Lexbase Social n°501 du 11 octobre 2012 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le pouvoir du délégué syndical de présenter une liste de candidats

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2012, jonction, n° 11-25.544, 11-25.545 et 11-25.546, FS-P+B (N° Lexbase : A6314ITZ)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 11 Octobre 2012

Si la loi attribue aux organisations syndicales d'importantes prérogatives, spécialement dans l'entreprise, elle n'est guère précise quant à l'exercice concret de ces dernières. Plus précisément, le Code du travail est, en règle très générale, étonnement muet quant à l'identité des personnes physiques susceptibles d'agir au nom et pour le compte du syndicat personne morale. On peut ainsi se demander si le délégué syndical, dont la loi nous dit qu'il représente le syndicat auprès de l'employeur, peut assumer un tel rôle par le seul effet de son mandat. L'arrêt, rendu le 26 septembre 2012, rappelle qu'il n'en est rien, au moins pour le dépôt des listes de candidats aux élections professionnelles. Pour ce faire, le délégué syndical doit disposer d'un mandat exprès. Mais c'est à l'employeur de réclamer ce mandat lors du dépôt de la liste.
Résumé

Si un délégué syndical ne peut présenter de liste de candidats au nom de son syndicat que lorsqu'il a expressément reçu mandat à cette fin, l'employeur qui, chargé de l'organisation des élections, n'a pas réclamé ce mandat lors du dépôt de la liste de candidatures, ni contesté le dépôt de cette liste, ne peut remettre en cause sur ce motif la validité de la liste après le déroulement du scrutin.

I - L'exigence d'un mandat exprès

Les lacunes du Code du travail. Après avoir précisé, dans un remier alinéa, que "le scrutin est de liste et à deux tours avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne", l'article L. 2324-22 du Code du travail (N° Lexbase : L3748IBG) dispose, dans un alinéa deuxième, qu'"au premier tour, chaque liste est établie par les organisations syndicales mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 2324-4 (N° Lexbase : L3771IBB)". Il ressort clairement de ce texte que la présentation d'une liste de candidats au premier tour des élections professionnelles dans l'entreprise est une prérogative appartenant au syndicat personne morale.

Cela étant précisé, il est évident que l'exercice de cette prérogative nécessite l'intervention d'une personne physique habilitée à agir au nom et pour le compte du syndicat. Sous réserve d'éventuelles restrictions statutaires, le dépôt de la liste peut très certainement être effectué par l'organe chargé de l'administration du syndicat. Mais, dans la mesure où il s'agit d'élections ayant lieu dans l'entreprise et que le syndicat, s'il est représentatif, peut y avoir désigné un délégué syndical, il faut se demander si la prérogative précitée peut être exercée par ce dernier. Le Code du travail ne comporte aucune précision sur la question, que l'on s'attache aux règles relatives aux élections ou à celles qui intéressent le délégué syndical. En revanche, ce même code dispose, à l'article L. 2143-3 (N° Lexbase : L6224ISC), que, sous réserve du respect des conditions prescrites, une organisation syndicale peut désigner un délégué syndical "pour la représenter auprès de l'employeur". A la lecture de ce texte, on est conduit à considérer, pour reprendre les termes de l'article 1988 du Code civil (N° Lexbase : L2211ABI), que le mandat de délégué syndical est, en application de la loi, "conçu en termes généraux". La Cour de cassation juge toutefois que cela n'est pas suffisant.

Les précisions jurisprudentielles. Ainsi que le précise la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "un délégué syndical ne peut présenter de listes de candidats au nom de son syndicat que lorsqu'il a expressément reçu mandat à cette fin". Cette solution ne constitue pas, loin s'en faut, une surprise (1). La Cour de cassation fonde cette solution sur l'article L. 2324-22 du Code du travail (2). Cela peut susciter l'étonnement. Il est vrai que cette disposition, ainsi que nous l'avons rappelé précédemment, confère "aux organisations syndicales" le droit de présenter des listes de candidats. Mais, et cela a aussi déjà été indiqué, l'article L. 2143-3 semble donner au délégué syndical le pouvoir de s'exprimer au nom de l'organisation de façon générale.

Compte tenu de cela, il est peut-être préférable de se tourner vers le droit commun du mandat pour trouver, sinon une justification, du moins une explication à la solution retenue en jurisprudence. Selon l'alinéa premier de l'article 1988 du Code civil, "le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration". L'alinéa second du même texte dispose quant à lui que "s'il s'agit d'aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès". On retrouve ici la distinction entre les actes d'administration et les actes de disposition. Par suite, et à suivre, la Cour de cassation, la présentation d'une liste de candidats aux élections professionnelles dans l'entreprise relèverait de la catégorie des actes de disposition, exigeant de ce fait un mandat exprès.

On mesure sans peine la curiosité que peut susciter cette dernière assertion, à tout le moins si l'on s'en tient à une approche que l'on qualifiera de "patrimoniale" de l'acte de disposition, au demeurant naturelle. Dans cette veine un auteur a pu, non sans raison, préciser que "l'acte d'administration est l'opération qui, étant donné l'aménagement du patrimoine et le genre d'entreprise du mandant, apparaît comme normale et courante" (3). En s'inspirant de cette définition, et dans la mesure où il est ici exclu de raisonner en terme de patrimoine, on peut avancer que ce qui importe c'est l'importance de l'opération, le fait qu'elle ne soit pas "normale et courante". La présentation d'une liste de candidats aux élections professionnelles n'est pas une opération anodine, spécialement si on la rapporte au critère de l'audience électorale, pierre angulaire de la représentativité syndicale.

Mais si un tel critère peut être retenu, on s'explique alors mal pourquoi la Cour de cassation considère, par ailleurs, que le délégué syndical est investi de plein droit du pouvoir de négocier et conclure un accord collectif au nom de son syndicat, sauf opposition en temps utile de ce dernier (4). Il ne saurait, en effet, être sérieusement discuté que la signature d'un accord collectif revêt, pour le syndicat mandant, un caractère aussi important que la présentation d'une liste de candidat. Les deux séries jurisprudentielles évoquées précédemment peuvent toutefois être conciliées si l'on a égard au fait, qu'en matière de négociation collective, l'article L. 2232-17 du Code du travail dispose que "la délégation de chacune des organisations syndicales représentatives parties à des négociations dans l'entreprise comprend le délégué syndical de l'organisation dans l'entreprise [...]". Ce texte confère en quelque sorte un mandat exprès au délégué syndical pour agir au nom et pour le compte de l'organisation mandante.

II - Le contrôle du mandat

Le litige. L'affaire soumise à la Cour de cassation trouvait son origine dans l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise de l'unité économique et sociale S. qui s'était déroulée le 6 juillet 2011. Les deux sociétés constituant cette unité économique et sociale avaient saisi le juge d'une demande d'annulation des candidatures présentées au nom de l'union locale CGT de Villefranche-sur-Saône, de l'élection des salariés concernés, ainsi que de la désignation de deux d'entre eux en qualité respective de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise, au motif que la liste des candidatures présentées au nom de cette organisation avait été déposée par le délégué syndical CGT sans qu'il justifie d'un mandat exprès de son organisation.

Le tribunal d'instance saisi avait accueilli cette demande, au motif que la preuve d'un mandat exprès, donné par l'organisation syndicale concernée, pour déposer les listes de candidats CGT n'avait pas été rapportée.

Le jugement est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article L. 2324-22 du Code du travail. Après avoir rappelé qu'"un délégué syndical ne peut présenter de liste de candidats au nom de son syndicat que lorsqu'il a expressément reçu mandat à cette fin", la Chambre sociale affirme que "l'employeur qui, chargé de l'organisation des élections, n'a pas réclamé ce mandat lors du dépôt de la liste de candidatures, ni contesté le dépôt de cette liste, ne peut remettre en cause sur ce motif la validité de la liste après le déroulement du scrutin".

L'obligation de vérification pesant sur l'employeur. Dans le droit commun du mandat, il est classiquement enseigné que les tiers "ont le droit d'exiger la production de la procuration" (5). C'est là la conséquence logique de la règle selon laquelle, "le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné" (C. civ., art. 1998, al. 1er) (6).

La décision commentée s'éloigne considérablement de ce schéma traditionnel puisque l'employeur, que l'on peut assimiler sans difficulté à un tiers au mandat a certes, le droit d'exiger la présentation du mandat (7), mais en a surtout l'obligation, du moins s'il entend remettre en cause la validité de la liste. On peut certes expliquer la solution au regard du fait que l'on n'est pas en présence d'un mandat classique ou encore que l'employeur n'est pas un tiers comme les autres. Mais de telles considérations de fait ne permettent pas de fonder en droit la solution. En outre, et dans la mesure où un mandat exprès est exigé, on aurait pu penser qu'il appartenait au délégué syndical de le produire lors du dépôt de la liste de candidatures ou, pour le dire autrement, qu'une telle production constituait une condition de validité de l'exercice de cette prérogative. Le passage d'une "obligation de présentation" à la charge du délégué syndical à une "obligation de vérification" pesant sur l'employeur réside dans le fait, souligné par la Cour de cassation, que c'est ce dernier qui est, en application de la loin, en charge de l'organisation de l'élection. A lui, donc, de s'assurer que le délégué syndical dispose d'un mandat exprès lors du dépôt de la liste ou de contester ce même dépôt (8).

Il faut, pour conclure, relever que l'arrêt n'apporte pas une réponse à toutes les questions susceptibles de naître en pratique. Ainsi, et pour ne prendre qu'un seul exemple, on peut se demander si la solution retenue vaut lorsque la contestation, postérieure au déroulement du scrutin, émane d'une organisation syndicale.


(1) Cass. soc., 15 juin 2011, n° 10-25.282, FS-P+B (N° Lexbase : A7348HTC). Lire les obs. de S. Tournaux, L'aménagement des pouvoirs syndicaux sous l'influence de l'esprit de la loi du 20 août 2008, Lexbase Hebdo n° 446 du 30 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5910BSP). V. aussi antérieurement, Cass. soc., 1er juin 1976, n° 75-60.198, publié (N° Lexbase : A6591CET), Bull. civ. V, n° 340.
(2) V. en ce sens l'arrêt commenté et celui en date du 15 juin 2011 (préc.).
(3) Ph. Le Tourneau, Rép. Dalloz de Droit civil, v° Mandat, § 110.
(4) Cass. soc., 19 février 1992, n° 90-10.896, publié (N° Lexbase : A3701AAC). V. aussi, à propos du protocole d'accord préélectoral, Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-60.904, publié (N° Lexbase : A0012A7L).
(5) Ph. Le Tourneau, op. cit., § 329.
(6) Nous soulignons. On sait aussi que si, en principe, le mandant n'est pas obligé envers les tiers pour ce que mandataire a fait au-delà du pouvoir qui lui a été donné, il en est autrement lorsqu'il résulte des circonstances que les tiers a pu légitimement croire que le mandataire agissait en vertu d'un mandat et dans les limites de ce mandat.
(7) La Cour de cassation ne l'affirme pas expressément. Mais cela s'infère nécessairement de la solution retenue.
(8) La distinction opérée par la Cour de cassation entre le fait de réclamer le mandat lors du dépôt de la liste de candidatures et celui de contester le dépôt de cette liste permet de prendre en compte l'ensemble des situations de fait et, notamment, l'hypothèse où la liste n'est pas remise en main propre à l'employeur.

Décision

Cass. soc., 26 septembre 2012, jonction, n° 11-25.544, 11-25.545 et 11-25.546, FS-P+B (N° Lexbase : A6314ITZ)

Cassation de TI Villefranche-sur-Saône (contentieux des élections professionnelles), 4 octobre 2011

Texte visé : C. trav., art. L. 2324-22 (N° Lexbase : L3748IBG)

Mots-clés : élections professionnelles, liste de candidatures, dépôt, personne habilité, délégué syndical, mandat exprès, vérification par l'employeur

Liens base : (N° Lexbase : E1608ETQ)

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