Réf. : CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11 (N° Lexbase : A3982IY7)
Lecture: 19 min
N5830BT4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
le 28 Février 2013
Maître Michaud, avocat au barreau de Paris, a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme pour se plaindre du fait qu'à raison de l'obligation de déclaration de soupçon pesant sur les avocats, il était tenu, dans l'exercice de sa profession d'avocat, sous peine de sanctions disciplinaires, de dénoncer des personnes venues le consulter. Il considérait cette obligation incompatible avec les principes de protection des échanges entre l'avocat et son client avec le respect du secret professionnel et avec le devoir de loyauté de l'avocat à l'égard de ses clients.
Le requérant soutenait qu'étant avocat, il appartenait à une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de cette obligation de déclaration de soupçon et que, dès lors, il pouvait s'estimer victime de la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, aux termes duquel : "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR).
Pour sa part, le Gouvernement français, tout en admettant que l'article 8 de la Convention protège, effectivement, le secret professionnel des avocats, considérait, cependant, qu'il n'y avait pas eu "ingérence" des autorités publiques dans le droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance du requérant, au sens du second paragraphe de cette disposition, dès lors que ce dernier n'invoquait aucun fait concret le concernant personnellement. Par conséquent, le Gouvernement soutenait que Maître Michaud ne pouvait pas se prétendre "victime" d'une violation des droits reconnus dans la Convention et ne pouvait donc pas introduire cette requête.
Sur ce point, la CEDH a considéré que l'avocat se trouvait en fait devant un dilemme : soit il se pliait au règlement et renonçait ainsi à sa conception du principe de confidentialité des échanges entre l'avocat et son client ; soit il ne s'y pliait pas et s'exposait à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'à la radiation. Compte tenu de ces éléments, le requérant subit directement les effets des dispositions litigieuses et peut donc se dire "victime" de la violation de l'article 8 de la Convention qu'il allègue.
Sur le fond, sans contester la nécessité de la lutte contre le blanchiment, Maître Michaud soutient, notamment, que la réglementation litigieuse manque de clarté : elle oblige à déclarer des "soupçons", sans définir cette notion ; le domaine des "activités" auxquelles elle s'applique est flou et il est difficile pour un avocat de scinder ou cloisonner ses activités afin de définir celles qui sont concernées. Il ajoute que le secret professionnel des avocats est indivisible : la loi qui régit les professions judiciaires précise qu'il s'applique tout autant aux fonctions de défense qu'à celles de conseil et concerne l'ensemble des activités et des dossiers des avocats. Selon lui, le caractère disproportionné de l'ingérence est d'autant plus manifeste que la lutte contre le terrorisme et le blanchiment peut reposer sur des moyens alternatifs moins destructeurs des droits fondamentaux et plus efficaces au regard du but poursuivi... En outre, le droit pénal français punit sévèrement le blanchiment et un avocat peut être poursuivi pour complicité s'il omet de dissuader un client de procéder à une opération financière douteuse, étant précisé que les maniements d'espèces sont interdits à la profession (voir infra).
Le Gouvernement français a répliqué qu'à supposer que l'obligation de déclaration de soupçon puisse constituer une ingérence, elle est, en tout état de cause, prévue par la loi. Il estime, de plus, que le droit interne est suffisamment clair pour qu'il n'y ait pas atteinte au principe de sécurité juridique. En particulier, la notion de déclaration de "soupçon" serait dénuée d'ambiguïté : le soupçon peut porter sur l'identité du client ou du bénéficiaire de l'opération, sur l'origine des fonds, sur le caractère inhabituel ou complexe de la transaction ou sur sa finalité. Selon l'article L. 561-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8423IMW), la déclaration s'impose dès lors que le professionnel a une connaissance avérée, au regard d'éléments d'information objectifs et précis, de l'origine délictueuse des fonds, ou dès lors que les caractéristiques de l'opération ou le manque de preuves ou d'éléments qui lui échappent ou qu'il n'a pu obtenir, font naître des suspicions de blanchiment et constituent des motifs raisonnables de penser que les fonds ont une origine douteuse. En outre, l'article D. 561-32-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7057IE4) fixe des critères auxquels se référer pour déclencher une opération de déclaration de soupçon en matière fiscale -l'utilisation de sociétés écrans, par exemple-, qui constituent autant d'éléments caractérisant une opération douteuse. Quant à la notion de "consultation juridique", il considère qu'aucun avocat ne saurait sérieusement en ignorer la signification, d'autant moins qu'elle est clairement définie tant par la doctrine et la jurisprudence que par l'assemblée générale du Conseil national des barreaux (qui, dans une résolution adoptée le 18 juin 2011, la définit comme "une prestation intellectuelle personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d'un avis ou d'un conseil sur l'application d'une règle de droit en vue, notamment, d'une éventuelle prise de décision")... Le Gouvernement ajoute que, visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et les infractions pénales associées, l'ingérence poursuit l'un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l'article 8 : la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales... En outre, tant le principe de la soumission des avocats aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment que la liste des activités visées, ainsi que les exceptions prévues, sont la transposition exacte du droit de l'Union européenne, lequel est le reflet des recommandations du GAFI.
Pour sa part, la CEDH constate que le secret professionnel des avocats est spécifiquement protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qui confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et les raisons qui la fondent, une protection renforcée et considère que la question qu'elle doit se poser est donc celle de savoir si, telle que mise en oeuvre en France et à l'aune du but légitime poursuivi, l'obligation de déclaration de soupçon porte une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats ainsi compris.
Elle rappelle, à cet égard, que la notion de nécessité, au sens de l'article 8 de la Convention, implique l'existence d'un besoin social impérieux et, en particulier, la proportionnalité de l'ingérence au but légitime poursuivi et indique n'avoir rien à redire (approuve donc) à l'argumentaire développé par le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 23 juillet 2010 (CE 6° et 1° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 309993, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9869E4B), en ces termes : "si, selon le requérant, les dispositions de cette directive sont incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui protègent notamment le droit fondamental au secret professionnel, cet article permet une ingérence de l'autorité publique dans l'exercice d'un tel droit, notamment lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales ; qu'eu égard, d'une part, à l'intérêt général qui s'attache à la lutte contre le blanchiment de capitaux et, d'autre part, à la garantie que représente l'exclusion de son champ d'application des informations reçues ou obtenues par les avocats à l'occasion de leurs activités juridictionnelles, ainsi que de celles reçues ou obtenues dans le cadre d'une consultation juridique, sous les seules réserves, pour ces dernières informations, des cas où le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment de capitaux et où l'avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux, la soumission des avocats à l'obligation de déclaration de soupçon, à laquelle procède la directive litigieuse, ne porte pas une atteinte excessive au secret professionnel [...]".
Deux éléments sont, aux yeux de la Cour, décisifs dans l'appréciation de la proportionnalité de l'ingérence litigieuse.
Il s'agit, tout d'abord, du fait que les avocats ne sont astreints à l'obligation de déclaration de soupçon que dans deux cas. Premièrement, lorsque, dans le cadre de leur activité professionnelle, ils participent au nom et pour le compte de leur client à des transactions financières ou immobilières, ou agissent en qualité de fiduciaire. Deuxièmement, lorsque, toujours dans le cadre de leur activité professionnelle, ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant certaines opérations définies : l'achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ; la gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ; l'ouverture de comptes bancaires, d'épargne ou de titres ou de contrats d'assurance ; l'organisation des apports nécessaires à la création des sociétés ; la constitution, la gestion ou la direction des sociétés ; la constitution, la gestion ou la direction de fiducies ou de toute autre structure similaire ; la constitution ou la gestion de fonds de dotation. L'obligation de déclaration de soupçon ne concerne donc que des activités éloignées de la mission de défense confiée aux avocats, similaires à celles exercées par les autres professionnels soumis à cette obligation.
En outre, le Code monétaire et financier précise expressément que les avocats ne sont pas astreints à cette obligation lorsque l'activité dont il est question "se rattache à une procédure juridictionnelle, que les informations dont ils disposent soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle procédure, non plus que lorsqu'ils donnent des consultations juridiques, à moins qu'elles n'aient été fournies à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme" (C. mon. fin., art. L. 561-3 N° Lexbase : L1184IWR). L'obligation de déclaration de soupçon ne touche donc pas à l'essence même de la mission de défense qui constitue le fondement du secret professionnel des avocats.
Il s'agit, ensuite, du fait que la loi met en place un filtre protecteur du secret professionnel : les avocats ne communiquent pas les déclarations directement à Tracfin mais, selon le cas, au président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou au Bâtonnier de l'Ordre auprès duquel ils sont inscrits. Il peut être considéré qu'à ce stade, partagé avec un professionnel non seulement soumis aux mêmes règles déontologiques mais aussi élu par ses pairs pour en assurer le respect, le secret professionnel n'est pas altéré. Le président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou le bâtonnier, plus à même que quiconque d'apprécier ce qui est couvert ou non par le secret professionnel, ne transmet ensuite la déclaration de soupçon à Tracfin qu'après s'être assuré que les conditions fixées par l'article L. 561-3 du Code monétaire et financier sont remplies (C. mon. fin., art. L. 561-17 N° Lexbase : L2799IPD). Le Gouvernement précise, à cet égard, qu'ils ne procèdent pas à cette transmission s'ils considèrent qu'il n'existe pas de soupçon de blanchiment de capitaux ou s'il apparaît que l'avocat concerné a cru, à tort, devoir transmettre des informations reçues à l'occasion d'activités exclues du champ de l'obligation de déclaration de soupçon.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que, telle que mise en oeuvre en France et eu égard au but légitime poursuivi et à la particulière importance de celui-ci dans une société démocratique, l'obligation de déclaration de soupçon ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats. Partant, il n'y a pas violation de l'article 8 de la Convention.
II - Commentaires
Cette décision doit d'abord être replacée dans le contexte de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ensuite, il conviendra d'expliciter le blanchiment de capitaux et d'examiner les moyens et les acteurs de la lutte contre ce délit. Enfin, la question de l'atteinte que fait peser la déclaration de soupçon au principe du secret professionnel doit être posée.
A - Contexte politico-économique européen
"La fraude et l'évasion fiscales limitent la capacité des Etats membres à percevoir des recettes et à mettre en oeuvre leur politique économique. En période d'assainissement budgétaire, où de nombreux Etats membres doivent réduire leurs dépenses et augmenter leurs recettes, la fraude et l'évasion fiscales rendent encore plus difficile la conduite de la politique budgétaire. Les estimations concernant l'importance de l'économie souterraine dans l'Union européenne (UE), qui représenterait près d'un cinquième du PIB, donnent une première indication de l'ampleur du problème" (Commission européenne, communication du 27 juin 2012, COM(2012) 351 final). "Chaque année, la fraude et l'évasion fiscales coûtent environ 1 000 milliards d'euros à l'Union européenne (UE). Dans son nouveau plan d'action, la Commission appelle les pays de l'UE à coopérer pour prendre des mesures contre les entreprises et les particuliers qui ne payent pas les impôts qu'ils devraient" (cf. le portail internet de la Commission européenne : Fiscalité et Union douanière/Taxation/Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales).
S'agissant de la France, le Conseil des prélèvements obligatoires, dans un rapport du 1er mars 2007, a évalué le montant global d'irrégularité et de fraude comme étant compris entre 29 et 40 milliards d'euros, soit entre 1,7 et 2,3 % du PIB, fourchette considérée comme plutôt basse. Dans son bilan 2011 de la lutte contre la fraude, la Délégation nationale à la lutte contre la fraude fait notamment observer que la DGFIP a fait une évaluation de la fraude TVA pour l'année 2008 comprise entre 7,1 milliards d'euros et 9,1 milliards d'euros, ce qui représente entre 5,5 et 7 % des 130 milliards d'euros de la TVA collectée la même année.
B - Le GAFI et ses 40 recommandations
Sur le plan international, le Groupement d'action financière (GAFI) est en charge de l'élaboration de normes internationales pour lutter contre les menaces que constituent le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Dans un document de février 2012, intitulé "Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération - Les Recommandations du GAFI", le GAFI fait notamment les recommandations suivantes, qui concernent particulièrement les professionnels du droit :
"- les obligations de vigilance relatives à la clientèle et de conservation des documents [...] s'appliquent aux [...]
- avocats, notaires, autres professions juridiques indépendantes et comptables lorsqu'ils préparent ou effectuent des transactions pour leurs clients concernant les activités suivantes : achat et vente de biens immobiliers ; gestion de capitaux, de titres ou autres actifs du client ; gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de titres ; organisation des apports pour la création, l'exploitation ou la gestion de sociétés ; création, exploitation ou administration de personnes morales ou de constructions juridiques, et achat et vente d'entités commerciales ;
- aux prestataires de services aux trusts et aux sociétés lorsqu'ils préparent ou effectuent des opérations pour un client en lien avec les activités suivantes : ils agissent en qualité d'agent pour la constitution de personnes morales ; ils agissent (ou ils prennent des mesures afin qu'une autre personne agisse) en qualité de dirigeant ou de secrétaire général d'une société de capitaux, d'associé d'une société de personnes ou de titulaire d'une fonction similaire pour d'autres types de personnes morales ; ils fournissent un siège social, une adresse commerciale ou des locaux, une adresse administrative ou postale à une société de capitaux, une société de personnes ou toute autre personne morale ou construction juridique ; ils agissent (ou ils prennent des mesures afin qu'une autre personne agisse) en qualité de trustee d'un trust exprès ou exercent une fonction équivalente pour une autre forme de construction juridique ; ils agissent (ou ils prennent des mesures afin qu'une autre personne agisse) en qualité d'actionnaire agissant pour le compte d'une autre personne (art. 22) [...] ;
- les avocats, les notaires, les autres professions juridiques indépendantes et les comptables devraient être obligés de déclarer les opérations suspectes lorsque, au nom ou pour le compte d'un client, ils effectuent une opération financière en lien avec les activités décrites supra [...] Les prestataires de services aux trusts et aux sociétés devraient être obligés de déclarer les opérations suspectes lorsque, au nom ou pour le compte d'un client, ils effectuent une opération en lien avec les activités visées supra (art. 23).
[...] Les pays devraient prendre des mesures pour empêcher l'utilisation des personnes morales à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Les pays devraient s'assurer que des informations satisfaisantes, exactes et à jour sur les bénéficiaires effectifs et sur le contrôle des personnes morales peuvent être obtenues ou sont accessibles en temps opportun par les autorités compétentes [...] (art. 24).
Les pays devraient prendre des mesures pour empêcher l'utilisation des constructions juridiques à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. En particulier, les pays devraient s'assurer que des informations satisfaisantes, exactes et à jour sur les trusts exprès, parmi lesquelles des informations sur le constituant, le trustee et les bénéficiaires, peuvent être obtenues ou sont accessibles en temps opportun par les autorités compétentes. Les pays devraient envisager de prendre des mesures pour faciliter l'accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs et sur le contrôle des structures juridiques par les institutions financières et les entreprises et professions non financières [...] (art. 25)
Les pays devraient s'assurer que les autres catégories d'entreprises et de professions non financières désignées sont soumises à des dispositifs efficaces de surveillance assurant qu'elles respectent leurs obligations en matière de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ces mesures devraient être prises en fonction des risques. Cette surveillance peut être effectuée par une autorité de contrôle ou par l'organisme d'autorégulation pertinent, à condition qu'un tel organisme puisse garantir que ses membres respectent leurs obligations en matière de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme" (art. 28).
C - Un satisfecit pour la France
Le GAFI considère qu'au cours des dernières années, la France a constamment renforcé, affiné et étendu son système. Le niveau de conformité de la France aux Recommandations du GAFI est très élevé, en particulier s'agissant du secteur financier et son système juridique. La France doit maintenant concentrer ses efforts sur certaines professions non-financières, dont le niveau de conformité avec les normes internationales doit être amélioré.
Dans un rapport d'évaluation mutuelle en date du 25 février 2011, le GAFI note, en particulier, que : "les infractions sous-jacentes au blanchiment les plus fréquentes sont, en France, en termes de nombre de condamnations, les escroqueries et le trafic de stupéfiants. L'infraction de blanchiment de capitaux, très largement conforme aux exigences du droit international, fait l'objet d'une appropriation progressive par la jurisprudence et la Cour de cassation. Les évaluateurs notent en outre que la France a introduit dès 2005 un délit de non justification des ressources, permettant de réprimer le blanchiment de proximité' en ce sens qu'il vise à sanctionner des individus dont la preuve d'une participation à un acte de blanchiment ne peut être directement apportée alors même que des éléments circonstanciés laissent présumer du contraire (C. pén., art. 324-1 N° Lexbase : L1789AM9). Malgré une augmentation constante du nombre de condamnations pour blanchiment, les évaluateurs ont noté une tendance assez marquée parmi les tribunaux à poursuivre sur le chef de condamnation de l'infraction sous-jacente. Ils souhaitent recommander que les moyens de la justice mis au service des enquêtes et plus généralement de la répression en matière de criminalité économique et financière soient renforcés. La France dispose d'un arsenal juridique très complet pour incriminer l'infraction de financement du terrorisme ; de même, les techniques et pouvoirs d'investigation dont disposent les autorités répressives en matière de lutte contre le financement du terrorisme comme de lutte contre le blanchiment de capitaux, sont conformes aux exigences du GAFI".
D - Le blanchiment, en quoi consiste-il ?
1 - Définition légale
Le blanchiment est défini par l'article 324-1 du Code pénal, qui dispose : "le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit...".
2 - Mécanisme du blanchiment
Selon TRAFIN, on décrit souvent le mécanisme du blanchiment par trois phases : le placement, l'empilage et l'intégration.
Tout d'abord, le placement consiste à introduire dans le système financier d'un pays des fonds provenant d'opérations délictueuses.
L'empilage, ensuite, permet de brouiller les pistes de l'origine des fonds par la multiplication des opérations bancaires ou financières successives faisant intervenir divers comptes, établissement, personnes, produits et pays.
Enfin, l'intégration vise à investir les fonds d'origine frauduleuse dans les circuits légaux de l'économie et en tirer des bénéfices. Evidemment, la réalité est souvent beaucoup plus complexe.
3 - Sanction du blanchiment
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. Ces peines sont doublées (dix ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende), (i) lorsqu'il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle ; (ii) lorsqu'il est commis en bande organisée (C. pén, art. 324-1 et 324-2 N° Lexbase : L1958AMH).
Les peines d'amende mentionnées aux articles 324-1 et 324-2 peuvent être élevées jusqu'à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment (C. pén, art. 324-3 N° Lexbase : L1723AMR).
Lorsque le crime ou le délit dont proviennent les biens et les fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment est puni d'une peine privative de liberté d'une durée supérieure à celle de l'emprisonnement encouru en application des articles 324-1 ou 324-2, le blanchiment est puni des peines attachées à l'infraction dont son auteur a eu connaissance et, si cette infraction est accompagnée de circonstances aggravantes, des peines attachées aux seules circonstances dont il a eu connaissance (C. pén, art. 324-4 N° Lexbase : L1917AMX).
Le blanchiment est assimilé, au regard de la récidive, à l'infraction à l'occasion de laquelle ont été commises les opérations de blanchiment (C. pén, art. 324-5 N° Lexbase : L1832AMS).
La tentative de blanchiment est punie des mêmes peines (C. pén, art. 324-6 N° Lexbase : L2003AM7).
4 - Jurisprudence
Par un arrêt du 16 janvier 2013, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d'appel de Paris qui avait condamné M. Gaydamak, poursuivi pour avoir, de 1995 à 1999, apporté son concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit direct ou indirect des délits de commerce illicite d'armes et de munitions par ailleurs reprochés et ce en rachetant son propre appartement sis 83, avenue Raymond Poincaré via des sociétés écran. Le fait ne pas déclarer coupable et ne pas condamner l'intéressé du chef de commerce illicite d'armement, ne fait pas disparaître les infractions commises en raison de l'utilisation des fonds tirés du commerce d'armes. Ces fonds, qui avaient une origine illicite ont été dissimulés afin d'échapper à l'impôt. Leur utilisation organisée de telle sorte qu'on en masque l'origine est bien constitutive de l'infraction de blanchiment.
Est condamné également l'avocat, qui ayant agi, en se servant des facilités procurées par sa profession d'avocat, a permis à l'un de ses clients, M. G., d'investir, de dissimuler et de convertir des fonds dont il connaissait l'origine frauduleuse. Il est établi que l'intéressé a participé activement en sa qualité d'avocat à ces opérations et qu'il ne fait aucun doute qu'il a eu connaissance de l'origine frauduleuse, pour être le produit d'un délit, de la somme de 8 330 000 francs (1 265 326,84 euros) ainsi placée et dissimulée.
La Cour de cassation a confirmé la condamnation de cet avocat à une peine de vingt-quatre mois d'emprisonnement assorti du sursis à concurrence de seize mois motivée de la manière suivante par la cour d'appel : "[...] le recours à des mécanismes juridiques et financiers complexes lors d'un blanchiment de capitaux réalisé par le biais d'au moins trois sociétés écrans... [...], mis en oeuvre grâce aux facilités que lui a procurées l'exercice de sa profession d'avocat, montre que l'intéressé s'est affranchi, sans aucun scrupule, des règles au respect desquelles il lui appartenait plus particulièrement de veiller en sa qualité de professionnel du droit et d'auxiliaire de justice [...]".
On notera, s'agissant de la prescription du délit de blanchiment, que, selon les juges, "[...] lorsque le blanchiment résulte de placements et de dissimulations successives constituant, non pas une série d'actes distincts mais une opération délictueuse unique, la prescription ne commence à courir qu'à partir de la date du dernier acte de placement ou de dissimulation [...]" (Cass. crim., 16 janvier 2013, n° 11-83.689, N° Lexbase : A4972I3K).
Egalement jugé que le blanchiment étant un délit autonome, la prescription qui le concerne est indépendante de celle qui s'applique à l'infraction originaire (Cass. crim., 13 mai 2012, n° 12-80.715, F-P+B N° Lexbase : A8952INU).
La Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 29 septembre 2010 (CA Paris, 8ème ch., 2ème sect., 29 septembre 2010), qui, pour tentative de blanchiment aggravé, faux et usage, a reconnu M. X., avocat, coupable du chef de tentative de blanchiment aggravé et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement assorti d'un sursis et lui a interdit, à titre définitif, d'exercer la profession d'avocat.
On relèvera, avec intérêt, les observations de la cour d'appel sur l'existence du délit de blanchiment :
- pour déterminer l'existence du délit de blanchiment, il est nécessaire de rechercher l'existence d'une infraction préalable ou principale ;
- tout mis en cause, alors que l'auteur ne l'est pas, doit pouvoir discuter librement de l'existence de l'infraction principale, les circonstances dans lesquelles elle a été commise ou qui l'ont accompagnée, ainsi que sa qualification délictuelle, et éventuellement sa nature ;
- il suffit d'établir que les biens blanchis provenaient d'un délit quel qu'il soit et que le prévenu savait que ces fonds avaient pour origine une infraction ;
- la connaissance de l'origine frauduleuse doit s'induire des constatations de fait, des faisceaux de présomptions des faits tirés essentiellement des circonstances même du fait constitutif de blanchiment ;
- lorsqu'un professionnel est mis en cause, on doit relever cette qualité et les devoirs de son état au regard de l'opération en question, des usages de la profession et de l'expérience professionnelle tout en écartant la négligence, l'imprudence ou la non vigilance car le blanchiment par imprudence n'existe pas en l'absence de texte ;
- en conséquence, la partie poursuivante doit prouver l'existence du délit principal (Cass. crim., 11 octobre 2011, n° 10-87.503, F-D N° Lexbase : A9339HZW).
Pour la seconde partie de ce commentaire, cliquer ici N° Lexbase : N5844BTM
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:435830