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N9870BY9
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par Hélène Bornstein, Avocat au barreau de Paris, Médiateur, Directrice scientifique de l'Ouvrage Lexbase "La profession d'avocat".
le 13 Janvier 2022
La question semble bien singulière. Comment en effet répondre par la négative quand on sait l’attachement viscéral des avocats à leur secret, l’un des fondamentaux de leur déontologie et condition sine qua non d’une société démocratique.
Car, si le client est en droit d’exiger de son avocat le secret absolu sur ce qu’il lui confie, l’avocat est lui aussi fondé à pouvoir en toute confiance s’adresser à son Bâtonnier, à son Ordre ou à ses délégués sans craindre que la confidentialité de ses échanges ne soit violée de quelque manière que ce soit. D’ailleurs, ne dit-on pas que le Bâtonnier est le confident naturel de l’avocat ?
Alors, si aux termes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : Z80802KZ), les correspondances entre le client et son avocat, et celles échangées entre l'avocat et ses confrères sont couvertes par le secret professionnel, comment imaginer qu’il en soit autrement lorsque les échanges se tiennent entre un avocat et son Bâtonnier ? C’est dans cet esprit que la profession a toujours considéré qu’un avocat qui divulguait l’avis qu’il avait obtenu d’un représentant de son Ordre constituait une infraction à nos règles les plus élémentaires, ces échanges étant « par nature » confidentiels [1]. C’est en tout cas pour tenter de préserver encore un peu ce principe fondamental de notre démocratie qu’est le secret professionnel - chaque jour un peu plus écorché - que l’Ordre de Paris a édicté au sein de son Règlement intérieur un article P 3.0.1 selon lequel :
« Sous réserve des règles de procédure, les communications et correspondances entre l’avocat et toute autorité compétente suivent les règles de l’article 3 du présent règlement », ledit article 3 stipulant que « tous échanges écrits et verbaux entre avocats sont couverts par le secret professionnel et sont par nature confidentiels ».
La cour d’appel de Paris a donc été l’une des premières à nous interpeler [2] en 2010 : en vertu de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, seules seraient en effet couvertes par le secret professionnel les correspondances entre avocats, ou entre l'avocat et son client ? Les correspondances adressées par l'avocat au Bâtonnier ou à son Ordre, ou les réponses de ceux-ci n'entreraient pas dans les prévisions de l'article 66-5 précité ? Et ce serait ajouter à la loi que d’inclure le Bâtonnier ou ses délégués dans la confidentialité des échanges ? Mais n’est-ce pas ajouter à la loi que de les en exclure ? La loi prévoit expressément et en premier lieu la confidentialité des échanges « entre avocats ». Le Bâtonnier ou ses délégués ne sont-ils pas « avocats » au sens de la loi de 1971 ?
La Cour de cassation ne l’a pas entendu ainsi, et a rejeté le pourvoi qui avait été formé contre cet arrêt. Après avoir rappelé les termes de l’article 66-5 de la loi de 71, la première chambre a en effet jugé le 22 septembre 2011 [3] que :
« le règlement intérieur d'un barreau ne peut, sans méconnaître ces dispositions législatives, étendre aux correspondances échangées entre l'avocat et les autorités ordinales le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client ».
Cet arrêt a été vécu comme un choc par la profession d’avocat tout entière. Le Conseil National des Barreaux a dès 2012 envisagé de porter une proposition d’amendements aux articles 21 et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 [4], et dans l’urgence, son Président de l’époque, le Bâtonnier Charrière- Bournazel, a tenté de faire voter la création d’un deuxième alinéa à l’article 66-5 qui aurait été rédigé ainsi :
« Sont également couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l’avocat et son bâtonnier ou les instances ordinales dès lors qu’elles contiennent des éléments couverts par le secret professionnel ».
Les bonnes intentions du CNB sont malheureusement restées lettre morte. Le temps a passé, et dans l’indifférence générale, la Cour de cassation a rendu un deuxième arrêt dans le sens du premier [5]. Le Barreau de Paris a néanmoins conservé intact l’article P 3.0.1 de son Règlement Intérieur, et c’est très bien ainsi. Car en réalité, n’en a-t-on pas trop fait autour de cet arrêt de 2011 ? À l’Université, on le qualifierait d’ « arrêt d’espèce », triste qualification à la limite du déshonneur, réservée aux pauvres décisions qui n’ont aucune portée générale, et n’ont d’autre vocation que de s’appliquer aux seuls faits de l’espèce qu’ils ont eu à juger. Il s’agissait, en effet, pour le Bâtonnier de trancher le grave différend qui opposait deux avocats autour de l’association qu’ils avaient créée… pour clamer leur amour commun de l’Italie. L’arrêt de 2016 n’est pas plus remarquable dans les faits qu’il avait à juger, s’agissant d’un couple d’avocats refusant de payer l’adoucisseur d’eau qu’ils avaient commandé à leur chauffagiste pour le confort de leur domicile privé. Point dans ces deux affaires de déclaration de soupçons faite par un avocat à son Bâtonnier, d’échanges autour de pièces extraites d’une instruction pénale pour être produites devant le Juge civil ou de courrier contestant la divulgation d’un projet de protocole d’accord en cours de finalisation. Il est à parier que si tel avait été le cas, en d’autres termes si le secret professionnel avait dû être protégé, si la production des échanges entre avocats et Bâtonnier avait eu trait à ces sujets, si des pièces appartenant à des clients ou des révélations qu’ils auraient pu faire avaient été incluses dans ces correspondances, les magistrats de la Cour de cassation auraient jugé autrement, et tranché en faveur de la confidentialité des échanges entre les avocats et leur Bâtonnier. C’est d’ailleurs ce qu’écrit la Cour de cassation en toute fin de son arrêt de 2011 :
« que par ce motif de pur droit (…) l'arrêt attaqué se trouve légalement justifié en ce qu'il écarte toute violation du secret professionnel »
« …En ce qu’il écarte toute violation du secret professionnel ». La voilà la notion essentielle.
Au sujet d’une autre affaire, la cour d’appel de Rouen ne s’y est pas trompée quelques mois plus tard [6]. Elle rappelle tout d’abord le principe posé par la loi, fidèle en cela à la position de la Cour de cassation :
« En vertu de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client. »
Et elle ajoute :
« Quant aux pièces 14, 15, 17, 27 et 28, elles sont constituées soit de correspondances adressées par l'avocat des appelantes au Bâtonnier, soit de correspondances adressées par le Bâtonnier aux avocats des appelantes et de l'intimée. Si les correspondances entre un avocat et son autorité ordinale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 66-5 précité, il n'en demeure pas moins que c'est à juste titre que la décision d'arbitrage les a, en l'espèce, écartées, dès lors qu'elles ont été échangées à l'occasion d'une phase de médiation préalable à l'arbitrage et revêtent dès lors un caractère confidentiel. » « …Et revêtent dès lors un caractère confidentiel ».
Exactement comme la Cour de cassation avait relevé que l’arrêt qui lui était soumis avait « écarté toute violation du secret professionnel », la cour d’appel de Rouen a pu juger que dès lors qu’elles revêtaient un caractère confidentiel, c’est à juste titre que les correspondances ont été écartées. Peu importe ici que le caractère confidentiel des correspondances incriminées soit attaché à l’existence d’une médiation préalable, la conséquence incontestable en est qu’elles doivent être écartées des débats. Ainsi, si dans le cadre d’une interprétation extrêmement stricte comme le fait la Cour de cassation, l’on peut admettre qu’en visant les seules correspondances entre avocats ou celles qui le sont entre avocats et clients, la loi de 1971 n’a pas expressément visé les échanges entre les avocats et leur Ordre (ce qui reste contestable, sauf à retirer aux membres des Ordres leur qualité d’avocat), il n’en demeure pas moins qu’il est à parier que les magistrats préserveront la confidentialité des échanges chaque fois qu’ils la trouveront justifiée, qu’il s’agisse comme dans l’affaire de la cour d’appel de Rouen, de l’existence d’une médiation ou que le secret professionnel soit en cause dans les correspondances incriminées, comme l’a expressément écarté l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2010.
Alors non, en l’état, les échanges entre l’Ordre et les avocats ne sont pas « par nature » couverts par la confidentialité, mais ils le seront à chaque fois qu’ils revêtiront un caractère confidentiel, du fait par exemple, du secret professionnel de l’avocat qu’ils contiennent.
La proposition du Bâtonnier Charrière-Bournazel évoquée ci-dessus était la bonne. Il est regrettable que le CNB et/ou le Barreau de Paris n’aient pas profité des dernières discussions autour du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire - à l’occasion desquelles le secret professionnel a une fois encore été égratigné - pour l’intégrer.
[1] Cette sacralisation du secret est parfois difficile à appréhender, notamment par le client de l’avocat, lorsque, intéressé au premier chef, il s’entend dire que l’avis déontologique rédigé au sujet de son propre dossier ne lui sera pas communiqué, ou encore lorsque l’issue d’une plainte à l’origine d’une procédure disciplinaire contre un avocat ne sera jamais portée à la connaissance du plaignant. Mais c’est là un autre débat…
[2] CA Paris, 27 mai 2010, n° 09/28401 (N° Lexbase : A5882EYI).
[3] Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.219, F-P+B+I (N° Lexbase : A9493HXU).
[4] CNB, AG, 14 et 15 septembre 2012.
[5] Cass. civ. 3, 13 octobre 2016, n° 15-12.860, F-P+B (N° Lexbase : A9626R7N).
[6] CA Rouen, 7 décembre 2016, n° 14/02256 (N° Lexbase : A0265SPI).
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