La lettre juridique n°868 du 10 juin 2021 : Procédure civile

[Jurisprudence] Dispositif des conclusions d'appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 2, 20 mai 2021, deux arrêts, n° 20-13.210, F-P (N° Lexbase : A25324SL) et n° 19-22.316, F-P (N° Lexbase : A25334SM)

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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes - Co-président du département de droit privé - Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques – EA 1960

le 06 Novembre 2023


Mots clés : Appel • dispositif des conclusions • formalisme • sanction • automaticité de la décision • modulation dans le temps • procès équitable

Par deux arrêts en date du 20 mai 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme la solution retenue en 2020 selon laquelle, lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut alors que confirmer le jugement, en rappelant que cette solution ne peut s’appliquer aux déclarations d’appel antérieures au 17 septembre 2020.


 

Depuis une quinzaine d’années maintenant, les réformes de procédure civile poursuivent, de manière plus ou moins affichée, une finalité managériale qui se traduit, depuis le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 [1](N° Lexbase : L0292IGW), par un renforcement de la sévérité des sanctions susceptibles d’être appliquées aux plaideurs qui contreviendraient à des questions de forme. Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 [2] (N° Lexbase : L2696LEL), qui a réécrit le contenu des articles 542 (N° Lexbase : L7230LEI) et 954 (N° Lexbase : L7253LED) du Code de procédure civile, s’inscrit pleinement dans cette logique que la Cour de cassation a fait sienne à l’occasion d’un arrêt rendu le 17 septembre 2020 [3], et à l’occasion duquel elle a instauré une règle nouvelle en énonçant qu’il résulte « des articles 542 et 954 du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. » Avec cette solution, la sanction est lourde de conséquence pour l’appelant, qu’il soit principal ou incident, puisque la cour d’appel étant liée par l’absence de demande d’infirmation du jugement dans le dispositif des conclusions d’appel, elle doit le confirmer. Face à la sévérité de la sanction, la Cour de cassation a fait le choix de moduler l’application de la règle nouvelle dans le temps. C’est notamment sur ce point que les deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2021 présentent un intérêt tout particulier.

En l’espèce, la cour d’appel de Bastia a confirmé, dans deux arrêts rendus respectivement le 10 juillet 2019 (CA Bastia, 10 juillet 2019, n° 17/00544 N° Lexbase : A5848ZIG) et le 29 janvier 2020 (CA Bastia, 29 janvier 2020, n° 18/00182 N° Lexbase : A33713D9), dans des affaires différentes opposant des parties différentes, les jugements rendus en première instance, faute pour les appelants d’avoir demandé dans le dispositif de leurs conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont ils recherchaient l'anéantissement, ni l'annulation du jugement[4]. En effet, dans l’arrêt rendu le 19 juillet 2019, le dispositif des conclusions de l’appelant comportait seulement des demandes tendant à « fixer », « condamner », « dire et juger », mais s'abstenaient de conclure expressément à la réformation ou à l'annulation du jugement déféré. Dans l’arrêt rendu le 29 janvier 2020, le dispositif des conclusions de l’appelant tendait uniquement à dire et juger qu’un acte de cession de parts sociales litigieux était nul et de nul effet, de constater que l’intimé avait renoncé à se prévaloir de la prescription, et à le condamner à lui payer une certaine somme au titre des dividendes qu'il aurait dû percevoir, ainsi qu’une somme au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), sans jamais demander l'infirmation du jugement entrepris. De ce point de vue, les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia faisaient une exacte application de la solution consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 septembre 2020 ; de manière anticipée toutefois pour l’arrêt rendu le 19 juillet 2019 probablement inspiré par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile au sein duquel elle avait déjà approuvé une cour d'appel qui avait retenu la sanction de caducité dès lors que les conclusions, pourtant notifiées dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7239LET), comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l'infirmation du jugement [5].

Les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia firent l’objet d’un pourvoi en cassation entraînant la saisine de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Dans les arrêts n° 19-22.316 [6] et n° 20-13.210 [7] rendus le 20 mai 2021, la deuxième chambre civile, après avoir, en application de l'article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7860I4U), constaté qu’il n'y avait pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les griefs exposés par les parties dans leur pourvoi au motif qu’ils n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation, a relevé d’office un moyen de pur droit, comme l’y autorise l’article 620, alinéa 2, du même code (N° Lexbase : L6779H79).

Au visa des articles 542 et 954 du Code de procédure civile, la Cour de cassation casse et annule les deux arrêts rendus par les juges d’appel de Bastia, et renvoie les affaires et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, au motif que, s’« il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement [...], l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable », de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait dans les affaires précitées, « la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du Code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 mars 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver les plaideurs d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. (N° Lexbase : L7558AIR) »

La solution de principe affirmée au sein des deux arrêts rendus le 20 mai 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée sur le principe dès lors qu’elle avait pris soin de moduler, dans son arrêt en date du 17 septembre 2020, l’application dans le temps de la règle nouvelle qu’elle consacrait alors en la limitant aux seules déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020. En faisant le choix de faire une application immédiate de cette règle dans des affaires au sein desquelles les déclarations d’appel étaient antérieures à l’arrêt du 17 septembre 2020, la cour d’appel de Bastia exposait ses arrêts à une cassation certaine. Reste qu’avec ces deux arrêts, la Cour de cassation fragilise un peu plus encore la procédure d’appel en confirmant une solution aux effets drastiques pour l’appelant principal, comme pour l’appelant incident d’ailleurs, ce qui est le cas, par exemple, du défendeur à l’appel qui demande, par voie reconventionnelle, l’infirmation de tout ou partie du premier jugement et qui doit donc le mentionner expressément dans le dispositif de ses conclusions. La solution paraît particulièrement injuste dès lors qu’elle n’a rien d’évident au regard des textes et, si l’on osait, du simple bon sens. Reste que la rigueur de la nouvelle solution est atténuée par sa modulation dans le temps. 

I. Vers des conclusions d’appel toujours plus formalistes

L’un des apports des arrêts rendus le 20 mai 2021 réside dans la confirmation de la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 septembre 2020, bien qu’elle peine à convaincre. 

A. La confirmation d’un formalisme excessif des conclusions d’appel

Les arrêts rendus le 20 mai 2021 viennent confirmer une tendance nette qui met en évidence que la procédure civile d’appel ne s’oriente pas en direction d’une voie d’achèvement maîtrisée que d’aucuns pensaient pouvoir maîtriser. Ces arrêts confirment au contraire que l’avenir tend vers des conclusions de plus en plus formalistes, ce dont témoigne notamment les décisions venues, ces derniers mois, affirmer que, seul l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et que l'effet dévolutif ne peut opérer si la déclaration d'appel, même tendant à la réformation du jugement, ne mentionne pas les chefs de jugement qui sont critiqués [8], y compris devant la cour de renvoi après cassation [9]. Sur le sujet qui est le nôtre, il est désormais acquis pour l’avenir que les praticiens vont devoir se montrer extrêmement vigilant dans la rédaction des conclusions d’appel, et notamment la rédaction du dispositif. La solution que la Cour de cassation a dégagé de la lecture combinée des articles 524 et 954 du Code de procédure civile, à l’occasion de l’arrêt du 17 septembre 2020, et qu’elle confirme dans les arrêts du 20 mai 2021, est porteuse de bien des enjeux. 

À la lecture des décisions rendues par la Cour de cassation, l’on comprend que l’article 524 du Code de procédure civile, qui dispose que « l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel » circonscrit l’objet de l’appel, tandis que l’article 954 du même code fixe les exigences de fond et de forme que doivent contenir les conclusions d’appel, notamment en ses alinéas 3 et 5 du même code, lesquels disposent que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion », d’une part, et que « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. » 

Ainsi, au-delà des exigences propres à l’en-tête, qui doit comporter les indications prévues à l’article 961 du Code de procédure civile (les éléments d’identification des parties), l’avocat doit faire preuve d’une grande vigilance dans l’élaboration de la liste des pièces qui doivent être numérotées, et récapitulées sur le bordereau récapitulatif, qu’il convient toujours, par prudence, de fusionner au sein d’un document unique, notamment en cas de pourvoi en cassation ultérieur. Pour rappel, la communication des pièces produites est valablement attestée par la signature de l'avocat destinataire apposée sur le bordereau établi par l'avocat qui procède à la communication. 

Le corps des conclusions est composé, selon l’article 954 du Code de procédure civile, d’un exposé des faits et de la procédure, ensuite des chefs du jugement critiqués, point ayant donné lieu à un contentieux important devant la Cour de cassation ces derniers mois comme nous avons pu l’aborder supra.

Une fois précisé ce que l’appelant critique dans le jugement rendu en première instance, les conclusions doivent comporter une discussion sur les prétentions et les moyens, pour s’achever sur un dispositif récapitulant les prétentions, sur lequel les praticiens doivent réellement faire un effort de vigilance dès lors que la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées dans ce dispositif récapitulatif. C’est précisément au sein de ce dispositif récapitulatif que l’avocat doit mentionner, de la manière la plus explicite qui soit, s’il demande à la cour d’appel d’infirmer ou d’annuler le jugement rendu en première instance. En l’absence d’une telle mention, c’est une sanction automatique qui tombera : la confirmation du jugement par la cour d’appel.

Viennent ensuite les conclusions récapitulatives qui doivent comporter toutes les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués. Toute prétention ou moyen précédemment présentés ou invoqués non repris dans les conclusions récapitulatives seront considérés comme abandonnés, et la cour d’appel ne statuera que sur ce qui est contenu dans les conclusions récapitulatives. Là encore, il convient de faire preuve de vigilance puisque l’article 954 précise que la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. Enfin, l’article 954 précise que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.

B. Une solution qui peine à convaincre

Comme on peut le voir le formalisme des conclusions d’appel ne cesse, au fil des réformes, de se renforcer, mettant la vigilance des professionnels du droit à rude épreuve dès lors que le moindre manquement est sanctionné lourdement, qu’il s’agisse de l’absence des chefs de jugement critiqués ou, comme en l’espèce, de l’absence de mention, dans le dispositif des conclusions, de la demande de l’appelant tendant à voir le jugement de première instance infirmé ou annulé. La solution de la Cour de cassation ne s’impose pourtant pas comme une évidence à la lecture des textes. La modification de l'article 542 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7230LEI) qui pose, dès le chapitre premier relatif aux voies ordinaires de recours, le principe selon lequel « l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel », n'a pourtant pas consisté, avec le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, en l'ajout de la référence à une réformation ou à une annulation qui existait déjà depuis bien longtemps mais en l'adjonction de la proposition de la critique du jugement, ce qui n'a rien à voir. La deuxième chambre civile l’a d’ailleurs rappelé, au regard de l'article 901 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8613LYN), en jugeant que la prétention ne pouvait être confondue avec le chef de jugement critiqué. Ainsi, si la déclaration d'appel, même mentionnant la poursuite de la réformation ou de l'annulation, ne comporte que l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge, la cour d'appel n'est saisie d'aucun chef du dispositif du jugement [10].

Si la différence est d'importance, la distinction de sanctions demeure subtile puisque la Cour n'a pas à statuer en cas de déclaration d'appel défaillante et elle ne peut que confirmer le jugement si l'omission provient du dispositif. Dans cette interprétation, l'article 542 poserait donc un principe supérieur, et l'explication de la sanction devrait être recherchée dans l’article 954 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Pourtant, les dispositions de ce texte enseignent seulement que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties (alinéa 1er), qu’elles doivent comporter une discussion des prétentions et un dispositif récapitulant les prétentions (alinéa 2), et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (alinéa 3), point de référence à l'exigence d'une demande de réformation ou d'annulation. C'est donc que la réformation ou l'annulation sont des prétentions, alors même que l'on aurait pu penser qu’elle était consubstantielle à la voie de recours qu'est l'appel.

Selon l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y), l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Or, les prétentions constituent en principe l'objet de la demande, qui constitue elle-même le cadre voulu par les parties aux litiges. Par application de l'article 910-1 du même code (N° Lexbase : L7041LEI), les conclusions exigées en appel sont celles notifiées dans les délais imposés qui déterminent l'objet du litige. Or, non seulement la demande de réformation ou d'annulation ne va pas de soi, mais elle n'apparaît pas comme étant suffisante, quand bien même elle serait expressément mentionnée sur la déclaration d'appel, comme l'impose désormais la Cour de cassation dans les arrêts précités. De fait, si l'acte d'appel opère seul l'effet dévolutif, et que le dispositif des conclusions peut toujours le restreindre en soustrayant certaines prétentions, la cour d'appel ne pourra que confirmer le jugement si le dispositif ne précise pas la poursuite de sa réformation ou de son annulation. Il est même possible de considérer que la mention de la réformation ou de l'annulation pour la première fois dans un second jeu de conclusions ne permet pas d'éviter la sanction. Alors que l'on aurait pu imaginer, a minima, une régularisation possible dans des conclusions ultérieures puisque la cour est à la fois saisie par les prétentions contenues au seul dispositif, mais également par le dernier jeu d'écritures, la Cour de cassation demeure inflexible. À la lecture des décisions, l’on peut se demander si la réformation et l'annulation ne constituent pas finalement des prétentions au fond ?

II. La confirmation d’une solution aux effets dévastateurs modulée dans le temps

Il faut se souvenir que la possibilité de moduler dans le temps les effets d’une règle jurisprudentielle nouvelle a été affirmée par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 décembre 2006 [11]. Le report dans le temps de l’application de la solution nouvelle dégagée par l’arrêt du 17 septembre 2020 s’explique par la volonté de la Cour de cassation de garantir le droit à un procès équitable des plaideurs qui se verraient ainsi priver de leur droit au juge si la solution était appliquée à toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020. L’on peut toutefois fortement douter du fait que les conséquences les plus graves de cette solution issue de l’arrêt du 17 septembre 2020, confirmée par les arrêts du 20 mai 2021, ne puissent être contrées pour les déclarations d’appel formées à compter du 17 septembre 2020.

A. Une modulation fondée sur la garantie du droit à un équitable

C’est du moins ce qu’il ressort des arrêts rendus le 20 mai 2021, dans la droite ligne de la solution déjà retenue dans l’arrêt du 17 septembre 2020. En effet, pour la deuxième chambre civile, « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable. » À suivre le raisonnement proposé, il s’agit, pour la deuxième chambre civile, de préserver l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit. En conséquence, la Cour de cassation a sauvé les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia qui se trouvent ainsi légalement justifiés, plutôt que cassés, comme il aurait dû l’être si la Cour de cassation avait appliqué immédiatement la règle nouvelle. 

La sauvegarde du droit à un procès équitable invoquée par la Cour de cassation mérite toutefois quelques réflexions tant l’argument, comme la solution d’ailleurs, ne convainc pas. Le droit fondamental processuel dont la Cour de cassation se pose en garante est en réalité le droit au juge prévu à l’article 6 §.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) que la deuxième chambre civile vise d’ailleurs dans les deux arrêts commentés, et en vertu duquel, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale. » Le droit au juge constitue la garantie de tousles autres droits fondamentaux processuels consacrés par la CESDH L’on sait que l’article 6 §.1 de la CESDH a servi de fondement à la reconnaissance, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), d'un droit d'accès à la justice, du droit à un recours de nature juridictionnelle, qu'elle fonde, depuis son célèbre arrêt « Golder » du 21 février 1975, sur le texte et le contexte de l'article 6, §.1 de la Convention, article qui consacre le droit pour toute personne à un procès équitable, plus exactement à ce que sa cause soit entendue équitablement [12].

Bien qu’il constitue un droit fondamental processuel, le droit au juge n’est pas pour autant, dans la jurisprudence de la CEDH, une garantie ne pouvant faire l’objet de quelques adaptations. L’on sait que l’article 6 de la CESDH n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs droits et obligations de caractère civil. Pour apprécier la conventionnalité des restrictions à l’accès aux juridictions supérieures, la Cour EDH s’est déjà interrogée sur l’existence de restrictions relevant d’un formalisme excessif qui « peut résulter d’une interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale, qui empêche l’examen au fond de l’action d’un requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux » [13].

La sanction de l’absence de demande formelle d’infirmation ou d’annulation du jugement de première instance dans le dispositif des conclusions de l’appelant prive-t-elle réellement les plaideurs de leur droit au juge ? La réponse est peut-être à rechercher dans la nature originale de la sanction encourue qui réside dans la confirmation du jugement par la cour. Il ne s’agit pas ici d’une des sanctions classiques venant sanctionner un vice de forme, telle que la nullité ; l’irrecevabilité ou la caducité. Mais, nous l’avons déjà évoqué, il est possible de déposer plusieurs jeux de conclusions devant la cour d’appel qui n’est saisie que des dernières (CPC, art. 954 alinéa 4). Et si l’article 910-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9354LTM) dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond, il faut rappeler, d’une part, que la demande d’infirmation ou d’annulation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont appel, de sorte que le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle, et d’autre part, que rien ne lui interdit d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art. 910-4), de sorte que, si l’absence de la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif. Ainsi, il nous semble que l’omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant peut être contournée en pratique dès lors que l’appelant régularise l’omission dans ses dernières écritures. 

Dès lors, la modulation dans le temps de la solution nouvelle posée par la Cour de cassation a-t-elle réellement pour finalité de garantir le droit au juge des justiciables en cause d’appel ? La question mérite d’être posée car l’on pourrait également considérer qu’en réalité, sous couvert de garantir le droit au juge, la Cour de cassation se laisse plutôt le temps d’anticiper toutes les difficultés qui vont surgir dans les années à venir du fait de l’application de cette solution. Dans l’immédiat, toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020 sont ainsi à l’abri de la solution nouvelle. Ainsi, un appelant qui aurait oublié de préciser, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, qu’il demandait l’infirmation de la décision de première instance n’est donc, a priori, pas susceptible de voir le jugement rendu en première instance confirmé d’office par la cour d’appel. En revanche, les appelants dont la déclaration d’appel est postérieure au 17 septembre 2020 doivent quant à eux d’urgence réviser leurs pratiques, si bien sûr ils ne demandaient pas déjà expressément l’infirmation du jugement dans le dispositif de leurs conclusions.

B. Une indispensable révision des pratiques pour l’avenir

Il ne fait aucune doute selon nous que la solution dégagée par la Cour de cassation, consistant à contraindre la cour d’appel à confirmer le jugement rendu en première instance dès lors que l’appelant n’a pas demandé, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation ni l’annulation du jugement qu’il frappe d’appel, sera à l’avenir une source de contentieux qui risque de produire l’exact effet contraire que celui justement recherché par la Haute juridiction, dans la droite ligne de l’idéologie contemporaine de la Chancellerie, à savoir la réduction des stocks. Nous ne pouvons donc que recommander à l’ensemble des praticiens de sécuriser au maximum le contenu du dispositif des conclusions en appel afin de limiter autant que faire se peut les difficultés pour la bonne raison qu’il nous semble que l’inconventionnalité de la solution retenue par la Cour de cassation ne nous semble pas être aussi évidente que certains auteurs le pensent. 

En effet, l’on a vu qu’il était possible de contourner la sanction résultant d’une omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant. Il faut se souvenir, par ailleurs, que la Cour de cassation, a déjà validé la conventionnalité de mécanismes punitifs reposant un formalisme excessif, tel que la caducité de la déclaration d’appel à défaut de dépôt des conclusions de l’appelant dans les délais impartis par la loi, dès lors que cette sanction n’est pas disproportionnée au but poursuivi qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel [14] ou encore l’absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugements critiqués, l’obligation de les mentionner poursuivant le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel [15].

Du point de vue de la Cour européenne, il convient également de rappeler qu’à plusieurs reprises, le juge européen a admis que le droit au juge puisse être limité, pourvu que ces limites reposent sur l’intérêt général et le respect d’une bonne administration de la justice, qu’il s’agisse, pour ne prendre que des décisions récentes, de la réglementation des délais pour agir [16], et plus généralement des délais de prescription et de forclusion, ou encore de l’obligation pour le demandeur d’exécuter la décision frappée de pourvoi en cassation à peine de radiation de l’affaire du rôle, puis de péremption de l’instance à défaut d’exécution dans le délai de deux ans [17]. Il nous semble que, dans l’attente d’une hypothétique décision d’inconventionnalité prononcée par la CEDH, c’est une révision des pratiques qui doit être privilégiée par celles et ceux qui n’avaient peut-être pas encore pris l’habitude de mentionner, dans le dispositif des conclusions d’appel la demande de l’appelant de voir le jugement rendu en première instance infirmé ou annulé.

Le renforcement du formalisme du contenu du dispositif des conclusions d’appel résultant de la lecture combinée des articles 542 et 954 du Code de procédure civile conduisant, lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel à confirmer le jugement n’est applicable qu’aux procédures d’appel introduites après le 17 septembre 2021.  


[1] Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW).

[2] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL).

[3] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I (N° Lexbase : A88313TA).

[4] A. Martinez-Ohayon, Dispositif des conclusions d’appel : quid de l’application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation ?, Lexbase Droit privé, mai 2020, n° 866 (N° Lexbase : N7661BYE).

[5] Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 18-10.983, F-D (N° Lexbase : A9839YUX).

[6] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-22.316, F-P (N° Lexbase : A25334SM).

[7] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-13.210, F-P (N° Lexbase : A25324SL).

[8] Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I (N° Lexbase : A89403C4) ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-15.230, F-D (N° Lexbase : A57063QE) ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-16.954, F-P+B+I (N° Lexbase : A56913QT).

[9] Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-20.416, F-P (N° Lexbase : A80074PA).

[10] Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-16.954, F-P+B+I (N° Lexbase : A56913QT).

[11] Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493 (N° Lexbase : A0788DTD).

[12] CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A1951D7E).

[13] CEDH, 5 avril 2018, Req. 40160/12, Zubac c/ Croatie (N° Lexbase : A4684XKP).

[14] Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 13-28.017, F-P+B+I (N° Lexbase : A57183QT) ; Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-22.013, F-P+B (N° Lexbase : A1504MSI)

[15] Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, préc. 

[16] CEDH, 9 février 2016, Req. 582/05, Celebi a. c/ Turquie (N° Lexbase : A7097PK3).

[17] CEDH, 3 sepembre. 2013, Req. 27338/11, Gray c/ France

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