La lettre juridique n°518 du 28 février 2013 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Février 2013

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public (EA 2623)

le 28 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Dans le premier arrêt étudié par l'auteur, le Conseil d'Etat indique les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent acquérir des places pour assister à des compétitions sportives, et cela tant du point de vue de leur compétence générale que du point de vue du respect du Code des marchés publics (CE 2° et 7° s-s-r., 28 janvier 2013, n° 356670, mentionné aux tables du recueil Lebon). La seconde décision commentée précise dans quelles conditions une société d'économie mixte locale en cours de constitution peut présenter sa candidature à l'attribution d'une délégation de service public (CE 2° et 7° s-s-r., 19 décembre 2012, n° 354873, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Conditions de légalité d'achat de places par un département pour assister à des compétitions sportives (CE 2° et 7° s-s-r., 28 janvier 2013, n° 356670, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0148I4A)

Les clubs sportifs professionnels bénéficient de nombreux soutiens des collectivités territoriales. Aux soutiens financiers directs s'ajoutent des soutiens plus indirects (mise à disposition d'équipements sportifs, de locaux, réalisation de travaux d'entretien ou de construction), dont certains se traduisent par l'achat de prestations de services. Plus précisément, il n'est pas rare que les collectivités territoriales achètent des places pour assister à des compétitions sportives, à charge ensuite pour elles de les redistribuer à des publics considérés comme prioritaires (bénévoles encadrant les jeunes sportifs, jeunes en difficultés, public scolaire, etc.) (1).

C'est précisément un tel achat qui était au coeur du litige porté devant le Conseil d'Etat et qui opposait le département du Rhône à une association de contribuables lyonnais. Cette dernière est bien connue des prétoires des juridictions administratives puisqu'elle conteste avec une vigueur toute particulière l'ensemble des achats effectués par le département du Rhône auprès des clubs sportifs (2). En l'espèce, par trois délibérations des 16 mai 2008, 12 juin 2009 et 11 juin 2010, la commission permanente du conseil général du Rhône avait lancé des consultations, sur le fondement des articles 28 (N° Lexbase : L3682IRS) et 30 (N° Lexbase : L6005IRT) du Code des marchés publics, afin de passer des marchés à bons de commande pour des abonnements, places et pass permettant d'assister à des matchs de l'Olympique Lyonnais pendant les trois saisons 2008/2009, 2009/2010 et 2010/2011, et avait autorisé le président du conseil général à signer les marchés. Saisi par l'association précitée, le tribunal administratif a rejeté le recours en annulation dirigé contre ces délibérations, avant que la cour administrative d'appel de Lyon ne les annule pour violation du principe de la liberté d'accès à la commande publique (3). La cour a considéré que l'objet des marchés litigieux était d'acheter des places pour "faciliter l'accès au spectacle sportif et de faire la promotion de l'activité physique pour encourager la pratique sportive et son encadrement bénévole". La cour avait alors déduit qu'une mise en concurrence entre les différents prestataires du secteur était, non seulement possible, mais aussi nécessaire. Le Conseil d'Etat casse cet arrêt pour dénaturation des faits, estimant à juste titre que l'objet des marchés était plus précis et visait à acheter des places pour assister aux matchs de football de l'Olympique Lyonnais et non à n'importe quel club sportif. Réglant ensuite l'affaire au fond, le Conseil d'Etat apporte deux précisions d'importance.

La première précision tient à la compétence du département pour acquérir de telles prestations de services. L'on sait que la compétence des collectivités territoriales est déterminée par la clause générale de compétence. La question posée en l'espèce était donc celle de savoir si de tels achats répondaient à un intérêt départemental au sens de l'article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9365AA4), aux termes duquel le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département et "statue sur tous les objets sur lesquels il est appelé à délibérer par les lois et règlements et, généralement, sur tous les objets d'intérêt départemental dont il est saisi". La réponse à cette question réside dans les textes qui consacrent l'existence d'un tel intérêt public départemental. En effet, et comme le relève le Conseil d'Etat, l'article L. 100-2 du Code du sport (N° Lexbase : L6282HNY) dispose que "l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements [...] contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives", lesquelles constituent, selon l'article L. 100-1 du même code (N° Lexbase : L6281HNX), "un élément important de l'éducation, de la culture, de l'intégration et de la vie sociale. Elles contribuent notamment à la lutte contre l'échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles, ainsi qu'à la santé. La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d'intérêt général".

Plus encore, les travaux préparatoires issus de la loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000, modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (N° Lexbase : L0778AIN), montrent que l'intention du législateur a bien été, au travers de l'article L. 113-3 du Code du sport (N° Lexbase : L6291HNC), qui permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de conclure des contrats de prestation de services avec les clubs sportifs professionnels, d'autoriser ces personnes publiques à acquérir des places pour assister à des rencontres sportives. L'existence de cet intérêt public légalement défini est évidemment une garantie pour les collectivités territoriales qui disposent donc d'un titre juridique leur donnant compétence pour acquérir de telles prestations de services. Cependant, il leur faut faire montre de prudence en s'efforçant de toujours justifier leurs interventions en invoquant les missions d'intérêt général précitées. C'est précisément la précaution qu'avait prise le département du Rhône en l'espèce. Les délibérations attaquées et les rapports de présentation indiquaient que l'acquisition des places visait à promouvoir l'activité sportive auprès du jeune public du département, notamment des collégiens et des jeunes en difficulté, et d'encourager l'encadrement bénévole de cette activité. A contrario, on peut en déduire que seraient entachées d'irrégularité les délibérations qui seraient justifiées, par exemple, par le seul souci d'aider financièrement de club sportif en lui achetant les places qu'il pourrait avoir des difficultés à vendre aux supporters, notamment en période de mauvais résultats sportifs.

La deuxième précision apportée par l'arrêt rendu le 28 janvier 2013 tient aux conditions d'application du Code des marchés publics. Plus précisément, l'on sait que de tels achats s'apparentent à des marchés publics de prestations de services, ce qui suscite deux questions distinctes mais complémentaires.

La première a trait à la définition par le pouvoir adjudicateur de la nature et de l'étendue des besoins à satisfaire. L'article 5 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2665HPE) pose le principe selon lequel "la nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminés avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable. Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet exclusif de répondre à ses besoins". Par le passé, le département du Rhône avait vu un certain nombre de ses achats remis en cause pour méconnaissance de cette obligation de définition de l'étendue des besoins à satisfaire. En pratique, les requérants dénonçaient le fait qu'aucune information relative à la redistribution des places achetées par le département n'était fournie. Par exemple, dans un jugement rendu en 2007, le tribunal administratif de Lyon (4) a annulé la délibération du conseil général au motif que, tout en ayant justifié l'achat des places par sa volonté de promouvoir la "pratique d'activités sportives auprès des jeunes du département, en particulier les collégiens et membres d'associations sportives, auxquels seraient pour l'essentiel' réservées les places", le département n'avait nullement prévu une affectation des places à un usage déterminé et avait d'ailleurs reconnu que celles-ci étaient réparties entre les conseillers généraux qui les distribuaient librement et sans contrôle.

Pour le tribunal administratif, cette absence de définition de la nature et de l'étendue des besoins était contraire au Code des marchés publics et révélait en creux l'absence d'intérêt public départemental. Une solution identique avait été retenue par le même tribunal au sujet de l'achat de places pour assister au Grand prix de tennis de Lyon (5). Faisant montre d'une plus grande prudence à la suite de ces jugements, le département du Rhône a pris soin par la suite de préciser dans ses délibérations le type de public auquel les titres seraient redistribués. Cela n'a malheureusement pas suffi à éviter la censure du juge administratif. Dans un arrêt du 7 avril 2011 (6), les juges d'appel se sont montrés encore plus exigeants en censurant le département pour ne pas avoir précisé les quantités de titres à acquérir dans chacune des trois catégories concernées (billets, pass, abonnements) au regard du montant prévisionnel du marché. Dans l'arrêt du 28 janvier 2013, le Conseil d'Etat rappelle les exigences découlant de cette obligation de définition de l'étendue des besoins à satisfaire, pour relever au final qu'elles ont été complètement respectées par le département. En effet, le conseil général avait fixé le montant prévisionnel des marchés à bons de commande et les catégories de personnes susceptibles de bénéficier des places acquises. De plus, les rapports de présentation annexés aux délibérations attaquées précisaient le nombre et les catégories d'abonnement ou de pass que le département souhaitait acheter en fonction des types de compétition.

La seconde interrogation liée à la soumission de ces achats au Code des marchés publics était celle de savoir si ces contrats avaient légalement pu être conclus sans publicité et mise en concurrence préalable. Les délibérations contestées visaient précisément à acheter des billets permettant d'assister aux matchs de l'Olympique Lyonnais. Or, cette précision est lourde de conséquences quant à la détermination des règles de passation des marchés publics. S'il est évidemment possible de mettre en concurrence plusieurs clubs sportifs professionnels pour promouvoir les missions d'intérêt général précitées, cela devient impossible à partir du moment où l'objet des marchés litigieux porte sur l'achat de places de spectacles auprès d'un club sportif clairement identifié. La prestation que souhaite obtenir le département possède alors "un caractère unique", comme le relève l'arrêt du Conseil d'Etat car seul le club nommément désigné est en mesure de délivrer les billets. Dans cette hypothèse, une dispense des obligations de publicité et de mise en concurrence est permise par l'article 28-II du Code des marchés publics. Aux termes de cet article, "le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables [...] lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l'objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré". En l'espèce, une mise en concurrence pour l'achat des billets vendus par le seul club de l'Olympique Lyonnais était impossible à réaliser et le département du Rhône pouvait donc conclure ces marchés sans publicité et mise en concurrence préalable.

  • Candidature d'une société en cours de constitution à une délégation de service public (CE 2° et 7° s-s-r., 19 décembre 2012, n° 354873, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1356IZA)

Le département de l'Aveyron avait décidé de déléguer la gestion du laboratoire départemental d'analyses et avait créé, en même temps, une société d'économie mixte locale (SEML) dans les conditions prévues par les articles L. 1521-1 (N° Lexbase : L4241GTA) et suivants du Code général des collectivités territoriales (7). Cette dernière se présentait donc comme une société dédiée, c'est-à-dire une société spécialement constituée pour gérer la mission de service public que la collectivité territoriale souhaitait lui confier. Par une délibération du 24 octobre 1995, le conseil général a retenu l'offre de la SEML et écarté celle d'une SARL qui a alors exercé un recours pour excès de pouvoir contre plusieurs délibérations locales, dont celle attribuant la délégation de service public à la SEML. Saisi de ce litige, le Conseil d'Etat était appelé à préciser dans quelles conditions une société en cours de constitution pouvait présenter une offre en vue de l'attribution d'une délégation de service public.

L'on sait que depuis la loi n° 2002-1 du 2 janvier 2002, tendant à moderniser le statut des SEML (N° Lexbase : L1436AW4), l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI) dispose que "les sociétés en cours de constitution ou nouvellement créées peuvent être admises à présenter une offre dans les mêmes conditions que les sociétés existantes". Cette disposition répond à une préoccupation récurrente des opérateurs économiques et elle permet de ne pas pénaliser les entreprises en cours de constitution ou nouvellement créées. Surtout, elle permet de faciliter la candidature des SEML dédiées à l'attribution de contrats publics. Dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait annulé la délibération attribuant la gestion du laboratoire départemental d'analyses à la SEML au motif que cette dernière n'était pas en cours de constitution au moment de la date limite de réception des candidatures (8).

Il faut préciser que, bien souvent, les élus locaux adoptent les statuts de la SEML qu'ils entendent créer, mais diffèrent leur dépôt et leur enregistrement jusqu'à la décision d'attribution du contrat. C'est-à-dire que les statuts ne sont déposés et enregistrés que si la SEML dédiée se voit finalement attribuer le contrat. Cette attitude n'est pas contestable en soi et se justifie par des considérations pratiques évidentes (ne pas avoir à administrer une SEML n'ayant aucune mission à exercer...). Il reste qu'elle peut poser problème comme l'illustre cette affaire. En effet, le département de l'Aveyron avait, certes, pris un certain nombre de décisions importantes en vue de la constitution de la SEML, mais ces actes se sont finalement révélés insuffisants pour assimiler la SEML à une "société en cours de constitution" au sens de l'article L. 1411-1 précité. Plus précisément, le département avait décidé du principe de la création de la SEML et adopté un projet de statut. Mais il n'avait pas clairement défini la liste des actionnaires, l'importance de leur participation et le montant du capital social de la SEML.

En l'espèce, le juge administratif a même considéré que la circonstance que le département avait pris un certain nombre d'engagements susceptibles d'être repris ensuite par la SEML dans les conditions prévues par l'article L. 210-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE) n'était pas décisive. Confirmant l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, le Conseil d'Etat a logiquement considéré que la candidature de la SEML n'était pas recevable. De cet arrêt, il ressort assez clairement que la qualification de société en cours de constitution exige que la procédure de création de la société soit suffisamment aboutie au moment de la date limite de dépôt des candidatures. Si elle peut paraître sévère de prime abord, cette solution s'avère finalement assez logique, car le pouvoir adjudicateur doit être en mesure, à partir de cette date, d'apprécier les garanties professionnelles et financières des entreprises candidates à l'attribution du contrat.


(1) Sur ces pratiques, voir le rapport thématique de la Cour des comptes de 2009, Les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels.
(2) TA Lyon, 1er juillet 2010, n° 08-06641, Contrats Marchés publ., 2010, comm. 411, obs. F. Llorens ; voir, plus récemment, TA Lyon, 10 janvier 2013, n° 1104543 (N° Lexbase : A0299I3H).
(3) CAA Lyon, 4ème ch., 15 décembre 2011, n° 11LY00578, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6102I8I).
(4) TA Lyon, 19 avril 2007, n° 0503574 (N° Lexbase : A8174DWN), Contrats Marchés publ., 2007, comm. 209, note W. Zimmer.
(5) TA Lyon, 1er juillet 2010, n° 08-06641, préc..
(6) CAA Lyon, 4ème ch., 7 avril 2011, n° 09LY02983, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7288HPM), Contrats Marchés publ., 2011, comm. 164, note F. Llorens.
(7) Selon l'article L. 1521-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L4241GTA), "les communes, les départements, les régions et leurs groupements peuvent, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, créer des sociétés d'économie mixte locales qui les associent à une ou plusieurs personnes privées et, éventuellement, à d'autres personnes publiques pour réaliser des opérations d'aménagement, de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général ; lorsque l'objet de sociétés d'économie mixte locales inclut plusieurs activités, celles-ci doivent être complémentaires. En outre, les sociétés d'économie mixte locales peuvent réaliser des opérations de conception, réalisation, entretien ou maintenance ainsi que, le cas échéant, de financement d'équipements hospitaliers ou médico-sociaux pour les besoins d'un établissement de santé, d'un établissement social ou médico-social ou d'un groupement de coopération sanitaire. La commune actionnaire d'une société d'économie mixte locale dont l'objet social s'inscrit dans le cadre d'une compétence qu'elle a transférée à un établissement public de coopération intercommunale peut continuer à participer au capital de cette société à condition qu'elle cède à l'établissement public de coopération intercommunale plus des deux tiers des actions qu'elle détenait antérieurement au transfert de compétences".
(8) CAA Bordeaux, 1ère ch., 13 octobre 2011, n° 10BX02465, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7025IZ9), Contrats Marchés publ., 2011, comm. 354, comm. G. Eckert.

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