La lettre juridique n°894 du 10 février 2022 : Environnement

[Le point sur...] La question environnementale dans les procédures d’information-consultation du comité social et économique

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par Louise Thiébaut, Avocat associé, Daher Avocats

le 09 Février 2022

Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Droit du travail et environnement » et publié dans l’édition n° 894 du 10 février 2021 de la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N0354BZ7.


Mots-clés : CSE environnement information-consultation consultations ponctuelles consultations récurrentes ou périodiques expertise

L’entrée en vigueur de la loi dite « Climat et résilience » du 22 août 2021 constitue indéniablement une étape marquante dans l’émergence d’un droit environnemental du travail.


Si les entreprises et leurs partenaires sociaux n’ont pas attendu cette loi pour se saisir de sujets en lien avec la transition énergétique (mise en place d’un plan de mobilité, recours au forfait mobilités durables, par exemple), le rôle désormais conféré au comité social et économique (CSE) dans l’appréhension des conséquences environnementales de l’action de l’entreprise est important.

En intégrant la thématique environnementale dans le champ des procédures d’information-consultation du CSE, récurrentes et ponctuelles, et corrélativement dans le champ de l’expertise, la loi dite « Climat et résilience » contribue à faire entrer plus largement l’environnement dans le droit du travail, non sans soulever toutefois plusieurs interrogations pratiques.

I. L’extension de la mission générale du CSE  

La loi dite « Climat et résilience » modifie la rédaction de l’article L. 2312-8 du Code du travail N° Lexbase : L6660L7S qui détermine les attributions générales du CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés. La définition de la mission du CSE est élargie et intègre la prise en compte des conséquences environnementales des décisions de l’employeur relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Dorénavant, le CSE devra rendre ses avis en prenant en compte, parmi d’autres éléments, les impacts environnementaux des décisions de l’employeur. Il devient donc, ce faisant, un interlocuteur incontournable en matière d’environnement.

II. Une information-consultation sur les conséquences environnementales des mesures justifiant une consultation ponctuelle du CSE

L’article L. 2312-8 du Code du travail est également enrichi d’un nouveau paragraphe III, dont il ressort que le CSE doit être « informé et consulté sur les conséquences environnementales des mesures » qui intéressent l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise et qui sont listées, de manière non limitative, au paragraphe II du même article. L’évolution est importante, car elle crée, au titre de mesures ou projets de l’employeur se rattachant à la marche générale de l’entreprise, une obligation d’information-consultation spécifique sur leurs impacts environnementaux. La lecture de l’article ainsi modifié soulève plusieurs questions pratiques.

Tout d’abord, comment s’articulent les paragraphes II et III de l’article L. 2312-8 du Code du travail ? La rédaction retenue paraît littéralement induire une double obligation d’information-consultation du CSE au titre d’un unique projet : l’une, sur le projet lui-même, et l’autre, sur ses conséquences environnementales. L’ordre du jour doit-il en conséquence mentionner deux points distincts et donner lieu au recueil de deux avis ? Ou l’élaboration d’un unique point à l’ordre du jour intégrant une référence expresse aux conséquences environnementales du projet est-elle suffisante ? En l’absence de précisions supplémentaires à date, la prudence commande de suivre la première approche.

Au-delà de la question du formalisme à observer en lien avec l’ordre du jour et la remise de l’avis du CSE, la conduite de deux consultations parallèles, qui se rattachent à un même projet, est susceptible de créer des débats autour du point de départ du délai de chaque consultation et de la date à laquelle l’employeur peut légitimement considérer, en l’absence d’avis exprès du CSE, que ce dernier a rendu un avis négatif et que le projet peut être mis en œuvre. Puisque les consultations sont distinctes, elles pourraient potentiellement avoir deux points de départ différents. Théoriquement, un CSE pourrait accepter d’émettre un avis sur le projet qui lui est présenté par l’employeur sur le fondement de l’article L. 2312-8, II, tout en refusant d’en émettre un sur le fondement de l’article L. 2312-8, III, au motif, par exemple, qu’il est insuffisamment informé sur les conséquences environnementales du projet de l’employeur et n’est pas à même d’émettre un avis. L’employeur pourrait donc se trouver ainsi bloqué dans le déploiement du projet.

Aussi, n’eût-il pas été préférable de retenir, comme l’y invite d’ailleurs la rédaction du premier paragraphe de l’article L. 2312-8, que le CSE soit simplement informé sur les conséquences environnementales de la mesure afin de lui permettre de rendre un avis éclairé sur celle-ci ?

Par ailleurs, la notion de « conséquences environnementales » n’est pas définie et l’on anticipe aisément les difficultés qui risquent de surgir autour de l’étendue du droit à information du CSE. Quels sont les facteurs, paramètres ou indicateurs au regard desquels ces conséquences s’apprécient ? Si, dans le cadre de certains projets, tels qu’un projet de déménagement, des conséquences environnementales peuvent être assez facilement identifiables (par exemple, au travers des performances énergétiques des nouveaux locaux, de l’impact du déménagement sur les temps de déplacement des collaborateurs ou encore sur leurs moyens de transport), pour d’autres, comme un projet entraînant une modification dans l’organisation juridique de l’entreprise, les conséquences environnementales risquent d’être plus difficiles à cerner.

Même si l’on comprend le souhait du législateur de ne pas enfermer les conséquences environnementales dans une définition rigide et déconnectée de l’activité de l’entreprise, un juste milieu aurait été souhaitable. Il est certain que cette absence de définition nourrira les débats entre le CSE et l’employeur sur le caractère suffisant ou non des informations fournies et donc sur le point de départ du délai de consultation.

Enfin, l’absence de modification des dispositions des articles L. 2312-37 N° Lexbase : L1434LKC et suivants du Code du travail, relatifs aux informations et consultations ponctuelles du CSE, fragilise l’efficacité du nouveau dispositif et crée une insécurité juridique supplémentaire. Doit-on considérer que, pour ces projets particuliers, aucune obligation d’information-consultation au titre des conséquences environnementales ne s’impose ? En fonction du projet étudié, l’analyse pourrait s’avérer risquée, dès lors que les sujets mentionnés dans ces articles sont partiellement des déclinaisons des thèmes couverts par l’article L. 2312-8, II.

III. Une approche différente pour les consultations récurrentes du CSE

Contrairement aux consultations ponctuelles, pour les consultations récurrentes portant sur les orientations stratégiques, la situation économique et financière de l’entreprise ou encore sa politique sociale [1], la question environnementale est abordée sous le prisme de la seule information du CSE.

L’article L. 2312-17 du Code du travail N° Lexbase : L6659L7R énonce en effet qu’« au cours de ces consultations, le comité est informé des conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise » [2]. Le législateur n’a donc pas opté pour la création d’une quatrième information-consultation récurrente pleinement dédiée à politique environnementale, favorisant une approche plus transversale de la question. Les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise seront donc évoquées, dans le cadre de chacune de ces consultations, sans qu’il soit requis du CSE qu’il émette un avis sur le sujet. La discussion autour de l’impact environnemental de l’activité de l’entreprise risque donc d’être plus facilement diluée dans le cadre de ces consultations.

Si un accord collectif peut définir le contenu, la périodicité et les modalités de ces consultations ainsi que la liste et le contenu des informations nécessaires à cet effet, l’information du CSE sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise est une disposition d’ordre public [3]. Elle ne pourra donc être supprimée dans le cadre d’un accord.

Nous ne pouvons que regretter, une nouvelle fois, l’absence totale de définition de la notion de « conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise » et les débats judiciaires qu’elle risque de générer.

Le décret devant préciser les informations à intégrer en lien avec la thématique environnementale dans le contenu de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), qui sert de support à ces consultations, n’est toujours pas paru à ce jour. D’un secteur d’activité à l’autre, les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise pourraient être très différentes et des indicateurs pertinents pour un type d’activité beaucoup moins pour une autre. Les sociétés soumises à l’obligation d’établir une déclaration de performance extra-financière (DPEF), en application du Code de commerce [4], qui est déjà accessible aux membres du CSE dans le cadre de la BDESE, pourront utilement se servir des données qui y figurent dans le cadre des consultations récurrentes.

En tout état de cause, dans la mesure où l’obligation d’information sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise est déjà en vigueur, il paraît souhaitable que les entreprises ayant négocié la liste et le contenu des informations de la BDESE envisagent rapidement une révision de leur accord pour intégrer ce nouveau thème et définir des indicateurs pertinents. Pour celles qui ne sont pas dotées d’un accord collectif et appliquent les dispositions légales et réglementaires supplétives, les modifications apportées par la loi dite « Climat et résilience » pourraient inciter à la négociation, en particulier sur le contenu de la consultation et des informations à transmettre par l’employeur dans ce cadre.  

Enfin, au-delà des questions qui naissent de l’imprécision de la rédaction retenue, la temporalité retenue par l’article L. 2312-17 du Code du travail est étrange, puisqu’elle semble induire que les informations sur les conséquences environnementales pourraient ne pas être impérativement transmises au début de la procédure d’information-consultation. Pourtant, c’est bien la mise à disposition des informations dans la BDESE qui fait courir le délai de consultation [5].

À l’instar des consultations ponctuelles, les nouvelles dispositions en matière de consultations récurrentes risquent d’être source de contentieux.

IV. La modification du champ de l’expertise

En cohérence avec la modification des articles relatifs aux consultations récurrentes, la loi dite « Climat et résilience » a étendu les prérogatives de l’expert que le CSE peut nommer dans ce cadre.

Désormais, l’expertise « porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier, social ou environnemental » nécessaires à la compréhension des orientations stratégiques [6], de sa situation économique et financière [7] ou de sa politique sociale [8].

En revanche, la loi dite « Climat et résilience » n’a pas apporté de modifications quant au champ des expertises susceptibles d’être menées à l’occasion de consultations ponctuelles ou des expertises dites « habilitées » [9].

Néanmoins, compte de l’évolution de la mission générale du CSE et de ses nouvelles attributions en matière environnementale dans le cadre des consultations ponctuelles, il sera délicat pour l’employeur de s’opposer à une transmission d’informations que l’expert considérait nécessaire pour lui permettre d’analyser les conséquences environnementales du projet de l’employeur [10]. Rappelons à cet égard que la jurisprudence reconnaît un droit d’accès assez large à l’expert du CSE. Le contentieux de l’expertise risque donc de continuer à se nourrir avec l’extension des prérogatives du CSE, sans qu’il soit possible pour les partenaires sociaux de négocier, en matière de consultation ponctuelle, sur le contenu de l’information à transmettre par l’employeur.

Comment, en pratique, les experts vont-ils appréhender ces sujets et leurs nouvelles compétences ? Que ce soit au titre des consultations récurrentes ou ponctuelles, l’expert-comptable n’apparaît pas, de prime abord, l’acteur le plus indiqué pour analyser des problématiques environnementales ou a minima pour avoir une approche transverse du sujet [11]. Rappelons cependant que l’expert désigné par le CSE est fondé à s’adjoindre la compétence d’un ou plusieurs experts sur une partie des travaux nécessités par l’expertise, sous réserve de s’assurer que ces experts ont les compétences nécessaires ou sont dûment habilités [12]. Il est donc probable que, dans certaines entreprises où les sujets environnementaux sont essentiels en raison de leur activité, l’expert-comptable ait besoin de s’appuyer sur un expert plus spécialisé. Ce faisant, l’expert-comptable sera plus à même d’éclairer utilement le CSE sur la politique mise en œuvre par l’entreprise, en lui permettant, le cas échéant, de formuler des propositions alternatives. La commission au sein de l’Ordre des experts-comptables en charge des CSE travaillerait à une mise à jour du guide de travail des experts du CSE visant à intégrer les nouvelles prérogatives environnementales conférées à ces derniers [13].

Enfin, d’un point de vue pratique, l’employeur et le CSE peuvent légitimement s’attendre à une augmentation du coût des expertises compte tenu de l’extension du champ des travaux des experts.

En conclusion, les évolutions apportées par la loi dite « Climat et résilience » au régime de l’information-consultation du CSE devraient permettre de créer effectivement un débat entre employeurs et représentants du personnel autour des enjeux liés à la transition écologique au sein de l’entreprise. Espérons néanmoins qu’elles ne deviennent pas source d’un contentieux abondant compte tenu de certaines imprécisions dans la loi et qu’elle permette, au contraire, de créer une discussion constructive sur la question environnementale au sein de l’entreprise, recherchée par le législateur.  


[1] C. trav., art. L. 2315-17 N° Lexbase : L8328LGK et L. 2312-22 N° Lexbase : L6663L7W.

[2] C. trav., art. L. 2312-17 et L. 2312-22.

[3] C. trav., art. L. 2312-9 N° Lexbase : L8242LGD.

[4] C. com., art. L. 225-102-1 N° Lexbase : L2172LY4.

[5] C. trav., art. R. 2312-5 N° Lexbase : L0441LI8 ; voir également J.-Y. Kerbouc’h, Les prérogatives d’ordre environnemental du comité social et économique, JCP S, 2021, n° 50, chron. 1316.

[6] C. trav., art. L. 2315-87-1 N° Lexbase : L6665L7Y.

[7] C. trav., art. L. 2315-89 [LXB=8835L7D].

[8] C. trav., art. L. 2315-91-1 N° Lexbase : L6666L7Z.

[9] C. trav., art. L. 2315-94 N° Lexbase : L6764L7N.

[10] C. trav., art. L. 2315-83 N° Lexbase : L8395LGZ.

[11] A. Casado, Loi « Climat et résilience » : une loi en demi-teinte pour les travaillistes, Lexbase Social, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : L6065L7R.

[12] C. trav., art. R. 2315-48 N° Lexbase : L6286LMR.

[13] ActuEl-CE, Environnement et climat : l’expert-comptable sait aller chercher les bonnes données, 2 janvier 2022.

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