La lettre juridique n°894 du 10 février 2022 : Consommation

[Brèves] Précisions sur l’examen d’office du caractère abusif d’une clause par le juge

Réf. : Cass. civ. 1, 2 février 2022, n° 19-20.640, FS-B N° Lexbase : A14097LR

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N0353BZ4

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 09 Février 2022

► Le principe de concentration temporelle des prétentions posés par l’article 910-4 du Code de procédure civile ne s’oppose pas à l’examen d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaire à cet effet.

Selon l’article L. 212-1, alinéa 1er, du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B sont jugées abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, les clauses « qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Ces clauses sont alors réputées non écrites.

Il n’est pas rare que cet encadrement juridique soit invoqué par les emprunteurs en matière de crédits à la consommation (J. Lasserre Capdeville, Le droit du crédit à la consommation 10 ans après la loi Lagarde, collection Les intégrales, éd. LGDJ, 2021, p. 119 et s.) ou de crédits immobiliers (v. par ex., Cass. civ. 1, 28 novembre 2018, n° 17-21.625, FS-D N° Lexbase : A9253YNZ – Cass. civ. 1, 24 mars 2021, n° 19-21.944, F-D N° Lexbase : A68164ME).

Certaines décisions sont également porteuses de précisions intéressant la procédure civile. Tel est le cas de l’arrêt de la première chambre civile du 2 février 2022.

Faits et procédure. La caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie a consenti à M. N. et son épouse Mme L., le 28 janvier 2005, trois prêts immobiliers libellés en devises CHF, assurés auprès de la société CNP Caution, et, le 18 juillet 2006, un prêt immobilier également en devises CHF, en garantie duquel a été signé un acte de nantissement des troisièmes piliers suisses des emprunteurs contractés auprès de la société Axa.

Or, à la suite du décès de M. N., la société CNP Caution a versé à la banque les prestations correspondant à la prise en charge des trois premiers prêts, mais ne couvrant pas l’intégralité des sommes dues. De plus, le 21 septembre 2021, la banque a informé Mme L. que le montant versé par la société Axa au titre des troisièmes piliers était insuffisant pour couvrir le montant contractuellement exigible au titre du dernier prêt.

Le 6 juin 2014, la banque a prononcé la déchéance du terme des prêts et mis en demeure Mme L. de payer les sommes restant dues. Le 7 août 2014, l’établissement prêteur a assigné cette dernière en paiement. En retour, celle-ci a invoqué des manquements de la banque et le caractère abusif de certaines clauses des prêts souscrits.

La cour d’appel de Chambéry ayant, par sa décision du 11 avril 2019 (CA Chambéry, 11 avril 2019, n° 17/02545, Confirmation partielle (CA Chambéry, 11 avril 2019, n° 17/02545 N° Lexbase : A9680Y8Z), donné raison à Mme L., la banque a formé un pourvoi en cassation par l’intermédiaire duquel elle développait plusieurs moyens.

Décision. L’un d’entre eux nous intéresse plus particulièrement. La banque faisait grief à cet arrêt de l’avoir condamnée à payer à l’emprunteur des dommages-intérêts au titre de manquements, d’une part, à son devoir de mise en garde, d’autre part, à son devoir d’information et de conseil et d’avoir rejeté ses demandes. Son moyen se voulait très précis. Il est cependant rejeté par la Haute juridiction.

En effet, selon la Cour de cassation, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, après avoir constaté que les emprunteurs n’étaient pas avertis, que la cour d’appel a estimé, en se fondant notamment sur le montant élevé des prêts consentis et des échéances à acquitter et sur l’absence de fiche de patrimoine permettant d’apprécier la surface financière des emprunteurs, que leurs capacités de remboursement avaient été manifestement surévaluées et que la banque ne justifiait pas les avoir informés des risques afférents à l’octroi des prêts, justifiant ainsi légalement sa décision.

Cette solution échappe à la critique. En cas de crédit présentant un risque d’endettement excessif à l’égard d’un emprunteur non averti, il revient au prêteur de mettre en garde l’emprunteur. À défaut, sa responsabilité civile doit être engagée.

Par ailleurs, il est à noter que Mme L. avait formé un pourvoi incident.

Celle-ci faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry d’avoir déclaré irrecevables ses prétentions visant à obtenir l’annulation de stipulations contractuelles abusives, d’accueillir la demande en paiement de la banque et de rejeter sa demande tendant à ce que les éventuelles condamnations prononcées en faveur de celle-ci le soient solidairement entre elle et Mme P., représentée par l’UDAF de la Drôme, alors « que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; qu'en considérant, pour écarter le moyen de l'emprunteur tiré de ce que les clauses des contrats n° 0177991-01, 0177976-01 et 025685301 faisant peser le risque de change sur les seuls emprunteurs étaient abusives, qu'il s'agissait d'une "prétention" qui, faute d'avoir été présentée dès le premier jeu de conclusions d'appel, était irrecevable, la cour d'appel, qui disposait des éléments de droit et de fait nécessaires pour examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées, et qui était donc tenue de procéder à un tel examen, a violé, par fausse application, l'article 910-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9354LTM ».

Ce moyen se révèle utile puisque la Haute juridiction casse et annule la décision de la cour d’appel de Chambéry en ce qu’elle déclare irrecevables les prétentions de Mme L. visant à obtenir l’annulation de stipulations contractuelles abusives.

Sa motivation se veut très précise.

D’abord, aux termes de l’article 7 § 1 de la Directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7, les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

Ensuite, il est rappelé que la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l’Union européenne, a dit pour droit que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08 N° Lexbase : A9620EHR).

En outre, et toujours pour la jurisprudence européenne, il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l’ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d’être interprétée en conformité avec la Directive n° 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette Directive, les juridictions nationales ont l’obligation d’office, si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d’instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s’opposent à un tel examen (CJUE, 4 juin 2020, aff. C-495/19 N° Lexbase : A81223MR).

Par ailleurs, selon l’article L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Pour la Cour de cassation, il s’en déduit que le principe de concentration temporelle des prétentions posé par l’article 910-4 du Code de procédure civile, « ne s’oppose pas à l’examen d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

Or, pour déclarer irrecevables les prétentions de Mme L. en annulation de stipulations contractuelles abusives, l’arrêt d’appel retient que celles-ci auraient dû être présentées dans le premier jeu de conclusions d’appel, qu’elles ont été formées dans le troisième et qu’elles ne sont nullement destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Dès lors, en statuant ainsi, sans examiner d’office le caractère abusif des clauses invoquées au regard des éléments de droit et de fait dont elle disposait, la cour d’appel a violé les textes précités.

Cette solution est également convaincante. Il convient de ne pas confondre l’office des parties, déterminé notamment par le principe de concentration temporelle, et l’office du juge déterminé en l’occurrence par la décision de la CJCE du 4 juin 2009. Ainsi, l’article 910-4, alinéa 1er, du Code de procédure civile qui impose aux parties de présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, ne concerne pas l’office du juge.

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