Réf. : Décret n° 2021-1625, du 10 décembre 2021, relatif aux compétences des commissaires de justice (N° Lexbase : L9442L9L)
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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & associés), Intervenant ENM, EFB, INCJ, Legal Officer Logion
le 12 Janvier 2022
Mots-clés : commissaires de justice • commissaires-priseurs • huissiers de justice • compétences • compétence territoriale • constat
Le décret compétences des commissaires de justice a été publié le 10 décembre 2021, dans une relative indifférence. Sa lecture attentive soulève cependant quelques interrogations et incompréhensions, notamment concernant la délicate question de la compétence territoriale.
Le 12 décembre 2021, est paru, dans une relative indifférence du monde des juristes, le tant attendu décret relatif aux compétences des commissaires de justice.
Tant attendu ? De qui ? Seulement des principaux concernés, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, les autres professions et les justiciables n’étant nullement concernés ou faiblement impactés par ce nouvel acteur du droit qu’est le commissaire de justice.
Tant attendu ? Pourquoi ? Car il s’agit là d’un texte qui encadre l’exercice de ce nouvel officier public et ministériel qui sera en fonction dès le 1er juillet 2022, fruit du mariage forcé entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. La lecture de cet décret renseignera sur ce qu’il faut retenir de ces noces ? Donnent-elles raison à Oscar Wilde qui écrivait « Ne vous mariez jamais : l’homme le fait par lassitude, la femme par curiosité et chacun est déçu » ?
Dans un premier temps, une réponse affirmative pourrait être apportée puisque, même si les professions sont mariées, elles font chambre commune mais lit à part [1]. Mais cette situation n’est appelée à durer que jusqu’au 30 juin 2022, veille de la venue au monde du commissaire de justice. C’est donc un réel texte commun, fortement teinté du vécu de chacune des professions fusionnées, qui a été publié au Journal Officiel pour entrer en vigueur le 1er juillet prochain, à l’exception de son article 34 qui l’est déjà. Texte commun, certes, mais qui ne porte en lui que peu de nouveauté comme l’étude de ses 37 articles va le démontrer.
Afin d’étudier le décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice, les développements suivront la structure du texte, à savoir trois titres.
Le premier titre étudié est relatif à la compétence territoriale des commissaires de justice (I), le deuxième traite des obligations professionnelles et attributions (II), et le troisième et dernier est sobrement intitulé « Dispositions diverses et finales » (III).
I. De la compétence territoriale
Le premier titre du décret est constitué de deux articles ci-après reproduits :
« Article 1er
Les commissaires de justice peuvent accomplir les actes prévus aux 1°, 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 8° et 9° du I de l'article 1er de l'ordonnance du 2 juin 2016 susvisée dans le ressort de la cour d'appel du siège de leur office et, le cas échéant, du ou des bureaux annexes attachés à l'office.
Ils peuvent accomplir les actes prévus au 4° du I et au II de l'article 1er de la même ordonnance sur l'ensemble du territoire national.
Ils peuvent également, à titre occasionnel, accomplir les actes prévus au 2° du I de l'article 1er de la même ordonnance sur l'ensemble du territoire national.
Article 2
Tout commissaire de justice peut signifier un acte par voie électronique dès lors que l'un des destinataires de l'acte a son domicile ou sa résidence dans le ressort de la cour d'appel où il exerce sa compétence.
Toutefois et hors les cas où le débiteur a son domicile ou sa résidence à l'étranger, seuls les commissaires de justice qui exercent dans le ressort de la cour d'appel où le débiteur a son domicile ou sa résidence sont compétents pour signifier les actes par voie électronique à un tiers dans le cadre d'une procédure d'exécution ou d'une mesure conservatoire au sens de l'article L. 111-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5789IRT).
La dénonciation par la voie électronique d'un acte peut être faite par le commissaire de justice compétent pour signifier ou établir l'acte. »
L’article 1er est donc relatif à la question de la compétence territoriale générale, et le deuxième article traite du cas particulier des significations électroniques.
Concernant la compétence territoriale générale, l’article 1er peut paraître anodin aux yeux du profane. Et pourtant, il porte en son sein de réelles évolutions, voire révolutions, notamment en matière de constats. Ainsi, sa lecture apprend que le commissaire de justice pourra, dans le ressort de la cour d’appel où il est installé, dresser les constats d'état des lieux dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 3-2 de la loi du 6 juillet 1989 (état des lieux locatifs sur convocation préalable, et uniquement cet état des lieux locatifs). En revanche, il est désormais expressément indiqué que les constats judiciaires bénéficient d’une compétence nationale.
Ce texte affirme donc à une compétence territoriale variable selon le contexte du constat dressé par le commissaire de justice : si le constat prend sa source dans la demande du juge ou d’un particulier, la compétence est nationale. En revanche, s’il naît de la loi du 6 juillet 1989, alors la compétence territoriale du constatant est celle de la cour d’appel, étant ici précisé que cela n’affecte en rien la force probante du constat qui demeure la même… Il apparaît difficile de justifier cette distinction, et même de la comprendre…
Étonnamment, l’article 1er consacre également le principe d’une compétence locale (cour d’appel) d’habitude et d’une compétence nationale occasionnelle concernant la faculté de procéder aux inventaires, prisées et ventes aux enchères publiques de meubles corporels ou incorporels prescrits par la loi ou par décision de justice… C’est là une surprise que de consacrer une compétence restreinte pour l’élargir immédiatement par l’expression « à titre occasionnel ». Comment définir l’occasionnel ? Seul l’avenir le dira…
L’article 2 du texte commenté se limite à la question de la signification électronique et ne contient pas de nouveauté par rapport à la situation des huissiers de justice. La signification électronique obéit à une compétence territoriale stricte qui consacre la proximité géographique avec le débiteur puisque les actes de saisie impliquant un tiers sont signifiés par le commissaire de justice du ressort de la Cour d’appel où est établi le débiteur.
II. Des obligations professionnelles et attributions
Ce titre constitue le cœur du décret puisqu’il contient 28 articles !
Les articles 3 à 7 sont relatifs aux obligations professionnelles des commissaires de justice.
L’article 3 prévoit que le commissaire de justice dispose d’une carte professionnelle. La lettre de l’article fait écho à l’article 17 du décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice (N° Lexbase : L6897A49), mais précise que le modèle de carte professionnelle de commissaire de justice est unique. Le modèle de carte professionnelle fera l’objet d’un arrêté, mais espérons qu’il ne suive pas le sort de celui relatif au modèle des cartes professionnelles d’huissier de justice qui n’existe toujours pas comme l’avait remarqué madame Frédérique Lardet dans une question au Garde des Sceaux en 2019 [2]...
L’article 4 est lui relatif au ministère forcé et à ses exceptions (situation où le commissaire de justice ne peut refuser la mission qui lui est confiée). Il rappelle que, sauf cas d’empêchement et lien de parenté, le commissaire de justice ne peut refuser son ministère si la mission qui lui est demandée relève de l’article 1er de l’ordonnance du 2 juin 2016 et que le destinataire de l’acte demeure dans le ressort de compétence du tribunal judiciaire.
L’article 5 doit être lu en ayant à l’esprit que les visio-constats (constat en live streaming sans déplacement de l’huissier) ont attiré l’ire des institutions représentatives de la profession, notamment parce que ces projets étaient portés par des start-up qui se paraient des attributs des huissiers de justice, entretenant une douteuse confusion. Ainsi, ce texte tord le cou aux start-up de preuve visio ou qui offre un simple dépôt de documents horodaté par huissier : s’il n’y pas de déplacement personnel du commissaire de justice sur le lieu du fait à constater, il n’y a point de constat. C’est ce qu’il faut comprendre de cet article qui prévoit que « Le commissaire de justice, ou le clerc habilité aux constats, effectue lui-même les constatations prévues au 2° du II de l'article 1er de l'ordonnance du 2 juin 2016 susvisée. Il se rend personnellement sur les lieux du constat ». Un éclaircissement bienvenu qui met fin à certaines dérives susceptibles de porter préjudice aux justiciables.
L’article 6 ne porte en son sein aucun élément de nouveau car il autorise le pilotage : le commissaire de justice destinataire d’un acte hors sa compétence peut l’adresser à un confrère plus proche.
Les articles 8 à 13 constituent le chapitre 2 relatif à la question du service d’audience. Là encore, nous ne relevons pas de différence notable entre le commissaire de justice audiencier et l’huissier de justice audiencier. Ils sont donc titulaires d’un service spécial auprès de certaines juridictions (appels de cause, police des audiences, signatures d’actes…), cela n’incluant pas un monopole pour les autres activités non visées au texte. Les usages locaux attribuant les constats judiciaires aux seuls huissiers audienciers ne sont pas légitimés par ce texte, et n’ont leur source que dans la confiance qu’ont les magistrats en leurs audienciers.
Le chapitre 3 est intitulé « Les actes et significations », et composé des articles 14 à 23. Outre les obligations inhérentes à la conservation et à la transmission des actes, nous retiendrons de cela que la durée de conservation demeure vingt-cinq ans, et qu’une copie peut être délivrée sur un support différent de l’original, comme c’est le cas aujourd’hui. Le restant est une reprise quasi à l’identique des textes concernant les huissiers de justice.
Le dernier chapitre (chapitre VI) du Livre s’intitule « Les activités professionnelles sans monopole et les activités accessoires (articles 28 à 31) ». Y sont évoquées pêle-mêle le recouvrement amiable, la médiation, le métier d’administrateur d’immeuble et celui d’agent d’assurances.
L’article 28 pose le principe qu’ « en matière de recouvrement amiable ou judiciaire, la remise des pièces au commissaire de justice vaut mandat d'encaisser » : il n’y a donc pas besoin de mandat exprès pour ce faire.
Les article 29 et 30 rappellent qu’un commissaire de justice peut exercer une ou des activités accessoires, sous conditions (déclaration au Procureur, limitations en matière de médiation et exclusion de la médiation relative au contentieux de l’exécution…). Il est hélas regrettable de ne pas avoir précisé que les parties concernées (les médiés) pouvaient lever les cas d’interdiction de médiation par les commissaires de justice. En effet, dans le cadre d’un règlement amiable du différend, ne serait-il pas logique d’accepter que les parties conviennent elles-mêmes du choix d’un médiateur, sans que le législateur interfère ?
III. Des dispositions diverses et finales
Qu’attendre d’un livre intitulé « Des dispositions diverses et finales » ? Un éclaircissement bienvenu, répondant à la problématique du sort des anciens commissaires de justice qui ont acquis la qualification pour organiser et réaliser des ventes volontaires et qui ont pratiqué de telles ventes au sein d'une société régie par le livre II du Code de commerce. Même en ayant perdu leur qualité d’officier public et ministériel, ils peuvent poursuivre leur activité de ventes volontaires. Dans ces conditions, la limite d’âge du commissaire de justice (70 ans) ne signifie donc plus arrêt de l’exercice de toute son activité professionnelle.
Le « décret compétence » commenté résonne comme un contrat de mariage entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, promis à l’avenir commun du commissaire de justice. Ce n’est pas le régime de séparation des biens qui a été choisi, mais davantage celui de la communauté réduite aux acquêts. Il faudra donc un peu de temps et beaucoup d’audace pour que le commissaire de justice se crée un patrimoine de compétences et attributions originales. Ce sera alors sa deuxième naissance en ce qu’il fera oublier les deux professions dont il porte les noms additionnés.
[1] Aux termes du décret n° 2018-872 du 9 octobre 2018 portant organisation et fonctionnement de la chambre nationale des commissaires de justice et des commissions de rapprochement des instances locales représentatives des professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, l’article 1er indique que la Chambre Nationale des Commissaires de justice est organisée en deux sections : celle des huissiers de justice, et celles des commissaires-priseurs judiciaires.
[2] QE n° 17555 de Mme F. Lardet, JOANQ 05 mars 2019 , réponse publ. 9 juillet2019 p. 6461, 15ème législature (
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