Réf. : Cass. civ. 3, 17 juin 2021, n° 20-15.296, FS-B (N° Lexbase : A66544WD)
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par Bastien Brignon, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (UR 4224), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés, Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
le 19 Octobre 2021
Mots clés : expiration du bail • maintien du preneur dans les lieux • indemnité d’occupation • fixation • valeur locative • déplafonnement
La règle du plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l’indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l’expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce qui doit être fixée en fonction de la valeur locative.
1. Le 17 juin 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu deux arrêts importants, publiés au Bulletin, en matière de baux commerciaux. L’un concerne l’application dans le temps de la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), et plus particulièrement le décret d’application sur les charges, qui se trouve, assez logiquement, applicable à compter de son entrée en vigueur, soit le 5 novembre 2014 (décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 N° Lexbase : L7060I4A), la date du renouvellement du bail à prendre en considération étant celle de la date pour laquelle le congé avec offre de renouvellement a été donné, peu important que le loyer n’ait pas encore été fixé à cette date [1]. La loi « Pinel » et son décret d’application, étant applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, ils ne se trouvent par conséquent pas applicables en l’occurrence au bail dont la date de renouvellement par l’effet d’un congé avec offre de renouvellement est antérieure [2].
2. L’autre arrêt, de la même date, est relatif à l’indemnité d’occupation et à la très importante question de savoir si ladite indemnité doit être fixée à la valeur locative, et donc déplafonnée, ou si, au contraire, elle pouvait suivre les règles de fixation du loyer de renouvellement et ainsi être plafonnée.
3. En l’espèce, le 23 mars 2011, une SCI, propriétaire de locaux commerciaux, a délivré à sa locataire un congé, à effet du 1er octobre 2011, avec refus de renouvellement et de paiement d’une indemnité d’éviction. Un jugement du 11 mars 2013 a rejeté la demande de la SCI en validité du congé et a ordonné une expertise aux fins d'évaluation de l’indemnité d’éviction. Le 13 avril 2016, la SCI a exercé son droit de repentir et consenti au renouvellement du bail pour neuf ans. La locataire a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d’appel [3] ayant fixé l’indemnité d’occupation pour la période écoulée entre le 1er octobre 2011 et le 13 avril 2016 à la valeur locative. La question qui se posait, après le refus de renouvellement avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction par le bailleur et l’exercice de son droit de repentir, était de déterminer le mode de fixation de l’indemnité d’occupation dont la locataire était débitrice pendant la période, qualifiée de période intermédiaire, se situant entre la date d’effet du congé et la date d’exercice du droit de repentir.
4. La jurisprudence est fixée de longue date [4]. Elle considère que cette indemnité n’est pas une indemnité due par un occupant sans droit ni titre, mais est de nature statutaire et doit être déterminée en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L0346LTY), puisque, pendant tout le temps où le locataire est débiteur de cette indemnité d’occupation, c’est à raison du fait qu’il a été maintenu dans les lieux comme, selon le texte, « pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ». Aussi, la cour d’appel fixe-t-elle cette indemnité d’occupation à un certain montant, conformément à la valeur locative.
5. Cette solution est confirmée par l’arrêt sous commentaire [5], et même avec force puisque, même s’il s’agit d’un arrêt de rejet, il est publié au bulletin et rendu en des termes à la fois solennels et on ne peut plus clairs : « […] La règle du plafonnement du loyer s'applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l'indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l'expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce […]. Par suite, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que cette indemnité devait être fixée en fonction de la valeur locative ». Il en résulte très nettement que cette indemnité d’occupation doit être fixée à la valeur locative, déterminée en application de l’article L. 145-33 (N° Lexbase : L5761AI9), c’est-à-dire en fin de compte comme un loyer judiciaire déplafonné.
6. De l’avis de certains, « Dans les décisions précédentes [à l’arrêt du 17 juin 2021], le principe de la fixation de l’indemnité d’occupation de l’article L. 145-28 à la valeur locative, n’avait pas été affirmé avec autant de force. Cette règle prend ici valeur de principe, alors que dans l’arrêt du 14 novembre 1978, la motivation était autre, puisqu’il avait fallu écrire que "en l’absence de renouvellement, le plafonnement prévu par ces textes est inapplicable à la détermination de l’indemnité d’occupation due jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction" » [6]. La jurisprudence antérieure se trouve donc confirmée, éclairée et même précisée avec force.
7. De l’avis d’autres en revanche, notamment de l’Avocat général, l’invitation du preneur à « revirer » la jurisprudence établie ne manque pas d’argument. En effet, le preneur reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir appliqué la règle du plafonnement alors que l’article L. 145-28 du Code de commerce dispose que l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7 et que, précisément, la règle du plafonnement résulte de l’article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5035I3U) qui appartient à la section 6, de sorte qu’il n’y aurait pas eu d’impossibilité juridique à appliquer ce plafonnement.
8. Comme le relève l’Avocat général, « On objectera que si l’indemnité d’occupation statutaire n’est plus le loyer du bail non renouvelé dont elle prend le relais, elle revêt néanmoins toutes les caractéristiques d’un loyer commercial, puisqu’elle n’est […] que la contrepartie de l’occupation du local commercial à un titre légal. Fiscalement elle est d’ailleurs assimilée à un loyer. Par ailleurs, la lettre de l’article L. 145-28 invite à la traiter comme un loyer, puisque cette disposition renvoie effectivement aux règles de la section 6 qui sont celles relatives au loyer, et comprennent notamment celles relatives au plafonnement du loyer renouvelé de l’article L. 145-34 ». De plus, toujours selon l’Avocat général, « La question n’est pas dénuée d’enjeux d’ordre économique, comme les circonstances de cette affaire l’illustrent de façon éclairante. À travers cette affaire on observe en effet que, non seulement l’indemnité non plafonnée est le plus souvent bien supérieure au loyer renouvelé qui s’appliquera à compter de la date du repentir (ici 19 600 euros annuels au lieu du loyer fixé provisionnellement à 12 200 euros), mais en outre cette période d’occupation peut s’avérer longue et même couvrir plusieurs années (ici près de 5 ans), générant ainsi pour le locataire "un différentiel" important à régler ».
9. La doctrine elle-même considère qu’« il y a lieu de s’étonner que la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 n’ait pas modifié le mode de calcul de l’indemnité d’occupation qui se trouve, très souvent, fixée à un montant supérieur au loyer plafonné qui sera décidé par les juges... Il est quelque peu étrange, dans un système qui fait du plafonnement une règle de justice, de l’ignorer au seul motif qu’il s’agit d’une indemnité d’occupation » [7].
10. Selon l’Avocat général, « L’indemnité statutaire "intermédiaire" n’est effectivement plus le loyer du bail expiré, mais elle constitue en réalité, en quelque sorte, un loyer "intermédiaire" qui n’est que le précurseur du loyer renouvelé et qui devrait donc le préfigurer "au plus près" dans son mode d’évaluation. Il parait dès lors très artificiel de la part de la défense de soutenir que les règles du plafonnement ne peuvent s’appliquer qu’à un loyer renouvelé, pour le refuser à l’indemnité statutaire "intermédiaire". Il est tout aussi "court" et vain de tenter de soutenir que le plafonnement de l’indemnité statutaire réaliserait une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur, alors même que vous avez déjà jugé [l’Avocat général s’adresse aux juges de la Cour de cassation] pour le loyer plafonné que celui-ci n’était ni une atteinte, ni une dénaturation de ce droit fondamental du bailleur. L’exclusion du plafonnement pour une telle indemnité statutaire d’occupation intermédiaire concède en réalité un avantage au bailleur qui n’a pas de logique économique et peut également contribuer à encourager le bailleur à retarder l’exercice de son droit de repentir ».
11. Malgré ces arguments qui ne manquent pas de poids, dont l’idée est, en synthèse, de rendre à la notion d’indemnité d’occupation due par le locataire lorsque le bailleur a refusé de renouveler son bail sans avoir payé l’indemnité d’éviction sa véritable nature, à savoir un loyer de substitution n’ayant aucun caractère indemnitaire, la Cour de cassation maintient sa référence à la valeur locative, alors pourtant que l’article L. 145-33, berceau de la valeur locative, ne fait référence qu’aux seuls loyer révisé et loyer renouvelé et non à l’indemnité d’occupation. En outre, certains n’excluent pas que l’indemnité statutaire puisse faire l’objet d’une révision triennale.
12. Pourquoi la Cour de cassation maintient-elle sa jurisprudence en vigueur ? Certainement parce que l’indemnité d’occupation, même statutaire, n’est pas un loyer (sauf fiscalement). En réalité, elle n’a pas la nature d’un loyer mais force est de constater qu’elle se substitue de plein droit au loyer dès la résiliation du bail jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction. Elle doit donc correspondre à la valeur locative des lieux, laquelle valeur ne doit pas être confondue avec la valeur de marché (loi de l’offre et de la demande).
13. La Cour de cassation aurait-elle pu juger autrement ? Sauf à ce que la loi change en la matière, la Cour de cassation, juge du droit, ne peut pas juger autrement. La loi « Pinel » du 18 juin 2014 aurait pu être le véhicule législatif brisant cette jurisprudence mais tel n’a pas été le cas. Elle aurait ainsi pu indiquer que l’indemnité d’occupation, du moins la statutaire, devait être plafonnée comme un loyer de renouvellement.
14. Dans l’attente que la loi soit éventuellement modifiée, il reste peut-être une piste à explorer, celle de la convention contraire. La Cour de cassation a en effet estimé « […] que l'indemnité d'occupation, qui est distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès la résiliation du bail jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, doit, à défaut de convention contraire, correspondre à la valeur locative des lieux […] » [8]. L’article L. 145-33, tout comme l’article L. 145-28, n’étant pas d’ordre public, il est possible de stipuler que l’indemnité d’occupation qui viendrait à se substituer à un loyer pourrait être plafonnée comme un loyer de renouvellement. Il reste bien entendu à imposer cette rédaction à un bailleur, ce qui n’est pas chose aisée.
15. La question se pose enfin de savoir si une indemnité d’occupation déplafonnée doit se voir appliquer le lissage à 10 % issu de la loi « Pinel » ou si elle doit être complètement déplafonnée. La règle du plafonnement du déplafonnement concernant les loyers révisés, indexés ou renouvelés, à suivre la jurisprudence en vigueur, il nous semble que le déplafonnement doit être total. On peut encore se demander s’il est contractuellement possible de déroger à ce déplafonnement, à l’instar de la dérogation possible à l’article L. 145-34 du Code de commerce pour le loyer de renouvellement [9]. La réponse devrait être affirmative en cas d’assimilation totale de l’indemnité d’occupation au loyer de renouvellement. Mais, compte tenu de l’arrêt du 17 juin 2021, elle semble être négative, ce qui revient finalement, dans un cas comme dans l’autre, à ne pas plafonner l’indemnité d’occupation statutaire.
[1] Cass. civ. 3, 17 juin 2021, n° 20-12.844, FS-B (N° Lexbase : A66074WM), J. Prigent, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 682 (N° Lexbase : N8164BYZ).
[2] Il s’agissait du 1er avril 2014.
[3] CA Paris, Pôle 5, 3ème sect., 15 janvier 2020, n° 18/19291 (N° Lexbase : A14473B9)
[4] Cass. civ. 3, 14 novembre 1978, n° 77-12.032, publié (N° Lexbase : A7308AGR) – Cass. civ. 3, 30 juin 1999, n° 96-21-449, publié (N° Lexbase : A6645AHL), D., 1999, IR p. 207 – Cass. civ. 3., 29 mars 2000, n° 98-11.518, inédit (N° Lexbase : A9429C4Y), Gaz. Pal., 2001, jur. p. 406 – Cass. civ. 3, 27 novembre 2002, n° 01-10.058, FS-P+B (N° Lexbase : A1234A4H).
[5] Dalloz Actualité, 1er juillet 2021, note P. Gaiardo.
[6] J.-P. Blatter, Lettre d’actualité, juillet 2021.
[7] J. Monéger, Code de commerce, Dalloz, 2021, sous art. L. 145-28.
[8] Cass. civ. 3, 13 décembre 2018, n° 17-28.055, F-D (N° Lexbase : A6952YQK).
[9] Ce texte n’étant pas d’ordre public, il est possible de ne pas appliquer en renouvellement le lissage de 10 % du loyer.
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