, à laquelle la loi du 20 août 2008, à la suite de la Position commune, a pourtant précisément mis un terme !
Il n'est toutefois pas certain que l'arrêt rapporté doive être compris en ce sens, même si le motif de principe énoncé laisse place à semblable interprétation. Au demeurant, la même question se pose pour la représentativité au niveau des branches et au niveau interprofessionnel. Le problème pourrait cependant y être envisagé différemment, étant observé que la loi précise expressément que le ministre chargé du Travail arrête la liste des organisations syndicales reconnues représentatives à ces niveaux (C. trav., art. L. 2122-11 N° Lexbase : L3832IBK) (7).
Pour en revenir à l'arrêt sous examen, il est, à notre sens, important de souligner que la Cour de cassation retient la règle du cycle à l'égard "d'un périmètre donné". Cette formule laisse à penser que la solution retenue ne doit pas être étendue aux situations dans lesquelles ce périmètre vient à être modifié, soit qu'un établissement ou une société fasse son entrée dans l'entreprise ou le groupe, soit qu'il la quitte. Dans ce cas, et sous réserve de certains ajustements (8), la représentativité ou, mieux, l'audience électorale dont dépend la représentativité, devrait être révisée.
(1) Dans l'hypothèse où ces établissements distincts ne comportent que des délégués du personnel et qu'un comité d'entreprise existe au niveau central seules les élections à ce dernier sont prises en compte pour la mesure de l'audience électorale.
(2) Il n'y a évidemment aucun problème lorsque les élections dans les établissements distincts se déroulent en même temps.
(3) Sous réserve d'une durée moindre prévue par convention ou accord collectif de travail.
(4) V. en ce sens, F. Favennec-Héry, L'accès à la représentativité, JCP éd. S, 2012, 1234, spéc., § 9.
(5) F. Favennec-Héry, op. et loc. cit.
(6) Nous soulignons.
(7) Une présomption irréfragable de représentativité à durée déterminée serait ainsi rétablie en application de la loi au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel. Cela n'en reste pas moins gênant, car on pouvait penser que cette présomption avait été chassée de notre droit positif...
(8) En raison du fait, notamment, qu'un établissement ou une société peut, lors de son entrée dans une entreprise ou un groupe, perdre toute autonomie.
Décision
Cass. soc., 13 février 2013, n° 12-18.098, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7707I7L) Cassation, TI Tours (contentieux des élections professionnelles), 16 avril 2012 Textes visés : C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN), L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-5 (N° Lexbase : L6223ISB) Mots-clés : représentativité, audience électorale, entreprise à structure complexe, cycle électoral Liens base : (N° Lexbase : E1797ETQ) |
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