La lettre juridique n°890 du 13 janvier 2022 : Droit Administratif Général

[Focus] Le rescrit, un outil juridique en plein essor

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par Dimitri Di Francesco-Gandon, juriste, docteur en droit public, Université Paris II Panthéon-Assas

le 12 Janvier 2022

 


Mots clés : rescrit • usager • personnes publiques

Plongeant dans ses racines romaines, le rescrit constitue aujourd'hui un outil juridique en plein essor. En effet, à l'instar de la doctrine administrative, le rescrit, en plaçant l'administré en son centre, se veut être un instrumentum rééquilibrant la relation entre l'administration et l'administré. De plus, à l'aune de l'État régulateur, son utilisation et son développement sont une garantie essentielle de l'État de droit en ce qu'il enserre la réponse de l'administration et peut in fine la contraindre.


 

« L'administration veille, avertit, ordonne, défend, se fait obéir par la seule autorité des règlements qu'elle présente, et auxquels on ne fait pas difficulté d'obéir [écrit, pour tous, un juriste français vers la fin de l'Ancien Régime »[1].

Par cette citation, M. Jousse rappelle les origines du pouvoir administratif eu égard aux administrés. Il fonde son autorité sur les règlements qu’il adopte et sur l’obéissance des administrés à leur égard. Toutefois, cette situation ne saurait trouver à s’appliquer aux rescrits qui, quand bien même ils n’ont pas valeur de règlements, sont invocables par les administrés et opposable à l’administration.

Dans le cadre de son étude sur le rescrit, le Conseil d’État le définit comme « une prise de position formelle de l'administration, qui lui est opposable, sur l'application d'une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure » [2].

L’interprétation de la part de l’administration sous la forme de rescrit, trouve son origine sous l’Empire romain, en ce qu’il « consistait en une réponse donnée par écrit, par l'empereur ou le Conseil impérial, à un particulier ou un magistrat qui avait demandé une consultation à l'empereur sur un point de droit » [3]. Ils se multiplièrent au cours du IIe siècle, notamment sous le règne de l’empereur Hadrien. Par la suite, le droit canonique, notamment dans le canon 59 du code de droit canonique [4], va en proposer une définition et conduire à son développement. De cette conception historique du rescrit et sous l’égide de l’expérience anglo-saxonne (rulings), le droit moderne a eu une tendance à « la résurgence du rescrit » [5] depuis la fin des années 1980. D’ailleurs « l'institution du rescrit doit sans doute moins à l'Antiquité qu'aux concepts de régulation et de sécurité juridique » [6].

La résurgence du rescrit a permis à de nombreux domaines du droit tels que le droit fiscal, le droit de la régulation économique, la matière sociale, le droit des exploitations agricoles, mais aussi les relations entre les collectivités territoriales et les services de l’État, de se saisir de cet instrumentum afin de garantir une relation apaisée entre les administrations et les administrés.

1. En matière fiscale, la recherche de sécurité juridique et fiscale [7] a permis un développement exponentiel des rescrits.

D’ailleurs, cette matière « se prêtait tout particulièrement bien à la volonté politique d'introduire un traitement individualisé de la situation des contribuables, rompant avec l'image d'un Léviathan fiscal distant, traitant globalement et anonymement des dossiers, et promouvant au contraire le visage d'une administration moderne à l'écoute du citoyen, analysant au cas par cas la situation personnelle de chaque administré » [8]. En effet, la matière fiscale est au centre des préoccupations des entreprises et des particuliers, en ce sens que la sécurité fiscale doit induire une relation de confiance entre les contribuables et l'administration fiscale ; cette dernière devant agir en toute transparence au profit de la législation fiscale et des deniers publics. D'ailleurs, de nombreux auteurs[9] se sont prononcés en faveur du rescrit fiscal.

En la matière, le législateur a institué, d’une part, un mécanisme de rescrit général au travers de l’article L. 64 B du LPF (N° Lexbase : L9136LNP) par lequel a été ouverte la faculté aux contribuables de demander à l'administration fiscale de se prononcer sur une situation de fait donnée et cette réponse lie l'administration dès lors que le contribuable est de bonne foi et a présenté l'ensemble des données de sa situation fiscale. Ce rescrit général permet à un contribuable de provoquer une interprétation de l'administration fiscale sur une disposition, quelle que soit sa place dans la hiérarchie des normes, à l'aune de sa situation personnelle.

Parallèlement à ce rescrit général, l'originalité du droit fiscal demeure dans le foisonnement de cette procédure dans notre droit. En effet, le droit positif a connu un large développement du rescrit dans des domaines divers (rescrit « abus de droit » [10] ; l'accord préalable en matière de prix de transfert [11] ; la procédure de contrôle fiscal sur demande en application de l’article L. 13 C du LPF (N° Lexbase : L8750G8L) ; rescrits de l’article L. 80 B du LPF (N° Lexbase : L7200LZP) relatifs au bénéfice du régime d'amortissement exceptionnel ou du régime des entreprises nouvelles ; rescrit « établissement stable » conformément au 6° de l’article L. 80 B  du LPF ; rescrit « en cours de contrôle » [12] ;  rescrit « jeune entreprise innovante » [13] ; rescrit « pôle de compétitivité »[14] ; rescrit de l’article L. 80 C du LPF (N° Lexbase : L7607HEH) permettant aux associations de connaître la possibilité d'exonération des dons reçus ; rescrit en matière de notation d’entreprise en application de l’article L. 18 du LPF (N° Lexbase : L9383LHY) [15].

Pour autant, l'instauration des mécanismes de rescrit semble être dans l'air du temps et connaît un développement sans précédent, notamment en France et cela au-delà du champ d'application de la matière fiscale.

2. En matière de régulation économique, le rescrit boursier a été instauré par le règlement de la Commission des opérations de bourse (COB)[16], sur les recommandations du rapport Pfeiffer[17], et se trouve aujourd’hui à l’article 121-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il permet à toutes personnes entrant dans le champ d'application du règlement précité de saisir l’AMF, par écrit, antérieurement à la réalisation d'une opération, d'une question relative à l'interprétation du règlement. Ainsi, en matière de régulation économique, la COB puis son héritière l'AMF ont instauré un vrai mécanisme de rescrit ayant pour finalité de garantir le demandeur de toutes procédures de sanction de ces autorités ou de contentieux postérieurs en cas d'application stricte des dispositions du rescrit.

3. En matière sociale, institué par la loi « Madelin » du 11 février 1994 [18], le rescrit social a connu une extension de son champ d’application, par le biais de l'ordonnance du 10 décembre 2015 [19] qui avait pour objectif de « renforcer les garanties applicables aux porteurs de projet et de leur assurer un environnement plus sécurisé du point de vue des normes applicables » [20]. D'une part, en matière sociale, est promu un mécanisme relatif à une demande de rescrit à l'URSSAF, de la part de cotisants, d'organisations professionnelles et syndicales, ayant pour objet de se prononcer sur les règles applicables à leur situation [21]. De plus, l'employeur peut faire des demandes relatives au respect de la réglementation en vigueur pour son accord ou plan d'action relatif à l'égalité professionnelle [22] ainsi qu'aux lois sur le handicap [23].

D'autre part, cette ordonnance a instauré cinq rescrits dans des champs aussi divers que le droit rural [24], le droit de la consommation [25] et dans le droit de l'occupation temporaire du domaine public [26]. Ces mécanismes favorisent la prise de position formelle de l'administration et enserrent les réponses afin d'éviter de retournement de veste doctrinale[27].

4. En matière de collectivités locales : la loi n° 2019-1461 du 27 novembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et la proximité de l’action publique (N° Lexbase : L4571LUT), en instaurant l’article L. 1116-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L4818LUY), et le décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 (N° Lexbase : L2064LXQ) ont consacré le rescrit dit « préfectoral ». Ce nouvel outil à la disposition des collectivités territoriales ou de leurs groupements ainsi que de leurs établissements publics leur permet, avant l’édiction d’un acte, de solliciter les services en charge du contrôle de légalité d’une demande de prise de position formelle relative « à la mise en œuvre d'une disposition législative ou réglementaire régissant l'exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif ». À la suite de cette demande de prise de position formelle, le représentant de l’État ne pourra déférer au tribunal administratif l’acte pris conformément à cette position.

Enfin, dans des domaines particuliers, le législateur a pu envisager des mécanismes de rescrit sans pour autant les nommer comme tels. Il en est ainsi des certificats d’urbanisme en application de l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L9997LM9).

En effet, à la suite d’une demande d’un propriétaire, l’administration va se prononcer sur les dispositions d’urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d’urbanisme applicables à un terrain. Ce certificat cristallise pendant 18 mois les règles d’urbanisme applicable et les taxes et participations afférentes. Ce mécanisme constitue un rescrit quand bien même il ne dispose pas d’une telle qualification.

Le développement – bien que limité – des rescrits s'inscrit donc dans une évolution de la conception de l’État. D'ailleurs, « La technique du rescrit, par le jeu complexe qu'elle instaure entre les usagers du droit, les acteurs de la vie économique, le juge, l'Administration et les diverses instances de régulation, telles que les autorités administratives indépendantes, et par le réajustement des divers niveaux normatifs qu'elle permet, contribue à caractériser le type de société vers lequel tend l'évolution actuelle » [28].

La présente étude a pour objet de s’interroger sur le développement de l’outil juridique qu’est le rescrit dans la sphère publique. En effet, au regard de l’approche empirique du développement du rescrit, quels sont les critères systémiques permettant de le définir et quelle valeur doit lui être accolée ? Ce mécanisme d’interprétation de la norme juridique doit-il poursuivre son essor et intégrer d’autres pans du droit ?

Au regard de ce contexte éclaté d’application du rescrit dans la sphère publique, après en avoir posé les critères et sa valeur (I.), son application tend à placer l’usager au centre de l’action administrative, ce qui doit en favoriser l’essor (II).

I. L’approche ontologique du rescrit en matière administrative

Après avoir fixé le cadre organique et matériel du rescrit (A.), la valeur de ce dernier doit démontrer son intérêt au sein de la procédure administrative non contentieuse (B.).

A. Une définition organique et matérielle du rescrit

Quand bien même la notion de rescrit a perduré au fil du temps, sa définition et son contour précis doivent être à nouveau précisés.

Tout d'abord, le rescrit est un outil de production de la doctrine administrative provoquée par une demande d'un administré à une administration. De ce premier critère découlent de nombreuses conséquences dont nous étudierons la portée par la suite (II. A).

Ensuite, le rescrit porte sur une « interprétation d'une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne » [29]. Ainsi, la demande de rescrit doit, sous peine de rejet, répondre à des conditions formelles strictes, notamment au regard de l'exhaustivité de la demande et du caractère de bonne foi de l'information mise à la disposition de l'administration. Cette demande répond à un instrument à structure fixe [30], en ce sens que le formalisme de la demande est important et contraint les demandeurs dans le cadre de cette procédure. En contrepartie de cette obligation de présentation de la demande, l’administration est contrainte de motiver son interprétation des textes réglementaires [31], ce qui atteste qu’il s’agit d’un mécanisme aménageant « un espace de dialogue entre l'usager et l'Administration » [32] avec comme conditions essentielles la bonne foi et la loyauté des parties. En effet, ce dialogue aboutit à une prise de position éclairée de la part de l’administration dont elle ne saurait se départir. Ce second critère implique de facto l’effet relatif de l’interprétation au regard de la situation de fait, même si le rescrit admet une sorte de « droit à l'information administrative » [33] par le biais des publications, que ce soit dans les bulletins des autorités administratives indépendantes ou sur les sites internet des administrations – auteures des rescrits.Enfin, la participation de l'administré à la production normative permet d'envisager la dernière conséquence, à savoir que l'administré peut se prévaloir de cette position à l'encontre de l'administration, ce que nous étudierons dans la suite de la présente étude (I.B.).

En tout état de cause, le rescrit constitue « un acte administratif unilatéral et une authentique décision » [34] et ne saurait conduire à sa contractualisation [35].

B. La valeur du rescrit 

La mise en place des rescrits présente d’une part de nombreux avantages. Tout d'abord, l'adoption de rescrit doit éviter une certaine juridictionnalisation du droit administratif. En effet, garantir l'opposabilité de la doctrine administrative provoquée par une demande d'un usager, en créant une relation de confiance entre le demandeur et l'administration, va permettre de mettre à l'écart le recours juridictionnel. La conception subjective de la sécurité juridique [36], au travers de la confiance légitime, se retrouve tant dans la procédure de rescrit que dans son régime. En effet, l'usager de bonne foi doit avoir confiance en la prise de position de l'administration. Au-delà de la sécurité juridique, le rescrit doit devenir un outil de prévention du contentieux administratif en instaurant un dialogue a priori entre l'administration et l'usager.

De plus, le rescrit doit permettre de faire face à une exigence essentielle pour les acteurs économiques, à savoir la célérité de la vie économique et des marchés. En effet, dans l'ensemble des domaines visés par le rescrit, les demandeurs s'interrogent sur leur situation de fait au regard de leurs obligations fiscales, sociales ou financières. Ainsi, cet outil garantit une levée des incertitudes sur les dispositions législatives et réglementaires applicables, notamment quant à leur portée. Dès lors, au regard de la célérité de la vie économique et des marchés, l'interprétation adoptée dans le rescrit doit permettre de répondre à cette exigence et donne une certaine indulgence dans l'interprétation faite par l'administration.

Par ailleurs, le rescrit doit contribuer à la mise en œuvre des mécanismes de régulation économique, à la prévisibilité de l'action publique et l'adaptation de l'interprétation des réglementations aux situations particulières. En effet, le caractère relatif des rescrits et leur lien avec la demande de l'usager doivent permettre à l'administration d'induire des comportements pour les acteurs économiques et de renforcer la relation entre l'administration et les usagers. Ainsi, ces derniers, du fait de la création d'une confiance avec l'administration, seront plus à même de demander à cette dernière de se prononcer avant que la mise en œuvre de l’opération, notamment en matière économique. Tout en permettant un assouplissement de la relation entre l'administration et l'administré, le rescrit participe à une régulation économique, en ce sens qu'il influe sur les choix des acteurs économiques.

Pour autant, le rescrit peut, d'autre part, faire l'objet de critiques tant au regard de son formalisme que du comportement des demandeurs.

Le demandeur doit présenter un dossier de bonne foi et le plus exhaustif afin que l'administration se prononce en toute connaissance de cause. Outre le fait que ce formalisme a été construit comme le moyen de garantir la sécurité juridique, il peut également contraindre le demandeur à renoncer à cette possibilité de rescrit pour ce motif. Ainsi, le contribuable souhaitant obtenir un rescrit en matière fiscale, doit présenter l'ensemble de son opération avec tous les éléments comptables et financiers nécessaires à la bonne compréhension du montage en cause. De plus, la sanction de ce formalisme est soit la non-réponse de l'administration valant réponse négative, soit une réponse explicite de rejet, soit le retrait du rescrit. Ainsi, l'absence de réponse, voire d'étude par les services compétents, d'une demande de rescrit est une sanction lourde qui contraint de nombreux usagers à ne pas envisager la demande.

D'autre part, une certaine méfiance de la part des administrés est à noter. En effet, la communication d’informations exhaustives à l’administration constitue un frein au mécanisme de rescrit, en ce sens que l'usager, le contribuable ou l'administré continue d’avoir peur de ce Léviathan qu'est l'administration. Dans le cadre d'opérations à caractères financiers ou fiscaux, les opérateurs économiques ont une défiance à l'égard de l'administration qui pourrait se retourner contre eux au regard des éléments financiers ou comptables obtenus dans le cadre de la demande de rescrit. Par ailleurs, en cas de réponse positive sous conditions, les bénéficiaires du rescrit se trouvent dans une situation contrainte envers l'administration, notamment par la fourniture de rapport ayant pour effet de laisser pénétrer l'administration dans leur secret des affaires. Du fait de cette méfiance, le Conseil d’État a proposé la contractualisation des rescrits. Quittant la logique unilatérale, l'adoption d'un rescrit, par le biais d'un contrat, entraînerait une procédure de négociation et de concertation entre les deux acteurs. Toutefois, cette solution n’apparaît pas pertinente eu égard aux exigences de la vie des affaires.

Enfin, la situation précaire du rescrit ne permet pas de renforcer la volonté des administrés de perdurer dans cette voie de droit. En effet, par un arrêt du 26 mars 2008 [37], le Conseil d’État a jugé que le rescrit, en matière fiscale, ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Cette solution doit pouvoir s’étendre à tous les pans de la contestation des rescrits devant le juge administratif.

Cet outil doit toutefois poursuivre son développement afin de s’inscrire dans le cadre du renouvellement de l’État.

II. Le rescrit, un outil juridique à développer à l’aune du renouveau de l’État régulateur 

Afin de permettre à l’usager d’être de plus en plus acteur de la procédure administrative non contentieuse (A.), le rescrit est un mécanisme dont le développement se doit de continuer (B.).

A. L’usager au centre du rescrit

En tant qu’outil de production de la doctrine administrative provoquée par une demande d'un administré à une administration, le rescrit place l’administré au centre du mécanisme.

En effet, d’une part, l'administré est au centre de la procédure de rescrit ; il en est l'initiateur par le biais de sa demande.

L'administration ne se prononce qu’à la suite d’une demande d'un administré. Cette condition sine qua non de la production du rescrit est essentielle, en ce qu'elle conditionne l'ensemble du mécanisme. Cela implique qu’il doit être qualifié de « doctrine provoquée sur demande du justiciable » [38]. C’est d’ailleurs en ce sens que, par un arrêt du 14 mars 2003 [39], le Conseil d’État l’a opposé à la doctrine spontanée de l'administration. La haute juridiction administrative a en effet jugé que « l'administration n'est jamais tenue de prendre une circulaire pour interpréter l'état du droit existant », contrairement à ce qu’elle doit faire dans le cadre d’une demande de rescrit.

L’administré est d’autre part au centre du mécanisme, en ce sens qu’il doit appliquer strictement la réponse apportée par l’administration – ou ne pas l’appliquer – et que la décision adoptée le garantit contre les changements de doctrine. Ainsi, « l'usager ayant participé, par sa demande, à la production de la doctrine administrative bénéficie d'une garantie contre les changements de doctrine. Le rescrit contribue en ce sens, à la sécurité juridique, à la prévisibilité de la règle et à la sécurisation des initiatives » [40]. L’administré se voit donc garantir l'exécution de son opération mais ce dernier n'est en rien contraint par la position adoptée par l'administration. Il peut donc passer outre le rescrit. En effet, dans l'hypothèse où le rescrit est favorable au demandeur mais pose des conditions strictes, l'administré peut décider de passer outre la position établie par rescrit mais prend le risque d'un contrôle à tout le moins par l'administration et d'une annulation postérieure par le juge. Par ce mécanisme, l'administration essaie d'induire le comportement des usagers dans ces domaines sans pour autant, pouvoir leur imposer leur façon d'agir. D'ailleurs, le Conseil d’État, dans son étude, avait précisé que le bénéficiaire du rescrit « peut à tout moment renoncer au bénéfice de la garantie » [41]. Pourtant, quand il respecte l'ensemble des prescriptions, il ne peut se voir appliquer aucune sanction par l'administration ; cette dernière étant liée par la position adoptée. D'ailleurs, l'administration ne saurait a posteriori se retourner contre un administré de bonne foi, ayant suivi l'ensemble des prescriptions du rescrit au motif que l’interprétation formulée serait contraire à l'état du droit ou simplement erronée. Ce mécanisme participe à la volonté de responsabilisation des acteurs publics dans leur prise de décisions. Enfin, en cas de modification de son interprétation, l'administration doit fournir à l'usager cette nouvelle interprétation ainsi que les raisons de son évolution, sachant que cette nouvelle interprétation ne pourra valoir que pour l'avenir.

B. Un mécanisme à développer au bénéfice des personnes publiques 

À l’instar de ce qui existe pour les collectivités territoriales au travers du rescrit « préfectoral », le développement du rescrit doit pouvoir se faire au profit de l’ensemble des personnes publiques sans distinction. Pour ce faire, tant le législateur que le pouvoir réglementaire pourraient s’inspirer des mécanismes de coopération ayant les traits de rescrit et mis en place par la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers (la DAJ) pour l’application du droit de la commande publique.

En effet, afin de mettre en œuvre cette volonté d'accompagnement des acheteurs publics, la DAJ propose une prise de contact facilitée avec ses services via son site internet [42]. La direction des affaires juridiques a souhaité que ce mécanisme soit le plus simple possible afin d'éviter qu'une personne publique ne renonce à la saisir du fait d'un formalisme trop important. En effet, au vu de la technicité des questions posées, le mécanisme de saisine doit être simplifié pour éviter toute mise à l'écart d'un questionnement majeur et pour garantir la sécurité juridique des procédures et des contrats de la commande publique. Pour ce faire, au regard de la spécificité des questionnements pouvant lui être soumis, la DAJ a instauré une pluralité de possibilités de la contacter. En effet, dans un souci d'efficacité et d'efficience de l'action administrative, ces ministères ventilent les demandes en fonction de l'institution l'interrogeant. Ainsi, selon cette répartition, la DAJ a instauré deux adresses mail.

D'une part, pour les services centraux et les établissements publics nationaux de l’État, le service « marchés publics » de la direction des affaires juridiques peut être contacté à l'adresse suivante : daj-marches-publics@finances.gouv.fr. Ainsi, les administrations centrales et les établissements publics nationaux répondant à une logique propre et à des règles de la commande publique qui leur sont spécifiques ont la nécessité de saisir un bureau de la direction des affaires juridiques à même de traiter leur questionnement au regard de leur place institutionnelle. Par ailleurs, la réponse obtenue par les services centraux et les établissements publics nationaux prend la forme d'un courrier électronique, ce qui favorise l'effet inter partes de l'interprétation formulée par la DAJ mais ne permet pas une opposabilité de cette position, voire une invocabilité devant le juge du contrat.

D'autre part, une cellule d'information juridique aux acheteurs publics a été créée pour les collectivités territoriales, les établissements publics locaux, les établissements publics d’État à compétence locale ou les services déconcentrés de l’État. La mise en place d'une telle cellule fut nécessaire au regard de la complexité des mécanismes de décentralisation et de déconcentration et du jeu de compétences entre les différentes strates de l'action locale mais aussi afin de répondre spécifiquement aux collectivités locales. De plus, la cellule d'information répond instantanément par le biais de rendez-vous téléphoniques. Ainsi, dans le cadre d'une étude d'efficience de l'action administrative, l'obtention d'une réponse instantanée a pour objet de permettre aux acteurs locaux de disposer d'une réponse adéquate à leur situation dans un temps répondant aux exigences des contrats de la commande publique. Pour autant, l'absence de réponse, par le biais d'un courrier ou d'un courriel, impose à la plus grande prudence sur la portée de la position et de l'interprétation données. En effet, les réponses étant obtenues oralement, l'opposabilité de ces dernières semble impossible à mettre en œuvre et l'invocabilité devant le juge du contrat hors de portée. Par ailleurs, par la mise en place d'une procédure de contact direct au profit des collectivités territoriales, la DAJ se veut donc être un interlocuteur privilégié des collectivités locales en matière de droit de la commande publique.

Cette ventilation entre les institutions de niveau national et celles à compétence locale répond à une volonté de la DAJ d'apporter la réponse la plus opportune à la situation de l'institution saisissante. En effet, au regard de la différenciation des seuils en matière de commande publique, des règles applicables, notamment au droit de la concurrence, du corpus normatif applicable à ces entités, la direction des affaires juridiques a opéré une ventilation pertinente lui permettant à l'aune de son organisation interne de répondre efficacement et rapidement à l'ensemble des acteurs la saisissant.

S’inspirant de cette expérience des ministères économiques et financiers et du rescrit préfectoral, le législateur doit ouvrir un nouveau champ au rescrit dans le but de promouvoir une administration en lien avec ses administrés et à l’écoute de cette dernière.

Cela participera à un renouveau de la confiance dans les décisions prises par l’administration.

 

[1] D. Jousse, Traité de la juridiction des Trésoriers de France, Paris, 1777, vol.1, p. 214-215.

[2] Conseil d’État, Les études du Conseil d’État – Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La documentation française, Études et documents du Conseil d’État, 2014.

[3] B. Oppetit, La résurgence du rescrit, Recueil Dalloz, 1991, p. 105.

[4] Par rescrit, on entend « l'acte administratif donné par écrit par l’autorité exécutive compétente, par lequel, à la demande de quelqu'un, est concédé selon sa nature propre un privilège, une dispense ou une autre grâce » Code de droit canonique, canon n° 59.

[5] B. Oppetit, La résurgence du rescrit, Recueil Dalloz, 1991, p.105.

[6] B. Plessix, Le rescrit en matière administrative, Revue juridique de l'économie publique n° 657, octobre 2008, étude 8.

[7] Cette recherche de sécurité fiscale est au cœur de ce mécanisme même s’il a pu conduire à créer de l’insécurité fiscale ou de la désécurisation dès lors que son utilisation n’est plus réalisée conformément à son objet mais uniquement dans un but de réduction de la fiscalité des grandes entreprises par des États. Voir en ce sens, l’affaire des LuxLeaks et G. Zucman, La richesse cachée des Nations. Enquête sur les paradis fiscaux, Seuil, Coll. La république des idées, 2013, p. 93-94.

[8] B. Plessix, Le rescrit en matière administrative, Revue juridique de l'économie publique n° 657, octobre 2008, étude 8.

[9] Voir en ce sens, C. Menard, Le rescrit : l'année 2008 restera-t-elle dans les mémoires ? , Dr. Fisc n° 7, 12 février 2009, 183 ; C. Menard, Rescrits et fiscalité directe, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 444 ; G. Bachelier, Le rescrit fiscal, Revue française de finances publiques, 1er avril 2015, n° 130, p.57 ; Club des juristes, Sécurité juridique et initiative économique, Dr. Fisc n° 25, 18 juin 2015, 410 ; X. Cabannes, Le rescrit fiscal : propos introductifs, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 440 ; M. Bouvier, Les « accords fiscaux préventifs », RFFP n° 127, août 2014, p. 19 ; M. Bouvier, Sécurité fiscale et « accords fiscaux préventifs », Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 441 ; C. André-Marguerite, P. Estrabaud, M. Gachet, J. Sueur, H-L. Tauveron, La définition du rescrit en matière fiscale, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 442 ; J.-L. Barçon-Maurin, L'action de l'administration fiscale en matière de rescrits, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 443 ; E. Aschworth et J-C. Bouchard, La pratique du rescrit en matière de TVA, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 445 ; M. Wolf, TVA et rescrits fiscaux : témoignages, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 446 ; J-C Albert, Le cas du rescrit douanier, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 450 ; G. Gest, Les évolutions du rescrit, Revue française de finances publiques, 1er novembre 2010, n°v112, p.91 ; T. Lambert, Conclusion : le rescrit, une idée à cultiver, Dr. Fisc n° 27, 2 juillet 2015, 451 ; P. Cocheteux, Le rescrit fiscal et la sécurité juridique, Gazette du Palais, 18 août 2009, n° 130, p.2 ; C. Pérès, Du contrat public en général et du « rescrit contractuel » en particulier, Revue des contrats, 1er janvier 2009, n° 1, p.17 ; B. Seiller, Le refus de la circulaire-rescrit, LPA, 5 novembre 2003, n° 221, p.7 ; P. Le Cannu, Le rescrit de la COB : un nouvel instrument d'interprétation du droit boursier, Bull. Joly Sociétés, 1990, p. 927.

[10] LPF, art. L. 64 B.

[11] Pour une explication approfondie, voir M. Bouvier, Les « accords fiscaux préventifs », RFFP n° 127, août 2014, p. 19

[12] Dans le cadre d'une opération de vérification de comptabilité, le contribuable vérifié peut provoquer une prise de position de l'administration fiscale sur les éléments de gestion ne faisant pas l'objet d'un rehaussement (BOI 13 L 3 05).

[13] Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004, art. 13 (N° Lexbase : L6348DM3), JORF n° 302, 31 décembre 2003, p. 22530.

[14] Loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005, art. 24-l (N° Lexbase : L5203GUA), JORF n° 304, 31 décembre 2004, p. 22459.

[15] Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008, art. 46 (N° Lexbase : L3784IC7), JORF n° 0304 du 31 décembre 2008, p. 2051.

[16] Règlement n° 90-07 de la Commission des opérations de bourse – homologué par arrêté du ministre de l'Economie et des Fiinances n° ECON09000064A du 5 juillet 1990 – bull. COB de juin 1990, p. 32.

[17] D. Pfeiffer, Déontologie boursière, Rapport au ministre d’État, ministre de l'économie, des finances et du budget, JORF du 16 janvier 1990.

[18] Loi n° 94-126 du 11 février 1994, relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle (N° Lexbase : L3026AIW), JORF n° 37, 13 février 1994, p. 2493.

[19] Ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015, relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur (N° Lexbase : L6732KUU), JORF n° 0287 du 11 décembre 2015, p. 22582.

[20] Rapport de présentation de l'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 préc..

[21] CSS, art. L. 243-6-3 (N° Lexbase : L8233LRD).

[22] C. trav., art. L. 2242-9-1 (N° Lexbase : L6633KU9).

[23] C. trav., art. L. 5212-5-1 (N° Lexbase : L6634KUA).

[24] C. rur., art. L. 331-4-1 (N° Lexbase : L6627KUY) à L. 331-4-3 et L. 725-24 (N° Lexbase : L8129LRI).

[25] C. cons., art. L. 113-3-2 (N° Lexbase : L8746IZX).

[26] CGPPP, art. L. 2122-7 (N° Lexbase : L9592LDM).

[27] J. Turot (J.), La vraie nature de la garantie contre les changements de doctrine, RFJ 5/92, p.375.

[28] B. Oppetit (B.), La résurgence du rescrit, Recueil Dalloz, 1991, p.105.

[29] Conseil d’État, Les études du Conseil d’État – Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La documentation française, Études et documents du Conseil d’État, 2014.

[30] F. Annunziata, Interpréter ou légiférer ? Un nouvel enjeu pour les autorités de contrôle des marchés financiers, Rev. Sociétés, 1995, p. 675.

[31] L. Richer et L. Viandier, Le rescrit financier, JCP éd. E, 1991, I, 10.

[32] H. Colombet, Le rescrit et la participation des usagers à la production de la doctrine administrative, JCP éd. G. n° 5, 1er février 2016, doctr. 133.

[33] F. Rangeon, L'accès à l'information administrative, in Information et transparence administrative, PUF-CURAPP, 1988, p. 79.

[34] B. Plessix (B.), Le rescrit en matière administrative, Revue juridique de l'économie publique n° 657, octobre 2008, étude 8. Voir également le Code de droit canonique qui qualifie expressément le rescrit d’acte administratif unilatéral.

[35] C. Pérès, Du contrat public en général et du « rescrit contractuel » en particulier, Revue des contrats, 1er janvier 2009, n° 1, p. 17.

[36] CE, 24 mars 2006, n° 288460 (N° Lexbase : A7837DNL), Rec. ; CE Sect., 13 décembre 2006, n° 287845 (N° Lexbase : A8911DST), Rec.

[37] CE, 26 mars 2008, n° 278858 (N° Lexbase : A5919D7D), Rec.

[38] A. Masson, La force juridique de la doctrine des autorités de régulation, Bull. Joly Bourse, 2006, p. 292.

[39] CE, 14 mars 2003, n° 241057 (N° Lexbase : A5626A7H), Tables ; B. Seiller, Le refus de la circulaire-rescrit, note sous CE, 14 mars 2003, LPA, 5 novembre 2003, n° 221, p. 7.

[40] H. Colombet, Le rescrit et la participation des usagers à la production de la doctrine administrative, JCP éd. G, n° 5, 1er février 2016, doctr. 133.

[41] Conseil d’État, Les études du Conseil d’État – Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La documentation française, Études et documents du Conseil d’État, 2014, p. 17.

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