La lettre juridique n°518 du 28 février 2013 : Assurances

[Jurisprudence] Conclusion d'un contrat d'assurance à distance et "renonciation au droit de renoncer" par l'assuré

Réf. : Cass. civ. 2, 17 janvier 2013, deux arrêts, n° 11-28.928, FS-P+B (N° Lexbase : A4826I37), n° 11-20.155, FS-P+B (N° Lexbase : A4814I3P)

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N5947BTG

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par Sébastien Beaugendre, Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Nantes, Avocat, sous la direction de Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances"

le 28 Février 2013

L'article L. 112-2-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7512IGC) régit la conclusion de contrat d'assurance à distance par un consommateur. Les difficultés sont sans doute encore accrues lorsque celle-ci a lieu par téléphone. Les règles en la matière sont issues de l'ordonnance n° 2005-648 du 6 juin 2005 (N° Lexbase : L8431G8R) qui transpose dans le Code de la consommation d'abord, et dans le Code des assurances ensuite, la Directive 2002/65/CE du 23 septembre 2002, relative à la commercialisation à distance de services financiers (N° Lexbase : L9628A4D). Les dispositions de cet article L. 112-2-1 sont passablement complexes et nécessitent, de surcroît, d'être combinées avec des articles issus du Code de la consommation pour en comprendre le sens. L'économie générale du texte repose sur deux obligations :

- une obligation précontractuelle d'information à la charge de l'assureur ;

- une faculté de renonciation offerte au consommateur assuré que celui-ci pour exercer dans un délai de 14 jours calendaires en assurances dommages et 30 jours en assurance-vie. Le tout, sauf à tomber dans l'une des exceptions prévue par l'article L. 112-2-1-II-3°, qui dispose : "Le droit de renonciation ne s'applique pas :
a) Aux polices d'assurance de voyage ou de bagage ou aux polices d'assurance similaires à court terme d'une durée inférieure à un mois ;
b) Aux contrats d'assurance mentionnés à l'article L. 211-1 du présent code ; [comprendre l'assurance automobile]
c) Aux contrats exécutés intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n'exerce son droit de renonciation".

Ce dernier alinéa est particulièrement obscur.

Une lecture conjuguée avec les dispositions qui figurent dans le Code de la consommation pourrait permettre d'en éclairer le sens.

En effet, l'article L. 121-20-12-II du Code de la consommation (N° Lexbase : L6708IME) dispose :

"II.- Le droit de rétractation ne s'applique pas : [...]
2° Aux contrats exécutés intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n'exerce son droit de rétractation".

L'article L. 121-20-13 du même code (N° Lexbase : L6457G9Z) complète comme suit :

"I. - Les contrats pour lesquels s'applique le délai de rétractation mentionné à l'article L. 121-20-12 ne peuvent recevoir de commencement d'exécution par les parties avant l'arrivée du terme de ce délai sans l'accord du consommateur. Lorsque celui-ci exerce son droit de rétractation, il ne peut être tenu qu'au paiement proportionnel du service financier effectivement fourni, à l'exclusion de toute pénalité".

Ainsi, le fournisseur de service financier, pour respecter l'effectivité du droit de rétractation, ne peut s'exécuter avant achèvement du délai de quatorze jours, sauf si le consommateur en fait la demande. Le cas échéant, si, par suite, le consommateur renonce alors que le contrat a reçu une exécution partielle, le consommateur n'aura droit qu'à un remboursement partiel, le fournisseur demeurant payé pour le service rendu entre la conclusion et l'exercice du repentir.

Cela vaut pour un service financier en cours au moment de la rétractation. En revanche, s'il n'est plus en cours, parce qu'il a été intégralement exécuté par chacune des parties, alors le droit de rétractation "ne s'applique pas" dispose l'article L. 121-10-12 précité (on pourrait dire ne s'applique plus !).

Tout semble donc tourner autour de la notion "d'exécution intégrale du contrat".

L'article L. 112-2-1-II-3° du Code des assurances transpose le texte à l'assurance qui prévoit que "Le droit de renonciation ne s'applique pas [...] aux contrats exécutés intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n'exerce son droit de renonciation".

La notion même "d'exécution intégrale" ne semble pas avoir de sens pour un contrat annuel qui, au quatorzième jour après sa conclusion, aurait par définition reçu simplement, de la part de l'assureur un commencement d'exécution !

Devant ces difficultés, l'apport de la jurisprudence sera décisif.

Il n'est pas sûr que les deux arrêts rapportés apportent toute la lumière nécessaire.

Ces deux arrêts du 17 janvier 2013 concernent la conclusion par téléphone d'un même contrat d'assurance par un consommateur : il s'agit d'une garantie panne mécanique souscrite par celui qui, auprès du journal "La centrale" publie une annonce pour vendre son véhicule. Cette garantie est de nature à rassurer l'acquéreur dans le cadre d'une vente entre particuliers. Elle permet de "concurrencer" les garanties d'assurance proposées par les professionnels de la vente automobile d'occasion.

Les difficultés litigieuses tenaient à deux aspects :

- d'une part, l'information du consommateur sur les conditions de renonciation à son "droit à la renonciation" (la terminologie est employée expressis verbis à l'article L. 112-2-1-III-5°) par le consommateur ;

- d'autre part, la notion de renonciation en tant que contrat "exécuté intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n'exerce son droit de renonciation".

Le premier point était au coeur de l'arrêt n° 11-28.928 : le consommateur souscripteur n'a été informé de l'existence de l'assurance et de ses modalités, spécialement de sa faculté de renoncer à tout droit à la renonciation en demandant une prise d'effet immédiate de la garantie, que par un robot électronique (les trop irritants "tapez 1", "tapez 2", "tapez la touche étoile", etc.). Etait-ce suffisant ?

Les juges du fond avaient considéré l'intéressé pleinement informé, relevant : "qu'en se faisant confirmer le caractère immédiat de ladite garantie et en fournissant le moyen de paiement, il a déclaré souscrire et a souscrit au contrat en toute connaissance de cause".

Les Hauts magistrats cassent l'arrêt aux motifs "qu'en statuant ainsi, sans constater que le contrat, qui avait seulement pris effet avec le paiement de la prime, avait été exécuté intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur, le juge de proximité n'a pas donné de base légale à sa décision".

C'est suivre à la lettre l'exigence légale d'une non-application du droit de renoncer, conditionnée à cette exécution intégrale "par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n'exerce son droit de renonciation" comme l'indique l'article L. 112-2-1-II-3 du Code des assurances.

Mais cela n'éclaire pas sur le sens de cette "exécution intégrale" du contrat d'assurance avant renonciation !

On l'a dit, l'expression est en soi peu logique : comment un contrat à exécution successive d'une durée d'un an comme l'assurance pourrait-il être exécuté intégralement par les deux parties, donc y compris par l'assureur, avant le quatorzième jour consécutif à le terme du contrat ?

Faut-il restreindre à l'hypothèse où un sinistre surviendrait pendant le délai de renonciation ? On ne voit pas l'intérêt pour l'assuré d'essayer de faire jouer une renonciation alors que, dans ce cas de figure, il va justement demander la couverture du sinistre ! Cette interprétation nous semble devoir être écartée.

Cela a poussé la doctrine à défendre une autre idée, selon laquelle la dérogation concernerait l'hypothèse où l'assuré demanderait expressément que le contrat soit exécuté (cf. en ce sens, notamment, Luc Grynbaum et Frédéric Leplat, JCP éd. G., 2005, I, 193).

Dans cette hypothèse, le consommateur, plutôt que de différer la prise d'effet du contrat d'assurance à l'achèvement de la période de quatorze jours pendant laquelle il pourrait renoncer, demanderait une exécution immédiate.

C'est bien ainsi que le juge de proximité l'avait compris dans l'affaire donnant lieu à l'arrêt n° 11-28.928, puisqu'il considérait que le consommateur assuré avait demandé une exécution immédiate de la garantie d'assurance et avait donc renoncé à pouvoir user de sa faculté de repentir. La Cour de cassation n'a visiblement pas été convaincue...

Dans le deuxième arrêt (n° 11-20.155), les Hauts magistrats s'en remettent à l'analyse souveraine du juge de proximité des faits et preuves pour retenir qu'il en résultait "que le contrat n'avait pas été exécuté intégralement par les deux parties à la demande expresse de l'assuré du seul fait du paiement de la prime".

L'affirmation est évidente : le paiement de la prime n'est pas un critère d'exécution intégrale.

L'expression conserve donc en grande partie son mystère.

A notre sens, dès lors que le Code de la consommation est le code pilote et celui des assurances un code "suiveur", il serait sans doute plus simple de s'inspirer de l'article L. 121-20-13 du Code de la consommation, qui autorise une rétractation malgré un commencement d'exécution sur demande du consommateur, instaurant alors un remboursement prorata temporis. Cela impliquerait la possibilité pour l'assuré consommateur ayant demandé une couverture immédiate puisse, lorsque aucun sinistre ne s'est réalisé pendant les quatorze jours du délai de rétractation, se repentir utilement moyennant conservation d'une quote-part de prime par l'assureur.

Le travail jurisprudentiel ne fait que débuter. Timidement...

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